article - Université Paris 1 Panthéon

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1ères Doctoriales de la Chaire « Tourisme, culture, développement » LE TOURISME : CONCEPTS ET METHODES
A LA CROISEE DES DISCIPLINAIRES –E. VERON
1ères DOCTORIALES du Tourisme
de la Chaire « Culture, Tourisme, développement »
TOURISME / TOURISM
Concepts et méthodes à la croisée des disciplines
Concepts and methods at the disciplinary crossroads
14-16 septembre 2011
Emmanuel VERON
Doctorant en géographie
Doctorant contractuel enseignant (DCE)
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8586 PRODIG
Directeur de thèse : Pr. Thierry Sanjuan
[email protected]
0033677097882
Thématique : 1. Le touriste, entre individu et groupe social
Suivi des touristes chinois dans le tourisme rural par l’observation
participante d’un doctorant étranger en géographie: enjeux et méthodes
Résumé : Le suivi des groupes organisés de touristes et de l’individu dans son itinéraire de
découverte par les pratiques touristiques apparaît comme recours incontournable à l’analyse
de l’expérience touristique. L’observation participante dans le large champ de recherche n’est
autre qu’une adaptation méthodologique à une situation particulière du travail de thèse. Le
biais de l’étrangeté de faire une recherche en Chine est peu analysée, alors qu’elle est
particulièrement décisive dans les relations. La question de la relation à l’autre en tant
qu’individu ou inscrit dans un groupe qui se définit par une action au but commun, est au
cœur de l’action méthodologique, en termes de biais, mais aussi de stimulation d’interactions.
Nous en viendrons à discuter de l’outil méthodologique et des interactions produites.
Mots-clés : Chine, Etranger, Méthodologie, Observation participante, Touriste.
Monitoring of Chinese tourists in rural tourism with participant
observation by a foreign Phd candidate in geography: issues and methods
Abstract : The monitoring of tourist organized group seems important to analyzed tourism
experience. The participant observation is one methodology adaptation depending on the
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research situation. To be a foreigner in China is a bias. And there is few studies about it. The
question of the relationship with the other as an individual or registered in a group that is
defined by an action at common purpose, is at the heart of the action methodology, in terms of
bias, but also for stimulatinginteractions. We come to discuss the methodological tool and
interactions occurred.
Key-words : China, Foreigner, Methodology, Participant observation, Tourist.
Introduction
Le tourisme intérieur chinois, thématique encore peu analysée dans les sciences
humaines de langue française semble être aujourd’hui pris d’une voie de maturation et de
diversification sur l’ensemble du territoire chinois. L’attrait récent des citadins pour une
mobilité à la campagne (comme « désirs d’ailleurs »), le temps d’un week-end ou de congés,
donne de nouvelles perspectives en géographies du tourisme, des loisirs, mais
particulièrement dans de nouveaux rapports ville-campagne, jusque là inconnus en Chine,
signalant de nouvelles perceptions d’une société en pleine mutation. Par le biais d’un travail
de thèse sur le tourisme rural en Chine, à la périphérie de la métropole de Shanghai, nous en
venons à expliciter puis à justifier et enfin remettre en question nos choix méthodologiques
pour l’enquête.
Le procédé méthodologique de l’observation participante très usité en sociologie, l’est de plus
en plus en géographie. Elle est de venue un recours méthodologique quasi incontournable
pour extraire et construire une réalité géographique quelconque. Les limites de l’action de
participation ainsi que ses modalités apparaissent mal dans le travail du chercheur. Qu-est-ce
que l’on appelle participation du chercheur ? Nous tenterons d’en expliciter la démarche et ses
différentes phases, par le suivi de touristes chinois dans leur voyage à la découverte de village
ou de parc récréatifs dans les périphéries de la métropole shanghaienne. Il ne s’agit pas ici de
faire l’exposer dans les détails des résultats d’enquêtes obtenus au cours de différentes
missions de terrain, mais bien de montrer quels outils méthodologiques nous utilisons pour la
construction d’un savoir scientifique, dans le contexte du travail de thèse en géographie. Nous
montrerons les différentes étapes de l’observation participante des pratiques spatiales des
touristes chinois.
Nous reviendrons sur la validité de cet outil d’enquête et apporterons un retour d’expérience
quand à l’objectivité et la part de subjectivité que l’observation induit. Les résultats
scientifiques en dépendent. Nous nous devons en tant que chercheur se poser les questions de
théorie, de causalité, de validité et de fiabilité de nos observations et informations recueillies.
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Ceci est envisagé comme élément de réponse à l’étude de l’expérience touristique et de
l’observation des interactions provoquer ou induite par les pratiques touristiques. Ce travail
nous permet la réflexion sur la place de l’individu entre culture et politique. Ce modeste texte
nous amène à considérer la place du jeune chercheur en tant qu’individu à part entière faisant
objet d’étrangeté et d’altérité dans un groupe culturo-politique homogène et soudé par cette
même intrusion.
Notre texte est structuré en trois temps. Nous explicitons notre choix méthodologique comme
réponse à l’acquisition de données tangibles répondant à la problématique de notre travail de
thèse, puis dans un second temps nous montrons les interactions induites par la méthode, puis
enfin en troisième partie, nous revenons sur ces frictions créatrices de résultats originaux,
nous menant à réfléchir sur l’utilisation d’un tel outil méthodologique, tant dans la viabilité
scientifique des résultats que dans la pertinence du rapport humain du chercheur dans son
expérience d’enquête.
I.
Le choix méthodologique de l’observation participante
Le choix d’enquête est primordiale quand à l’établissement de résultats. Pour illustrer notre
choix méthodologique, nous expliquerons brièvement l’utilisation de l’outil d’observation
participante ; pourquoi et comment nous l’utilisons dans notre terrain d’étude, la Chine.
L’héritage de nos pères, l’observation participante comme méthode d’enquête
Il est vrai qu’en science sociale en général, et dans notre discipline qu’est la géographie nous
n’expérimentons peu. Le corpus méthodologique de l’observation participante est large. Il est
le fruit de plus de soixante dix années de réflexions, d’analyses et d’utilisation dans le champ
des sciences sociales et humaines.
Jean-François Staszak dans le dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés
l’observation comme l’examen empirique in situ d’un phénomène ou d’un processus afin d’en
acquérir une connaissance. Dans le cadre du raisonnement inductif qui fonde l’empirisme naïf,
l’observation est la phase première de la démarche scientifique. L’observation diffère de
l’enquête ou de l’entretien en ce que l’observateur est supposé être passif et totalement
extérieur à son objet. (Staszak, 2003, p. 676-677). Nous avons en héritage les travaux
précurseurs de Bronislav Malinowski en ethnologie.
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L’observation participante est parfois décriée comme peu structurée en termes
méthodologique, elle laisse le libre court au chercheur de son acte d’observateur sur son
terrain d’études (Soulé, 2007).
Selon Platt (1983), c’est vers la fin des années 1930 que l’expression « observation
participante » semble faire son entrée dans son acception actuelle, en tant que technique de
recherche dans laquelle le sociologue observe une collectivité sociale dont il est lui-même
membre. Le chercheur se fait dès lors l’étudiant d’acteurs sociaux, par l’entremise d’une
interaction de longue durée avec eux (De Sardan, 2001).
Questions de méthodologie et de scientificité
L’observation fait partie intégrante des méthodes d’enquêtes. Nous entendons par enquête, la
production d’un matériau empirique pour la recherche. Le terme d’enquête désigne la
séquence de production de ce matériau empirique mais aussi, par extension, le matériau sur
lequel se fonde une recherche. Si l’apport des sciences sociales réside principalement dans le
fondement et la pertinence empirique des interprétations du monde qu’elles proposent, on
comprend d’emblée l’importance qu’elles accordent à l’enquête. (Haegel, 2003, p 312).
Pourquoi le recours à l’utilisation de l’observation participante ? Il n’y a certainement pas une,
mais des formes d’observations participantes dans le champ de recherche des sciences
sociales. L’emploi très fréquent de l’observation participante en science sociale, mais surtout
dans les disciplines sociologiques ou anthropologiques, est plus récent en géographie. Cela
souligne le croisement des disciplines, mais aussi le nécessaire décloisonnement des formes
d’analyses des sociétés humaines et de l’espace qu’elles construisent.
L’observation
participante est le fruit depuis plus de deux décennies de recherches en science sociales de
discours scientifiques montrant que ces délimitations sont floues, son caractère très général de
la démarche; enfin, la séduction opérée par ce terme alternatif et l’effet de mode même,
parfois évoqué, semblent constituer un élément explicatif non négligeable (Soulé, 2007 ;
Lapassade, 2001 ; Delaporte, 1993).
L’observation participante est un processus progressif composé de phase et de stratégies
d’intégration. Elle peut être périphérique, active ou complète selon le dégré d’intégration du
chercheur. L’observation participante implique de la part du chercheur une immersion totale
dans son terrain, pour tenter d’en saisir toutes les subtilités, au risque de manquer de recul et
de perdre en objectivité. L’avantage est cependant clair en termes de production de données :
cette méthode permet de vivre la réalité des sujets observés et de pouvoir comprendre certains
mécanismes difficilement décryptables pour quiconque demeure en situation d’extériorité. En
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participant au même titre que les acteurs, le chercheur a un accès privilégié à des informations
inaccessibles au moyen d’autres méthodes empiriques (Soulé, 2007).
Dans son acception la plus large, le terme d’observation participante décrit une forme
d’observation lors de laquelle le chercheur « annonce la couleur ». Il est alors connu en tant
qu’observateur extérieur, de la part des membres de la collectivité au sein de laquelle il
évolue : le risque sous-jacent est de générer des changements artificiels de comportement; un
avantage non négligeable est de ne pas soulever de problèmes d’ordre éthique. Le degré de
participation constitue un autre élément central de différentiation entre les formes
d’observation participante (De Sardan, 2001), ainsi qu’un objet central de débat
épistémologique : comment concilier la nécessité méthodologique de l’implication dans la vie
d’un groupe avec le recul et la mise en perspective nécessaires au rôle de chercheur.
L’application de l’observation participante dans notre suivi des touristes chinois
Le terraini en tant qu’entité spatio-temporelle où le chercheur va mettre en œuvre sa démarche
scientifique pour construire un savoir, est différent selon les chercheurs travaillant sur une
même question ou encore selon les aires culturelles du monde. Notre travail s’inscrit en
République populaire de Chine. Les travaux en sciences sociales de langue française sur ke
tourisme en Chine sont peu nombreux (David, 2007 ; Taunay, 2009 ; Guyader, 2009). Par
conséquent les méthodes entreprises par les chercheurs sont celles utilisés pour d’aire
culturelle.
Nous interrogeons les pratiques spatiales touristiques et les comportements qui en émanent.
Ce tourisme intégré au tourisme intérieur chinois plus général correspond aux logiques
métropolitaines en termes de diffusion spatiale des activités, des pratiques et des
aménagements touristiques. Pour cela le suivi des touristes dans leurs itinéraires nous est un
moyen d’enquête largement encouragé par nos pères et par des collègues chinois travaillant
sur des questions similaires.
L’utilisation de ce type de méthode nécessite notre capacité à être immergé dans un groupe
chinois dont la culture est éloignée de la notre. Nous cherchons à comprendre le choix et le
goût des pratiques touristiques des chinois et des trajectoires du tourisme intérieur en Chine.
Le suivi des touristes et l’observation en prenant par aux activités les plus diverses soient elles
sont incontournables quand à la compréhension et à la construction du savoir géographique.
Le nombre de groupe de touriste suivi n’excède en général par 35 à 40 personnes. Le plus
souvent nous suivons des groupes de 20 à 30 touristes.
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Dans notre situation, l’inscription au groupe touristique est immédiatement faite. Il s’agit d’un
touriste étranger au sein d’un groupe de touristes chinois venant en Chine pour découvrir des
sites touristiques aménagés, ici en l’occurrence voir la campagne chinoise périphérique à la
métropole de Shanghai. Notre terrain de thèse couvre un terrritoire large, métropolitain,
répondant aux logiques des déplacements touristiques. Il correspond au bas-Yangzi, soit la
municipalité de Shanghai, la partie méridionale de la province du Jiangsu et de la partie
septentrionale du Zhejiang, et enfin la partie sud de la province intérieur de l’Anhui. Les
déplacements touristiques peuvent s’étendre jusqu’à 300 kilomètres dans une seule journée
de tourisme. Notre présence va rapidement soulever des interactions (Véron, 2010).
II. Les phases de l’observation et la stimulation d’interactions ou
intrusion d’étrangeté dans un groupe homogène
Nous ne pouvons nous en tenir à la simple observation. Le contexte nous amène à participer
aux activités que les touristes chinois entreprennent. Nous allons progressivement exposer le
déroulement des étapes de l’action participante depuis la prise de contact à la participation
directe aux activités avec les individus observés.
La participation entraîne inévitablement des relations de proximité, voire une intimité avec les
acteurs d’un terrain. L’observation constitue pour sa part une activité « naturelle » de tout
participant. Mais dans son acception académique la plus rigoureuse, elle est supposée
s’appuyer sur une mise à distance objectivée de ces mêmes relations humaines.
La prise de contact, l’étranger dans le groupe de touristes chinois
La possession de la langue est une clef indispensable pour l’intégration au groupe.
L’éloignement culturel marque dans les premiers instants. Il peut complexifier les clefs de
compréhension, mais aussi attirer la curiosité. Etre étranger constitue à la fois un biais et des
difficultés surmontables lorsque l’on rentre dans le monde des codes culturels autres que ce
que nous connaissons et ce que nous utilisons (Sanjuan, 2008). Il s’agit d’une mise au point,
une adaptation progressive à d’autres cohérences et s’habituer à leur logique propre. La
constitution d’une carte de visite permettant à nos interlocuteurs de nous situer est une
première étape. Il est aussi dans la prise en compte de la connaissance de la langue nationale,
voire locale (dialecte shanghaien par exemple).
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Par là même, l’interlocuteur qui pouvait se trouver en difficulté pour communiquer, se trouve
surpris dans un premier temps que l’on s’adresse à lui dans sa propre langue, puis rapidement
est ravi de pouvoir communiquer. La présence d’un étranger au sein d’un groupe de touristes
chinois provoque des interrogations. En effet, cette présence peut sembler suspecte, suivant le
cadre perceptif des individus chinois, les touristes étrangers venus visité la Chine restent entre
étrangers.
La prise de contact avec l’étranger se fait la plupart du temps par une exclamation d’un
touriste chinois, s’écriant « un étranger ». Puis des questions sur l’origine de cet étranger
suivent. La question « d’où venez-vous ? » soit en langue chinoise, soit en langue anglaise est
le premier pas dans la prise de contact. La réponse en langue chinoise fera la surprise de
l’individu, mais aussi des chinois l’entourant. C’est alors que commence notre participation
dans l’observation. Rapidement les chinois nous demandent notre origine exacte. La réponse
stimule la satisfaction.
L’identification par le titre et le rattachement à une institution chinoise, dans le cadre de notre
travail de thèse leur permet de nous situer dans le temps, et dans la société, et ce par rapport à
eux-mêmes. C’est une phase primordiale. La constitution au préalable d’une carte de visite est
importante pour se faire situer par son interlocuteur. La distribution de carte au sein du groupe
est possible, elle est indispensable lorsque l’on s’adresse à un individu dont les responsabilités
professionnelles le suggèrent.
Les moments incontournables de l’immersion et de la sollicitation
Le suivi des touristes chinois commence par la prise de connaissance de l’individu étranger
qui part en voyage avec eux.
La sollicitation une fois sur le site touristique est variée, et variable selon les individus. Nous
distinguons des moments forts de notre implication dans la participation à des activités
touristiques ou de récréations. Cependant trois moments se distinguent de la journée
touristique.
-
La participation à des jeux, ou des activités. L’exemple de la cueillette de fruits et
légumes est le moment important du jeu.
-
La prise de photographie est un autre temps, répété et imprévisible. En effet, les
touristes chinois se complaisent à être pris en photographies avec l’étranger. Bien
souvent, des touristes chinois se précipitent, dont le contact s’opère uniquement
par cette prise photographique.
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-
Enfin, le moment du repas, et le temps du choix des plats, de la cuisine et de
questions sur ce que l’on aime et l’on est capable de manger.
Etre intégré au groupe, clef de la participation active
La participation entraîne inévitablement des relations de proximité, voire une intimité avec les
acteurs d’un terrain. Les moments de sollicitations se font vivement sentir comme des
moments de tests. Finalement, comment l’étranger procède pour telle ou telle opération.
A chaque action de sollicitations, l’individu chinois demande s’il y a équivalence de l’acte,
de la nourriture, du jeu etc. dans le pays dont l’étranger est originaire.
Le temps de l’implication est court mais est fréquemment renouvelé dans le temps.
Le temps de l’implication dans l’observation participante correspond au temps du voyage,
autrement dit, il est le plus souvent le temps d’une ou deux journées, voire de trois ; mais ceci
est beaucoup plus rare. En effet, le voyage touristique moyen pour les touristes intérieurs
chinois est l’objet d’une journée, suite au développement de formule touristique par les
agences chinoises et bien évidemment par le temps libre dont disposent les chinois.
Les touristes chinois de manière très spontanée provoquent l’implication de l’étranger aux
activités diverses. La dimension intégratrice du groupe chinois envers les touristes étrangers
est importante et quasi systématique.
La mise en participation dans le groupe se produit par un grand nombre de questionnements
des touristes chinois à propos de nos connaissances sur la Chine, et particulièrement dans ce
que nous appelons la phase active de la sollicitation, qui correspond au moment du repas.
Ceci fait l’objet d’une foire aux questions sur notre vie privée, mais aussi sur ce que nous
savons de la Chine. Des questions d’histoires, de langue, de géographie, du global au local, le
panel est large. Plus nos réponses sont correctes, plus la satisfaction et la proximité avec le
groupe est opératoire.
III. Le retour d’expérience empirique, enjeux et analyses des
interactions
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Notre présence crée spontanément des frictions, des interactions dans notre travail, mais aussi
dans la réalité des choix et comportements des touristes chinois que nous suivons.
Les interactions, processus, formes et gestion
Le biais de l’étrangeté de faire une recherche en science sociale sur le tourisme en Chine est
peu analysé, alors qu’elle est particulièrement décisive dans les relations et donc dans les
résultats scientifiques obtenus. La question de la relation à l’autre en tant qu’individu ou
inscrit dans un groupe qui se définit par une action au but commun, est au cœur de l’action
méthodologique, en termes de biais, mais aussi de stimulation d’interactions.
La prépondérance de l’implication ou de la participation sur l’observation est courante surtout
si les individus nous l’avons vu nous sollicitent fortement. C’est dans cette phase que le risque
de perdre de la distance avec son terrain est grande.
Georges Lapassade décrit le degré d’implication du chercheur. Le chercheur s’efforce de
jouer un rôle et d’acquérir un statut à l’intérieur du groupe ou de l’institution qu’il étudie. Ce
statut va lui permettre de participer activement aux activités comme un membre, tout en
maintenant une certaine distance: il a un pied ici et l’autre ailleurs. (Lapassade, 2001).
L’observation issue de phénomène cognitif essentiel à la vie humaine est filtrée par notre être
culturel construit et par des cécités biologiques. Tenons en nous à l’aspect culturel. Notre
travail d’enquêteur crée des interactions inévitables, nous l’avons vu. Les solutions à la
réactivité ne sont pas dans la régularisation, la restriction ou la suppression des interactions
sur le terrain. Elles réclament que l’on devienne sensible et réceptif à la façon dont les
protagonistes se perçoivent et se traitent les uns les autres. Le chercheur est une source de
résultats, non pas de contamination de ceux-ci. (Emerson, 2003, p.410).
Contourner le biais de l’étrangeté comme élément intrusif, parfois source d’exotisme (« être
pris en photo dans un site touristique » donne une dimension de satisfaction et de d’exotisme
pour l’individu chinois), par la maîtrise de la langue, la connaissance approfondie de la Chine,
et l’observation participante répétée permet d’être rapidement intégré.
Notre place dans le groupe, notre place en tant que jeune chercheur
Le choix du suivi des touristes dans leur « partie de campagne » nous est nécessaire pour
comprendre d’une part la diversité des pratiques touristiques, et d’autre part le comportement
des touristes dans leur choix et motivations. Ces notions sont essentielles dans les études sur
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le tourisme, et par là même en enrichir le corpus méthodologique et celui du savoir sur les
études du tourisme (Véron, 2010).
Il n’a pas de grille aux mailles figées donnant la démarche à suivre dans le cadre du suivi des
groupes de touristes chinois, et de participer avec eux aux activités de récréations sur le site.
Ce suivi doit être suffisamment souple pour rester au plus prés des choix et des
comportements au sein du groupe ; au risque d’avoir une perte de substance d’information,
voire de quitter le lien avec le groupe. Dans ce cas, d’autres outils d’enquêtes doivent prendre
le pas pour combler ces lacunes qui sont parfois inévitables. C’est là aussi une réalité à
laquelle le chercheur est confronté. Les analyses des procédés méthodologiques en sciences
sociales font état d’une évolution du statut de l’observateur participatif au cours de son action
et donc implication au sein de l’acte participatif (Soulé, 2007).
Le chercheur qui se distancie voit son objet « lui glisser des mains »; de l’autre, celui qui
accepte une participation de près doit gérer les « risques de la subjectivation » (Favret-Saada,
1977). La réduction de la distance à l’objet laisse en effet davantage de place à la subjectivité,
notamment parce que le chercheur nous l’avons vu doit autant, voire davantage participer
qu’observer.
De la posture d’émancipation la démarche dans laquelle le chercheur trouve un équilibre fin
entre le détachement et la participation. Il propose une approche ressemblant fort à un
compromis : être participant et observateur à temps partiel, c’est-à-dire participant en public
et observateur en privé.
Notre statut de l’implication minimale à maximale dans la participation dépend
de la
sollicitation extérieur des touristes chinois, mais aussi notre manière de « gérer » la situation.
Nous l’avons vu, si nous possédons la langue chinoise, la sollicitation au sein du groupe sera
importante. L’implication du chercheur est alors maximale. Cependant, notre présence
intrusive mais « gérée », peut aussi nous faire sortir à tout moment de la situation.
Révéler qui nous sommes est une nécessité d’ordre éthique. Notre âge, considéré comme
jeune et notre statut de doctorant travaillant sur la Chine est une clef d’entrée dans la
compréhension de la culture.
L’enrichissement de l’enquête par l’observation participante
L’ensemble des données récoltées lors de l’enquête sont nombreuses. Ce premier constat
précède celui de l’ordre et la place des résultats recueillis pour notre travail de recherche.
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Notre enquête est le fruit de notre expérience de terrain, mais aussi en tant que chercheur ce
que l’on est capable d’en comprendre, puis de transmettre ceci en un savoir scientifique. Le
passage de l’observation à l’écriture et à la mise en perspective de ce que l’on observe est une
phase délicate, où la subjectivité est susceptible de prendre le dessus.
Un complément indissociable des autres méthodes d’enquêtes que sont les questionnaires et
entretiens est nécessaire au travail d’enquête. Par là même, l’expérience que nous retirons de
l’observation nous a permis de construire des grilles de questionnaires et d’entretiens.
Le but de cette méthode cherche moins à valider des hypothèses de départ qu’à comprendre
la manière dont par exemple une création de valeur a été perçue, des impressions ont été
reçues ou des situations ont été vécues.
Le décloisonnement des champs disciplinaires, pour une universalité des modes opératoires
est aussi une clef de compréhension. En effet, la posture que nous avons lors de nos enquêtes
ressemble souvent à celle d’un anthropologue, ou d’un sociologue. L’emprunt de méthodes
aux autres disciplines des sciences sociales est largement enrichissant, toutefois, le corpus
méthodologique, voire conceptuelle reste à maîtriser.
L’enjeu est bien là. Que retire-t-on de cette expérience de terrain dans la construction du
savoir et de l’échange dans des relations humaines ? C’est ainsi que l’on peut construire un
réel outil de connaissance dans ce contexte et dans un second temps, le confronter à d’autre
région géographique, éventuellement à d’autre thématique de recherche.
Notre courte expérience de chercheur devra être enrichie par le temps de l’expérience
renouvelée dans différents contextes. On ne peut construire une méthode d’enquête de terrain
par le simple recours à l’observation participante et de ses divers degrés d’intégration
participante. Une méthode de recherche est une véritable construction réflexive qu’il faut en
permanence remettre en cause au regard des réalités rencontrées et des dysfonctionnements
issus du chercheur et de son comportement durant la période de son « terrain ».
La prise de conscience du passage de l’observation de l’autre, au sens général, à l’observation
de relation humaine est un moment où la part subjective est créatrice de connaissance.
L’observation participante permet de construire un cadre de référence pour des entretiens.
Cette immersion nécessaire n’est pas uniquement l’objet d’accumulation de données que l’on
perçoit, mais aussi de comprendre les représentations des touristes.
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La perception que les chinois ont de l’occident est le fruit du poids de l’histoire de nos
relations réciproques. Il semble primordial de connaître l’envergure des traces que les
générations antérieures nous ont laissées pour envisager l’étude et l’analyse d’un monde qui
est culturellement et linguistiquement difficile d’accès. La continuité des travaux doit être
opératoire. Les procédés méthodologiques connaissent des évolutions à mesure des
générations et des réalités politiques. Nous nous plaçons quelque part comme héritier des
générations antérieures, qui même conduisent nos méthodes et influent sur nos résultats. La
distance culturelle se fait sentir lors de l’expérience du suivi des touristes chinois ; la
compréhension des différences commence par l’expérimentation et la rencontre de l’étranger.
Conclusion :
L’enquête se déroule selon trois phases empiriques (l’observation, les questionnaires semi
directifs et les entretiens) qui se complètent les unes aux autres, ne suivant pas un ordre
chronologique. L’expérience de l’observation participante dans le travail de thèse est une
expérience
empirique
particulièrement
riche,
certe
elle
permet
le
déblocage
d’incompréhension du fait de l’éloignement culturel et des représentations qui s’en dégage,
mais surtout c’est une formidable expérience pour la vie humaine qui loin de perdre en
scientificité donne une objectivation des résultats au chercheurs. La construction d’une
méthodologie répondant aux logiques propres des réalités du terrain est incontournable dans
la l’établissement, le recueil et l’analyse de données pour le travail de recherche, par là même
il en va de la justification du travail du chercheur. L’outil qui nécessite l’immersion est
important pour le décryptage des codes culturels et la compréhension des comportements à
l’œuvre. Cependant, l’impasse ne doit pas être faite sur le temps du décodage, de l’analyse et
de la transcription par l’écriture.
Bibliographie
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DELAPORTE Yves, 1993, « D’un terrain l’autre. Réflexions sur l’observation participante »,
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A LA CROISEE DES DISCIPLINAIRES –E. VERON
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1ères Doctoriales de la Chaire « Tourisme, culture, développement » LE TOURISME : CONCEPTS ET METHODES
A LA CROISEE DES DISCIPLINAIRES –E. VERON
Notes
i
Le terrain est défini comme une entité, ceci en référence à ce qu’écrit Anne Volvey. Le terrain est une entité
spatio-temporelle et une instance épistémique où se manifeste l’attitude empirique d’un chercheur dans sa
tentative d’établissement de faits scientifiques. Méthodes directes d’appropriation et de construction
intellectuelles d’un objet scientifique, elles posent la question politique et morale du résultat cognitif et discursif
de terrain. Porteuses à la fois d’une intension d’intelligibilité, d’une efficacité opérationnelle et d’une stratégie
institutionnelle, elles sont les cibles de la réflexivité scientifique et de la conscience résidente ou enquêtée.
(Volvey, 2003, p. 904-905).
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