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autour de milieux, de réseaux, d’institutions de production ou de légitimation du savoir, telles
les Universités ou les Sociétés savantes.
Avec ces institutions on avoisine la frontière avec une deuxième forme d’orthodoxie, que
j’appellerai orthodoxie imposée ou officielle. Elle résulte de l’existence à l’intérieur de
l’espace savant d’institutions de régulation intellectuelle qui disposent d’un capital
symbolique suffisant, voire d’un pouvoir de coercition, permettant d’imposer, ou de tenter
d’imposer à l’ensemble des acteurs une conception particulière de l’opinion droite. Les
membres de l’institution, ou les experts à son service, profitent de la place occupée en son
sein pour décider en leur faveur la lutte entre opinions différentes. Si le caractère officiel de
l’orthodoxie imposée repose sur le pouvoir symbolique reconnu à l’institution, et qu’elle est
donc présentée comme un discours absolu, elle n’existe, en réalité, qu’en relation avec
l’orthodoxie partagée car, une fois formulée, la première est soumise à un processus de
réception et d’assimilation par la seconde qui dépend de la dynamique de l’espace intellectuel.
À chaque production d’orthodoxie officielle, les acteurs vont devoir se situer par rapport à
celle-ci, soit pour la légitimer, soit pour l’évacuer, en la réinterprétant dans un sens conforme
à leur propre opinion, s’ils appartiennent au camp opposé.
L’espace intellectuel italien au début du 17e siècle, et plus précisément le champ
disciplinaire de la philosophie naturelle, se caractérise par la présence de deux courants
prédominants : l’aristotélisme séculier solidement enraciné dans les Facultés des arts des
Universités et l’aristotélisme christianisé enseigné dans les studia des Ordres mendiants, ainsi
que dans les nouveaux centres d’enseignement des ordres religieux mis en places au 16e
siècle, parmi lesquels figurent au premier plan les collèges jésuites4. Dans ce contexte, on peut
mettre en évidence trois formes d’orthodoxie partagée. La première est celle du paradigme
scientifique : pour être considéré comme spécialiste du savoir philosophique, il faut maîtriser
la dialectique, l’art du raisonnement scientifique, et l’appliquer à un corpus de textes étendu,
réunissant les œuvres d’Aristote et de ses commentateurs. Cette approche a été enrichie par
les apports de l’humanisme et notamment par un mouvement d’édition des textes dans leur
langue originale. Si l’orthodoxie de la méthode scientifique est commune aux acteurs
séculiers et religieux, il existe une deuxième forme d’orthodoxie partagée, celle de la
corrélation disciplinaire, qui est spécifique des théologiens et qui consiste dans la différente
conception des rapports entre philosophie et théologie propre aux différentes écoles (thomiste,
scotiste, etc.).
4 je résume ici les acquis de FB Historia phil.