INTRODUCTION Les auto-anticorps anti-nucléaires (AAN) apparaissent au cours d’un grand nombre de pathologies auto-immunes. Ils sont dirigés contre des structures très variées présentes dans le noyau : ADN, ribonucléoprotéines, protéines... L’apparition de ces auto-anticorps signe un dérèglement du système immunitaire, supposant une rupture de la tolérance aux antigènes du "soi". Exceptionnellement pathogènes par eux-mêmes (certains anticorps anti-ADN sont impliqués dans la genèse de la glomérulonéphrite lupique), ils constituent des stigmates d’auto-immunisation et sont de bons marqueurs biologiques, utiles pour le diagnostic et le suivi des patients. Parmi les maladies de système, on reconnaît divers cadres nosologiques : lupus érythémateux aigu disséminé (LED), polyarthrite rhumatoïde (PR), syndrome de Gougerot-Sjögren (SGS), syndrome des anticorps antiphospholipides, sclérodermie systémique, connectivite mixte (CM), dermato-polymyosite… La définition de ces entités est fondée à la fois sur des critères cliniques et biologiques. Parmi ces derniers, certaines catégories d’AAN tiennent une part importante, permettant d’orienter le diagnostic et parfois de l’affirmer. I - QUELLES SONT LES INDICATIONS DE LA RECHERCHE DES ANTICORPS ANTI-NUCLEAIRES ? Les AAN peuvent être mis en évidence dans 3 types de situations : -les grandes maladies auto-immunes déjà citées : la découverte d’AAN constitue alors un argument diagnostique. -les pathologies autres que les maladies systémiques : cancers, leucémies aiguës, hépatopathies, insuffisances rénales, infections diverses (notamment à parvovirus B19 ou à EBV). -les sujets apparemment sains, quel que soit leur âge (la proportion de sérums positifs n’augmente pas notablement jusqu’à 60 ans). Chez la femme enceinte, un résultat positif de la recherche d’AAN peut aussi être observé en l’absence de maladie auto-immune. Le diagnostic Dès que le clinicien soupçonne l'existence d'une maladie auto-immune, cet examen devient légitime. C'est néanmoins l'identification des antigènes reconnus par l’AAN qui lui apportera le plus d'informations. Celles-ci ne seront interprétables qu'une fois réinsérées dans le contexte clinique et radiologique qui aura justifié l'examen : lupus, syndrome de Gougerot-Sjögren, polyarthrite rhumatoïde, dermato-polymyosite, connectivite mixte… La recherche des AAN peut avoir, au contraire, pour objet d'éliminer une maladie auto-immune (et non plus d'en confirmer la réalité). En l'occurrence, le praticien relève des symptômes susceptibles d'apparaître à l'occasion d'une maladie auto-immune, mais également d'accompagner le cours d'une affection inflammatoire mais non auto-immune (le dilemme entre polyarthrite rhumatoïde débutante et pelvispondylite rhumatismale avec atteintes périphériques illustre ce type de situation). S'il n'y a pas d'AAN, il semble déraisonnable de retenir le diagnostic de maladie auto-immune, bien que cette situation s'observe dans environ 5 % des cas de lupus. Le pronostic et l’évolution sous traitement Il est parfois utile de répéter les dosages d'AAN, que ceux-ci aient été dépistés ou non dès le premier examen. Le meilleur exemple est celui du lupus induit par un médicament, où l'amélioration parallèle des symptômes cliniques et des anomalies biologiques à l’arrêt du traitement permet d'imputer la maladie au médicament. Dans le cas du suivi d’un syndrome de Raynaud, la mise en évidence d’AAN pourra permettre la détection de la forme CREST d’une sclérodermie systémique (qui associe Calcinose sous-cutanée, syndrome de Raynaud, dysfonctionnement de l’oEsophage, Sclérodactylie et Télangiectasies). Remarque : Certaines catégories d’AAN ont aussi un intérêt particulier dans ce cadre. -La présence d’Ac anti-histones évoque fortement un lupus induit, de moindre gravité qu’un LED. -La présence d’Ac anti-Jo1 au cours d’une polymyosite suggère une atteinte pulmonaire interstitielle et fait redouter une corticorésistance (50% des cas). -L’existence d’Ac anti-Ro (ou SSa) chez une femme enceinte doit faire rechercher un BAV congénital chez le fœtus entre 16 et 20 semaines de grossesse. -La présence d’Ac anti-centromères est en faveur d’un CREST syndrome, de meilleur pronostic que la sclérodermie systémique (où les atteintes rénales sont plus fréquentes). -Dans le LED, un titre initial élevé d’Ac anti-ADN natif traduit l’évolutivité du lupus (et non sa gravité). Au cours du traitement, la chute puis la négativité des Ac anti-ADN natif traduisent l’efficacité du traitement et la rémission de la maladie. Au contraire, une réascension des Ac incitera à une surveillance clinique rapprochée car elle peut précéder une rechute. Le classement d'un état pathologique La présence des AAN et leur type figurent parmi les critères utilisés pour classer lupus et syndrome de Gougerot-Sjögren. A l'inverse, leur absence constitue l'un des critères exigés pour poser le diagnostic de la maladie de Still de l'adulte. Aussi, la recherche d'AAN est-elle indispensable à qui veut s'assurer que son patient répond bien aux critères de classification de la maladie qu'il se propose d'étudier, par exemple dans le cadre d'un protocole de recherche clinique. Les indications de l'examen Sur le plan pratique, ce sont la recherche de la cause d'un symptôme isolé et l'étude étiologique d'un syndrome constitué qui justifient les demandes de dépistage d'AAN. L'extrême variété des situations auxquelles le clinicien est confronté nous amène à passer en revue différents organes. Chacun d'entre eux peut présenter des manifestations particulières. Toute situation orientant vers une maladie auto-immune invite de ce fait à vérifier s'il existe des AAN. -La peau : Les manifestations dermatologiques font partie des signaux principaux de nombreuses maladies auto-immunes : l’éruption malaire en aile de papillon du lupus, les lésions cutanées de lupus discoïde et la photosensibilité sont des signes classiques, au point qu'ils constituent 3 des 11 critères de classification du lupus. Une alopécie peut aussi apparaître sur ce terrain. Une sclérodactylie, des télangiectasies, et une sclérodermie proximale peuvent inaugurer l'évolution d'une sclérodermie systémique. Les doigts boudinés évoquent une connectivite mixte. -Les muqueuses : Des ulcérations buccales sont possibles au cours du lupus. Une hypertrophie des parotides et un syndrome sec subjectif ou objectif peuvent dénoncer un syndrome de Gougerot-Sjögren, qu'il soit primitif ou secondaire. -Les articulations : Polyarthralgies ou arthrites alertent le patient dans la grande majorité des maladies systémiques et plus particulièrement le lupus, le syndrome de Gougerot-Sjögren et la polyarthrite rhumatoïde. -Les reins : Protéinurie et présence de cylindres urinaires peuvent également permettre la découverte d'un lupus. -Le système cardio-vasculaire : La péricardite est classique au cours du lupus. Le syndrome de Raynaud fait partie des manifestations habituelles du lupus, du SGS, de la dermato-polymyosite, de la PR et de la sclérodermie. Phlébites et thromboses font partie du tableau du syndrome des antiphospholipides. La présence d’Ac anti-phospholipides impose la recherche d'un lupus auquel ils peuvent être associés. -Le système respiratoire : Pleurésie ou fibrose pulmonaire peuvent être observées dans de nombreuses maladies systémiques et tout particulièrement dans le lupus et la sclérodermie systémique. -Les nerfs et les muscles : Des convulsions, voire une psychose, peuvent traduire l'existence d'un lupus. Une faiblesse ou des douleurs musculaires font partie du tableau caricatural de la dermato-polymyosite. -Le système digestif : Une hépatopathie ou une splénomégalie peuvent augurer d'une maladie auto-immune, quelle qu'elle soit. -Les signes obstétricaux : La présence d’Ac antiphospholipides, associée ou non à un lupus, peut induire des fausses couches à répétition. -Le sang: De nombreuses manifestations hématologiques (leucopénie, lymphopénie, thrombopénie, anémie inflammatoire ou hémolytique, augmentation du temps de céphaline activée (TCA), cryoglobulinémie) doivent faire évoquer le diagnostic de lupus et faire rechercher la présence d'AAN. II - COMMENT METTRE EN EVIDENCE LES ANTICORPS ANTINUCLEAIRES ? Le plus fréquemment, les AAN se recherchent par technique d’immunofluorescence indirecte sur cellules diploïdes humaines (Hep-2). Cet examen de « screening » permet de connaître le titre et le type de fluorescence observés. L’interprétation du titre doit tenir compte de l’âge et du sexe du patient (valeurs de référence du laboratoire pour l’adulte < 1/20). La présence d’AAN à taux faibles est physiologique et ce taux physiologique s’accroît avec l’âge. Si le titre est nettement supérieur à la normale de l’âge, un terrain autoimmun est probable. L’analyse de l’image de fluorescence nucléaire oriente la démarche diagnostique et permet de poursuivre de façon ciblée les examens immunologiques afin d’identifier la spécificité de l’anticorps. Plusieurs aspects de fluorescence nucléaire peuvent être observés : global (homogène, périphérique ou translucide), moucheté, nucléolaire... Certains aspects peuvent orienter d’emblée vers une sous-population particulière d’AAN (anticorps anti-centromères…) mais, le plus souvent, d’autres techniques devront être mises en œuvre selon une démarche schématisée dans le tableau ci-dessous. Remarque : la Nomenclature des Actes de Biologie Médicale prévoit dans le cas d’une recherche d’AAN positive, la possibilité de rechercher des anticorps antiADN natif à l’initiative du biologiste. III - DEMARCHE DIAGNOSTIQUE DEVANT LE PRESENCE D'AC ANTINUCLEAIRES Voit tableau CONCLUSION La détection et la caractérisation des Ac anti-nucléaires constituent donc une étape déterminante devant toute manifestation évoquant une maladie systémique. Les tests disponibles pour la recherche des auto-Ac sont aujourd’hui assez standardisés ; mais le nombre d’Ac anti-nucléaires et la diversité de leur mise en évidence font qu’il n’est pas techniquement et économiquement envisageable de les dépister et de les identifier systématiquement en routine. Il faut donc concevoir une stratégie et une hiérarchie des examens à pratiquer. Jean-Pierre BOUILLOUX et Sylvie HAMON Prochain sujet : PSA et pathologies prostatiques Remarque : ce « QDND ? », c’est inspiré en partie de l’article de P. YOUINOU, A. SARRAUX et P. LEGOFF, « Les anticorps anti-nucléaires » , paru dans « LE CAHIER DE FORMATION DE BIOLOGIE MEDICALE » N°13, février 1999. Pas de parution du « QDND ? » en Juillet et en Août