Lésions ménisco-ligamentaires associées
Ch. Trojani, M. Lemaire, N. Jacquot, F. de Peretti, P. Boileau
La place de la chirurgie dans le traitement des fractures du genou ne peut
être discutée. Les problèmes ligamentaires et méniscaux associés peuvent nuire
au résultat final.
Il était donc nécessaire de faire le point sur la fréquence et l’influence des
lésions ménisco-ligamentaires dans les fractures du plateau tibial, puis dans
les fractures du fémur distal. L’apport de l’arthroscopie dans le traitement de
ces lésions puis l’intérêt de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) dans
leur diagnostic seront ensuite discutés.
Fractures des plateaux tibiaux et lésions ménisco-ligamentaires
Les classifications des fractures des plateaux tibiaux sont nombreuses. La clas-
sification de l’AO (32) en trois groupes, les classifications simplifiées de
Honkonen (25) ou de Schatzker (37) sont moins utilisées en France que la
classification de Duparc et Ficat (18) de 1960 et séparant les fractures uni-
tubérositaires (de trois types : enfoncement-séparation, enfoncement pur et
séparation pure) des fractures bitubérositaires (de trois types : simples, com-
minutives et complexes). Postel (35) en 1974 introduit la notion de fracture-
séparation postérieure des plateaux tibiaux et Duparc (19), en 1975, la notion
de fracture spino-glénoïdienne, ou spino-tubérositaire. Ces deux types de
lésions sont fréquemment associées à des lésions ligamentaires.
Les fractures unitubérositaires représentent 65 à 70 % des cas, dont les
quatre-cinquièmes sont des fractures du plateau tibial latéral (27, 28, 36). Les
fractures spino-glénoïdiennes représentent 5 % des fractures. Les fractures bitu-
bérositaires représentent 30 % des cas.
Le traitement chirurgical de ces fractures s’est imposé du fait des bons résul-
tats publiés (10, 37) en regard des résultats obtenus par traitement orthopé-
dique (17, 36, 37, 41).
La fréquence des lésions ligamentaires accompagnant les fractures des pla-
teaux tibiaux est souvent sous-estimée (10, 37). Pour Dejour (14), le problème
ligamentaire ne peut pas être négligé lorsqu’il s’associe à une fracture des pla-
teaux tibiaux. Deux types de lésions sont retrouvées :
– les fractures unitubérositaires associées à une rupture ligamentaire du côté
opposé ;
– les fractures uni- ou spino-tubérositaires associées à un arrachement de
l’éminence intercondylaire (épines tibiales).
Si les lésions ligamentaires sont réparées, on retrouve 80 % de bons résul-
tats contre 50 % de bons résultats si elles sont négligées (14). Le pourcen-
tage de lésions ligamentaires associées aux fractures des plateaux tibiaux varie,
dans la littérature, de 7 à 33 % (tableau I). Bennett (5) retrouve 56 % de
lésions ménisco-ligamentaires associées aux fractures des plateaux tibiaux.
Certains types de fractures sont plus fréquents. Pour Postel (35), les frac-
tures-séparations postéro-médiales s’accompagnent fréquemment d’une lésion
de la corne postérieure du ménisque médiale et à un arrachement de l’émi-
nence intercondylaire médiale (43), voire du ligament croisé postérieur (21).
Les fractures spino-tubérositaires médiales peuvent comporter des lésions du
ligament collatéral latéral latéral et du ménisque latéral, voire du point d’angle
postéro-latéral (14). Les très rares fractures spino-tubérositaires latérales,
peuvent engendrer des fractures de la tête fibulaire, des lésions du ligament
collatéral tibial et du ménisque médial (19). Pour Moore (31), les fractures-
luxations des plateaux tibiaux sont associées à une grande incidence de lésions
ligamentaires alors que les fractures unitubérositaires sont indemnes de lésions
ligamentaires (30). Tscherne (42) retrouve 96 % des lésions des ligaments
croisés et 85 % des lésions ligamentaires périphériques dans les « fractures-
dislocations » (fractures bitubérositaires et fractures spino-tubérositaires).
Quant à la classique fracture de Segond, qui correspond à un arrachement de
la capsule antéro-latérale sur l’extrémité proximale du tibia, elle est patho-
gnomonique de lésion du ligament croisé antérieur (22).
Certaines lésions peuvent représenter un véritable piège diagnostique : dans
les lésions bicroisées en hyperextension, ou pentades postérieures, on peut
observer une fracture des plateaux tibiaux avec enfoncement antérieur (15).
Ainsi, l’instabilité est une raison majeure des mauvais résultats dans les frac-
tures des plateaux tibiaux (2, 14, 16, 23, 27, 28, 31, 42). La stabilité du genou
doit donc toujours être testée, de manière douce, à la fin de l’ostéosynthèse
d’une fracture du plateau tibial. En cas d’instabilité persistante en subexten-
sion après ostéosynthèse (2), il faut traiter le problème ligamentaire. Cela est
rare dans les fractures unitubérositaires (2, 30, 42) mais, même dans ce type
de fractures, les études les plus récentes, bénéficiant de l’apport de l’arthro-
370 Fractures du genou
Série Ligaments LLI LCT LCF LCP Ménisques ML MM
Rassmussen (36) 1973 10 % 4 % 5 % 1 %
Burri (10) 1979 7 % 7 %
Schatzker (37) 1979 7 % 7 %
Dejour (14) 1981 20 %
Delamarter (16) 1988 22 % 10 % 6 % 6 %
Tscherne (42) 1993 33 % 25 % 21 % 4 %
Honkonen (25) 1994 18 % 35 %
Bennett (5) 1994 33 % 20 % 3 % 10 % 20 %
Kohut (27) 1994 21 % 9 % 4 % 13 % 5 % 17 %
Le Huec (28) 1996 14 % 18 %
Scheerlink (39) 1998 25 % 5 % 15 % 5 % 25 %
(arthro)
Beaufils (12) 1999 20 % 20 % 25 %
(arthro)
Moyenne 19 % 23,5 %
Tableau I – Incidence des lésions ménisco-ligamentaires associées aux fractures des plateaux tibiaux.
scopie, retrouvent un taux croissant de lésions ligamentaires : Beaufils et la
Société française d’arthroscopie retrouvent 20 % de lésions du ligament croisé
antérieur dans les fractures unitubérositaires latérales, fractures séparations
pures et fractures enfoncement pur (tableau I).
L’ostéosynthèse d’un arrachement ligamentaire est logique : ostéosynthèse
d’une fracture de la tête fibulaire, d’un arrachement de l’insertion fémorale
du ligament collatéral tibial, d’un arrachement de l’aire intercondylaire anté-
rieure, zone d’insertion du ligament croisé antérieur ou d’un arrachement de
l’aire intercondylaire postérieure, zone d’insertion du ligament croisé posté-
rieur. En cas de lésion intraligamentaire, en particulier du ligament collatéral
tibial et du ligament croisé postérieur (fig. 1), celle-ci peut être traitée de
manière conservatoire.
Lésions ménisco-ligamentaires associées 371
Fig. 1 – Homme, 40 ans. a) Fracture spino-bitubérositaire non déplacée. Lésion instable.
Arrachement de l’aire intercondylaire postérieure. b) L’IRM met en évidence une lésion en
plein corps du ligament croisé postérieur (rupture interstitielle) : hypersignal en T2.
c) Ostéosynthèse par trois vis perforées de diamètre 7,3 avec rondelles, mise en place percu-
tanée sous contrôle radioscopique. L’arthroscopie, réalisée après la mise en place de la première
vis la plus épiphysaire, met en évidence une rupture partielle du ligament croisé postérieur au
fémur et une désinsertion partielle du ménisque médial.
a
b
c
L’incidence des méniscectomies est variable selon les auteurs, de 17 % (30)
à plus de 50 % (36). Cependant, certaines études retrouvent un taux anormal
de lésions méniscales, car la méniscectomie faisait partie intégrante de la voie
d’abord (36). Pour Moore (31), elle n’est pas nécessaire à une exposition satis-
faisante de la fracture : dans sa série, le ménisque est préservé 17 fois sur 18
cas. Ainsi, il semble logique de préserver le ménisque lors de la voie d’abord
en réalisant une arthrotomie sous-méniscale, comme préconisé par l’AO, ou
en détachant la corne antérieure du ménisque (34). Depuis la généralisation
de ce type d’abord, le taux de lésions méniscales est compris entre 17 et 35 %
(tableau I) et l’attitude communément admise est d’être le plus conservateur
possible sur le ménisque. En cas de lésion méniscale, une méniscectomie par-
tielle peut être réalisée. S’il existe une désinsertion méniscale, il faut en pro-
fiter pour exposer la fracture et reconstruire le ligament ménisco-tibial en fin
d’intervention. Burri (10) retrouve 27 % de lésions méniscales et réalise 18 %
de méniscectomies et 9 % de sutures. Parfois, le ménisque peut être piégé
dans le foyer de fracture, au fond de l’enfoncement, et l’on peut être surpris,
lors de la voie d’abord, de ne pas le trouver en place. Après l’avoir relevé et
désincarcéré, il est suturé en fin d’intervention (fig. 2).
372 Fractures du genou
Fig. 2 – Homme, 45 ans. a) Fracture-enfoncement-séparation du plateau tibial latéral.
Ostéosynthèse interne à foyer ouvert par plaque en « L » de l’AO. Abord latéral. Ménisque
latéral complètement désinséré et piégé (entrapment) dans le foyer de fracture. Section de la
corne antérieure du ménisque latéral et réinsertion après ostéosynthèse. b) Sur la radiographie
de face postopératoire, reconstruction anatomique mais diminution de l’espace fémoro-tibial
latéral.
a
b
La réduction arthroscopique de certaines fractures du plateau tibial
latéral (12, 39) a mis en évidence un taux de lésions méniscales semblable
aux autres séries. La lésion méniscale est traitée dans le même temps arthro-
scopique que la réduction de la fracture : le plus souvent, la lésion est laissée
en place (9, 12, 39, 44).
Ainsi, préserver le ménisque tout en exposant parfaitement la fracture, dia-
gnostiquer et traiter si besoin les lésions ligamentaires associées semblent les buts
à atteindre en association à la reconstruction osseuse. La figure 3 résume les lésions
ménisco-ligamentaires à rechercher lors d’une fracture des plateaux tibiaux.
Lésions ménisco-ligamentaires associées 373
´
´
rares
ménisque latéral (28 %)
ligament croisé antérieur (20 %)
ligament collatéral tibial au fémur
fréquentes
controlatérales
ménisque médial
ligament collatéral tibial
fréquentes
éminence intercondylaire
Fracture bitubérositaire
Fracture spino-tubérositaire latérale
Fracture unitubérositaire latérale
Type de fracture Lésions ménisco-ligamentaires à
rechercher
Fig. 3 – Lésions ménisco-ligamentaires à
rechercher en fonction des types de fractures
des plateaux tibiaux.
Fractures des condyles fémoraux et lésions ménisco-ligamentaires
Les fractures distales du fémur peuvent être classées selon l’AO en trois groupes
qui correspondent à un degré de sévérité croissant (33). L’ostéosynthèse interne
de ces fractures à foyer ouvert donne un taux de bons et excellents résultats
supérieur à 75 % (38). Les fractures sans comminution épiphysaire articu-
laire donnent plus de 90 % de genoux normaux. Les fractures de type C3,
1 / 10 100%