Dr PISCITI 2.pub - CHU de Charleroi

publicité
Article de synthèse
La grande simulatrice n’a rien perdu de sa superbe...
Docteur Lorenzo PITISCI
Docteurs J. DE VUYST, D. FAMEREE , R. DEMEESTER, J-C. LEGRAND
Service de Médecine Interne - CHU DE CHARLEROI
PRÉSENTATION DU CAS
U
ne patiente de 43 ans se présente chez son médecin traitant pour une éruption
cutanée ayant débuté au niveau des membres supérieurs et s’étant par la suite
généralisée à tout le corps, épargnant les régions palmo-plantaires ainsi que les
muqueuses.
Ces lésions sont maculo-papuleuses, non vésiculeuses, érythémateuses et parfois
désquamantes.
Elles mesurent entre 1 et 2 cm de diamètre et sont très prurigineuses.
Un traitement est débuté à base d’amoxicilline per os 1g trois fois par jour, ainsi que
valacyclovir 500mg trois fois par jour pendant 15 jours sans amélioration clinique.
S
ur conseil de son médecin traitant, elle se présente au service des Urgences et
est hospitalisée en Maladies Infectieuses (Service de Médecine Interne).
La patiente signale une perte de poids de trois kg durant les trois derniers mois,
associée à de l’inappétence sans autre plainte digestive. Elle vit seule depuis 3 ans
avec deux enfants qui sont en parfaite santé. Elle signale spontanément que le fils de
sa voisine a récemment contracté la varicelle. Elle a fumé 10 paquets-années, ne
consomme de l’alcool qu’occasionnellement et aurait consommé de l’héroïne, il y a
vingt ans. Elle a un chat depuis dix ans et n’a pas voyagé récemment en dehors de la
Belgique.
D
ans ses antécédents, retenons une hépatite C non suivie.
A l’examen physique, notons l’absence d’adénopathie, une sensibilité à la palpation de l’hypochondre droit sans défense ni rebond, la palpation d’une pointe de
rate et la présence de discrètes pétéchies aux membres inférieurs.
RMC-2015 61
Article de synthèse
L
a biologie à l’admission démontre une légère cytolyse et une cholestase, une
hypoplaquettose, une hyponatrémie et hypochlorémie modérée, un bilan autoimmun (facteurs anti-nucléaires et anticorps anti-cytoplasmiques) négatif.
La gastroscopie et l’échographie abdominale évoquent une cirrhose hépatique
compliquée d’une hypertension portale avec splénomégalie et varices oesophagiennes de grade 1. La sérologie HCV est positive, les sérologies rubéole, EBV et
Herpes Zoster suggèrent des infections anciennes et celles pour CMV, HIV, HSV,
HBV et Borrelia sont négatives. Le VDRL est négatif.
ce stade, les diagnostics présomptifs étaient un pityriasis rosé de Gilbert, un
lichen plan érythémo-squameux (pouvant être associé à une infection à
hépatite C), une sarcoïdose et une syphilis secondaire (peu probable vu le VDRL
négatif), chez une patiente atteinte d’une cirrhose hépatique liée à l’HCV.
Un traitement local à base d’érythromycine provoque une légère régression des
lésions. On pratique une biopsie cutanée qui démontre un granulome tuberculoïde à
infiltrat plasmocytaire évoquant, entre autre, une syphilis.
Un contrôle sérologique démontre alors un anticorps tréponémique à 39.5 (normale
<1), et un titre de VDRL positif à 1/128. Un contrôle du titre VDRL est effectué sur le
prélèvement de l’admission avec davantage de dilution. Il se révèle positif à 1/128.
L’anticorps anti-VIH est négatif.
A
La patiente est traitée par Pénicilline Retard
Diagnostic final
Syphilis secondaire avec manifestations cutanées tardives (syphilides) et
cirrhose hépatique secondaire à l’infection par HCV et
compliquée d’une hypertension portale
avec varices œsophagiennes de grade 1
DISCUSSION
La syphilis
L
e terme provient du roman « Syphilis sive morbus Gallicus » (La syphilis ou la
maladie Française) écrit en 1530 par Giralomo Fracastoro, qui raconte la
contamination du berger Syphilius. Elle aurait été introduite en Europe après la
découverte des « Indes Occidentales » par Christophe Colomb, bien que des récits
bien plus anciens décrivent relativement bien des cas de syphilis en Europe.
RMC-2015 62
Article de synthèse
I
l est amusant de noter que chaque peuple a qualifié la pathologie de manière
différente : le mal Espagnol pour les Portugais, le mal Anglais pour les Ecossais,
le mal Vénitien pour les Français... Enfin, le nom de Grande Vérole est également
utilisé.
I
l s’agit d’une infection sexuellement transmissible (IST) médiée par le Treponéma
Pallidum (famille des Spirochètes). Le réservoir est exclusivement humain et la
contamination se fait par contact direct. On décrit encore des cas de syphilis
congénitale, les cas post-transfusionnels étant à présent rarissimes dans nos
contrées.
L
’incidence a nettement diminuée après l’introduction de la pénicilline après la
seconde guerre mondiale, bien qu’une recrudescence soit observée depuis
1990, en particulier dans les populations homosexuelles masculines et séropositives.
L’incidence ne cesse d’augmenter en Belgique et, depuis 2010, cette croissance est
due en grande partie aux réinfections.
Source graphique : Institut de Santé Publique Belge,
rapport sur les IST 2012
RMC-2015 63
Article de synthèse
S
ur le plan clinique, la syphilis présente une évolution chronique symptomatique
entrecoupée d’intervalles asymptomatiques. On distingue une phase précoce,
par définition contagieuse, dans l’année qui suit l’apparition du chancre, puis la phase
tardive non contagieuse. La classification clinique distingue les Syphilis primaire,
secondaire, tertiaire, latente, ainsi que la neurosyphilis.
Syphilis primaire
C
ette phase est caractérisée par l’apparition d’un chancre, conséquence du
contact direct avec le spirochète. Il apparaît dans les 20 (10-90) jours après le
contact et résulte de la nécrose ischémique d’une papule, produisant un cratère indolore aux bords surélevés. Il guérit dans 75% des cas en 3 à 6 semaines, mais l’induration et la(les) adénopathie(s) régionale(s) peut (peuvent) subsister des mois. La
localisation dépend de la pratique sexuelle et ceux localisés sur le col utérin échappent bien souvent à la vigilance du patient et des soignants. Notons que son aspect
peut
varier : punctiforme, fissuraire, géant…
Syphilis secondaire
E
lle résulte de la diffusion hématogène et lymphatique du tréponème et décrit
une atteinte systémique de la peau et des muqueuses. Elle apparait 6 semaines
après le chancre, une coexistence étant possible. De façon précoce, on observe souvent une roséole du tronc, maculaire non prurigineuse, disparaissant en 1 à 2 mois.
Plus tardivement (2 à 4 mois), on peut observer de typiques papules rouges
sombres, cuivrées, à base indurées et squameuses (les syphilides). La localisation
palmo-plantaire est classique et doit être recherchée. Ces papules sont très
contagieuses, en particulier si elles sont érosives et génitales.
Cependant, les manifestations cutanées peuvent revêtir de multiples formes, ce qui a
conféré le titre de « Grande Simulatrice » à la syphilis. Des manifestations
systémiques peuvent également accompagner les signes cutanés : pyrexie,
arthralgie(s), céphalée, polyadénopathies en particulier sus-épitrochléennes et
trapéziennes (Signe du beau-père), hépatosplénomégalie, hépatites,
glomérulonéphrite, méningite avec atteinte des paires crâniennes, uvéite, kératite et
rétinite.
Syphilis tertiaire
C
e stade est caractérisé par la paradoxale pauvreté en spirochète, contrastant
avec une réaction immunitaire importante de type granulomatose.
RMC-2015 64
Article de synthèse
I
l est peu contagieux, et peut apparaître jusqu’à 30 ans après le chancre.
Elle concerne 25% des cas non/insuffisamment traités.
Il est caractérisé par l’apparition de gommes (indurations de 2-4 mm, indolentes et
sans adénopathies régionales) décrivant 4 stades : crudité, ramollissement,
ulcération, cicatrisation. On en retrouve dans les tissus sous-cutané, muqueux, os,
viscères et système nerveux central.
Syphilis latente
E
lle décrit les intervalles asymptomatiques de la maladie, la sérologie étant le
seul moyen diagnostic. On distingue traditionnellement la latence précoce et
tardive, classification épidémiologie puisqu’elle décide de la durée du traitement.
Neurosyphilis
E
lle peut apparaître à tous les stades de la maladie sauf le primaire.
Elle concerne 5 à 10% des sujets non traités, 1 mois à 30 ans après
l’inoculation. De façon précoce : méningite avec atteinte des paires crâniennes,
vasculite cérébrale et atteintes ophtalmiques fréquentes. De façon tardive : tabès,
gommes, paralysies avec troubles du comportement et de la mémoire, désorientation
spatio-temporelle, et apparition du signe d’Argyll Robertson. Le diagnostic est posé
par la ponction lombaire. Il existe également une forme asymptomatique où des
anomalies du LCR sont retrouvées sans corrélation clinique.
Dans ce cas, le traitement se discute uniquement chez les immunodéprimés.
La ponction lombaire est indiquée en cas de signe neurologique ou ophtalmique, de
syphilis tertiaire ou d’échec thérapeutique.
Syphilis congénitale
lle est conditionnée par l’infection maternelle non traitée avant la 16ème semaine
de gestation et de moins bon pronostic? si elle se manifeste avant 2 ans.
25% sont mort-nés, 25% décèdent en périnatal, 10% sont asymptomatiques et 40%
sont symptomatiques. L’atteinte précoce (avant 2 ans) se manifeste par des
éruptions cutanées, hépatosplénomégalie et atteinte ostéo-articulaire.
La forme tardive (après 5 ans), se manifeste par une atteinte ostéo-articulaire, une
surdité de perception et une kératite interstitielle.
E
RMC-2015 65
Article de synthèse
Le diagnostic différentiel avec le pytiriasis rosé de Gilbert
I
l consiste en l’un des diagnostics différentiels principaux en cas de syphilis
secondaire typique. Il se manifeste par une éruption papulo-squameuse
autolimitée, une à deux semaines après l’apparition d’un médaillon ovale avec une
collerette de squames sur le tronc. On soupçonne une étiologie virale en raison de sa
saisonnalité. De manière caractéristique, il n’y a, dans ce cas, pas d’atteinte
palmo-plantaire.
La sérologie et l’effet « prozone »
S
i le diagnostic est avant tout clinique, les tests sérologiques sont très utiles.
On distingue les tests non-tréponémiques comme le VDRL (Venereal Disease
Resarch Laboratory) et le RPR (Rapid Plasma Reagin) qui ne sont pas spécifiques
du tréponème. Ils reflètent l’activité de la maladie et permettent donc de monitorer la
réponse au traitement. Ils sont exprimés en dilution et l’on considère qu’une
différence de deux dilutions est significative. Il existe cependant de nombreux faux
positifs: dysglobulinémie, cirrhoses, mononucléose, hépatites virales, sclérodermies,
grossesses, et typiquement le syndrome des anticorps anti-phospholipides.
Les tests tréponémiques tels que le TPHA (Treponema Pallidum Haemagglutination
Assay) et le FTA-ABS (Fluorescent Treponemal Antibody Absorbed) sont spécifiques
du tréponème.
Notre laboratoire utilise une technique encore plus sensible : la recherche d’anticorps
anti-tréponémique par ELISA.
Dans le cas présenté, le résultat positif « par vérification à postériori » s’explique par
l’effet de la « prozone » : occasionnellement, on n’observe pas d’agglutination en
présence de concentrations importantes d’anticorps (c’est à dire aux dilutions les plus
faibles) et celle-ci n’apparaît qu’à des dilutions grandes.
L’absence d’agglutination est due à un excès d’anticorps qui conduit à la formation
de complexes trop petits pour être visibles sous la forme d’une agglutination.
Il est donc conseillé de systématiquement combiner pour le dépistage d’une syphilis
des tests tréponémiques et non-tréponémiques, et de contacter le laboratoire en cas
de forte suspicion pour vérification.
Le traitement
Il se compose de benzathine benzylpenicilline à une posologie de 2,4 millions
d’unités administrées en intramusculaire et est conditionné par la classification
épidémiologique.
RMC-2015 66
Article de synthèse
E
n cas de syphilis précoce, une seule injection suffit alors qu’en cas de syphilis
tardive (évoluant depuis plus de 1 an), il faudra 3 injections espacées d’une
semaine.
La neurosyphilis est traitée par pénicilline IV à raison de 6x4 millions d’unités pendant
14 à 21 jours.
En cas d’allergie, de la Doxycycline (200mg/j) sera administrée pendant 14 jours pour
une syphilis précoce, et 28 jours pour une syphilis tardive.
Pour une neurosyphilis , on utilisera de la ceftriaxone 2g 2x/j pendant 10 à 14 jours.
Le monitoring est clinique et biologique (décroissance de VDRL).
Un contrôle sérologique est effectué à 3 mois, 6 mois, 1 et 2 ans post traitement.
L
a réaction de Jarish-Herxheimer peut survenir dans les premières heures de
traitement, en particulier en cas de syphilis secondaire.
C’est une réaction d’hypersensibilité avec pyrexie, exacerbation de l’éruption
cutanée, polyadénopathie, hypotension artérielle.
Le traitement consiste en des anti-inflammatoires non-stéroïdiens.
L’usage d’une corticothérapie est réservé aux cas plus sévères et controversée
quand injectée systématiquement à la première injection de pénicilline.
Notons que cette réaction n’est pas une allergie à la pénicilline.
La recherche des autres IST et le traitement du partenaire
L
e diagnostic d’une IST impose la recherche d’autres IST (Hépatite B, Hépatite C
dans des conditions particulières, HIV, et éventuellement la recherche de chlamydia chez la femme en âge de procréer), chez la personne diagnostiquée, mais
également de toutes les personnes avec lesquelles le patient a eu des rapports
sexuels. De plus, le chancre syphilitique favorise la transmission du VIH et de HCB.
RMC-2015 67
Article de synthèse
CONCLUSIONS
M
algré une prévalence faible, toute éruption cutanée généralisée
aspécifique doit faire évoquer la possibilité d’une syphilis.
Il est capital de systématiquement demander deux types
de tests sérologiques et d’éventuellement discuter avec le laboratoire en
cas de haute suspicion clinique et de frustration biologique
(VDRL négatif par effet prozone).
La simplicité et la bonne tolérance du traitement permettent de
diminuer dramatiquement le risque de syphilis tertiaire aseptique.
Enfin, la recherche d’autres IST chez le patient
et son (ses ?) partenaire(s) sexuel(s) est capitale.
RMC-2015 68
Article de synthèse
RÉFÉRENCES
1.
2.
3.
4.
Institut de Santé Publique Belge, rapport sur les IST 2012
STD Treatment Guidelines 2010, Centers for Disease Control and Prevention
Maladies cutanées: diagnostic et traitement; Thomas P. Habif, Elsevier
E.Pilly Maladies infectieuses et tropicales ed 2013, CMIT
RMC-2015 69
Téléchargement