Position de thèse sous format Pdf - Université Paris

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Position de thèse
Le monnayage d’argent d’Elis :
Images monétaires et organisation de la production
du 6ème siècle au 2ème siècle avant J.-C.
Dès les premières décennies du 6ème siècle, Elis est une des cités importantes du Péloponnèse,
située sur un territoire fertile au nord-ouest de la péninsule et à proximité du grand sanctuaire
d’Olympie1.
Les textes antiques nous disent également que c’est très certainement de l’administration du
sanctuaire, qu’elle a exercée dès le début du 6ème siècle et pendant la plus grande partie de
l’antiquité, que la cité tire l’essentiel de sa prospérité.
Le témoignage des trésors archaïques2 nous suggère que ce n’est qu’à partir du 2ème quart du 5ème
siècle que l’atelier éléen frappe un monnayage d’argent conséquent, en fait le seul – avec celui de
Sicyone – monnayage d’argent abondant du Péloponnèse. Les émissions des 5ème et 4ème siècles
sont composées principalement de statères de poids éginétique, accompagnés d’un nombre
relativement restreint de fractions3.
Plus tard, probablement à partir du milieu du 3ème siècle, les productions de statères seront
progressivement remplacées par des émissions de drachmes, encore accompagnées de trioboles. Il
semble que cette évolution coïncide dans le temps avec l’adoption d’un étalon connu sous le nom de
« étalon éginétique réduit », déjà largement répandu dans la région4.
Les coins, en général les coins de revers, portent la marque de la cité en langue dorienne – lettres
initiales ou nom complet selon l’époque5 – et leur gravure est assez souvent d’une qualité
exceptionnelle.
Les émissions municipales cessent à partir de 191 – au moment où la cité entre dans la ligue
achéenne – pour faire place à des frappes de monnaies portant à la fois la marque du koinon et celle
de la cité.
A partir de la 2ème moitié du 4ème siècle6, l’atelier éléen frappe également des bronzes. Ces
monnaies (bronzes éléens et monnaies du koinon ) n’entrent pas dans le cadre de cette étude.
Notre objectif premier est en effet de compléter et préciser, à la lumière des nouvelles trouvailles
et des travaux publiés après la parution de l’ouvrage de C.T. Seltman7, notre connaissance de ce
monnayage en argent si particulier.
1
Selon Strabon, livre VIII et Pausanias, livre V, pour l’essentiel.
Aucune monnaie éléenne ne figure dans les inventaires des trésors archaïques.
3
Pour cette période – 5ème siècle et 4ème siècle – nous disposons d’un échantillon comportant environ 20 % de
fractions, pourcentage calculé sur les nombres d’exemplaires et non sur les nombres de combinaisons de coins
différentes. Nos fractions sont des drachmes et des trioboles. Cependant, plusieurs collections témoignent de la frappe
de dénominations plus petites – oboles et fractions d’oboles –.
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Plusieurs dates ont été avancées pour ces changements. Nous y reviendrons également. Celle qui est proposée ici
reflète les indications données par les trésors.
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La très grande majorité des monnaies porte les initiales FA. L’emploi du digamma archaïque caractérise une zone
géographique dont sont exclues les régions de dialectes ioniens et attique. Ce digamma perdure sur les coins bien audelà de l’époque archaïque et même bien au-delà de l’époque à laquelle il sera abandonné dans les inscriptions. Le A ne
sera remplacé par le H de la koiné qu’à l’époque impériale.
6
Là encore, les propositions de dates pour l’introduction des bronzes dans le monnayage éléen ont été nombreuses et
variées. Il semble aujourd’hui raisonnable d’aborder la question à la lumière de la récente publication par Aliki
Moustaka de monnaies provenant de fouilles faites à Olympie. Il semble qu’aucun bronze éléen n’ait été mis au jour
dans des niveaux antérieurs aux années 340-330.
7
CT. Seltman, Temple coins of Olympia, Cambrige 1921. Cet ouvrage de référence a été également été publié en 3
parties dans la revue Nomisma entre 1912 et 1921.
2
1
La première caractéristique de ce monnayage réside dans la variété des images monétaires choisies
par l’atelier.
Celle-ci se manifeste dans l’utilisation, au moins pour les séries les plus anciennes8, de types de
droit montrant de très nombreuses « variantes » sur un petit nombre de thèmes liés aux cultes des
divinités principales du sanctuaire9.
Zeus, par exemple, y est évoqué au travers de la représentation d’un aigle emportant une proie.
L’examen de l’ensemble de ces coins montre que les différentes positions de l’aigle, pour variées
qu’elles soient, sont gravées selon un assez petit nombre de « motifs » et qu’il existe des proies
récurrentes comme le serpent, le lièvre et la tortue.
D’où l’idée que le choix de ces variantes sur le thème de l’aigle et de sa proie n’a peut-être pas été
abandonné à la fantaisie des graveurs et qu’il pourrait être l’expression d’une volonté des
responsables de l’atelier. En effet, sachant qu’elle est aisément repérable aussi bien par l’utilisateur
antique que par l’œil de l’historien moderne, chaque variante peut parfaitement jouer le rôle
d’identifiant de l’émission ou d’une partie de l’émission.
L’un des objectifs de cette étude est donc d’identifier des « règles » de gravure qui auraient pu être
imposées pour chaque production
Cette pratique, si elle était avérée, ne serait pas une spécificité éléenne. Nous savons en effet, que
dès l’époque archaïque, d’autres ateliers ont cherché à différencier leurs productions et ont utilisé
pour cela différentes techniques. Les ateliers d’Athènes avec la frappe des « Wappemünzen » et
celui d’Acanthe avec les émissions aux types du lion et du taureau, en sont deux exemples parmi
d’autres.
Les dessins de ces types de revers sont également très variés – nous disposons d’une dizaine de
représentations différentes du foudre et la Niké nous apparaît assise ou debout, courant vers la
droite ou la gauche, tenant une couronne, une palme ou un taenia, etc… – mais il ne nous apparaît
pas que ces gravures obéissent à une règle préétablie.
Dans un deuxième temps, les pratiques de l’atelier changent et les types se figent : Pour l’essentiel,
ce sont des têtes de Zeus ou Héra au droit, avec un foudre ou aigle au revers.
Nous trouvons même, à l’époque hellénistique pour une production de drachmes assez importante,
un curieux retour aux types de l’époque classique : au droit, l’aigle emporte une proie et le revers
porte un foudre, mais sans variante ni au droit ni au revers.
Cependant, la pratique des types « fixes » qui semble bien installée à partir du moment où
apparaissent les têtes de Zeus ou de Héra sur les coins de droit, laisse place tout de même à une
exception remarquable :
Nous disposons, en effet, d’un nombre conséquent de monnaies portant au droit un type fixe – une
tête de Héra – et au revers un aigle toujours posé et sans proie, mais dans des positions variées.
Là encore, les attitudes ne semblent pas choisies au hasard. Les ailes fermées ou ouvertes, les têtes
tournées vers la gauche ou vers la droite, ….pourraient bien être le support d’une information et en
particulier d’une marque destinée à différencier les productions.
Nous aurons donc à analyser ces nouvelles variantes, pour tenter d’y trouver une logique.
Et la présence, sur certains de ces coins à variantes, de symboles qui peuvent également passer pour
des marques d’émission, ne simplifie guère les données du problème
La complexité, autre caractère de ce monnayage, tient également au fait que chaque coin de droit
peut être associé à plusieurs coins de revers, éventuellement de types différents et inversement : il
8
C’est la chronologie des trésors qui permet de penser que les types « à variantes » ont précédé les types fixes
Zeus et Héra sont deux divinités particulièrement honorées à Olympie. Le temple dédié à Héra est certainement le plus
ancien et nous savons qu’un grand temple dédié à Zeus y a été construit pendant le 2ème quart du 5ème siècle.
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2
n’est pas rare de trouver un coin de revers associé à plusieurs coins de droit de types différents10,
eux-mêmes utilisés avec plusieurs autres coins de revers.
Notons cependant que cette complexité est particulièrement évidente dans les productions utilisant
les coins de droit « à variantes » aux types de l’aigle et de sa proie. Par la suite, les croisements de
coins demeurent, mais les pratiques de l’atelier semblent se simplifier avec l’adoption progressive
des types fixes.
Le « croisement intensif » des différents coins de droit et de revers n’est certes pas une spécificité
éléenne. La singularité des frappes éléennes tient au fait qu’un même coin de revers peut être
associé à des coins de droit de types et de styles différents. Et la complexité des associations de
coins dont nous disposons suggère l’existence de raisons autres que des raisons techniques.
Il faut peut-être admettre que certaines combinaisons de coins portent deux informations distinctes.
L’examen des monnaies qui semblent constituer les dernières productions municipales en argent
nous ramène à des schémas plus simples : les types sont fixes, les coins de droit portent un profil
du Dieu (ou encore un aigle pour les drachmes), les coins de revers portent un aigle ou un foudre
et, progressivement, un jeu de marques d’émission fait son apparition sur les coins de revers.
Ces marques peuvent être encore des symboles, mais les lettres ou monogrammes y deviennent de
plus en plus nombreux. Cette pratique nouvelle apparaît également sur les bronzes municipaux et
les monnaies de la ligue achéenne, signe de son enracinement durable.
Cependant, la présence sur une majorité de coins d’un nombre variable de marques, et du mélange
symbole(s)/ lettres sur un même coin nous renvoie à la question du nombre, de la nature et de la
hiérarchie éventuelle des informations véhiculées par ces marques.
Une autre question, plus générale, vient à l’esprit en observant l’exceptionnelle importance de ce
monnayage, en volume et en grosses dénominations. A titre d’exemple, pour les seules séries
portant au droit les types de l’aigle et de sa proie, c'est-à-dire pour les seules séries « à variantes »
nous disposons de 68 coins de droit utilisés pour frapper des statères11. Et il est vraisemblable que la
frappe de ces séries a été abandonnée dès le dernier quart du 5ème siècle.
Les textes antiques nous laissent imaginer Elis comme une cité importante et prospère.
L’histoire de la cité, des origines à son entrée – forcée – dans la ligue achéenne en 191, est une
histoire passablement mouvementée, ponctuée par de nombreux conflits armés. Mais cela suffit-il à
expliquer l’abondance de ces statères ?
Il est bien sûr tentant de tenter d’expliquer cette production par les besoins de l’administration du
sanctuaire. Il est même tentant, malgré la présence quasi systématique de l’ethnique des Eléens sur
les monnaies, de franchir le pas qui consiste à considérer que ce monnayage est celui du sanctuaire
d’Olympie et non celui de la cité d’ Elis. Cela a été fait par beaucoup d’historiens. Mais, si tel est le
cas, la comparaison avec le monnayage frappé par l’autre grand sanctuaire panhellénique de la
région s’impose. Et force est de constater que le monnayage frappé par les amphictyons de Delphes
est beaucoup moins abondant.
Ces interrogations sur la nature du monnayage éléen et son utilisation nous conduisent à examiner
une autre particularité, d’autant plus curieuse qu’elle apparaît limitée dans le temps et qu’elle a pu
avoir des significations différentes selon les époques.
Parmi les séries aux types de l’aigle et de sa proie, nous possédons un très grand nombre de
monnaies12 portant des contremarques. La particularité réside non seulement dans le grand nombre
de monnaies contremarquées, mais aussi dans le nombre élevé de contremarques présentes sur
certains exemplaires. Le phénomène est particulièrement visible sur les premières productions, puis
10
Nous disposons de très nombreux exemples de coins de revers utilisés avec 2 ou 3 coins de droits différents. Cas tout
de même exceptionnel, nous disposons d’un coin de revers utilisé avec 7 coins de droit différents.
11
De plus, nous verrons que notre connaissance des coins de droit des séries les plus ancienne est assez limitée.
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le nombre de monnaies contremarquées et le nombre de contremarques par monnaie diminuent
sensiblement jusqu’à devenir négligeable à partir de l’adoption de la tête de Héra pour la gravure
des coins de droit.
L’analyse des contremarques et de leur caractère – officiel ou privé –donne des indications d’une
part sur l’utilisation et la circulation13 des monnaies et sur la politique monétaire de la cité à
certaines époques d’autre part.
Les nouvelles publications – de trésors et de collections – ont permis d’enrichir sensiblement le
corpus constitué par Seltman. Celui-ci était pour l’essentiel dédié aux statères.
Nous disposons désormais d’un échantillon de plus de 1850 monnaies d’argent, dont environ 2/3
de statères.
De nouveaux coins et de nouvelles combinaisons de coins (près de 30% des combinaisons de coins
utilisées pour les statères étaient inconnues de Seltman) nous permettent de confirmer dans certains
cas mais aussi de corriger la séquence de coins proposée dans son ouvrage.
La présence d’un nombre conséquent de monnaies hellénistiques, particulièrement de drachmes
frappées selon un étalon de poids légèrement différent de l’étalon initial, nous donne un éclairage
très nouveau sur les dernières séries de monnaies à la tête de Zeus – statères et fractions –, de
même que pour les drachmes hellénistiques au type de l’aigle.
L’étude des trésors nous a donné quelques points de repère indispensables pour l’ordonnancement
des groupes de monnaies et la détermination de dates au plus tôt ou au plus tard.
L’examen des textes et inscriptions traitant de l’histoire du sanctuaire et de la vie politique –
passablement mouvementée – de la cité s’est également révélée riche d’enseignements.
Au-delà des évènements qui ont parfois trouvé un écho dans les choix et/ou le niveau d’activité de
l’atelier, cette étude nous a donné quelques informations relativement précises concernant les
ressources financières de la cité et l’usage qui a pu en être fait.
Elle nous a également indiqué l’existence d’une organisation politique antérieure au synécisme daté
par Diodore de 472/47114.
L’étude des coins, en particulier l’analyse des variantes sur le thème de l’aigle et celle des marques
présentes sur les coins de revers, nous a permis de progresser dans la compréhension de la
chronologie et de l’organisation de la production éléenne.
C’est à la lumière de cette analyse, associée à l’inventaire des liaisons de coins disponibles, que
nous avons pu préciser un dénombrement des différentes émissions.
Il nous est apparu, en particulier, que le nombre de variantes disponibles pour les monnaies aux
types de l’aigle et de sa proie est difficilement compatible avec un début des frappes au moment du
synécisme. Et ce d’autant plus que l’examen des séries les plus anciennes nous indique la qualité
très médiocre de l’échantillon qui nous est parvenu : notre connaissance des coins de droit utilisés
pour ces séries reste partielle.
Nous devons donc admettre que les premiers aigles éléens datent sinon de la fin du 6ème siècle, du
moins des premières décennies du 5ème siècle, et que ces frappes ont du être suffisamment peu
abondantes ou ponctuelles pour ne laisser aucune trace dans les trésors archaïques.
La présence de marques sur les coins de revers devient significative à partir du milieu du 4ème siècle.
L’atelier a progressivement mis en place un nouveau système de différenciation des émissions.
Cette nouvelle pratique nous apparaît relativement complexe, car le nombre et la nature des
marques sur les différentes productions peuvent être différents.
L’examen de l’ensemble des séries à tête de Zeus qui ont été produites par la cité avant son entrée
dans la ligue achéenne montre que l’usage de cette nouvelle technique a été néanmoins durable.
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S’agissant de circulation, la localisation des trésors publiés et contenant des monnaies éléennes est significative. A
une exception près, tous ont été trouvés en Grèce et une grande majorité d’entre eux nous vient du Péloponnèse.
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Diodore XI, 54
4
C’est la comparaison du contenu de plusieurs trésors hellénistiques qui nous a permis
- d’une part de placer au milieu du 3ème siècle l’adoption d’un nouvel étalon dit « étalon
éginétique réduit » pour l’ensemble des dénominations. Contrairement à la proposition de
Seltman qui la liait à l’entrée dans la ligue achéenne, en 191, cette réduction significative
des poids (entre 10% et 20% selon les dénominations) nous a semblé être une adaptation au
contexte monétaire de l’époque et de la région.
- d’autre part de reconstituer une nouvelle séquence des types de droit et de revers utilisés
pour les fractions et une nouvelle chronologie des coins.
Nous n’avons pas trouvé d’indication qui vienne conforter la thèse de Seltman concernant
l’existence de 2 ateliers distincts et fonctionnant en parallèle entre 420 et la fin de du 4ème siècle.
L’absence de coin commun entre les séries de monnaies à la tête de Héra et les séries de monnaies
à la tête de Zeus est certes confirmée dans le nouvel échantillon.
Mais les ressemblances frappantes entre certains coins réputés appartenir à l’un ou à l’autre des 2
ateliers, de même que le choix de thèmes indiscutablement liés à Zeus pour les types de revers
associés au profil de la Déesse, nous paraissent être des éléments d’unité entre les 2 productions.
Nous n’avons pas non plus trouvé dans les trésors d’éléments qui vienne conforter cette thèse des 2
ateliers.
Nous y avons, en revanche, trouvé des indications compatibles avec une évolution lente dans le
choix de types faisant succéder les têtes de Héra aux premiers types fixes à partir de 420.
L’atelier a pu rester fidèle à ce choix pendant environ un siècle, à l’exception des rares productions
liées aux évènements dramatiques de l’occupation du sanctuaire par les Arcadiens.
A la fin du 4ème siècle ou au début du 3ème siècle, l’atelier a choisi le profil de Zeus, choix tout aussi
durable, puisqu’il sera maintenu sur toutes les monnaies municipales.
De même nous n’avons guère trouvé de justification particulière au titre de l’ouvrage de Seltman
« Temple coins of Olympia » et à l’idée qui le soutient. Les arguments avancés par le savant
anglais à l’appui de cette thèse peuvent être largement discutés.
L’existence de structures politiques fonctionnant à Elis avant le synécisme autorise la frappe de
monnaies avant 471.
Les légendes évoquant le sanctuaire et le choix des types liés aux jeux, aux statues et aux cultes
principaux du sanctuaire ne doivent pas surprendre venant d’une cité qui pendant plusieurs siècles
en a tiré sa gloire et ses revenus.
L’immense notoriété du sanctuaire dans le monde grec et sa fréquentation par des milliers de
visiteurs tous les 4 ans ont certes créé un grand besoin de numéraire, mais elles ont aussi permis aux
Eléens d’en tirer profit, et de financer aussi bien des travaux de grande ampleur pour le sanctuaire
que leur dépenses militaires.
Enfin, la présence quasiment systématique de l’ethnique des Eléens sur les coins nous paraît être
simplement et très classiquement une façon d’identifier et d’authentifier les différentes monnaies
en exprimant leur valeur politique.
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