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Leçon 3. Le tournant du Moyen Âge central :
croisades et martyres (XIe-XIIIe siècles)
Séquence 2: Le choc de la première croisade
La première croisade constitue donc un choc même si l'on peut en partie en nuancer
l'importance dans l'histoire des communautés juives d'Occident. Quelques mots à présent de
ce choc et pour commencer quelques mots en guise de rappel à propos de ce qu'est et de ce
que désigne une croisade.
En 1095, le pape Urbain II dans la ville de Clermont en France appelle les chrétiens
d'Occident à la croisade. Le mot de croisade n'est pas encore employé, n'existe pas. Mais sans
qu'il n'y ait de mot, il y a déjà cette idée nouvelle, non pas tant d'une guerre de conquête ou
d'un phénomène d'évangélisation massive de la Terre Sainte, que celle d'un pèlerinage en
armes, d'une expédition armée pour libérer le tombeau de Jésus que les Chrétiens appellent le
Saint-Sépulcre dans la ville de Jérusalem et pour permettre notamment aux chrétiens
d'Orient, qui se plaignent des persécutions dont ils font l'objet, non pas des Arabes mais
des Turcs qui sont arrivés et qui ont pris le pouvoir en Terre Sainte. Les croisades
doivent permettre à ces chrétiens, et notamment aux chrétiens d'Orient, d'accomplir le
pèlerinage sur le Saint-Sépulcre.
Les mots du Pape Urbain II sont retranscrits, de façon espérons assez fidèle, et ils sont restés
fort célèbres, par l'un des plus importants historiens des croisades, Foucher de Chartres, dans
son histoire de Jérusalem. C'est peut être la meilleure manière avant de parler spécifiquement
d'histoire juive, pour comprendre ce que désigne ce phénomène des croisades. Dans son
discours, que vous pouvez lire en détail, dont je vais dire simplement les passages les plus
importants, le Pape Urbain II exhorte, tel que nous le dit du moins Foucher, je cite:
« […] je vous exhorte et je vous supplie et ce n'est pas moi qui vous y exhorte, c'est le
Seigneur lui-même , vous, les rauts du Christ, à persuader à tous, à quelque classe de la
société qu'ils appartiennent, chevaliers ou piétons, riches ou pauvres, par vos fréquentes
prédications, de se rendre à temps au secours des chrétiens et de repousser ce peuple barbare
loin de nos territoires. Je le dis à ceux qui sont ici, je le mande à ceux qui sont absents : le
Christ l'ordonne. À tous ceux qui partiront et qui mourront en route, que ce soit sur terre ou
sur mer, ou qui perdront la vie en combattant les païens, la rémission des péchés sera
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accordée. Et je l'accorde à ceux qui participeront à ce voyage, en vertu de l'autorité que je
tiens de Dieu. »
Foucher de Chartres, Historia Hierosolymitana.
L'appel d'Urbain II est entendu de manière spectaculaire. Cette croisade, ce vaste mouvement
faisait appel non pas seulement à l'aristocratie et à la chevalerie, mais à toutes classes de la
société. Ce vaste appel rencontre un grand succès et un grand mouvement de
population s'opère dont on peut observer de manière synthétique le déroulement et
les principales routes sur la carte ci-dessous qui désigne les différentes croisades
successives qui emmènent des Occidentaux vers la Terre Sainte. Ce mouvement militaire
débouche sur la prise de Jérusalem par les croisés en 1099 et l'instauration en Terre Sainte des
Chrétiens. C'est un des grands moments de l'historiographie traditionnelle bien évidemment
sans même parler des juifs. Néanmoins, l'historiographie occidentale a un peu revu à la
baisse ce phénomène, mais traditionnellement c'était un des grands moments de l'histoire
médiévale que la prise de Jérusalem en 1099.
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Il sagit de la Terre Sainte parce que a vécu Jésus, mais elle correspond en partie aussi à la
Terre Sainte des Juifs bien sûr. Les croisés instaurent en Terre Sainte pendant environ deux
siècles des États latins, également appelés les « États Francs d’Orient », c'est à dire une espèce
de « féodalité d'importation » selon la formule d'un historien médiéviste, qui finiront par
tomber à la fin du XIIIème siècle.
Venons-en au rapport avec les Juifs. Pour l'instant ce rapport n'est pas évident, et pourtant très
vite, alors qu'ils n'ont rien à voir avec cette histoire, les Juifs ont été persécutés. Pourquoi les
Juifs? Cette fameuse question qui se pose: pourquoi finalement ce phénomène de violence
dirigée contre les infidèles devrait comme de manière corollaire avoir pour conséquence que
les Juifs d'Occident sont victimes de violences de la part des croisés qui attaquent donc les
Juifs en chemin. Il sagit de Juifs d'Europe: des Juifs du Midi, des Juifs de la vallée du Rhin,
etc. qui sont victimes de ces violences sur lesquelles on reviendra très prochainement.
La réponse à la question est complexe. On peut proposer deux éléments de réponse.
Le premier je viens un petit peu de le formuler finalement. Pourquoi cette attaque contre des
infidèles concernerait-elle des Juifs? Précisément parce que les Juifs sont aux yeux des
chrétiens de l'époque des infidèles, non pas des hérétiques, mais des infidèles qui sont
présents non loin, qui sont là. Finalement pourquoi attendre, pourquoi aller si loin combattre
les infidèles alors qu'ici même on tolère ces infidèles d'un genre un peu spécial bien sûr,
qui sont le peuple de Jésus, qui sont le peuple témoin, qui sont détenteurs d'une vérité obsolète
mais qui tout de même sont désormais considérés comme dans l'erreur.
Un texte extraordinaire de Guibert de Nogent qui s'appelle Histoire de sa vie ou qu'on appelle
ainsi, ce qui est déjà la preuve que c'est un texte assez étonnant, comporte un passage assez
extraordinaire pour nous à mon sens. Celui-ci conforte cette première idée, ce premier
argument. Que dit Guibert de Nogent? Ceci:
« À Rouen, un certain jour, ceux qui avaient entrepris de partir pour cette expédition sous
l'emblème de la Croix commencèrent à se plaindre l'un à l'autre : « Nous voulons, après avoir
franchi de longues distances, attaquer les ennemis de Dieu vers l'Orient, alors que les juifs,
qui, de tous les peuples, sont les pires ennemis de Dieu, se trouvent devant nos yeux. Ceci,
dirent-ils, équivaut à accomplir notre tâche à l'envers. » Ayant ainsi parlé, et s'étant saisis de
leurs armes, ils emmenèrent de force les juifs dans un certain lieu de culte, les y poussant par
force ou ruse je ne sais pas par quel moyen et sans distinction d'âge ou de sexe les
passèrent par les armes d'une façon telle, cependant, que ceux qui se soumirent à la loi
chrétienne échappèrent aux coups de l'épée qui les menaçait. »
Guibert de Nogent, Histoire de sa vie, éd. Georges Bourgin, Paris, 1907, p. 118.
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Voilà donc le premier argument validé en quelque sorte par cette source exceptionnelle, celui
selon lequel pour paraphraser Guibert de de Nogent, il ne faut pas accomplir sa tâche à
l'envers mais il faut bien commencer par massacrer les Juifs sur place.
Deuxième argument non exclusif du premier, cette idée dans l'air du temps: on tient plus
souvent que dans le haut Moyen Âge les Juifs pour responsables de la mort de Jésus, le
fameux thème de la passion et du peuple déicide se répand dans la culture médiévale. On est à
un moment la culture semble basculer vers une dimension plus tournée vers le Nouveau
Testament que vers l'Ancien. On valorise davantage le Nouveau Testament. On valorise
davantage la figure de sus et la culpabilité du peuple déicide, c'est d'ailleurs présent dans
l'extrait de Guibert de Nogent, les pires ennemis de Dieu. Cette culpabilité collective est plus
présente qu'elle ne l'était auparavant dans la culture des gens un tant soit peu cultivé. Cela doit
diffuser, cela doit un petit peu de manière évidemment assez floue finir par convaincre les
populations d'une forme de culpabilité juive, qui méritent cette violence.
Quoi qu'il en soit des explications, les faits sont assez bien connus et ils sont assez
spectaculaires. La violence commence en France. La ville de Rouen est évoquée par Guibert
de Nogent, c'est effectivement semble-t-il que dès la fin de l'année 1095 et surtout en 1096
sont commises des violences contre les populations juives à Rouen, à Metz et dans diverses
parties du royaume de France.
Les violences se déchaînent au début de ce que l'on appellera plus tard la première croisade, et
pour commencer en France. Même si c'est surtout au bord du Rhin et donc dans le monde
germanique que les violences les plus terribles ont été perpétrées, des phénomènes de
persécutions, de massacres sont commis dans le royaume de France, et notamment dans la
ville de Rouen qu'évoquait Guibert de Nogent dans le document dont nous venons de faire la
lecture.
La croisade populaire en particulier, c'est-à-dire celle qui regroupe non pas tant des membres
de la chevalerie que des gens du peuple qui répondent à l'appel du Pape, commet des
massacres nombreux à mesure qu'elle avance dans le monde germanique. Une violence qui
fait l'effet d'une surprise épouvantable puisque elle n'était pas attendue, elle ne répondait pas à
des précédents et le message de la croisade ne semblait pas a priori entraîner de
violences perpétrées contre les communautés juives.
A Metz, 22 juifs sont tués et dans le monde impérial, notamment en Rhénanie, dans la vallée
du Rhin, des morts sont attestés dans la ville de Spire où le nombre de morts est mesuré: il y a
une douzaine de morts semble-t-il- grâce au rôle de l'évêque qui accueille la population
juive de sa cité. On se rappelle qu'il les avait fait venir, non pas lui mais son prédécesseur, de
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manière extrêmement favorable et bienveillante. Il les accueille dans son palais épiscopal et
donc le pire est évité -façon de parler, il y a quand même une douzaine de morts-.
Après Spire, les croisés remontent progressivement: à Worms et à Mayence ce sont des
centaines voire plus de 1000 morts dans le cas de Mayence, qui sont victimes de ces
phénomènes où il arrive même que les Croisés prennent d'assaut les palais épiscopaux -l'on se
situe ici au printemps 1096- pour en arracher les Juifs qui s'y sont réfugiés et pour les tuer.
A Cologne également, quoique que le nombre de victimes soit un petit peu moindre. Et puis
plus loin à mesure que les croisés prennent la route de l'Orient, la route terrestre, ces meurtres
sont perpétrés, saccages, pillages, baptêmes de masse l'on force des gens collectivement à
s'immerger dans le fleuve, dans le Danube pour recevoir le baptême, et s'ils s'y opposent ils
reçoivent la mort.
Bref, des persécutions terribles sont attestées, sur lesquelles il y a eu beaucoup de
bibliographie bien sûr, et témoignent ainsi du rôle important joué par certains individus,
notamment un certain Volkmar, un prêtre (il y a plusieurs orthographes pour qualifier ce
personnage) qui en Saxe et en Bohême sévit contre les Juifs notamment jusqu'à Prague.
D'autres encore, appartenant au clergé et qui prêchent une croisade populaire, qui bien
souvent passe par des violences contre les Juifs. L'aristocratie aussi est représentée: le Comte
Emich de Flonheim également, est du nombre de ceux qui se livrent à des massacres et à des
violences contre les communautés juives d'Europe occidentale, mais donc c'est plutôt la
frange Est de l'Europe occidentale si l'on puit dire.
Voilà pour les faits, on pourrait entrer dans plus de détails, l'important est de savoir que cela
s'est passé entre décembre 1095 et le printemps 1096. Pour conclure cette séquence
l'important est de savoir aussi que s'il y eut de telles violences, nombreuses
et terribles, néanmoins l'attitude du pouvoir mérite d'être évoquée. Il s'agit d'être bien clair sur
ce point, les pouvoirs épiscopaux, pontificaux si tant est que le pape s'exprime, et civils,
impérial notamment, s'opposent à cette violence.
De façon très nette, Henri IV l'empereur germanique a même été jusqu'à autoriser des Juifs,
qui auraient été contraints à se baptiser lors des violences, à retourner à leur ancienne foi, c'est
à dire au judaïsme, ce qui peut nous paraître une décision de bon sens, mais ce qui est très
rare dans la doctrine ecclésiastique. Quelqu'un qui s'est baptisé, fusse sous la contrainte, on a
beaucoup de mal à l'autoriser à revenir au judaïsme. On interdit le baptême forcé, mais
quand toutefois le baptême forcé a été donné, on a du mal à envisager de revenir dessus.
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