CARIOU, Didier, « La conceptualisation en histoire au Lycée : une

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CARIOU, Didier, « La conceptualisation en histoire au Lycée : une approche par la
mobilisation et le contrôle de la pensée sociale des élèves », dans Revue Française de
Pédagogie, # 147, 2004. pp. 57-67
Dans le cadre d’une recherche que Cariou a mené en banlieue parisienne, l’auteur tente
d’élaborer un modèle de conceptualisation et de la construction du savoir en histoire.
Bien plus qu’une transmission directe et instantanée de savoirs, l’apprentissage de
concepts est un processus progressif d’appropriation et de compréhension. Même si elle
s’inscrit dans l’apprentissage plus large des nuances du langage écrit, la conceptualisation
en histoire présente une difficulté supplémentaire. C’est que, comme Cariou le souligne,
elle doit composer avec le paradoxe de vouloir faire de l’universel avec du singulier. Car
l’histoire est la science du changement, au sein de laquelle rien ne se répète,
contrairement à ce qu’en dit l’adage populaire. À l’opposé des sciences pures, l’histoire
ne peut pas en effet construire des concepts issus de « généralités universelles et
invariantes »
« Il (le concept en histoire) est un « semi-nom propre » indexé aux singularités et aux personnages
les plus typiques dans lesquels il s’incarne. Il est enfin « élastique » et sans valeur universelle car,
à la différence des concepts des sciences de la nature, un exemple contraire n’invalide pas le
concept historique, il en réduit simplement le domaine de validité (p.59). »
Devant une frontière idéelle aussi fluctuante, l’élève comme l’historien doit trouver des
manières de pallier ce flou. Pour ce faire, il utilise les moyens intellectuels de son
quotidien qu’il réemploie dans l’appréhension du passé à laquelle il s’adonne dans le
cadre d’un travail historique, une opération intellectuelle basée sur son expérience
personnelle et sociale : « L’historien raisonne par analogie avec le présent et transfère au
passé des modes d’explication qui ont fait leurs preuves dans l’expérience quotidienne de
tout un chacun (p.60). »
La différence entre les mécanismes d’analyse du présent et ceux de l’analyse historique
est le filtre de la méthode, dont participent la critique des sources, le contrôle du
raisonnement analogique, la périodisation et la construction d’entités historiques ou
concepts. Cette utilisation de la méthode historienne engendre une hybridation
intellectuelle de la pensée sociale et de la pensée scientifique. « C’est pourquoi le
raisonnement historique est un mixte de pensée sociale — par les rapprochements opérés
pour comprendre une situation du passé à la lumière d’une situation analogue du passé ou
du présent — et de pensée scientifique — au sens où l’histoire est une science par sa
méthode et par son mode de production de savoirs validés par la communauté des
historiens (p.58). »
Une des avenues vers laquelle il faut pousser l’élève afin de rendre la conceptualisation
en histoire plus aisée est celle du contrôle du raisonnement par analogie « Le
raisonnement par analogie laisse à voir les modalités des rapprochements et des
transformations opérés par les élèves entre le savoir scientifique et leur savoir scolaire,
personnel et social (p.62). » L’analogie jette des ponts entre des éléments de leur pensée
sociale et le savoir historique, ce qui investit les concepts historiques de sens et facilite
leur apprentissage. Pour permettre aux élèves de faire de telles analogies, Cariou a
proposé, dans le cadre de la recherche qu’il a dirigée, des activités écrites réalisées par
des groupes autonomes de deux à quatre élèves, selon une approche socioconstructiviste.
Les questions qui leur étaient soumises étaient tournées de manière à leur offrir la
possibilité d’opérer des raisonnements par analogie.
Après des heures d’observation, une analyse poussée des textes que les élèves avaient
produits et du langage qu’ils avaient employé, Cariou est arrivé à la conclusion « que le
raisonnement par analogie constituait une variable didactique fort utile pour amener les
élèves à opérer des rapprochements porteurs de sens et à produire des écrits qui ne soient
pas seulement des énumérations factuelles (p.63).» Cette dialectique s’établit entre les
concepts quotidiens et concepts historiques se nourrissant mutuellement de leur
opposition.
Comme lui-même le souligne, Cariou invite les enseignants à tirer quelques conclusions
pédagogiques des observations qu’il a été à même de faire. « Faire travailler par les
élèves le contrôle du raisonnement analogique, la périodisation - dont les ressorts restent
encore trop mal connus et la production de concepts et d’entités est essentiel pour les
faire entrer dans les démarches de la discipline (p.68).» De même, la qualité de la
conceptualisation, du travail historique qu’accomplit l’élève et auquel l’enseignant doit
être attentif repose sur la capacité « de l’apprenant de mener le processus de
conceptualisation jusqu’à son terme, jusqu’à la mise en œuvre des procédés de mise à
distance et de contrôle des processus d’objectivation des représentations sociales (p.68). »
Voilà des pistes de réflexion intéressantes pour notre projet, tout comme le fait de lier le
développement des concepts à la qualité du français et plus largement à la capacité de
l’étudiant à articuler ses idées avec cohérence et clarté. Car, puisque le langage est un
principe de catégorisation du monde, il faut être attentif aux mots que choisit l’élève.
Résumons. Si l’élève verbalise bien, c’est qu’il a intégré les concepts à l’étude. Le
contraire est tout autant riche d’enseignements.
Gabriel Thériault
27 février 2012
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