Bull Soc Pathol Exot, 2007, 100, 5, 315-369 315
Avant-propos
G. Brücker (1), K. Dellagi (2) & B.-A. Gaüzère (3)
(1) Institut de veille sanitaire (InVS), Saint-Maurice, France.
(2) Centre de recherche et de veille de l’océan Indien (CRVOI), Saint-Denis, France.
(3) Service de réanimation polyvalente, CHD Félix-Guyon, Saint-Denis
Qui, en France et dans le vaste monde, pouvait se préva-
loir de bien connaître le chikungunya avant l’épidémie
qui a touché les pays de l’océan Indien à partir de 2005 ?
Que savait-on de ce virus, pas si nouveau pourtant, décrit
pour la première fois en 1952 en Tanzanie et qui avait lar-
gement circulé en Afrique (Angola-RCA-Afrique du Sud,
Afrique de l’Ouest) jusqu’en Asie du Sud-Est (Thaïlande :
1958-1970 ; Cambodge : 1961-1962 ; Vietnam : 1964) en
passant par l’Indonésie (1982-1985, 1998) et les Philippines
(1954-1956 ; 1968) ? Assez peu de choses en vérité… Sans
doute les virologues étaient-ils les mieux informés des carac-
téristiques de cet arbovirus de la famille des Togaviridae et
du genre Alphavirus. Mais les cliniciens n’en décryptaient que
sa signification vernaculaire exotique « marcher courbé » tra-
duisant l’importance des myalgies et surtout des arthralgies.
Un syndrome grippal plutôt sévère, laissant arthralgies dura-
bles ou asthénie, mais une maladie confidentielle considérée
comme bénigne, notamment au regard des autres arboviroses
en vogue et singulièrement de la dengue partie inexorable-
ment à la conquête de la planète, notamment de territoires
ultramarins français des Antilles et du Pacifique. Quant aux
épidémiologistes, jamais confrontés, en France, à l’émergence
d’une telle épidémie, ils ne disposaient que de quelques études
montrant que les populations touchées pouvaient l’être de
façon variable avec des prévalences allant de 10 à 90 %.
Sans doute, une analyse entomologique fine du rôle possible
des vecteurs Aedes : aegypti souvent rapporté et albopictus
qui était implanté à la Réunion, manquait-elle pour prendre
la pleine mesure du risque d’émergence.
Venu de la côte du Kenya (2004), puis signalé aux Comores, le
virus se répandit à Mayotte, aux Seychelles et dans l’archipel
des Mascareignes, dont la Réunion, en mars-avril 2005. À
la Réunion, l’épidémie fut tout d’abord modérée, bien que
présentant des formes incapacitantes. Mais, tout comme en
2004 lors de l’épidémie de dengue de type I de faible ampleur
(environ 300 cas), il était attendu que l’hiver austral casse le
cycle de la transmission en réduisant l’activité d’Aedes albo-
pictus. Il n’en fut rien, l’épidémie se maintint à un faible niveau
de juillet à septembre, et en octobre 2005 furent signalés les
premiers cas de transmission materno-fœtale jamais décrits
auparavant et d’atteintes neurologiques graves de l’adulte.
Puis, à partir de la mi-décembre, l’épidémie connût une
flambée spectaculaire à la faveur des fortes précipitations de
l’été austral. En février 2006, le nombre hebdomadaire de
cas culmina à plus de 45 000. Ce fut donc une épidémie, sans
précédent connu dans la littérature qui fut le théâtre d’une
crise sanitaire sociale, économique et politique d’une ampleur
exceptionnelle, notamment parce qu’elle survenait dans un
territoire européanisé.
La Réunion, territoire français de l’océan Indien, renouait
douloureusement avec ses racines africaines et prenait cons-
cience que sa situation géopolitique continuait de l’exposer,
comme au cours du passé, aux risques inhérents aux contrées
tropicales
Une analyse de ces événements s’imposait avec la contribution
de ceux qui en furent les acteurs sanitaires et sociaux. C’est
donc avec l’ambition de tirer, pour l’avenir, les enseignements
de cette crise, que l’InVS et le Centre de recherche et de veille
de l’océan Indien né de cette crise, se sont associés pour orga-
niser le colloque Chikungunya et autres arbovirus émergents
au milieu tropical.
Nous remercions la Société de pathologie exotique, alerte
centenaire, d’avoir permis la publication de ce numéro spécial
avec les résumés des communications. Les études épidémio-
logiques, cliniques, virologiques, entomologiques, animales,
mais également sociologiques de cet événement permettent
une avancée importante des connaissances sur cette grande
famille des arboviroses. Nous voudrions, ici, en souligner
quelques points majeurs :
L’introduction d’un virus dans une population totalement
réceptive, car vierge de toute contamination antérieure et donc
de toute immunité résiduelle, constitue une situation à haut
risque, dès lors que les conditions de transmission du virus,
avec (en premier lieu) la présence d’un vecteur efficace, sont
présentes. À cet égard, le rôle dAedes albopictus, pourtant ini-
tialement considéré comme un médiocre vecteur, a été majeur.
La gravité différée dans le temps de cette épidémie relève
d’un facteur saisonnier : la date de survenue (mars-avril) des
premiers cas à la Réunion était sans doute trop tardive pour
laisser l’épidémie prendre l’ampleur qu’elle connut sept mois
plus tard. En revanche, en décembre 2005, l’abondance et la
durée des pluies et les déplacements de population entre les
Hauts de l’île et la côte, à l’occasion des vacances scolaires
et des fêtes de fin d’année, ont sans doute été déterminants
dans l’ampleur de la seconde vague. La mesure d’une séro-
prévalence à 38 % en fin d’épidémie venait confirmer que
près de 300 000 personnes avaient été touchées à la Réunion.
À Mayotte, l’estimation de la séroprévalence indique qu’une
proportion similaire de la population fut touchée.
La sévériclinique de cette épidémie a surpris. Des analyses
des cas, précises et documentées, ont été rendues possibles
par la densité et la qualité du réseau de soins de l’île de la
COLLOQUE
Chikungunya et autres arboviroses en milieu tropical.
Saint-Gilles, la Réunion, 3 et 4 décembre 2007.
Colloque 316
Colloque Chikungunya à la Réunion, décembre 2007.
Réunion, contexte inhabituel dans les épidémies antérieures
de chikungunya, toutes survenues et décrites dans des pays
à moindre budget de santé. Ainsi, ont pu être rapportées des
formes néonatales de la maladie, des formes cutanées sévères,
notamment du nourrisson, des formes neurologiques graves
chez l’adulte, des formes polyviscérales, sans doute favorisées
par certaines pathologies chroniques sous-jacentes et par le
grand âge, mais aussi des formes hyperalgiques très invali-
dantes, durables, prolongées pendant des mois, entraînant
un impact majeur sur l’activité sociale et professionnelle, et
donc sur l’économie locale. Personne n’a été épargné et les
nombreux cas survenus chez les professionnels de santé sont
venus aggraver les conditions de prise en charge des malades,
dans le cadre d’une offre de soins débordée.
Un impact sur la mortalité a été mesuré au plus fort de l’épi-
démie, entre les mois de décembre 2005 et avril 2006. La sur-
mortalité, en moyenne de 18 % pendant ces mois là, a culmi
à plus de 30 % en février 2006.
La mobilisation a égénérale ! Professionnels de santé, libé-
raux ou hospitaliers, administrations sanitaires et décideurs
politiques ont été immergés durablement et jusqu’à l’épui-
sement dans une situation la crise sanitaire s’est doublée
d’une crise de confiance de la population vis-à-vis de l’autori
publique.
Il est exceptionnel encore qu’une situation épidémique
conduise, si loin de la métropole, le Premier Ministre, le
Ministre de la santé, le Ministre de l’Outre-mer, le Ministre
du tourisme, à se rendre sur place pour entendre et proposer.
La prise de conscience de la situation par les politiques fut
considérée par la population comme trop tardive. L’évalua-
tion du risque n’avait, de fait, pas permis une anticipation
suffisante des conséquences possibles de l’introduction du
virus à Mayotte et à la Réunion. Cependant, la mobilisation
fut majeure : des moyens considérables, surtout dans la lutte
antivectorielle, furent déployés, entraînant à leur tour de for-
tes réactions en faveur de la protection de l’environnement et
de la biodiversité de l’île. D’importants renforts en ressources
humaines et notamment scientifiques furent dépêchés de la
métropole.
La mobilisation des professionnels de santé, dans un contexte
d’hyper-épidémie dont l’impact somatique, mais aussi psy-
chologique, a été considérable dans la population doit être
saluée ! Ce fut une tâche très difficile en raison des interro-
gations croissantes au fil de l’épidémie sur les conséquences
immédiates et tardives de cette maladie, sa gravité et sa létalité,
mais aussi du fait de l’absence de tout traitement curatif et
préventif efficaces, et de la grande difficulté de la mise en
œuvre des mesures de prévention vis-à-vis du vecteur. Cette
situation de crise a mis en évidence la nécessité de pouvoir
renforcer une veille prospective élargie à plusieurs pays, pour
une meilleure gestion des risques.
Une analyse sur les besoins de développement des travaux de
recherche a été conduite, notamment avec la mise en place, par
le Premier Ministre, d’une cellule nationale de coordination
des recherches sur la dengue et le chikungunya. La création,
en 2007, sous l’autorité des ministères chargés de la santé et
de la recherche, du centre de recherche et de veille sur les
maladies émergentes de l’océan Indien en a découlée.
Une approche pluri et trans-disciplinaire des phénomènes
épidémiques est apparue plus que jamais indispensable.
Le développement des réseaux de surveillance libéraux et hos-
pitaliers, le développement des études de recherche clinique,
le renforcement de la lutte anti-vectorielle, la mobilisation
de la population, informée de la nécessité de contribuer sans
relâche à l’éradication des gîtes larvaires, ont créé une vérita-
ble dynamique nouvelle dont on peut espérer des bénéfices
durables.
L’absence totale de reprise épidémique en 2007 mérite sans
doute d’être analysée à la lumière de cette mobilisation. Et si
les espoirs d’une efficacité de la chloroquine contre ce virus
ont malheureusement tourné court, la voie d’un vaccin reste
ouverte et activement explorée dans le cadre d’une étroite
coopération avec les États-Unis. Saura-t-elle bénéficier d’un
réel intérêt des firmes industrielles ? L’intérêt des équipes
indiennes pour ce vaccin augure de bons espoirs. L’articula-
tion étroite de la veille et de la recherche est donc bien le prin-
cipal enjeu qui s’offre au tout nouveau CRVOI et au ministère
chargé de la santé ainsi qu’à l’Institut de veille sanitaire.
Car que sera demain ? Bien des incertitudes demeurent face à
ces nouveaux risques émergents. La récente éclosion épidémi-
que du chikungunya dans le nord de l’Italie nous rappelle que
le concept même de maladie exotique doit être repensé, à la
lumière des modifications climatiques et de la mondialisation
des échanges. Il demeure difficile d’assurer une veille et une
sécurité sanitaire véritablement prospectives par des modélisa-
tions certaines. Que se profile donc derrière le chikungunya ?
Quelle arbovirose est candidate à des épidémies nouvelles :
O’Nyong Nyong sœur jumelle du chikungunya ? Ross River
qui touche l’Australie ? West Nile qui a envahi l’Amérique du
Nord ?… ou tant d’autres, notamment la fièvre de la Vallée
du Rift pour l’instant cantonnée à l’Afrique…
Demain, la circulation des biens et des personnes et les chan-
gements environnementaux attendus liés aux bouleversements
climatiques dont le réchauffement de notre planète, laissent
penser que des modifications dans l’écologie des vecteurs
rendent probable la survenue de phénomènes épidémiques
inattendus, y compris en dehors des zones tropicales.
Le défi de la veille et de la sécurité sanitaires doit être relevé
de façon concertée au nord et au sud. Le renforcement du
potentiel de recherche sur ces phénomènes émergents ou ré-
émergents s’y inscrit comme une réelle priorité, au sein même
des zones aujourd’hui les plus concernées, que sont l’océan
Indien, mais aussi les Caraïbes et le Pacifique pour la France.
Ces développements doivent se faire en articulation avec les
épidémiologistes, les cliniciens, les biologistes, les vétérinaires
et les entomologistes, sans oublier la part essentielle jouée par
les sciences humaines et sociales, car la perception des risques
par les populations est un élément déterminant de l’efficacité
des plans de prise en charge et de prévention. Cette expérience
est venue aussi nous rappeler que l’on ne peut lutter efficace-
ment contre ces épidémies émergentes sans l’information et
la mobilisation de la population.
Résumés.
Bull Soc Pathol Exot, 2007, 100, 5, 315-369 317
Communications
Conférences d’introduction.
Modérateurs : K. DELLAGI et C. PAQUET
Le contexte et les questions de surveillance et
d’évaluation posées par l’épidémie.
G. Brücker
Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France.
Depuis 2004, le chikungunya circule en Afrique, en Asie et
dans l’océan Indien avec une temporaliet une intensité
différente suivant les pays. À la suite d’une saison sèche parti-
culièrement longue et chaude au Kenya, la maladie a touché la
Somalie, puis la côte kenyane (île de Lamu et Mombasa) avec
des taux d’attaques très élevés (75 %), puis les Comores à la
fin 2004 (taux d’attaque 63 %), puis l’île Maurice et Mayotte,
et enfin la Réunion, atteignant ainsi pour la première fois le
territoire français.
Les populations de la Réunion et Mayotte, naïves pour le
virus, ont été frappées par un phénomène épidémique aux
caractéristiques inattendues et qui s’est exprimé suivant dif-
férents modes au cours de deux années entières. L’objectif est
de présenter les questions posées par cette épidémie en termes
de surveillance et d’évaluation sanitaires.
À la Réunion
Un dispositif de surveillance qui a du s’adapter (1)
– Première phase épidémique, mars-décembre 2005
En mars 2005, l’alerte est lancée par l’InVS au vu de la situa-
tion comorienne. Un dispositif de vigilance est mis en place
par l’information des acteurs de santé. La Direction régio-
nale des affaires sanitaires et sociales (DRASS) de la Réunion
intensifie ses actions de lutte anti-vectorielle et renforce l’in-
formation des voyageurs.
Fin avril, un premier cas importé est confirmé biologique-
ment, suivi de 3 cas autochtones. Le dispositif de surveillance
coordonné par la CIRE s’appuie alors sur un système asso-
ciant le signalement des cas (cas confirmés par les LABM et cas
suspects par les médecins, les médiateurs communautaires et
les particuliers à partir de juillet 2005) et une recherche active
et rétrospective autour des cas signalés assurée par les équipes
de lutte anti-vectorielle. L’épidémie se développe avec un pla-
teau de 500 cas par semaine en mai et une diminution ensuite
jusqu’à un niveau très faible durant l’hiver austral 2005.
Fin septembre, des cas atypiques, des cas graves et des cas de
transmission de la mère au nouveau sont signalés. Le dispo-
sitif est complété par une surveillance des formes graves, sur
la déclaration par les médecins hospitaliers. Une surveillance
de la mortalité est mise en œuvre : analyse des certificats de
décès puis suivi en temps réel du nombre de décès dans les
communes informatisées de l’île.
– La flambée épidémique de décembre 2005 à mars 2006
En décembre 2005, le nombre hebdomadaire de cas passe
brutalement de moins de 400 à plus de 2 000. Tous les secteurs
de l’île sont gagnés. La lutte antivectorielle est effectuée par
des traitements systématisés sur des zones. La surveillance
s’appuie d’une part sur le réseau de médecins sentinelles et
d’autre part sur le suivi d’autres indicateurs (arrêt de travail,
hospitalisations, mortalité…).
Le pic épidémique est atteint début février 2006 avec plus de
40 000 cas en une semaine.
– De la fin de la crise à la sortie de l’épidémie
À partir de mars 2006, le nombre hebdomadaire de nouveaux
cas, redevenu inférieur à 10 000 cas, baisse régulièrement. En
juillet 2006, son niveau permet de reprendre le dispositif de
surveillance exhaustif et de lutte ciblée autour des cas ou des
foyers. En novembre 2006, les médecins sont incités à pres-
crire une confirmation biologique des cas compte tenu du
faible niveau de signalement. Le passage en phase inter épi-
démique est déclaré le 19 avril 2007 et depuis la surveillance
épidémiologique repose sur le signalement des cas confirmés
biologiquement par les laboratoires.
Estimer l’impact sanitaire dans la population ?
– Le taux d’attaque de l’épidémie
Entre mars 2005 et juin, 2006, le dispositif de surveillance a
permis d’estimer à 266 000 (environ 35 % de la population),
le nombre de personnes ayant développé une forme clinique
de chikungunya à la Réunion. La validité du dispositif de sur-
veillance a éconfortée par plusieurs enquêtes menées dans la
population. Les résultats de ces différentes études (tableau I)
sont, pour chaque riode, comparables aux données recueillies
et analysées en continu par le dispositif de surveillance.
– Les formes graves et émergentes (2)
La surveillance des formes émergentes hospitalières a permis
d’identifier, y compris de façon rétrospective, 878 formes
émergentes de chikungunya dont 44 formes materno-néo-
natales, 224 cas pédiatriques et 610 cas adultes. Les atteintes
les plus fréquemment observées étaient les atteintes digestives
et cardiovasculaires. Au total, 222 cas émergents hospitaliers
adultes ont nécessité le maintien d’au moins une fonction
vitale et 11 % (65) sont décédés.
– La mortalité (3)
La surveillance du nombre total de décès a mis en évidence
une augmentation de la mortalité brute dans l’île concomi-
tante du pic épidémique. En effet, la mortalité observée était
significativement supérieure à celle attendue pour les mois de
février (+ 33 %) et mars (+ 25 %), elle ne l’était plus en avril
(+ 10 % sans signification statistique) et mai (+ 0 %) et sur le
reste de l’année 2006, elle était inférieure à celle attendue. En
2006, 254 certificats de décès portaient la mention chikungu-
nya (aucun en 2005 et 2 en 2007).
À Mayotte
Le dispositif n’a pas pu refléter l’ampleur réelle de l’épidémie
en raison du faible recours des malades à un médecin. Il a
dû être complété par des études en population. L’analyse de
sérums de femmes enceintes en octobre 2005 et en avril 2006
a montré que le pourcentage de femmes ayant contracté la
maladie avait évolué de 2,5 à 25 %.
Une enquête en mai 2006 (InVS/CIRE) a permis d’estimer
qu’un quart des 170 000 habitants déclarait avoir présenté des
symptômes compatibles avec le chikungunya. Une enquête
sérologie fin 2006 a mis en évidence que 38 % des personnes
avaient été infectées par le virus, parmi elles, un quart indi-
quaient n’avoir pas eu le chikungunya et pouvaient donc être
considérées comme asymptomatiques.
La surveillance aux Antilles
Compte tenu des échanges entre la Réunion et les départe-
ments français d’Amérique et de la présence de moustiques
enquête type d’enquête date résultats données de la
surveillance
à la même date
IPSOS questionnaire fév /06 19,5% 20 %
INSERM séroprévalence fév /06 19% 20 %
INSERM séroprévalence août-oct /06 38% (32%*) 34 %
(questionnaire)
* entre parenthèse : pourcentage de cas « cliniques » obtenu en déduisant le pourcentage de
personnes asymptomatiques (qui ne rapportent pas les symptômes alors qu’elles présentent des
anticorps)
Tableau I.
Comparaison des taux d’attaque du chikungunya obtenus
à partir de la surveillance (CIRE/InVS) et des études.
Colloque 318
Colloque Chikungunya à la Réunion, décembre 2007.
Aedes dans ces territoires, le risque d’introduction du virus
a été envisagé, un premier cas importé a été signalé en février
2006. Le plan de surveillance (Programme de surveillance,
d’alerte et de gestion du risque d’émergence du virus Chikun-
gunya dans les départements français d’Amérique) comporte
l’auto-signalement « incitatif » de tous les voyageurs arri-
vant d’une zone à risque ; le signalement précoce par tous
les professionnels de santé des cas suspects ou confirmés ;
l’intervention systématique des services de démoustication
au domicile des voyageurs et des cas ; et enfin la prévention
de la transmission en milieu hospitalier.
Quel risque en métropole ?
L4 Aedes albopictus a été retrouvé dans plusieurs départe-
ments métropolitains, notamment le long de la côte méditer-
ranéenne et en Haute Corse. Alors que chaque année, près
de 300 000 touristes métropolitains se rendent à la Réunion,
la quantification des cas importés de chikungunya est un élé-
ment nécessaire à l’évaluation du risque potentiel de trans-
mission autochtone en métropole.
Le chikungunya est devenue maladie à déclaration obligatoire
à partir de juillet 2006, avec un dispositif de signalement ren-
forcé dans les Alpes-Maritimes, le Var et en Corse ainsi qu’en
Antilles Guyane.
La survenue d’une épidémie de Chikungunya en Italie en
août 2007 a montré l’importance de mettre en place un dis-
positif de surveillance en Europe, et un renforcement de la
lutte antivectorielle.
Les principales leçons tirées de cette épidémie pour la sur-
veillance de telles arboviroses sont :
l’importance de l’articulation de la surveillance
épidémiologique et entomologique ; c’est une voie dans
laquelle il faut progresser par l’exploitation conjointe des
données pour mieux anticiper sur les risques de développe-
ment épidémique ;
l’importance d’intégrer en amont les différents réseaux de
professionnels de santé (les médecins généralistes et hospita-
liers, les laboratoires…) dans des plans de surveillance comme
il en existe pour la dengue ;
les synergies à trouver entre la veille et la recherche notam-
ment en épidémiologie pour renforcer la modélisation et les
analyses prospectives ;
la nécessité de renforcer la veille internationale, tant au
niveau de l’océan indien que pour l’ensemble des pays où la
présence du vecteur et la fréquence des échanges internatio-
naux constituent un risque justifient les nouvelles mesures
de surveillance.
Références bibliographiques
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Chikungunya virus infection in Reunion island, France, 2005-2006.
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de chikungunya. La Réunion, avril 2005-mars 2006. Rapport InVS.
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Les questions virologiques posées par l’épidémie.
I. Schuffenecker (1), M. Grandadam (2),
I. Iteman (3), A. Michault (4), M.C. Jaffar (5),
S. Brisse (3), H. Tolou (2) & H. Zeller (1)
(1) Centre de référence des arbovirus, Institut Pasteur, IFR 128, Lyon, France.
(2) Unité de virologie tropicale, Institut de médecine tropicale du Service de santé des
Armées, Marseille, France.
(3) Plateforme de génotypage des pathogènes, Institut Pasteur, Paris, France.
(4) Laboratoire de microbiologie, Groupe hospitalier Sud Réunion, Saint-Pierre, France.
(5) Laboratoire de microbiologie, Centre hospitalier Felix-Guyon, Saint-Denis, France.
Introduction
Début 2005, le virus Chikungunya (CHIKV) émergeait
dans les îles de l’OI, à l’origine d’une épidémie majeure qui a
impliqué les Comores, Mayotte, les Seychelles, l’île Maurice,
la Réunion et Madagascar (1, 2). À la Réunion, une des îles
les plus touchées par l’épidémie, près de 40 % de la popula-
tion totale (770 000 habitants) a été affectée. Après 30 ans de
silence épidémique, le CHIKV est également réapparu en Inde
fin 2005, puis s’est propagé au Sri Lanka.
L’épidémie de Chikungunya en OI, comme celle de West
Nile aux États-Unis, nous a surpris par son ampleur et nous
a rappelé que les arbovirus avaient la capacité d’émerger dans
de nouveaux territoires et de causer d’importantes épidémies
au sein de populations non immunes. Par ailleurs, des formes
sévères de la maladie ont été décrites de même que des modes
de transmission inhabituels de la maladie.
Les investigations initiales de terrain et les programmes de
recherche mis en œuvre ont permis de répondre au moins
partiellement à un certain nombre de questions d’ordre viro-
logique. D’autres restent sans réponse…
Les questions virologiques posées par l’épidémie
Origine du virus
Des arguments épidémiologiques suggéraient que l’épidé-
mie en OI faisait suite à deux épisodes épidémiques survenus
au Kenya en 2004. Des études moléculaires conduites sur
145 patients provenant de différentes îles de l’OI (Réunion,
Mayotte, Madagascar, Maurice, Seychelles) ont démontré
l’origine africaine du virus responsable de l’épidémie et son
apparentement aux souches isolées entre 1952 et 2000 en
Afrique de l’Est, du Sud et Centrale (3). D’autres études ont
montré que l’épidémie indienne actuelle était causée par un
virus d’origine africaine très proche du virus circulant en
OI à la différence des épidémies précédentes causées par des
virus appartenant au génotype asiatique (2).
Lien entre évolution virale et efficacité de la transmission
L’analyse des séquences des souches virales ayant circulé dans
les îles de l’OI sur une période de 2 ans a montré une grande
stabilité des génomes viraux, probablement en lien avec la
nécessité pour le virus de se multiplier à la fois chez le vec-
teur et l’homme. Cependant, le suivi virologique des patients
réunionnais a permis de mettre en évidence la sélection d’une
mutation A226V dans la protéine d’enveloppe E1 au cours
de l’épidémie (3). Des infections expérimentales conduites
chez des moustiques issus de larves collectées début 2006 en
différents sites de la Réunion ont montré que l’infectivité des
souches V226 était très nettement supérieure à celle observée
pour les souches A226 de début d’épidémie (> 80 % de femel-
les infectées contre 20 à 40 %), suggérant que l’évolution du
virus avait pu contribuer à l’adaptation du virus au moustique
vecteur réunionnais, Aedes albopictus et expliquer en partie
l’ampleur de la transmission (A.-B. FAILLOUX, communi-
cation personnelle). L’analyse des séquences indiennes n’a
pas montré d’évolution similaire, cependant aucune étude
séquentielle n’a été conduite.
Résumés.
Bull Soc Pathol Exot, 2007, 100, 5, 315-369 319
Rôle du virus dans les manifestations cliniques de l’infec-
tion
À coté des syndromes arthralgiques fébriles classiques, la
surveillance des cas hospitaliers a permis de documenter des
formes cliniques plus sévères : méningo-encéphalites, hépa-
tites, myocardites, péricardites (1). La responsabilité du virus
dans la survenue de ces manifestations n’est pas clairement
établie et doit être précisée par des études de recherche clini-
que et sur modèle animal. Ces formes nouvelles pourraient
trouver leur origine dans une modification du virus ou cor-
respondre à des complications passées inaperçues au cours des
épidémies africaines et indiennes antérieures. La comparaison
des génomes viraux n’a pour le moment pas permis la mise
en évidence d’une signature moléculaire associée aux formes
sévères de la maladie. Confirmant les notions acquises au
cours d’épidémies antérieures, les manifestations arthralgi-
ques sont apparues très invalidantes et prolongées dans de
nombreux cas (4), cédant difficilement au traitement. Il est
nécessaire de savoir si elles résultent d’une action directe du
virus ou de mécanismes indirects de type inflammatoire pour
proposer à l’avenir des traitements adaptés.
Nouvelles voies de transmission du virus
L’épidémie de la Réunion a mis en exergue la possibilité d’une
transmission non vectorielle du virus Chikungunya. La trans-
mission materno-fœtale est connue de longue date pour cer-
tains alphavirus comme les virus de l’encéphalite équine de
l’Ouest ou Ross River. L’étude de 761 cas d’infections surve-
nus chez des femmes enceintes a montré que si la transmission
ante-partum a été très rare (3 avortements spontanés précoces),
la transmission en per-partum a été beaucoup plus fréquente
(19 infections néonatales sur 52 infections maternelles), con-
duisant à des formes néonatales sévères chez 40 % des enfants
(convulsions, encéphalopathies, syndromes hémorragiques)
(1). D’autre part, la surveillance de 85 donneurs d’organes
réunionnais entre mai 2005 et décembre 2006 a révélé l’exis-
tence d’un risque de transmission du CHIKV par les greffes de
cornées. Le génome viral a été mis en évidence dans la marge
scléreuse des cornées de 3 donneurs sans signes cliniques, et
dont l’un ne présentait pas de virémie détectable. Ces résultats
indiquent que le CHIKV peut être présent dans certains tissus
chez des sujets ne présentant ni signes cliniques ni virémie
décelable. Les recherches doivent maintenant préciser la dif-
fusion du virus chez les sujets infectés, afin d’évaluer le risque
de transmission et de proposer des mesures de prévention.
Persistance du virus
Sachant qu’aucun réservoir animal n’a été identifié, quel peut-
être le devenir du virus en phase inter-épidémique dans les
îles de l’OI ? La possibilité d’une transmission verticale du
CHIKV chez les Aedes laisse penser que cette transmission
pourrait avoir un rôle dans la persistance du virus dans un
territoire. Des études sont en cours pour identifier d’éventuels
réservoirs animaux.
Nouveaux foyers d’émergence
L’extension depuis 20 ans de la distribution mondiale d’Aedes
albopictus pouvait faire craindre l’émergence et la propagation
épidémique du virus CHIKV aux USA et dans certains pays
Européens. C’est chose faite puisqu’une épidémie de Chikun-
gunya est en cours en Italie, faisant suite à l’introduction du
virus en juin 2007 via un voyageur virémique de nationalité
indienne. Plus de 250 cas suspects ont été déclarés à ce jour
dans la région de Ravenne. La présence d’Aedes albopictus
dans 11 autres pays d’Europe peut faire craindre une exten-
sion de l’épidémie et soulève la question de la persistance au
cours de l’hiver du virus et de son éventuel résurgence au
cours de l’été 2008.
Conclusion
Après le virus West-Nile aux États-Unis, CHIKV consti-
tue un nouveau paradigme de la menace que constituent les
arboviroses. En l’absence de modèle prédictif de la survenue
de telles épidémies, cliniciens et virologues doivent être en
mesure de détecter le plus précocement possible ces infections
émergentes à fort potentiel épidémique. En complément, le
renforcement des capacités de surveillance entomologique et
de lutte anti-vectorielle est indispensable pour garantir l’effi-
cacité des systèmes de veille. Plus en amont, des programmes
de recherche académique ont été mis en place pour mieux
appréhender la physiopathologie de la maladie et développer
des stratégies antivirales et/ou vaccinales.
Références bibliographiques
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Chikungunya, an epidemic arbovirosis. Lancet Infect Dis, 2007, 7,
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2. POWERS AM & LOGUE CH Changing patterns of chikungunya
virus: re-emergence of a zoonotic arbovirus. J Gen Virol, 2007, 88,
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microevolution of chikungunya viruses causing the Indian Ocean
outbreak. Plos Medecine, 2006, 3, 1058-1070.
4. SIMON F, PAROLA P, GRANDADAM M et al. Chikungunya infec-
tion: an emerging rheumatism among travelers returned from
Indian Ocean islands. Report of 47 cases. Medicine, 2007, 86, 123-
137.
Les questions de recherche fondamentale posées
par l’épidémie.
X. de Lamballerie
Hôpital de la Timone, Fédération de bactériologie hygiène virologie, Marseille, France.
Résumé non parvenu
Les questions de recherche clinique, entomologi-
que et sociologique posées par l’épidémie.
A. Flahault
UMR-S707, Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), Paris,
France.
La mondialisation, la pression démographique, l’accrois-
sement irréversible de la mobilité, des échanges commer-
ciaux, de l’urbanisation, de la déforestation, les changements
climatiques, l’érosion de la biodiversité, les conditions de vie
extrêmes (pauvreté, famine, guerre) sont autant de facteurs
qui favorisent l’éclosion d’épidémies de maladies infectieu-
ses émergentes ou ré-émergentes, tout particulièrement les
zoonoses. Les conséquences s’avèrent souvent imprévisibles
et dévastatrices, sur les plans humain d’abord, mais aussi
économique, politique et social. Ces épidémies peuvent en
effet déstabiliser en l’espace de quelques mois les économies
et le tissu industriel, commercial ou touristique de nations
qui n’y sont pas préparées. Parallèlement à la dengue et à sa
forme hémorragique qui progressent de manière inexorable
dans les zones intertropicales, émerge une autre arbovirose,
le chikungunya, dont le déferlement récent sur l’ensemble des
îles de l’océan Indien (entre 30 et 75 % de la population des
îles atteintes en 2005 et 2006) gagne le continent indien avec
plusieurs centaines de milliers, voire de millions de person-
nes atteintes. Ces personnes connaissent des séquelles inva-
lidantes, des arrêts de travail prolongés et des complications
parfois graves et l’excès de mortalité récemment reconnues à
la Réunion. Si aucune nation n’est à l’abri de tels événements,
les conséquences de l’émergence d’une épidémie infectieuse
sont éthiquement d’autant plus inacceptables qu’elles frap-
pent souvent les pays les plus pauvres du globe. Les virus,
les bactéries, la faune sauvage et les moustiques vecteurs ne
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