5
Il est vrai que tout processus identitaire se construit au moyen des mécanismes d'accommodation et
d'assimilation qui comportent un va-et-vient permanent entre imitation et distanciation par rapport à d'autres:
la question de l'altérité apparaît ainsi inexorablement liée à la notion d'identité. Celle-ci ne peut se définir que
par une approche comparatiste: il ne saurait être question d'identités sans différences; construire une
identité c'est affirmer une part de différence significative…
Ainsi, l'identité n'est ni un rapport réflexif à soi, ni l'appropriation exclusive des propriétés d'autrui. Elle naît
de l'interaction sociale: c'est en s'orientant simultanément vers les deux pôles (soi-autrui) de cette interaction
que l'identité se construit dans sa double dimension psycho-sociale et contribue à la reconstruction du
champ dans lequel elle se déploie.
L'identisation est un processus de différenciation sociale, un phénomène relationnel non-substantiel, même
si ce processus puise une partie importante de sa matière première dans des ressources symboliques
disponibles, à savoir les traits socioculturels hérités des appartenances culturelles: l'identité est le produit
d'une manipulation du passé au service de l'avenir.
Des recherches montrent que le sentiment identitaire est une "réalité" qui peut prendre des formes
différentes en fonction des espaces et des circonstances où il s'exprime. Les lieux et le temps constituent
deux paramètres importants de son expression et de sa forme; il ne saurait être question d'identités
absolues. L'appartenance n'assigne pas une identité "à résidence": ce qui doit surtout attirer l'attention, c'est
le processus de production circonstanciée de différences. Ainsi, concevoir l'identité comme potentiellement
manipulable par des stratégies impose une vision philosophique selon laquelle l'humain n'adhère d'aucune
manière à une nature substantielle inéluctable. Il peut se détacher de ses multiples caractéristiques
premières, les transformer, les reconstruire, les accentuer ou encore participer à des identités nouvelles.
Mais le processus de construction identitaire connaît des limites: l'homme n'est qu'un "quasi-acteur"; doté
d'un épaisseur sociohistorique, il est partiellement orienté notamment par la partie inconsciente de sa
subjectivité. La production du sentiment identitaire est ainsi en relation avec l'histoire de l'individu. Si elle
suppose une certaine flexibilité qui peut parfois aller jusqu'à imposer des ruptures partielles avec le passé
personnel, la production de l'identité nécessite également que soit préservé un certain degré de constance:
le sentiment de continuité et d'unité psychologique est à ce prix.
La dynamique des structures identitaires est donc à tout moment une synthèse entre deux ou plusieurs
logiques. Cette équilibration entre différents codes impose inéluctablement un respect de chacun de ces
codes, qui ne peut au mieux être que relatif. Ce fait contribue à diminuer l'importance pour l'individu de
chacune de ces logiques, nonobstant le discours "d'authenticité" ou "d'intégrité" qu'il peut tenir. Face à des
situations de dissonance, soit l'individu se met en cause, s'accommode et transforme partiellement sa
structure identitaire, soit il tente de la faire accepter, valoriser et imposer à autrui. Mais le plus souvent, les
stratégies employées aboutissent à des "compromis identitaires ambigus". De plus, la notion d'identité
possède un caractère idéologique: il n'est pas possible de l'observer sans passer par la médiation d'un
quelconque processus d'expression.