CARDIOLOGIE SYNDROME DU QT LONG CONGÉNITAL Des symptômes qui apparaissent à l’adolescence Le syndrome du QT long congénital (SQTL) se définit par un allongement de l’intervalle QT sur l’électrocardiogramme (ECG) (Fig. 1), associé à un risque éle- Dr Linda Aïssou CHU Avicenne, Bobigny vé de troubles du rythme ventriculaire graves. INTRODUCTION La survenue de torsades de pointes (TDP), pouvant se dégrader en fibrillation ventriculaire, peut être à l’origine de syncopes voire de mort subite (Fig. 2). Dans une précédente étude, il a été mis en évidence des mutations génétiques impliquées dans le SQTL chez approximativement 10 % des nourrissons victimes de morts subites (1). Il a aussi été démontré que plus d’un quart des décès subits inexpliqués pourraient être en lien avec des mutations génétiques responsables de canalopathies incluant le SQTL (2, 3). Le SQTL est l’une des canalopathies de transmission génétique, pourvoyeuse d’arythmies potentiellement létales, les plus fréquentes. Les formes acquises se distinguent des formes congénitales par l’apparition d’un allongement du QTc uniquement sous l’effet de certains médicaments ou de perturbations hydro-électrolytiques (hypokaliémie, hypocalcémie…). ÉPIDÉMIOLOGIE La prévalence du SQTL varie entre 1/2 000 et 1/5 000 individus (4, 5). Le SQTL touche essentiellement les sujets jeunes avec une prépondérance féminine. Une étude antérieure a démontré que 50 % des patients atteints de SQTL feront un premier évènement cardiaque avant 12 ans (6). PHYSIOPATHOLOGIE ET GÉNÉTIQUE La dépolarisation myocardique est le Figure 1 – L’intervalle QT. Figure 2 – Torsades de pointes. résultat de la somme des dépolarisations à l’échelle cellulaire qui dépendent en majeure partie du courant sodique entrant dans les cellules. La repolarisation a pour mécanisme principal un courant potassique sortant (Fig. 3). Les mutations génétiques impliquées dans le SQTL engendrent un dysfonctionnement des canaux ioniques transmembranaires des cellules myocardiques, qui se traduit par une perte ou un gain de fonction de ces canaux ioniques. Le plus souvent, il en résulte un excès de courant sodique entrant ou un défaut de courant potassique sortant. En conséquence, la durée de la dépolarisation ou de la repolarisation ventriculaire, Figure 3 – Le potentiel d’action cardiaque et ses différents courants ioniques. ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 1019 CARDIOLOGIE représentée sur l’ECG par l’intervalle QTc, s’allonge. Cette durée varie d’une couche myocardique à l’autre, on parle de dispersion transmurale. Cette hétérogénéité de repolarisation fera le lit des troubles du rythme ventriculaire dans certaines conditions. Il est recensé plusieurs sous-types de SQTL qui se distinguent les uns des autres par le type de gène muté. À ce jour, plusieurs centaines de mutations ont été décrites sur 16 gènes différents (7). Le mode de transmission le plus fréquent est autosomique dominant (syndrome de Romano-Ward). La forme récessive, plus rare, est l’une des formes les plus sévères du SQTL, elle s’associe à une surdité congénitale neuro-sensorielle bilatérale (syndrome de Jervell et Lange-Nielssen). Parmi les mutations retrouvées chez les patients atteints de SQTL, 90 % concernent les gènes KCNQ1 (LQT1), KCNH2 (LQT2) et SCN5A (LQT3) (8). Une mutation génétique est décelée chez 70 à 75 % des cas de SQTL, dont le score diagnostique de Schwartz est ≥ 4 (9). Dans approximativement 20 à 25 % des cas, aucune mutation n’est retrouvée sur les gènes actuellement étudiés dans le SQTL. CRITÈRES CLINIQUES Les symptômes se manifestent généralement entre la préadolescence et la phase adulte. La survenue de torsades de pointes pouvant se dégrader en fibrillation ventriculaire peut être à l’origine de syncopes, voire de mort subite (1 à 3 %) (10). Ces pertes de connaissances surviennent dans un contexte d’effort physique, d’émotion, de stress ou de repos. Lorsque les syncopes se prolongent, elles peuvent s’accompagner de convulsions qui peuvent être attribuées à un diagnostic erroné de comitialité. Dans d’autres cas, il n’est pas rare que les patients reçoivent à tort, un diagnostic de malaise vagal, ce qui bien souvent entraîne un retard de prise en charge. Le QT corrigé par la fréquence cardiaque (QTc) est classiquement 20 Figure 4 - Morphotypes de l’onde T dans le SQTL. mesuré dans les dérivations D2 et V5 selon la formule de Bazett (QT/√RR). Il est considéré comme allongé lorsqu’il est supérieur à 440 msec chez l’homme et 460 msec chez la femme. D’après les dernières recommandations européennes, un QTc ≥ 480 msec est retenu pour le diagnostic de SQTL (11). L’identification du phénotype est rendue complexe par la variabilité intra-individuelle de la longueur du QTc dans le temps. Il est donc nécessaire de répéter les ECG chez les patients chez qui il est suspecté un SQTL. Dans le SQTL1, l’onde T est monophasique avec une base élargie. Dans le SQTL2, l’onde T est de faible amplitude. Dans le SQTL3, l’intervalle QTc est très allongé avec une onde T tardive et de grande amplitude (Fig. 4). La morphologie de l’onde T doit aussi être analysée, il a été décrit un possible crochetage de l’onde T (12), voire une alternance des ondes T (13) (Fig. 5). Il n’est pas rare de retrouver une bradycardie sinusale, en particulier chez les enfants, ou un bloc auriculo-ventriculaire associé notamment chez les nouveau-nés atteints de SQTL. Les circonstances de survenue d’évènements cardiaques varient d’une forme à l’autre de SQTL. Dans le SQTL1, le mode de déclenchement est dominé par l’effort physique (typiquement responsable de noyade durant la natation) ou le stress émotionnel (14). Dans le SQTL2, les troubles du rythme peuvent survenir lors d’une stimulation auditive (sonnerie de téléphone, bruit du réveil…), à l’émotion, ou lors d’un réveil nocturne (15). Dans le SQTL3, les symptômes surviennent la nuit ou au repos (14). Figure 5 – En haut, alternance de l’onde T chez un enfant de 2 ans porteur d’un SQTL et ayant présenté plusieurs ACR. En bas, encoches sur l’onde T (12, 13). La probabilité pré-test d’avoir un SQTL chez un individu tout venant est de 1/2 000, et peut aller jusqu’à 50 % si un apparenté du premier degré a été diagnostiqué comme génétiquement atteint. L’analyse de l’ECG seule ne permet pas de poser le diagnostic de SQTL. L’intervalle QTc dépend de l’âge et du sexe. Il existe, par ailleurs, une grande variabilité interindividuelle, avec une dispersion de la durée de l’intervalle QTc d’un individu à un autre. Les courbes de distribution d’intervalle QTc entre les sujets sains et les sujets atteints se chevauchent (16). L’évaluation d’un patient suspect de SQTL débute par l’analyse des antécédents personnels, et familiaux (avec enquête généalogique). Il est important de détailler les conditions précises des pertes de connaissance, de rechercher une mort subite inexpliquée dans la famille. Ces éléments permettent d’apprécier la probabilité de SQTL devant ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 10 Syndrome du QT long congénital Tableau 1 – Score de Schwartz (17). Points Critères ECG QTc ≥ 480 ms 3 460 –479 ms 2 La stimulation cardiaque peut-être 450 –459 ms 1 indiquée dans le SQTL2 en cas de bradycardie ou de troubles conductifs associés. Il est par ailleurs conseillé de changer de sonnerie de réveil, de téléphone… La mise en place d’un défibrillateur automatique implantable est recommandée en cas de persistance de syncopes ou d’arythmies graves sous traitement bêtabloquant maximal, ou en cas d’épisode d’ACR récupéré. Il peut être discuté chez les patients atteints du syndrome de Jervell et Lange-Nielssen, chez les hommes porteurs d’un SQTL3, ou lorsque le QTc est supérieur à 500 msec. QTc à la 4e minute de phase de récupération d’un test d’effort ≥ 480 ms 1 Torsades de pointes 2 Alternance de l’onde T 1 Crochetage de l’onde T dans 3 dérivations 1 Bradycardie 0,5 Antécédents cliniques Syncope des bêtabloquants est clairement établie dans les SQTL 1 et 2 (14, 27, 28). Elle reste relativement incertaine dans le SQTL3. Contexte de stress 2 Sans stress 1 Surdité congénitale 0,5 Antécédents familiaux Apparenté porteur de SQTL 1 Mort subite inexpliquée chez un apparenté de moins de 30 ans un ECG retrouvant un allongement de l’intervalle QT. Plus la valeur seuil du QTc définissant le diagnostic du SQTL est élevée et plus on perd en sensibilité pour gagner en spécificité. Alors qu’un QTc de 440 msec chez un parent de premier degré d’un patient atteint de SQTL est en rapport avec un risque de SQTL de 50 %, ce risque est < à 0,1 % chez un sujet asymptomatique sans antécédent familial. Le score de Schwartz tient compte de ces données pour classer en probabilité faible (≤ 1 point), intermédiaire (1,5 à 3 points) et forte (≥ 3,5 points) la suspicion de SQTL (Tab. 1) (17). Une fois la probabilité pré-test établie, il convient de réaliser d’autres investigations supplémentaires comme le Holter ECG, afin de rechercher un allongement ou des anomalies morphologiques de l’onde T. Le test d’effort peut parfois déclencher des arythmies ventriculaires (SQTL1). L’étude de l’intervalle QTc durant la phase de récupération est aussi un critère diagnostique de SQTL (18, 19). Enfin, le gold standard reste le test génétique. Cette analyse nécessite un délai de 3 mois et n’est réalisable que dans certains laboratoires spécialisés. Il faut savoir que le SQTL est de pénétrance incomplète et d’expression variable. On 0,5 peut observer des phénotypes différents chez les membres d’une même famille portant la même mutation. Certains médicaments allongeant le QT sont formellement contre-indiqués chez les patients atteints de SQTL (quinidine, amiodarone, sotalol…)1. FACTEURS DE RISQUE D’autres mesures sont à appliquer, notamment en cas de survenue de troubles rythmiques. Il s’agit d’abord de corriger l’hypokaliémie, et d’apporter une supplémentation en magnésium. L’isuprel, voire la sonde d’entraînement électrosystolique externe doivent être utilisés en cas de torsades de pointes récidivantes. Le risque d’évènements cardiaques est plus important chez ceux qui ont survécu à un ACR, qui ont présenté une TDP spontanée ou une syncope (2022). Les formes récessives sont aussi à risque élevé. La survenue d’un premier évènement cardiaque chez les patients de moins de 40 ans vierges de traitement est plus importante dans le SQTL2 ou 3. Le risque d’arythmie augmente lorsque le QTc est ≥ à 500 ms, et chez les hommes porteurs d’un SQTL3 (23). Il est décrit comme élevé chez les femmes en postpartum, notamment dans le SQTL2 (24). TRAITEMENTS Le traitement par bêtabloquant est le traitement de première intention. Il permet de diminuer les évènements cardiaques de 0,97 à 0,31 par patient et par an (25). Le nadolol est recommandé à la dose de 1 mg/kg en 2 prises. Le propranolol peut aussi être utilisé à la dose de 2 à 4 mg/kg/j (26). L’efficacité Il est indispensable d’organiser un bilan familial, puisque potentiellement 50 % des apparentés peuvent être génétiquement atteints. Ce bilan doit être fait dans le cadre d’une consultation spécialisée multidisciplinaire (cardiologue, généticien, psychologue), où seront réalisés ECG, Holter ECG et tests génétiques. Il sera remis aux apparentés porteurs de la mutation la liste des médicaments à proscrire. Enfin, le sport en compétition est proscrit en dehors de la catégorie IA de 1. La liste de ces produits est consultable sur www. qtdrugs.org ou www.cardiogen.aphp.fr. ADOLESCENCE & Médecine • Décembre 2015 • numéro 1021 CARDIOLOGIE la classification des sports (Bethesda). CONCLUSION Le SQTL est une pathologie potentiellement mortelle dont les avancées scientifiques de ces deux dernières décennies ont permis une meilleure compréhension de la physiopathologie. Le diagnostic est souvent retardé par une labilité dans le temps de la durée de l’intervalle QT, ou posé par excès sur des intervalles QT « borderline ». Le test d’effort peut alors apporter des arguments supplémentaires en faveur ou non du diagnostic de SQTL. En cas d’anomalie confirmée, le patient pourra être évalué par un cardiologue dans un centre de référence. Les avancées génétiques précisant les différents mécanismes de mutations permettent de définir les personnes les plus à risque. Actuellement, l’arsenal thérapeutique reste limité, et parfois lourd lorsqu’il s’agit de mise en place d’un défibrillateur chez des sujets jeunes. À l’avenir, les progrès génétiques orienteront probablement des thérapeutiques plus ciblées. ✖✖L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts. MOTS-CLÉS Syndrome du QT long congénital, SQTL, Intervalle QT, Bêtabloquants BIBLIOGRAPHIE 1. Arnestad M, Crotti L, Rognum TO et al. Prevalence of long-QT syndrome arrhythmias. 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