Chimiothérapie loco-régionale
D. Fallik
La place des chimiothérapies loco-régionales des tumeurs digestives s’est consi-
dérément accrue ces dernières années. L’exérèse chirurgicale, seul traitement
potentiellement curatif de la plupart des tumeurs digestives, peut maintenant
être optimisée par l'association d'autres techniques de destruction locale
comme la radiofréquence ou la cryochirurgie et les techniques de chimiothéra-
pies loco-régionales.
Ces traitements ne s’adressent généralement qu’à des tumeurs dont l’évolution
est restée localisée, sans atteinte de plusieurs organes. La voie d'administration
est essentiellement intra-artérielle ou intra-péritonéale, la voie intra-portale
n’ayant pas fait la preuve de sa supériorité.
L'utilisation des traitements locaux, la réévaluation fréquente en comité
multidisciplinaire de la maladie en cas de non-résécabilité, la combinaison
optimale dans le temps de la chirurgie et de la chimiothérapie notamment
loco-régionale, devraient contribuer à optimiser le traitement des tumeurs
digestives et, en particulier, des cancers colorectaux (CCR) métastatiques.
La chimiothérapie intra-artérielle hépatique (CIAH)
L'histoire naturelle des cancers colorectaux est émaillée de récidives sous-
diaphragmatiques, tant péritonéales qu'hépatiques. Cette particularité
évolutive a conduit au développement de traitements loco-régionaux tels que
la chimiothérapie intra-artérielle hépatique.
Rationnel de la chimiothérapie intra-artérielle hépatique
Les métastases hépatiques des cancers colorectaux sont fréquentes et directe-
ment responsables de 20% des décès. Celles-ci ne sont isolées que dans 10 à
20% des cas et une exérèse chirurgicale n’est envisageable que pour la moitié
d’entre elles. En cas de non-résécabilité, le pronostic reste sombre, puisque la
survie à un an des patients est de 13 à 47 % en fonction de différents facteurs
pronostiques que sont notamment l’état général et la valeur des phosphatases
alcalines (1). Lorsque l’exérèse chirurgicale des métastases hépatiques est
récusée et que celles-ci sont limitées au foie, la CIAH semble être une attitude
thérapeutique logique, essentiellement du fait de la prépondérance artérielle et
non portale de la vascularisation des métastases hépatiques dont le diamètre
dépasse 1 mm (2). Il est alors possible d’augmenter d’un facteur 10 à 100 l’ex-
position de l'agent thérapeutique au niveau du site tumoral et d'obtenir une
détoxification hépatique avant passage extra-hépatique, réduisant d’autant les
effets secondaires systémiques. Les produits utilisés sont d’autant plus adaptés
qu’ils ont une clairance corporelle élevée et une forte extraction hépatique dès
leur premier passage (3).
Données de la littérature
Développée depuis plus de cinquante ans, en particulier par Pettavel qui en est
un des pionniers (4), la CIAH a représenté un espoir thérapeutique indiscu-
table pour les patients présentant des métastases hépatiques isolées et non
accessibles à une résection chirurgicale. La CIAH augmente les taux de
réponses tumorales et la survie des patients par rapport à un traitement symp-
tomatique ou une chimiothérapie intraveineuse (CIV) utilisant le 5-FU
administré en bolus (5-11). Cette supériorité de la CIAH a été retrouvée dans
une méta-analyse incluant sept essais de phase III : les taux de réponses tumo-
rales à la CIAH étaient de 41%, dont 3% de réponses complètes (RC) versus
14% dans le groupe traité par chimiothérapie systémique seule (différence très
significative : p < 10-10). La survie était globalement augmentée en faveur de la
CIAH (12) (tableau I). Par ailleurs, il n'a pas été retrouvé de différence signifi-
cative de la CIAH par rapport à la chimiothérapie systémique en terme
de qualité de vie (13). Enfin, une étude médico-économique a montré qu’il
s’agissait d’une thérapeutique dont le rapport coût-efficacité paraissait raison-
nable (14).
320 Les cancers digestifs
Tableau I – Efficacité de la CIAH : comparaison CIAH/IV.
*Cross-over autorisé.
** Bras contrôle = traitement palliatif ou chimiothérapie non CIAH.
Étude Nb pts CIAH IV RO Survie p
Kemeny 163 FUDR FUDR 53%/21% 17/12 NS*
Hohn 143 FUDR FUDR 42%/10 % 17/16 NS*
Chang 64 FUDR FUDR 62%/17 % 22/12 NS
Martin 69 FUDR 5FU 48%/21 % 13/10 NS*
Rougier 163 FUDR 5-FU** 49%/13 % 15/11 0,02
Allen-Mersh 100 FUDR palliatif - 13,5/7,5 0,03
Il est rapporté dans la littérature un taux de résections hépatiques secon-
daires de 10% après CIAH. Cependant, il s’agit d’une chirurgie difficile en
raison des altérations hépatiques entraînées par la CIAH, mais cette expérience
a été une des premières à montrer que l’on pouvait par la chimiothérapie rendre
résécable un patient et passer d’une situation purement palliative à une situa-
tion où une guérison est peut-être accessible (15, 16).
La CIAH est cependant restée un traitement controversé pendant de
nombreuses années en raison de ses limites.
Limites de la CIAH
Bien que ses inconvénients ont été diminués dans les protocoles actuels, la
rigueur technique de la CIAH impose sa réalisation dans des centres expéri-
mentés.
Toxicité hépatobilaire et digestive (gastro-duodénite)
Elle dépend du protocole utilisé et n’est observée qu’avec la perfusion continue
de FUDR. Ainsi, dans une étude française, le risque d'hépatite était de 35%,
et celui de cholangite sclérosante de 25%, après un an de CIAH (10). Cette
toxicité était moins sévère avec les équipes expérimentées qui interrompaient le
traitement dès les premiers signes biologiques de toxicité (élévation des phos-
phatases alcalines). Une autre façon de diminuer cette toxicité est d’associer des
corticoïdes IA telles que la déxaméthasone (17). La toxicité gastro-duodénale
est liée à la perfusion d’artérioles pyloriques ou duodénales non ligaturées.
Complications mécaniques
Il peut survenir des thromboses des artères hépatiques ou des cathéters IA une
fois sur deux avant le sixième mois, favorisées par le caractère discontinu de la
perfusion et surtout par le manque d’expérience des centres (15). Dans l’étude
française, les résultats étaient significativement meilleurs en analyse multivariée
dans les centres expérimentés ayant traité au moins dix patients (10). La toxi-
cité de la CIAH diminue avec le respect d’une technique rigoureuse.
Évolution métastatique extra-hépatique
Le développement (ou l’apparition) de la maladie métastatique en dehors du
foie n’est pas diminué par la CIAH. Ce risque existe chez environ un patient
sur deux en cas de bonne réponse hépatique dans l’étude de Rougier et al. (10).
Cette progression est cependant particulière, car souvent retardée après un
délai moyen d'un an, et siège dans des sites souvent inhabituels tels que la peau,
le cerveau, les os, les surrénales. Cette progression extra-hépatique peut être en
Chimiothérapie loco-régionale 321
partie contrôlée par son association à une chimiothérapie systémique. Peu
d’études prospectives ont fait état de l’intérêt de la CIAH combinée à une CIV.
Lorenz et al. ont testé et montré une supériorité de la CIAH par 5-FU et acide
folinique versus une CIAH par FUDR à la fois en terme de temps moyen
jusqu’à progression (9,2 mois versus 5,9 mois) et de médiane de survie
(18,7 mois versus 12,7 mois) (19). Dans cette étude, le 5-FU IA avait un
passage systémique attesté par la toxicité extra-hépatique, alors que le FUDR
n'avait qu'une action locale.
Dans une étude randomisée de Safi et al., 21 patients ont reçu un traitement
par FUDR (IAH + IV) et 23 par FUDR (IAH uniquement) ; la dissémination
extra-hépatique était moins fréquente en cas de traitement combiné (33%
versus 61%) sans bénéfice significatif en terme de réponse hépatique ou de
survie globale (20). Dans une étude de phase II, l’adjonction d’une chimio-
thérapie de type FUFOL à une CIAH par FUDR a permis à O’Connel et al.
de rapporter des taux de RO de 62%, une durée moyenne jusqu’à progression
tumorale de neuf mois et une médiane de survie de dix-huit mois (21). Dans
une étude anglaise, l’association d’acide folinique, administré par voie intravei-
neuse, à une CIAH à base de 5-FU en perfusion continue a donné des résultats
intéressants avec passage en systémique du 5-FU (IA) à fortes doses (22-24).
Indications potentielles
Ce sont :
Les métastases hépatiques d’origine colorectale non accessibles à un traite-
ment curatif chirurgical, notamment après échappement à différentes lignes de
chimiothérapie (bithérapies actuelles).
Les cas de traitement adjuvant après résection curatrice de métastases hépa-
tiques, d’après les résultats rapportés au Memorial Sloan-Kettering Cancer
Center de New York (25).
Dans le cadre d’un essai clinique.
Contre-indications
Les métastases extra-hépatiques, en particulier métastases pulmonaires ou
ganglionnaires décelables sur le scanner thoracique et abdomino-pelvien ou
carcinose péritonéale constatée lors de la pose du cathéter IAH si celui-ci est
mis en place par voie chirurgicale).
Un état général altéré initialement avec un stade OMS > 2.
La présence de facteurs pronostiques péjoratifs à la réponse à la CIAH (18) :
– un envahissement hépatique de plus de 50% ;
– une activité sérique des phosphatases alcalines > 200 UI/l ;
– un taux d’ACE > 100 ng/ml.
Seules 5 à 10% des métastases hépatiques répondent à ces critères.
322 Les cancers digestifs
Technique
Les techniques d’implantation des cathéters sont multiples :
– par voie chirurgicale : l’extrémité du cathéter est placé autant que possible
dans l’artère gastro-duodénale reliée à une chambre vasculaire implantable. La
perméabilité du cathéter IA doit être vérifiée en per-opératoire par l’injection
de fluorescéine ou de bleu de méthylène. La réalisation systématique de la
cholécystectomie et des ligatures de l’artère pylorique, ainsi que de toutes les
branches de l’artère hépatique à destinée gastro-duodénale, permet d’éviter les
cholécystites et les ulcères chimio-induits (fig. 1) ;
– par voie radiologique percutanée : le cathéter est monté dans l’artère hépa-
tique à partir de l’artère fémorale et peut être relié à une chambre sous-cutanée
fémorale. Les artérioles à visée digestive persistantes peuvent être embolisées au
préalable. La perméabilité du cathéter IA est vérifiée par l’injection de produit
de contraste iodé.
Au décours du geste, la répartition du flux artériel (perfusion de la totalité
du foie et absence de perfusion extra-hépatique) est vérifiée une angio-scinti-
graphie par le cathéter artériel utilisant des macro-agrégats d’albumine marqués
par le technétium 99m(26).
Chimiothérapie loco-régionale 323
Fig. 1
Technique d’implantation du cathéter intra-artériel hépatique par voie chirurgicale.
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