Conférences données de novembre à décembre 2013 par Jacques Laugery, ancien maître de conférences de l’Université d’Angers
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notoirement simoniaques. Mais la libération de l’Eglise de l’emprise des laïques,
condition première de la réforme, devait commencer par la tête, c’est-à-dire par la fin
de la tutelle impériale sur l’élection pontificale. Ce fut chose faite dès 1059, cinq ans
après que l’Eglise de Rome se fut officiellement séparée de celle d’Orient. Le Pape
devenait désormais un homme librement choisi par les seuls cardinaux et donc à
même de promouvoir de sa propre autorité cette séparation fondamentale et jugée
indispensable entre le monde des clercs et celui des laïques, entre le bon grain et
l’ivraie, la vertu et le péché.
Le projet pontifical s’était beaucoup nourri du monachisme et notamment de
l’exemple clunisien. L’abbaye bénédictine fondée au début du Xème siècle, aux
confins des royaumes et loin des sièges de l’autorité épiscopale, s’était placée sous
l’autorité directe et immédiate du souverain pontife, exempte donc de la tutelle
séculière. Son isolement politique et son rattachement direct au successeur de Saint-
Pierre lui avaient valu d’être protégée des pressions du siècle et d’avoir conservé une
pureté de vie monastique. Son exemplarité en avait fait un foyer de réforme
monastique (sous l’abbé Maieul notamment) dont l’influence avait atteint la vallée de
la Loire (Fleury, St-Florent de Saumur…) et souvent pris le nom de « pré-réforme ».
Sans être donc réellement un précurseur, Grégoire VII qui donnera son nom à la
réforme sera l’architecte d’une transformation profonde et durable de l’Eglise. Celle-
ci se poursuivra bien après sa mort en 1085, puisque son aboutissement sera l’œuvre
du IVème concile de Latran en 1215 et le triomphe de ce que l’on a appelé la
« Théocratie pontificale » sous la papauté d’Innocent III (1198-1216).
La première conséquence de la réforme grégorienne fut d’introduire dans l’occident
chrétien une notion toute nouvelle de « bicéphalie » de la chrétienté. Jusque là le
peuple, sujet et chrétien, n’avait eu qu’un seul chef : l’Empereur, garant de l’unité et
de l’intégrité territoriale ainsi que de l’orthodoxie chrétienne de l’Occident. Le Pape
était, en tant qu’évêque de Rome et successeur de Saint-Pierre, une autorité morale
inégalée pour le clergé, mais le chef de la chrétienté était unique : c’était l’Empereur.
La réforme créait deux pouvoirs en séparant ses prérogatives : le pouvoir sur les
hommes et le pouvoir sur les âmes, le temporel et le spirituel, la potestas et l’autoritas,
le domaine de l’Empereur et celui du Pape.
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