monnayage en argent de Dyrrachion - Académie des Inscriptions et

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Sélection d’ouvrages présentés en hommage
lors des séances 2016 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.
« J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de
l’Académie, de la part de son auteur, Albana Meta,
Le monnayage en argent de Dyrrachion, 37560/55 av. J.-C., qui vient d’être édité par l’École
française d’Athènes dans une collection nouvelle,
Recherches archéologiques franco-albanaises. Ce
volume de 406 pages, format A3, dont 81
planches de monnaies, reprend la thèse
qu’Albana Meta, jeune archéologue de l’Institut
archéologique de Tirana, a soutenue à la
Sorbonne. La première partie dresse le corpus
par groupes et émissions et par coins des
monnayages d’argent successifs, d’abord les
statères à types corinthiens, Pégase et la tête
d’Athéna, puis les statères à types corcyréens,
une vache allaitant son veau, puis les drachmes.
Le travail a été soigneusement fait. A. Meta a
étudié les monnayages des principales collections
mondiales, dont Paris, Londres, Berlin, Vienne, Athènes. Tirana lui a fourni une riche
documentation inédite. Les trésors publiés séparément, les catalogues de vente et les
collections privées, quand elles étaient publiées, ont été elles aussi incorporées dans le
corpus. On peut estimer que la totalité des groupes et des émissions et même la grosse
majorité des monnaies nous sont maintenant connues.
La deuxième partie, sous le titre “Étude de numismatique et d’histoire”, étudie les
apports de cette documentation à l’histoire politique de la ville et à ses rapports avec ses
voisins. Dyrrachion n’a laissé qu’une épigraphie très restreinte et elle n’est citée par les
historiens anciens que lorsqu’elle est mêlée aux grands conflits de l’époque, comme la
guerre du Péloponnèse, les débuts de l’intervention romaine au-delà de l’Adriatique et,
bien sûr, la guerre entre César et Pompée. La monnaie constitue donc la source la plus
riche, la seule qui soit ait été conservée sans lacune. Ce livre apporte donc la première
histoire continue de la cité.
Connu d’abord sous le nom d’Épidamne, Dyrrachion est avec Apollonia une des deux
colonies que Corinthe avait fondées à la fin du VIIe siècle au sud de l’Illyrie, aux points
d’aboutissement de la vieille route traversant les Balkans d’est en ouest, qui deviendra la
via Egnatia, là où la traversée vers l’Italie est la plus rapide. Les deux villes ont d’abord
vécu une histoire parallèle puis Dyrrachion se détacha : tandis qu’Apollonia se mourait,
Dyrrachion est restée un centre important, un temps dans l’orbite de Venise sous la
forme de Durazzo, jusqu’à aujourd’hui où Dürres est la seconde ville d’Albanie. À la
différence du monnayage de bronze, les deux cités antiques ont frappé parallèlement
leurs monnayages d’argent aux mêmes types et aux mêmes poids au point que
l’utilisateur étranger ne distinguait sans doute pas l’un de l’autre : seul le volume des
émissions restait à la discrétion de chaque partenaire, Dyrrachion frappant environ trois
fois plus d’argent qu’Apollonia. On a souvent pensé qu’un traité d’alliance en bonne et
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due forme aurait organisé cette coopération monétaire, mais A. Meta montre bien que
nous n’en avons aucune indication et que cette hypothèse n’est pas nécessaire.
Dyrrachion fait son entrée dans l’histoire de la monnaie vers 480 par une petite
émission de statères marqués d’une massue et de la lettre epsilon. La meilleure lecture
possible étant l’initiale d’Épidamne et la massue évoquant Héraclès, qui fut le fondateur
mythique de la ville, ce pourraient être des monnaies frappées à Corinthe sur du métal
procuré par la cité pour la guerre contre le Perse. Une deuxième émission est peut-être à
mettre en relation avec les troubles rapportés par Thucydide. Mais il faut attendre le
monnayage frappé par Corinthe et ses alliés afin de soutenir l’expédition de Timoléon en
Sicile, à partir de 344, pour qu’un ensemble important de monnaies puisse être attribué
en toute certitude à Dyrrachion : 44 coins de droit ont été identifiés. Aucune de ces
monnaies n’a été retrouvée en Illyrie tandis qu’elles circulent à l’ouest avec l’ensemble
des monnayages corinthiens associés à Timoléon.
On a longtemps pensé que ces statères auraient constitué le premier monnayage de
Dyrrachion, avant les statères à types corcyréens. Mais A. Meta a tiré de l’analyse des
trésors et de l’évolution technique la preuve que la frappe de ceux-ci avait débuté dès les
années 375-370, et qu’ils étaient restés en usage jusque vers 280. Pendant un certain
temps, la cité a donc utilisé parallèlement deux monnayages aux types et au poids
différents. Mais il faut aussitôt relever que ces deux monnaies n’avaient pas le même
usage : les statères à la vache allaitant ne se retrouvent jamais en Sicile et ne servent
qu’aux relations avec les Illyriens. Les deux villes commerçaient avec les Illyriens depuis
leur fondation, comme le prouve la présence chez ceux-ci de céramiques et d’objets
corinthiens. Mais ce commerce s’est effectué pendant des décennies sans utilisation de
la monnaie. A. Meta associe judicieusement la création du monnayage à la vache allaitant
avec le développement en pays illyrien de forces d’hoplites armés d’une cuirasse à la
grecque, qui devaient percevoir une solde.
La fin de ce monnayage est à mettre en relation avec le roi Monounios. Ce chef de guerre
illyrien, dont le titre de Basileus n’est connu que par ses monnaies, non seulement
emploie pour ses statères les mêmes types que Dyrrachion – il est vrai qu’on connaît
d’autres exemples de chefs non grecs qui réutilisent le type d’une grande cité voisine
parce que leurs troupes veulent être payées dans un monnayage accepté dans la région
– mais sur certaines émissions se présente comme un monétaire de Dyrrachion ou
associe son nom à celui de la cité. Mais, faute d’autre source, il est impossible de
reconstituer le détail de ces relations fort complexes entre le Basileus illyrien et
Dyrrachion.
La frappe de statères à la vache allaitant prend fin avec cet épisode. Très vite Dyrrachion
inaugure un nouveau monnayage, celui de tiers (que nous appelons drachmes) aux
mêmes types, qu’elle complète désormais par des bronzes. Statères et drachmes ne
circulent jamais ensemble et le système de contrôle montre qu’il s’agit bien de deux
monnayages différents. A. Meta distingue, par des observations techniques et par les
trésors, cinq phases, qui correspondent à autant de moments de l’histoire de Dyrrachion
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jusqu’à la guerre entre César et Pompée. Je voudrais seulement signaler ici une de ses
découvertes.
Ces drachmes peuvent être réparties en émissions grâce à la présence de deux noms,
l’un au nominatif gravé au droit, l’autre au génitif au revers. On a beaucoup discuté de la
fonction de ces deux hommes, dont l’un devait être le citoyen responsable de l’opération,
l’autre se chargeant du travail du métal. A. Meta confirme l’hypothèse qui reconnaît au
droit l’homme politique. Mais surtout elle peut expliquer pourquoi un nombre variable
de techniciens était associé à un même responsable financier : son corpus par coins lui
permet en effet de montrer que le nombre de techniciens est fonction du volume du
métal frappé. La cité craignait manifestement de confier trop d’argent à un même
homme et préférait répartir le métal entre plusieurs exécutants.
La monnaie nous amenés de l’examen de questions très techniques à des aperçus sur les
relations entre Grecs et non Grecs. C’était seulement donner un aperçu de l’ampleur et
de la variété des richesses apportées par ce livre qui fera date. »
Olivier PICARD
Le 1er avril 2016
Le monnayage en argent de Dyrrachion,
375-60/55 av. J.-C
École française d’Athènes
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