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COUP D’ŒIL
Médecine
& enfance
EXAMEN
Karima, six semaines, est amenée en consultation par sa maman pour une éruption cutanée évoluant depuis
plusieurs semaines. L’atteinte cutanée a débuté à trois jours de vie par deux lésions annulaires érythéma-
tosquameuses au niveau du cou. Ces lésions se sont progressivement étendues à l’ensemble du visage, du
tronc et du dos (photo ci-contre). Elles sont stables depuis quelques jours, en taille et en nombre. Le reste de
l’examen est sans particularité avec une bonne croissance staturopondérale.
Karima est la deuxième enfant d’un couple algérien non consanguin. Elle est née à trente-neuf semaines
d’aménorrhée, eutrophe, au terme d’une grossesse compliquée, comme pour l’aîné, d’une anémie inflammatoire non étiquetée. La maman rapporte qu’elle-même, en début de grossesse, et son fils aîné à l’âge de
quatre mois ont développé une éruption similaire, spontanément résolutive.
Quel est votre diagnostic ?
Voir le diagnostic page suivante ➝
C. Guillaumat, service de pédiatrie,
centre hospitalier Sud francilien, Evry
S. Eleni Dit Trolli, service de néonatologie,
centre hospitalier Sud Francilien, Evry
Rubrique dirigée par A. Mosca
[email protected]
février 2012
page 73
Médecine
& enfance
DIAGNOSTIC
Il s’agit d’un lupus érythémateux néonatal. C’est une affection rare, touchant
environ 1 enfant pour 15 000 naissances, avec une légère prédominance
féminine. Elle est liée à la transmission
maternofœtale d’anticorps maternels
anti-SSA et/ou anti-SSB, ou plus rarement anti-U1-RNP.
Le diagnostic est confirmé par la présence d’auto-anticorps chez la mère
et/ou chez l’enfant.
Les manifestations cliniques sont le plus
souvent cutanées et cardiaques, plus rarement hématologiques, hépatiques,
neurologiques ou pulmonaires.
L’atteinte cutanée se présente généralement comme un érythème polymorphe
fait de lésions annulaires érythémateuses et squameuses, atteignant la face,
le cuir chevelu et le tronc, plus rarement
les extrémités. Ces lésions ressemblent à
celles observées dans le lupus systémique, d’où le nom donné à ce syndrome. Dans un tiers des cas, l’atteinte cutanée est isolée, et dans un cas sur deux elle fait découvrir une pathologie de type
connectivite (lupus érythémateux, syndrome de Gougerot-Sjögren…) chez une
mère jusque-là asymptomatique. L’éruption apparaît au cours des trois premiers
mois de vie et régresse spontanément en
quelques semaines, parallèlement à la
décroissance des anticorps transmis,
mais elle peut laisser des cicatrices. Elle
nécessite une photoprotection efficace
les premiers mois de vie et peut justifier
l’application d’un dermocorticoïde pour
limiter le risque cicatriciel.
Une atteinte cardiaque existe dans 50 %
des cas de lupus néonatal et fait la gravité de ce syndrome. Elle est présente
dès la naissance et définitive, contrairement à l’atteinte cutanée. Elle est isolée
dans un cas sur deux et se présente le
plus souvent comme un bloc auriculo-
ventriculaire (BAV) apparaissant au
deuxième trimestre de la grossesse. Il
s’agit probablement d’une séquelle
d’une myocardite anténatale. Le BAV
peut être complet (BAVc), et est alors
responsable d’une mortalité périnatale
chez 20 % des enfants. Chez 60 à 90 %
des enfants vivants, il nécessite un appareillage à vie par pacemaker dès la
naissance.
Les autres atteintes, hématologiques
(thrombopénie, leuconeutropénie, anémie hémolytique, etc.), hépatiques
(cholestase), neurologiques (parésies
spastiques, méningite lymphocytaire),
néphrologiques (glomérulonéphrite…)
ou pulmonaires sont rarement isolées et
peuvent apparaître dans les premières
semaines de vie. Cela justifie une surveillance régulière de ces enfants pendant les premiers mois de vie. Une corticothérapie générale pourra être envisagée en cas d’atteinte sévère.
Les mères devront être suivies pour diagnostiquer la pathologie dont elles souffrent si elle n’est pas encore connue. Les
futures grossesses devront être planifiées et étroitement surveillées, car la
probabilité de survenue des atteintes et
leur gravité augmentent avec le nombre
d’enfants. La corticothérapie générale
constitue le seul traitement préventif du
bloc auriculo-ventriculaire chez les
femmes enceintes présentant des anticorps anti-SSA, à condition qu’elle soit
débutée avant la seizième semaine de
gestation.
Karima a maintenant dix mois et va très
bien. Les lésions cutanées sont en cours
de cicatrisation et nécessitent encore
une photoprotection pour les prochains
mois. L’ECG et l’échographie cardiaque
faits au diagnostic étaient normaux. Le
bilan biologique de surveillance est satisfaisant.
Sa maman sait qu’elle devra être suivie
étroitement lors d’une future grossesse.
CE QU’IL FAUT RETENIR
Le lupus néonatal est une affection rare,
liée à la transmission materno-fœtale
d’anticorps maternels anti-SSA et/ou
anti-SSB.
Les manifestations cliniques les plus fréquentes sont cutanées et cardiaques.
Ces dernières font toute la gravité de ce
syndrome ; elles engagent le pronostic
vital immédiat lorsqu’il existe un BAV
complet, qui impose le plus souvent la
mise en place d’un pacemaker à vie dès
la naissance.
Dans près d’un cas sur deux, c’est la découverte de la maladie chez l’enfant qui
permet le diagnostic de connectivite
chez la mère jusque-là asymptomatique.
La probabilité de survenue et la gravité
de l’atteinte chez l’enfant à naître augmentent avec le nombre de grossesses
et imposent de surveiller étroitement
les femmes enceintes porteuses d’anticorps anti-SSA et/ou anti-SSB.
Pour en savoir plus
SUITE DE L’HISTOIRE…
Le diagnostic de lupus néonatal chez
Karima a permis de faire le diagnostic
de syndrome de Gougerot-Sjögren chez
sa maman. Celle-ci avait des anticorps
anti-SSA et anti-SSB. Le diagnostic a été
confirmé par une biopsie des glandes
salivaires.
WISUTHSAREWONG W., SOONGSWANG J., CHANTORN R. :
« Neonatal lupus erythematosus : clinical character, investigation
and outcome », Pediatr. Dermatol., 2011 ; 28 : 115-21.
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février 2012
page 74
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