Biologie des tumeurs germinales A. Fléchon et J.-P. Droz Introduction Les tumeurs germinales de l’ovaire sont très rares par rapport à l’origine testiculaire plus commune. Elles représentent 2 à 5 % de toutes les tumeurs de l’ovaire et moins de 5 % de toutes les tumeurs germinales. L’incidence annuelle est inférieure à 1/100 000. Le fait important est que la médiane d’âge de survenue est de 20 ans. Leur aspect histologique est riche puisque plusieurs composantes sont décrites et diversement associées. La classification utilisée est celle de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) (1). Le séminome (ou dysgerminome) est le plus fréquent (45 %), suivi de la tumeur du sinus endodermique (ou tumeur vitelline) et du tératome immature (20 % des cas respectivement), puis des tumeurs mixtes (10 %). Sont beaucoup plus rares le carcinome embryonnaire, le choriocarcinome et le polyembryome. Le tératome mature est une tumeur bénigne dont la présentation est particulière : il est observé très rarement chez la petite fille, mais est courant chez la femme âgée où il représente un quart de toutes les tumeurs de l’ovaire ; rarement il peut évoluer vers une tumeur maligne de la lignée épithéliale. Dans ce chapitre, nous traiterons des seules tumeurs germinales malignes dont ont été décrits quelques cas familiaux (2) et qui paraissent plus fréquentes en cas de dysgénésie gonadique. Des marqueurs sériques sont souvent présents au cours de l’évolution. Marqueurs Deux marqueurs principaux sont liés aux tumeurs germinales : l’AFP (alphafœto protéine) et l’hCG (hormone chorionique gonadotrope). L’AFP est une glycoprotéine d’origine embryonnaire (chez le nourrisson elle disparaît du sang en quelques mois) qui peut être élevée au cours de certaines hépatites virales et de l’hépatocarcinome. Elle est souvent élevée dans les tumeurs germinales non séminomateuses, jamais au cours du séminome. Elle est sécrétée par la composante dénommée tumeur vitelline et certains carcinomes embryonnaires. Sa 480 Les cancers ovariens demi-vie d’élimination plasmatique est de sept jours. La valeur normale dans le sang est variable (elle est inférieure à 6 ou à 30 ng/ml selon les techniquess de dosage immuno-enzymatique qui sont nombreuses). L’hCG est une hormone sécrétée physiologiquement par le placenta au cours de la grossesse. Dans les tumeurs germinales, elle est sécrétée par la composante de choriocarcinome et par les cellules syncytio-trophoblastiques isolées. Elle peut être élevée dans certains autres cancers, comme le cancer à petites cellules du poumon, le cancer du pancréas et le cancer de vessie. Elle est modérément élevée dans 20 % des cas de séminome pur. Sa demi-vie plasmatique est de trois jours. Elle est constituée de deux sous-unités : α et β. Dans les tumeurs germinales, on observe une sécrétion de la molécule entière ou des sous-unités β libres. Le dosage dénommé βhCG, le plus couramment utilisé, est un dosage radioimmunologique qui concerne à la fois la molécule complète et l’hCG-β libre (on doit donc dénommer ce dosage hCG total, hCGt). La valeur normale de l’hCGt dans le sang est en général inférieure à 2 mUI/ml selon l’anticorps utilisé. La valeur pronostique du seul taux d’hCG-β libre, exprimé en ng/ml, n’est pas clairement établie, alors que le taux d'hCGt a une valeur pronostique certaine. Enfin, la LDH (lactico-dehydrogenase) est un marqueur, non spécifique, de volume tumoral. Le taux des trois marqueurs (AFP, hCGt, LDH) a une valeur pronostique dans les tumeurs germinales non séminomateuses : plus la valeur est élevée, plus grave est la maladie. Toutefois, si les taux de ces marqueurs sériques ont été intégrés dans les modèles pronostiques des tumeurs d’origine testiculaire, ils n’ont pas été validés dans les tumeurs d’origine ovarienne. Ils ont une grande valeur dans la surveillance. Le dosage du CA-125 n’a pas, dans ce cas, l’intérêt qu’il a dans les tumeurs épithéliales. Aucun autre marqueur n’a un intérêt démontré. Cytogénétique Toutes les tumeurs germinales sont caractérisées par une anomalie cytogénétique pathognomonique : la présence d’un isochromosome du bras court du chromosome 12 l’i(12p) (3). Cette anomalie n’est retrouvée dans aucune autre pathologie. Dans 80 % des cas, elle est mise en évidence par une analyse caryotypique classique, et dans 20 % elle est retrouvée par la technique plus fine d’hybridation in situ (FISH) (4). On retrouve dans toutes les tumeurs germinales ovariennes l’i(12p) (5), excepté dans le tératome immature. Mais, comme dans leur contrepartie testiculaire, il existe dans les tumeurs ovariennes d’autres anomalies cytogénétiques : en particulier le gain des chromosomes 1, 6p, 8, 12q, 21 et 22q et la perte du 13q (comme cela a été démontré par la Comparative Genomic Hybridation, CGH) (6). Néanmoins, dans le tératome immature, c'est le gain des chromosomes 14 et 16q que l'on retrouve le plus souvent (6), ce qui suggère une biologie un peu différente. En fait, il semble que, plus la tumeur a un potentiel malin, plus les anomalies chromosomiques Biologie des tumeurs germinales 481 soient fréquentes. Cela est d’ailleurs corroboré par l’étude de la ploïdie. Les tératomes (matures et immatures) sont diploïdes et ont un caryotype normal 46 XX, seuls les tératomes immatures de grade 3 sont aneuploïdes (7). Par contre, les séminomes et les tumeurs vitellines sont aneuploïdes ou tétraploïdes (7). Cependant, la connaissance des anomalies est considérablement plus grande pour les tumeurs testiculaires : en particulier, on a mis en évidence un grand nombre d’anomalies chromosomiques à côté de la présence de l’i(12p) (8). Biologie moléculaire La perte d’hétérozygotie a été bien étudiée dans les tumeurs germinales testiculaires, testant plusieurs dizaines de marqueurs sur un grand nombre de tumeurs (9), et il a été dénombré de nombreuses anomalies. Une telle étude a été menée sur 32 tumeurs germinales ovariennes avec 62 marqueurs microsatellites (10). La fréquence des pertes alléliques est plus grande dans les tumeurs non séminomateuses que dans les séminomes. La répartition des pertes alléliques est aussi différente, ce qui suggère d’ailleurs une progression du séminome vers les tumeurs non séminomateuses, en particulier la tumeur vitelline d’une part et le carcinome embryonnaire et le tératome d’autre part (11). Une instabilité des microsatellites est retrouvée dans 33 % des cas, mais elle concerne moins de 10 % des loci testés (10). L’instabilité est d’autant plus fréquente que la tumeur est maligne et plus près du début de son développement : 57 % des séminomes, 21 % des tératomes immatures. En revanche, peu de gènes (gènes suppresseurs ou oncogènes) ont été étudiés dans les tumeurs germinales ovariennes : il a été seulement montré l’absence d’anomalie quantitative et qualitative de p53 (12). Cela fait contraste avec le grand nombre de données concernant les tumeurs testiculaires (13). Histogenèse Il faut d’abord envisager l’histogenèse normale de la gonade, et remarquer l’importance du fait que les cellules germinales de l’ovaire stoppent leur développement au stade pré-méïotique. L’embryogenèse est la formation et la différentiation des différents organes (cellules somatiques) de l’embryon. Les cellules totipotentes sont appelées cellules germinales au début de l’embryogenèse et vont prendre le nom de gamètes après maturation dans les gonades. La séparation entre cellules somatiques et cellules germinales maintient la stabilité du patrimoine génétique. Les gonades apparaissent chez l’embryon à la quatrième semaine du développement embryonnaire sous la forme de deux crêtes génitales. Elles viennent d’un épaississement de la somatopleure de part et d’autre du mésentère dorsal 482 Les cancers ovariens à côté des ébauches rénales, et sont situées de chaque côté de la ligne médiane, entre le mésonéphros et le mésentère dorsal. Les cellules des crêtes génitales à l’origine des cordons médullaires dérivent du mésoblaste intermédiaire. Les cellules germinales primordiales apparaissent, lors de la quatrième semaine de gestation, dans le mésenchyme extra-embryonnaire au niveau du sac vitellin tapissant la paroi postérieure du lécithocèle, au voisinage de l’allantoïde. Durant la cinquième semaine, elles migrent du sac vitellin vers les crêtes génitales, le long du mésentère dorsal de l’intestin. À la sixième semaine, elles pénètrent dans les crêtes génitales qui, chez l’embryon, s’étendent de la sixième vertèbre cervicale à la quatrième vertèbre lombaire. Parallèlement, l’épithélium des crêtes génitales prolifère activement et le tissu mésenchymateux issu du blastème mésonéphritique s’organise en cordons sexuels primitifs qui entourent progressivement les cellules germinales primordiales et restent en connexion avec la surface épithéliale. À ce stade du développement, il est impossible de distinguer la gonade mâle de la gonade femelle : c’est le stade de la gonade indifférenciée. Les cellules germinales exercent ensuite une influence inductrice sur les tissus gonadiques qui se développent selon le sexe génétique en ovaire ou en testicule. C'est l’absence de chromosome Y qui détermine la différentiation ovarienne, ou lorsque la détermination sexuelle masculine liée au gène SRY du chromosome Y est anormale. Les cellules germinales primordiales colonisent le mésenchyme de la gonade primitive et continuent à se diviser. Dans une première étape, les cordons sexuels se fragmentent en amas cellulaires contenant peu de cellules germinales primordiales, puis régressent. Une deuxième poussée de cordons sexuels corticaux se développe alors, renfermant les cellules germinales ou ovogonies qui subissent un certain nombre de divisions mitotiques. De la seizième à la dixhuitième semaine de gestation, elles se disposent en amas entourés de cellules épithéliales plates, les cellules folliculaires, et stoppent leur division en prophase de la première division méiotique. Il semble bien que les tumeurs germinales ovariennes aient une origine préméiotique à partir des cellules germinales primordiales (14). Par contre, les tératomes matures et certains tératomes immatures pourraient dériver par parthénogenèse de cellules après la meïose I (14). Les études dans les tumeurs testiculaires sont en faveur d’une évolution clonale à partir de la tumeur germinale primordiale, d'abord vers le séminome (précédé d’une forme non invasive de carcinome in situ), puis, le carcinome embryonnaire et ,soit le tératome immature (différentiation), soit la tumeur vitelline, soit le choriocarciome (8). L’origine préméiotique de la transformation maligne pourrait expliquer le rôle éventuel des perturbateurs endocriniens qui pourraient être incriminés dans la genèse de ces tumeurs (15, 16). Cela fait l’objet de recherches qui concernent la morphogenèse gonadique et les tumeurs germinales du testicule, qui sont sans doute applicables à l’ovaire. Biologie des tumeurs germinales 483 Références 1. Serov SF, Scully RE, Robin IH (1973) International Histologic Classification of Tumours: n° 9. 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