comment peut-on reduire la frequence des complications de l`alr

Anesthésie locorégionale 141
COMMENT PEUT-ON REDUIRE LA FREQUENCE DES
COMPLICATIONS DE L’ALR ?
L-J. Dupré, Clinique Cléret, 8 rue Burdin, 73000 Chambéry, France.
INTRODUCTION
Les complications graves de l’anesthésie locorégionale sont extrêmement rares, mais
elles sont une réalité [1]. Le terme de complication a généralement une connotation
négative, qui évoque la notion de faute, d’échec ou de négligence. Même si la complication
est parfois le résultat d’une erreur, il faut admettre que, comme tout acte dans la vie, la
decine, l’anesthésie et a fortiori l’anesthésie régionale, aucune technique nest
totalement à l’abri du risque de complications. Apprendre à les reconnaître et surtout à
les prévenir, pour en minimiser les éventuelles conséquences doit rester un objectif
prioritaire de notre formation continue.
1. ARRET CARDIAQUE
C’est potentiellement, la complication la plus grave de l’anesthésie locorégionale, car
il peut être fatal ou entraîner des séquelles neurologiques anoxiques graves. L’étude de
Caplan [2] en 1988 avait attiré l’attention en montrant qu’un art cardiaque aux
conséquences catastrophiques pouvait survenir sur des patients ASA 1 ou 2, pour des
interventions bénignes, avec des protocoles d’anesthésie, de surveillance et de réanimation
apparemment bien conduits. Un arrêt cardiaque peut résulter de la toxicité des
anesthésiques locaux, dun bloc trop étendu, d’une sédation excessive, de réflexes
vasovagaux. La toxicité des anesthésiques locaux sera évoquée plus loin.
1.1. EXTENSION EXCESSIVE D’UN BLOC
Cela concerne essentiellement les anesthésies rimédullaires, mais aussi les blocs
interscaléniques et du plexus lombaire par voie postérieure, le mécanisme étant l’injection
accidentelle d’une quantité trop importante d’anesthésique local dans le liquide céphalo-
rachidien. Une aspiration soigneuse à la recherche d’un retour de liquide phalo rachidien
est la gle, répétée avant chaque injection car la perforation durale peut survenir
secondairement sur un cathéter en place [3]. L’injection d’un faible volume d’anesthésique
local et la recherche de signes d’anesthésie avant l’injection de la dose totale a l’avantage
de pister aussi les injections dans l’espace sous dural extradural. Le test d’injection
doit être fait avec un anesthésique de faible délai d’action comme la lidocaïne. La simple
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recherche d’une sensation de chaleur après injection n’est pas un test fiable [4]. Même un
faible volume comme 3 ml de lidocaïne 1,5 % ou 3 ml de bupivacaïne 0,5 % peut entraîner
une rachianesthésie haute nécessitant intubation et ventilation [5, 6].
1.2. SEDATION
L’utilisation de benzodiazépine ou/et de morphinique, par voie intraveineuse, peut
être un excellent complément à l’anesthésie locorégionale, mais elle induit un risque de
dépression respiratoire inopinée [2]. Une oxygénothérapie, bien que souhaitable, peut
masquer une dépression respiratoire latente, avec un patient déjà hypercapnique. Dans ce
contexte, il est souhaitable d’associer à la surveillance de la saturation en oxygène, la
surveillance de la fquence respiratoire, voire de la capnographie.
1.3. MANIFESTATIONS VAGALES
Elles sont surtout le fait d’anesthésies insuffisantes [1]. Devant un bloc incomplet, le
recours à l’anesthésie générale avec contrôle de la ventilation, même s’il peut paraître
frustrant, est la solution de raison. Des anesthésies locorégionales réussies peuvent aussi
se compliquer d’arts cardiaques inopinés, particulrement aux changements de
position [7], y compris lors du transfert en salle de réveil [8]. La surveillance des patients
doit être constante, y compris après l’intervention.
1.4. MONITORAGE.
Garder le contact verbal avec le patient est essentiel. Dans les deux études récentes
publiées [1, 2] pour les arrêts cardiaques survenus au cours d’une anesthésie régionale,
le signe d’alerte essentiel a été la survenue d’une bradycardie. Que ce soit sur l’oxymètre
de pouls ou sur le cardioscope, la fréquence cardiaque est le premier paramètre à surveiller.
Pour Eisenach, la bradycardie est le signe annonciateur de l’arrêt cardiaque sous anesthésie
locorégionale, comme l’hypercapnie est le premier signe d’une hyperthermie maligne
sous anesthésie générale [9].
2. CONVULSIONS
La survenue de convulsions témoigne de la toxicité neurologique systémique des
anesthésiques locaux. Cette toxicité peut résulter d’un surdosage en anesthésiques locaux,
mais surtout d’une injection intravasculaire accidentelle.
2.1. SURDOSAGE EN ANESTHESIQUES LOCAUX
La notion de dose maximale, encore trop souvent enseignée, est une erreur [8], car la
toxicité dépend en fait de la concentration plasmatique d’anesthésique local mais aussi
de la vitesse d’apparition du taux maximal [10]. La toxicité systémique pend non
seulement de la posologie totale, mais encore du type de bloc réalisé, de l’anesthésique
local utilisé, de sa concentration, de l’adjonction ou non d’adrénaline, de l’état du patient…
Il est logique d’adapter la posologie à chaque anesthésie locorégionale, en privilégiant si
possible, le volume à la concentration. Pour les posologies élevées d’anesthésique local,
l’utilisation d’adrénaline est souhaitable, non pas pour augmenter la durée du bloc, mais
pour diminuer la vitesse d’absorption. Laction de l’adrénaline dépend de l’anesthésique
local injecté et de son site d’injection [11].
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2.2. INJECTION VASCULAIRE ACCIDENTELLE
Elle est la cause principale de toxicité systémique et de convulsions. Elle peut aussi
être responsable d’une insuffisance circulatoire ou d’un arrêt cardiaque, particulièrement
avec certains anesthésiques locaux comme l’étidocaïne ou la bupivacaïne [11]. Prévenir
et dépister précocement une injection intravasculaire est essentiel.
Le test d’aspiration préalable à l’injection, répété en cours dinjection, doit être
systématique. Il est efficace en cas de ponction artérielle ou dans une veine de gros calibre.
Le test d’aspiration sanguine est rarement positif lorsqu’une veine de petit calibre est
pénétrée, comme dans l’espace péridural [12]. Le risque el n’est pas la pénétration de
gros vaisseaux, facilement reconnue, mais celle de petits vaisseaux à faible pression,
dont l’existence même est trop souvent ignorée, vaisseaux circonflexes à proximité du
nerf fémoral, vaisseaux transverses ou rétroclaviculaires dans le plexus brachialCe
qui explique, que contrairement à ce qu’imaginait Winnie [13], pour les blocs du plexus
brachial, ce sont les abords au-dessus de la clavicule qui provoquent plus de convulsions
et non pas les abords axillaires [14].
L’utilisation d’une dose test, pistant les effets a minima d’une injection intra-
vasculaire a été largement proposée. Les symptômes recherchés sont bourdonnement
d’oreille, goût métallique, vertiges, sensation de malaise et autre manifestations subjectives,
malheureusement la perception de ces symptômes dépend beaucoup du patient et de la
situation [3]. La dose cessaire d’anesthésique local n’est pas clairement définie, au
moins 5 mL de lidocaïne 2 % ou de bupivacaïne 0,5 % [15, 16] et à priori beaucoup plus
encore avec la ropivacaïne [17, 18]. Ladjonction de 15 µg d’adrénaline à la dose test
s’est largement répandue. L’adrénaline, en cas d’injection vasculaire, entraîne tachycardie
et hypertension [19]. L’efficacité du dépistage par l’adrénaline est remise en question
chez le vieillard [20], le patient traité par des ta-bloquants [19] et la parturiente [3].
D’autres agents ont été propos pour la dose test, de l’air [21], du fentanyl [22] et même
de la succinylcholine [23]. Aucune dose test n’est fiable à 100 % [3].
L’injection lente et fractionnée de la dose totale d’anesthésique local paraît une attitude
logique, mais son efficacité a aussi été remise en question [24].
La neurostimulation est très utile. Dans un bloc périphérique, avec neurostimulateur,
la non disparition de la réponse à une stimulation à intensité minimale, dès l’injection du
premier mL d’anesthésique local, signe une injection intravasculaire [25].
Un raccord souple d’injection et linjection réalisée par une tierce personne, permet
d’éviter un déplacement intempestif de l’aiguille lors de l’injection [26].
La prévention totale d’une injection vasculaire ne peut reposer sur une seule technique,
il est logique de les associer [3]. Une attitude raisonnable consiste à faire des injections
fractionnées, avec des tests d’aspiration répétées dans tous les cas. En neurostimulation,
la perte de réponse doit être systématiquement recherchée. Lorsqu’un cathéter est mis en
place, une dose test contenant de l’adrénaline doit être systématiquement faite, de l’air
peut être utilisé préférentiellement en obstétrique.
Lors de l’injection de l’anesthésique local et dans les minutes qui suivent, le premier
monitorage reste encore le contact verbal avec le patient. La surveillance de la fréquence
cardiaque est systématique, celle de la tension artérielle est nécessaire chez le sujet sous
traitement bêta-bloquant, un doppler est indispensable pour le test à lair.
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3. COMPLICATIONS NEUROLOGIQUES
Bien que le risque de complication neurologique soit faible [1], il est toujours le premier
évoqué pour une anesthésie locorégionale. La lésion nerveuse résulte de trois mécanismes
qui sont l’ischémie, le traumatisme et la toxicité.
3.1. ISCHEMIE
Elle découle d’une baisse de la saturation en oxygène, de la pression de perfusion et/
ou de la concentration en hémoglobine.
Si l’anémie n’est que peu influencée par lanesthésie locorégionale, la baisse de
saturation en oxygène peut sulter d’une sédation, en complément de lanesthésie
locorégionale. Dans ce cas, il paraît logique de pvenir ce risque, par un apport
systématique d’oxygène.
La baisse de la perfusion peut résulter soit d’une hypotension systémique au cours
d’une anesthésie rimédullaire, soit d’une hypoperfusion régionale par un hématome
compressif. L’hypotension est considérée comme une complication, lorsque les chiffres
baissent de plus de 30 % par rapport à la valeur initiale [27], ce qui représente un tiers
des rachianesthésies [28]. Le risque d’hypotension est corrélé au niveau sensitif de
l’anesthésie périmédullaire [28]. Au cours d’une rachianesthésie, le risque d’hypotension
est doublé lorsque la ponction se fait en L2-L3 ou au-dessus [28]. La prévention de
l’hypotension et son traitement reposent sur un remplissage préalable, une compensation
des pertes et surtout le recours rapide aux vasopresseurs. L’éphédrine seule n’est pas
toujours efficace [29, 30].
L’hématome compressif se voit surtout dans un espace clos périnerveux, peu expansif,
comme l’espace péridural, mais aussi la gaine du psoas ou dans la gouttière épitrochléo-
épicranienne, fermée par les bandelettes transversales, vestige du muscle epitrochléo-
cubital des mamifères [31]. La prévention des hématomes compressifs voudrait que l’on
fasse un bilan de coagulation systématique, juste avant une anesthésie périmédullaire et
que l’on proscrive toute locorégionale chez un patient traité par des anticoagulants. Cette
attitude préventive négative n’est pas justifiée. Faut-il faire un bilan de coagulation avant
une anesthésie locorégionale, répond à la même question qu’avant une intervention
chirurgicale [32]. En obstétrique, le risque est plus élevé par risque de thrombopénie,
mais si la pratique d’examen complémentaire est abondante, elle ne paraît pas toujours
rationnelle [33]. Lorsqu’un patient est traité de façon curative, le consensus semble se
faire [34, 35, 36], pour éviter l’anesthésie locorégionale. La question d’une anesthésie
locorégionale au décours des traitements anticoagulants prophylactiques ou par de
l’aspirine est largement discutée [27, 34, 36]. Réaliser un bloc périphérique, à l’exception
d’un bloc lombaire ou cubital, au coude semble tout à fait licite. Pour les anesthésies
rachidiennes, l’abstention paraît logique, car si le risque d’un hématome compressif est
rare, sa survenue est toujours grave [27]. Mais cette attitude ne doit pas être un dogme, et
le calcul du bénéfice / risque doit être fait pour chaque patient [8]. Le moment du retrait
d’un cathéter d’anesthésie locorégionale, chez un patient sous anticoagulant, doit être
judicieusement apprécié [37]. Dans tous les cas, la prescription dun traitement
anticoagulant avant, mais aussi après une anestsie locorégionale implique une
surveillance neurologique attentive, car les premiers signes de compression sont en néral
discrets et retardés, et le résultat de la décompression sera d’autant meilleur qu’elle aura
été précoce [27].
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La formation d’un hématome, lorsqu’il n’est pas compressif est néralement considéré
comme sans conséquence. Une étude portant sur plus de 1 000 anesthésies du plexus
brachial par voie trans-artérielle, a montré une incidence de neuropathie postopératoire
faible [38]. Le biais de cette étude est quelle ne porte que sur les premiers jours
postopératoires et ignore totalement le risque tardif de neuropathie engainante [39]. Même
avec un taux de succès satisfaisant, une technique ponctionnant délibérément une artère
ne saurait être recommandée [40].
3.2. TRAUMATISME
Le traumatisme nerveux par l’aiguille peut être responsable d’une atteinte neurologique
post-anesthésique. L’influence de la technique (mode de repérage, type d’aiguille..) est
certainement forte, mais il n’existe actuellement dans la littérature aucune donnée formelle
et la controverse reste importante [41-57]. La prévention du traumatisme nerveux peut se
résumer à trois points : éviter le contact nerveux, choisir une aiguille non vulnérante,
éviter l’injection intra-neurale.
Repérer les nerfs sans les toucher, semble à priori la meilleure technique pour éviter
le traumatisme nerveux, ce qui condamne le repérage par recherche délibée de
paresthésie. Les techniques de repérage despace ont montré leur efficacité en
rachianesthésie, un peu moins en péridurale. Pour les blocs périphériques, les techniques
de perte de sistance ou de franchissement de fascia sont moins performantes. La
neurostimulation paraît la technique à préconiser, son efficacité étant démontrée [58-62],
et son innocuité devant l’être rapidement, grâce à son utilisation de plus en plus fréquente.
Un autre avantage de la stimulation est de prévenir de la présence d’un nerf qui ne devrait
pas se trouver devant l’aiguille (variation anatomique, erreur de repérage…). Cet argument
permet peuttre dexpliquer que c’est après rachianesthésie que l’on observe plus
fréquemment des séquelles neurologiques [1].
En multistimulation, un nerf qui vient d’être infiltré reste repérable [44, 61, 63], car
la perte de réponse immédiate à l’injection n’est que transitoire [47].
Choisir une aiguille qui, en cas de contact avec le nerf, provoque le minimum de
lésion paraît logique, et à la suite des travaux de Selander [53, 55], l’utilisation d’aiguilles
à biseau court semblait la règle de curité. En 1992 une étude remet en question le choix
du biseau pour une anesthésie locorégionale, montrant que sur une période d’observation
longue, les lésions les plus graves sont le fait des biseaux courts, surtout lorsqu’ils sont
introduits tangentiellement au nerf [48]. Ce travail a été à l’origine dune grande
controverse dans la littérature [46, 49-51, 57]. Avec le recul, des biais dans les travaux de
Selander [53, 55] ont été mis en évidence. Mais le travail de Rice [48] n’est pas exempt
de reproches, en particulier il ne tient pas compte de la force de pénétration des aiguilles.
Il semble évident qu’il est plus difficile de pénétrer un nerf avec un biseau court et donc
qu’il en résultera des lésions plus graves. Un argument évoqué en faveur du biseau court
est qu’en l’absence de fixation du paquet nerveux, le nerf s’efface à l’arrivée de l’aiguille.
L’utilisation d’un biseau conique, avec trou d’injection latéral, s’est largement répandue
pour les rachianesthésie, pour la prévention des céphalées [64], mais son intérêt en
anesthésie périphérique reste à démontrer.
L’injection intra-neurale est la cause des neuropathies les plus graves, car au mécanisme
vulnérant, s’associe un effet de compression et d’ischémie par hématome [8]. Linjection
intra-neurale est douloureuse. La prévention de ce type d’accident implique d’arrêter
immédiatement toute injection douloureuse, surtout si le patient décrit à l’injection une
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