La Vierge Marie, une figure monétaire européenne, par Jean

La Vierge Marie, une figure monétaire européenne,
par Jean Philippe Perret.
Cette figure omniprésente en Europe dont la couleur associée, le bleu, aurait même inspiré la
couleur du drapeau européen est également une figure majeure du monnayage occidental. Cette
présence, reste toutefois très localisée, de chaque bout d’un croissant s’étendant de l’Italie à la
Transylvanie. Cette petite étude tentera de faire découvrir les mouvements principaux qui animèrent ce
monnayage et n’à en aucune façon la prétention d’en faire découvrir la totalité, tâche difficile, vu la
richesse des monnayages italiens et allemands et le peu de livres disponibles sur cette question en
France.
Dédicacé amicalement à Georges Bertino-Ghera, numismate à l’enseigne des Monnaies
de Notre Dame à Lyon.
I l’apparition d’une figure de la dévotion chrétienne sur le monnayage
Byzantin
Le concile d’Ephèse de 431 fixe le statut de la Vierge Marie comme mère du
Rédempteur mais on n’assiste pas dans un premier temps à un grand développement de
l’image mariale. Celle-ci se diffusera surtout après la querelle des iconoclastes dans le monde
chrétien oriental, puis occidental. Cette querelle opposa pendant plus d’un siècle dans l’empire
Byzantin les tenants des icônes, les iconodoules et leurs détracteurs, les iconoclastes. Ces
derniers assimilaient leur dévotion aux icônes à de l’idolâtrie. Le concile de Nicée II en 787
affirme qu’il est légitime de représenter le Christ, Marie, les anges et les saints sur les icônes
mais les iconodoules triomphent véritablement en 843 sous l’empereur Michel III (842-867) dit
l’Ivrogne et marqueront leur idéologie dans l’or et l’argent. sormais, le Christ apparaîtra sur
les monnaies, ainsi que d’autres figures religieuses dont la Vierge Marie déclinée autour de
trois figures principales.
La première apparition de Marie sur un monnayage remonte à la fin du IX
e
siècle, sous le
règne de Léon VI (886-912). Cette représentation d’une Vierge à mi-corps, représentée en
posture d’orante, tenant un voile protecteur, est la reproduction d’une icône fameuse, la Vierge
du monastère des Blachernes, un des monastères principaux de Byzance. La Panagia
Blachernitissa était considérée comme protectrice de la ville. La vierge orante est d’ailleurs
typique des premières représentations de Marie, reprenant un thème associée à la figure de la
Piété dans le monde romain.
Sous le gne de Constantin IX Monomaque (1042-1052) la Vierge sera représentée
plus âgée, en pied sur les miliaresion d’argent ou en buste sur leurs fractions. On la retrouvera
ainsi gulièrement sur le monnayage d’électrum mais aussi d’argent qui se répand à partir du
XI
e
siècle : les trachys, massivement frappés durant cette période. On peut la retrouver aussi
exceptionnellement sur quelques follis de bronze sous Alexis Comnène et Romain IV.
Lors de la prise de la ville par les Croisés en 1204, on retrouvera ce type monnayé à
Byzance par les nouveaux venus mais aussi à Thessalonique et Nicée, centres de la résistance
byzantine, notamment les trachys de Thessalonique issus par Manuel Comnène Ducas (1230-
1237).
Deux tiers de miliaresion pour Constantin IX (1042-1055), Constantinople. Ar, 1,86 g,
19 mm. Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG, Osnabrück ; Lübke & Wiedemann,
Stuttgart
Son statut protecteur de la ville sera encore plus marqué sur le monnayage de la
dynastie Paléologue, restauratrice de la puissance byzantine reprenant Constantinople en
1261.La Vierge orante est représentée désormais au sein des murs de Constantinople même,
sur les monnaies de Michel VIII (1259-1282). Il s’agit alors d’une monnaie d’électrum à la
présence d’or faible et à la forme caractéristique dite scyphate, c'est-à-dire en coupelle. On
distingue alors six ouvrages fortifiés autour de l’enceinte dans les premières émissions. Leur
nombre diminuera à quatre ensuite comme sur l’hyperpère d’or émis en commun par le
basileus Andronic II et son petit-fils Andronic III vers 1320-1330, la qualité générale de la pièce
tant en gravure qu’en métal laissant à désirer. A la veille de la prise de la ville par les Ottomans
en 1453, l’icône était encore portée en procession dans les rues même si cette effigie n’était
plus frappée depuis environ un siècle. Cette représentation typique du monde orthodoxe n’est
pas la seule iconographie utilisée.
Hyperperon de Andronicus II et Andronicus III (1325-1334), Constantinople. Av, 4,17 g,
environ 16 mm. Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG, Osnabrück ; Lübke &
Wiedemann, Stuttgart.
Suite aux conflits très durs liés à l’iconoclasme, les Empereurs affirmeront
ostensiblement leurs conceptions iconodoules en se faisant représenter sur le monnayage
couronnés par le Christ lui-même à partir du IX
e
siècle. Au siècle suivant, c’est Marie qui pourra
couronner le représentant du Christ sur terre et couronne de sa main d’abord le basileus
Nicéphore II Phocas (963-969) sur son histamenon d’or. Le buste du Christ est alors représenté
à l’avers et la Vierge et le Basileus sont représentés à mi-corps. On retrouvera ce type de
représentation sur les nombreuses variétés de monnaies d’or et d’électrum (histamenon,
hyperpère, trachy….), beaucoup plus rarement sur l’argent des miliaresion monnayés par de
nombreux basileus jusqu’à la fin du XII
e
siècle. Ce type sera frappé encore largement à Nicée et
Thessalonique et revient triomphalement à Byzance même sur les monnaies de Théodore II
Ducas (1254-58). Par la suite il deviendra beaucoup plus rare avant d’être frappé une dernière
fois sur une monnaie de billon de Jean V Paléologue (1341-1391).
Histamenon d’or de Nicéphore II Phocas (963-969), Constantinople. Av, 4,33 g, 20 mm.
La Vierge peut couronner le basileus ou, comme ici, lui donner la croix patriarcale.
Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG, Osnabrück ; Lübke & Wiedemann, Stuttgart.
Histamenon d’or de Jean premier Zimiscès (969-976), frappé entre 970 et 973 à
Constantinople. Av, 3,93 g, 20 mm. La Vierge couronne l’empereur qui tient la croix
patriarcale et désigné par la main divine. Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG,
Osnabrück ; Lübke & Wiedemann, Stuttgart.
Histamenon d’or de l’impératrice Théodora (1055-1056) frappé à Constantinople. Av,
4,26 g, 20 mm. Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG, Osnabrück ; Lübke &
Wiedemann, Stuttgart.
Comme on peut le voir, Marie sur ce monnayage semble peu occuper les fonctions de
mère du Rédempteur, peut être à cause de l’importance secondaire que le Christianisme
Orthodoxe accorde au mystère de la Nativité. En effet, le Noel orthodoxe englobe, outre la
Nativité, d’autres événements de la vie du Christ ; l’Epiphanie, le Baptême du Christ et les
Noces de Cana. Si la figure de la Vierge à l’enfant n’est pas la plus courante, elle existe
toutefois sous deux formes différentes, dont l’une très éloignée des représentations médiévales
occidentales. Dans la principale représentation, l’enfant Jésus apparaît sur le monnayage d’une
manière surprenante, dans un médaillon portée par Marie qui tend les mains en posture
d’orante, par une sorte de jeu d’échelles donnant l’impression d’une monnaie dans la monnaie.
Tetarteron de Romain IV (1068-1071) et Eudocie, Constantinople. Av, 4 g, 16 mm. Fritz
Rudolf Künker GmbH & Co. KG, Osnabrück ; Lübke & Wiedemann, Stuttgart.
On retrouve cette représentation pour la première fois sur un miliaresion de Jean
Zimiscès (969-976). On retrouve également un peu plus tard une légère variante, Marie tenant
alors le médaillon à deux mains, on parle alors de la Nikopea, littéralement celle qui engendre
la victoire. Ce type se retrouvera régulièrement sur les monnaies d’or et d’argent de Byzance,
également à Nicée et Thessalonique pendant l’interrègne des croisés et la Nikopea fait un
retour triomphal lors de la reconquête de la ville, massivement frappée jusqu’au milieu du XIV
e
siècle.
Trachy de Michel VIII Paléologue (1261-1282) frappé à Magnésie. Ar, 2,19 g, environ 26
mm. Marie est désormais à la place d’honneur et c’est le saint éponyme de
l’empereur, l’archange Michel qui le couronne. Fritz Rudolf Künker GmbH & Co. KG,
Osnabrück ; Lübke & Wiedemann, Stuttgart.
Comme on peut le constater, ces monnaies n’ont guère inspirées le monnayage chrétien
occidental. A part ces trois grands types, les variantes sont très rares. On trouve une Vierge
joignant les mains en prière, tournée vers la droite sur un bronze de Manuel Comnène (1148-
1180). Il s’agit d’une rare adaptation de l’icône Hagiosoritissa, vénérée à Byzance. La figure de
la Vierge à l’Enfant portant Jésus dans ses bras n’apparaît étonnamment qu’une seule fois ; sur
un miliaresion d’argent de Romain III (1028-1034). Cette icône, est censée selon la tradition
d’être de la main même de saint Luc qui aurait peint Marie et son fils. La Vierge est alors dite
Hodigiteria, « celle qui ouvre la voie ». Si cette représentation reste rare sur le monnayage
byzantin mais deviendra au XIII
e
siècle une figure incontournable du monnayage chrétien
occidental.
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