Résumé
L’eau est le principal réservoir des Legionella comme le montre la large distribution
de ces bactéries dans la plupart des environnements aquatiques. Les Legionella peuvent
survivre dans les eaux, les biofilms et dans les environnements humides comme parasites
intracellulaires des formes libres de protozoaires. Les protozoaires, qui sont en effet
présents dans ces milieux, permettent la croissance intracellulaire des Legionella.
L’analyse du processus infectieux qui se développe chez les protozoaires comme dans
les macrophages alvéolaires au cours de la maladie du légionnaire est de nature à mieux
nous faire comprendre la pathogénèse de cette maladie.
Mots-clés : Legionella pneumophila, biofilm, protozoaires, pathogénèse, systèmes
de secrétion de type II et de type IV.
Summary
Water is the major reservoir for legionellae, and the bacteria are found in freshwater
environnements worldwide. Legionellae survive in aquatic and moist soil
environnements, in biofilms as intracellular parasites of free-living protozoa. Protozoa
naturally present in environments support intracellular growth of legionellae. Much of
our understanding of the pathogenesis of legionellae has come from an analysis of the
infection process in both protozoa and human host cells.
Keywords : Legionella pneumophila, biofilm, protozoa, pathogenesis, type II and
IV secretion system.
INTRODUCTION
Les Legionella sont des bactéries ubiquistes de l’environnement aquatique,
responsables chez l’homme d’infections respiratoires aigües, les legionelloses. L’espèce
L.pneumophila est de loin la plus répandue et la plus fréquemment responsable de la
maladie du légionnaire,la forme la plus grave des légionelloses. L’infection survient par
inhalation d’aérosols chargés en Legionella pathogènes capables d’atteindre les
alvéoles pulmonaires. En l’absence d’une solide réponse immunitaire de la part de
l’hôte les bactéries vont se répliquer dans les macrophages alvéolaires puis envahiront
progressivement le tissu pulmonaire, déterminant une pneumonie grave,
potentiellement fatale. La maladie du légionnaire est considérée comme une infection
opportuniste comme en témoigne l’épidémie historique qui a frappé les vétérans de
l’American Legion en 1976, au cours de leur congrès annuel, dans un hôtel de
Philadelphie. Les employés de l’hôtel qui étaient séropositifs pour L.pneumophila ne
European Journal of Water Quality, tome 37, fasc. 1, 2006, p. 009 à 020
Les Legionella : de l’environnement à la maladie
chez l’homme.
LEGIONELLA : FROM ENVIRONMENTAL HABITATS
TO HUMAN DISEASE
Henri LECLERC*
ÉDITORIAL
présentaient aucun symptôme de la maladie. Les personnes qui sont tombées malades
étaient âgées et souffraient de déficits immunitaires plus ou moins graves.
Du point de vue de l’évolution l’infection humaine est franchement défavorable à
la bactérie. Depuis que la maladie des légionnaires sévit à travers le monde, en effet,
aucun cas de transmission interhumaine n’a été décrit. Contrairement à d’autres
agents pathogènes des voies respiratoires tels que Haemophilus influenzae, Bordetella
pertussis ou Mycobacterium tuberculosis, L.pneumophila n’est pas adapté à l’hôte
humain. En l’absence de transmission à un nouvel hôte les variants génétiques qui
survivent à la forte pression sélective exercée par les macrophages alvéolaires sont
incapables de se maintenir. En fait, le pouvoir que possède L.pneumophila d’infecter
l’homme est la conséquence de la pression de sélection issue de l’environnement. C’est
donc au cœur de l’écosystème aquatique qu’il faut aller en découvrir les mécanismes.
Le rôle des protozoaires y est prédominant. Ils sont, en effet, les hôtes privilégiés des
Legionella qui s’y multiplient en grand nombre, au cours d’un cycle biphasique qui
ressemble étroitement à celui des macrophages alvéolaires. Les bactéries acquièrent
certaines caractéristiques de virulence qui leur permettent de survivre dans le milieu
aquatique hostile puis de se transmettre à de nouvelles cellules hôtes.
Sur quelques aspects de la vie microbienne en eau douce
Notre perception de la vie bactérienne est profondément enracinée dans le
paradigme de la culture pure. Une suspension de bactéries peut, en effet, être diluée
en milieu liquide ou dispersée sur un milieu solide jusqu’à l’obtention d’une cellule
unique, formant colonie. Ce mode opératoire a été exploité et utilisé pour l’étude des
activités bactériennes dans les domaines de la physiologie, de la génétique, de la
pathogénèse etc. La bactériologie, dite médicale ou clinique exploite quotidiennement
ce paradigme en recherchant, dans les produits pathologiques, la bactérie responsable
d’une infection qui devra être isolée en culture pure. Ces bactéries, dites pathogènes,
ont à leur disposition dans les tissus humains ou animaux une quantité de matière
organique en excès(supérieure au gr/kg), y compris les facteurs de croissance qui leur
sont nécessaires pour se multiplier.
L’environnement aquatique où vivent les Legionella est, au contraire, pauvre en
matières organiques (de l’ordre du mg/L-1) et sujet à une variété de stress tels que choc
oxydatif, choc thermique, stress osmotique etc. Les eaux d’alimentation qui
proviennent de ces sources sont constamment ensemencées par des microorganismes
autochtones, bactéries, champignons, protozoaires etc. à partir des stations de
traitement. La biomasse bactérienne est le point de départ d’une chaîne trophique
complexe au cours de laquelle les plus fort consommateurs de bactéries seront les
membres les plus petits en taille du zooplancton, c’est-à-dire les protozoaires, qui sont
eux-mêmes la proie d’organismes plus évolués tels que microcrustacés, nématodes,
macroinvertébrés (Block et al., 1997). La présence des protozoaires dans les eaux
d’alimentation n’a jamais été particulièrement étudiée. L’apparition de cas de
méningoencéphalite, dus à l’amibe thermophile Naegleria fowleri dans les années 1970
a pour la première fois attiré l’attention sur leur pouvoir pathogène pour l’homme, à
partir de l’eau (Carter, 1970). Les protozoaires peuvent aussi ingérer, protéger et faire
se multiplier des bactéries d’espèces variées dont certaines, potentiellement
pathogènes comme les Legionella. Toujours présents dans les eaux de distribution à
des taux élevés de l’ordre de 105-106/L-1,ils sont consommateurs naturels de bactéries
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TO HUMAN DISEASE
(nutrition holozoïque) et contribuent à l’équilibre biologique de l’écosystème. Mais
aussi, en tant que transporteurs et amplificateurs de microorganismes pathogènes, ils
représentent un risque infectieux non négligeable pour les populations exposées.
Les bactéries se sont particulièrement bien adaptées à la vie aquatique et à tous
les stimulis qui l’accompagnent, grâce à leur pouvoir de différenciation.
D’innombrables espèces bactériennes peuplent les réseaux d’eau de distribution : les
bacilles à Gram négatif des genres Pseudomonas, Acinetobacter, Flavobacterium,
Cytophaga y sont prédominants ; les bactéries à Gram positif sont moins nombreuses ;
d’autres groupes comme les bactéries prosthécates avec leurs appendices adhésifs sont
probablement fréquentes mais insuffisamment étudiées (Swzewick et al., 2000). Les
Legionella, y compris L.pneumophila, sont, elles aussi, des représentants fréquents,
sinon constants, de cette flore bactérienne indigène.Toutes ces bactéries sont adaptées
à un mode de vie double, soit sous forme de cellules attachées à une surface, capables
de se développer en biofilm où coopérent de nombreuses espèces, soit sous forme de
cellules libres, dites planctoniques, flottant au fil de l’eau et recherchant une niche
écologique favorable où elles pourront de nouveau se fixer et se développer en
biofilm. Ce cycle biphasique suggère que le mode de vie planctonique serait plus
favorable à la dissémination des bactéries qui survivent dans un environnement
hostile, pauvre en éléments nutritifs, tandisque l’état « attaché » serait plus propice à
la croissance. Cette hypothèse d’une alternance des bactéries en deux phases est
particulièrement séduisante pour comprendre leur persistance et leur croissance dans
les réseaux de distribution.
Bactéries attachées et biofilms
Les biofilms ont été, pendant longtemps, considérés comme des amas de bactéries,
inclus au hasard dans une substance matriciel. Les progrès réalisés au cours des dix
dernières années(Costerton et al., 1995 ; O’Toole et al., 2000 ; Davey and O’Toole, 2000 ;
Wimpenny et al. ; 2000 ; Stooley et al., 2002) permettent de mieux connaître leur
formation et leur structure. La microscopie confocale à balayage laser a été, à cet
égard, déterminante pour mettre en évidence la structure tridimensionnelle du
biofilm. Qu’ils soient expérimentaux (mono ou multispecies) ou d’origine naturelle
(toujours multispecies) les biofilms présentent la même structure globale. Ils sont
constitués d’agrégats cellulaires formant des microcolonies, dispersés dans une matrice
polysaccharidique parcourue par un réseau de canaux où circule un courant liquide.
Ces fins canaux distribuent les éléments nutritifs aux microcolonies, leur apportent
l’oxygène et assurent l’élimination des déchets. Ils permettent des échanges
métaboliques entre les microcolonies qui établissent ainsi des relations de
coopération.
La formation des biofilms est un processus biologique programmé comprenant
plusieurs étapes : attachement des cellules à une surface (réversible), production de
substances polymériques extracellulaires (EPS) et attachement irréversible,
maturation et production de l’architecture biofilm, enfin dispersion de cellules qui se
détachent du biofilm et partent à la recherche d’un nouvel habitat. Les bactéries du
biofilm et celles qui réversent vers la forme planctonique sont hautement différenciées
comme le montrent la comparaison de leurs profils protéiques en gel bidimensionnel.
Au cours de ce développement les cellules bactériennes synthétisent des petites
molécules “ signal ” qui diffusent dans le biofilm. Leur concentration augmente au
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Henri LECLERC
rythme de la croissance bactérienne d’où leur nom de “ quorum sensing ”. Dans le cas
de l’espèce P. aeruginosa, particulièrement étudié, ces molécules signal sont des
dérivés de l’homosérine lactone (acyl-HSLs). Lorsque le nombre de bactéries atteint
un seuil au sein du biofilm, elles le perçoivent et le signalent à un activateur de
transcription qui coordonnent l’expression de gènes régulateurs. Ce sont donc des
auto-inducteurs. Leurs mutants défectifs (knock-out) sont incapables de produire un
biofilm de structure caractéristique.
Bactéries planctoniques
Contrairement aux bactéries du biofilm où l’accès aux nutriments est favorisé par
l’attachement des bactéries à un support et par leur coopération métabolique, les
bactéries planctoniques ne peuvent que survivre dans un milieu hostile, pauvre en
constituants organiques (oligotrophe). Elles ont une taille réduite et une forme
sphérique de diamètre inférieure à 1 µm, souvent décrites sous le nom
d’ “ ultramicrobactéries ” ou d’ “ ultramicrocellules ” (Morita, 1997). Cet état de
carence nutritionnel ou de “ starvation-survival ” “résulte d’une insuffisance de
nutriments, spécialement d’énergie, pour permettre la croissance et/ou la
reproduction ” (Morita, 1997). Face à ces conditions de restriction alimentaire, les
bactéries doivent s’adapter et se différencier. Dans le cas des bacilles à Gram négatif,
E.coli étant habituellement pris comme modèle, la différenciation est essentiellement
d’ordre physiologique. Les bactéries améliorent leur pouvoir de détection et
d’utilisation des nutriments dispersés (par une plus haute affinité) ; elles développent
de nouvelles voies métaboliques pour assimiler de nouveaux substrats ; elles
synthétisent des protéines de stress pour répondre aux différents types de stress,
oxydatif, thermique, osmotique (Matin, 1992). La réponse stringente définit ce pouvoir
de différenciation qui ajuste les voies métaboliques de synthèse de la cellule
bactérienne aux ressources disponibles. Elle est déclenchée lorsque les acides aminés,
indispensables à la synthèse des protéines, viennent à manquer, ou, à la suite d’autres
restrictions en carbone, azote, phosphore, ou encore pour répondre à d’autres types de
stress. La réponse stringente a fait l’objet d’un nombre considérable de travaux
rapportés et synthétisés, en particulier par Morita (1997), Henge-Aronis (2000). Son
intérêt est non seulement d’ordre physiologique mais aussi d’ordre pathogénique
puisqu’elle conduit à l’expression coordonnée de gènes impliqués dans la virulence,
comme on le verra à propos des Legionella.
Bactéries viables mais non cultivables
Dans certaines conditions de stress métabolique, comme celles qui viennent d’être
décrites (starvation) une partie de la population bactérienne devient non cultivale tout
en restant viable. Une bactérie viable mais non cultivable (VBNC)° est définie par
Oliver (1993) comme “ une cellule dont le métabolisme reste actif mais qui est
incapable de division ou de croissance sur un milieu qui supporte normalement cette
croissance ”. Dans l’eau les bactéries cultivables ne représentent qu’une proportion
infime des bactéries totales, observées au microscope, de l’ordre de 1/100 voir 1/1000.
Les bactéries non cultivables peuvent être des bactéries inconnues et incapables de
croissance sur nos milieux de culture, le plus souvent adaptés à la multiplication des
bactéries pathogènes, ou des bactéries connues mais viables mais qui, à la suite de
stress (nutritionnel) restent momentanément non cultivables. Si l’existence des
bactéries VBNC ne fait pas de doute, on peut se demander par contre si cet état
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TO HUMAN DISEASE
correspond à une forme programmée d’adaptation et de résistance durable, ou tout
simplement à une forme de senescence conduisant à la mort cellulaire. Un certain
nombre de travaux tendraient à privilégier cette deuxième hypothèse (Nyström, 2001).
Les Legionella dans l’eau : survie ou croissance
Les Legionella habitent communément dans les eaux naturelles de surface et dans
les eaux souterraines en communication avec la surface (non protégées). Elles
colonisent naturellement les réseaux d’eau d’alimentation. Elles ont pourtant des
besoins nutritionels très stricts (L-cystéine, fer) pour être cultivées au laboratoire et
ces exigences sont en contradiction apparente avec leur large distribution dans les
eaux. De plus, la matière organique de l’eau, toujours présente en faible quantité (de
l’ordre du mg/L-1) favorise en priorité les autres bactéries autochtones qui sont en
compétition avec les Legionella.
Le premier facteur qui affecte l’évolution des Legionella dans l’eau est la
température. Les Legionella sont, en effet, surtout présentes dans les eaux réchauffées
(Lee and West, 1991) des systèmes de conditionnement d’air, des tours
aéroréfrigérantes, dans les réseaux d’eau chaude sanitaire. Dans les microcosmes
expérimentaux, en cultures mixtes, les Legionella se multiplient entre 20 et 43 °C, et de
façon optimale entre 30 et 40° C. Leur inactivation est mesurable à partir de 50 °C. La
résistance à la température, comparativement plus élevée que celle des autres
bactéries hétérotrophes pourrait expliquer leur relative prédominance dans ces
milieux. Pourtant, quelle que soit la température, les Legionella ne peuvent que
survivre dans une eau de robinet stérilisée (donc débarassée de microorganismes). A
ce jour, aucune expérience n’a pu montrer que les Legionella étaient en mesure de se
multiplier dans l’eau, par elles mêmes (multiplication extracellulaire).
Les bactéries autochtones de l’eau colonisent de préférence les surfaces pour
former des biofilms. Il en est de même pour les Legionella que l’on isole plus
fréquemment et en plus forte quantité (par écouvillonnage des surfaces) que
dans l’eau courante. Il est théoriquement possible que les Legionella profitent de
métabolites synthétisés par des espèces voisines, au sein même des biofilms. Certaines
expériences ont montré, en effet, que L.pneumophila, en culture, pouvait former des
colonies satellites autour de bactéries aquicoles telles que les Flavobacterium, les
Pseudomonas, les Alcaligenes et les Acinetobacter (Fliermans, 1996). Ces expériences
n’ont jamais été confirmées en milieu simple ou dans l’eau (Lee and West, 1991).
L’hypothèse de la multiplication extracellulaire des Legionella dans les biofilms est
pourtant plausible, d’autant plus que la plupart des bactéries intracellulaires peuvent
aussi se multiplier de façon extracellulaire dans un environnement favorable.
Quelques travaux, peu nombreux, ont été réalisés pour tenter de répondre à cette
interrogation, à l’aide de microcosmes mixtes (Leclerc et al., 2004). Dans certains cas,
le biofilm obtenu contient jusqu’à 105L.pneumophila/cm2,sans que soient détectés
d’hôtes prédateurs ; dans une autre expérience la multiplication des bactéries n’est
observée qu’en présence d’amibes. Le débat reste ouvert mais l’état actuel des
expérimentations ne permet pas d’affirmer que les Legionella soient capables de
croissance sur des biofilms, indépendemment d’un hôte cellulaire.
Le fait que les amibes (14 espèces) et d’autres protozoaires soient des hôtes
naturels et des « amplificateurs » de Legionella est une réalité largement décrite
(Fliermanns, 1996 ; Atlas, 1999 ; Fields, 2002). Les amibes les plus fréquemment isolées,
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