Dérivations et calcul différentiel non commutatif II

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Comptes Rendues Acad. Sci. Paris 319, Serie I (1994), 927–931.
Dérivations et calcul différentiel non commutatif II
Michel DUBOIS-VIOLETTE & Peter W. MICHOR
Résumé - Nous caractérisons la dérivation d : A → Ω1Der (A) par une propriété
universelle en introduisant une nouvelle classe de bimodules.
Dérivations and noncommutative differential calculus II
Abstract -We characterize the derivation d : A → Ω1Der (A) by a universal property
introducing a new class of bimodules.
Abridged English Version - In this Note, A denotes an associative
algebra over K = R or C with a unit 1l. In the Note [5], a graded differential
algebra ΩDer (A) with Ω0Der (A) = A was introduced with the notation ΩD (A).
It is one of the aims of this Note to show that, by introducing a new category
of bimodules, the derivation d : A → Ω1Der (A) is characterized by a universal
property. Before introducing this category of bimodules, we first consider a
slightly bigger category of bimodules : we call central bimodule a bimodule
such that the corresponding bimodule structure over the center Z(A) of A is
induced by a structure of Z(A)-module. The category of central bimodules
is a full subcategory of the category of all bimodules and we construct for
the corresponding embedding functor a left adjoint M 7→ MZ and a right
adjoint M 7→ M Z . Consequently, the category of central bimodules is stable
by taking subbimodules, quotient modules, arbitrary projective limits and arbitrary inductive limits. This category is obviously stable by taking tensor
products over Z(A), and consequently also over A. By applying the functor M 7→ MZ to the universal differential calculus on d : A → Ω1 (A), we
produce a universal differential calculus for central bimodules, i.e. a derivation dZ : A → Ω1 (A)Z where Ω1 (A)Z is central such that any derivation
of A in a central bimodule factorizes through dZ and a unique homomorphism from Ω1 (A)Z in the bimodule. In the case where A is commutative,
a central bimodule is simply a module and Ω1 (A)Z reduces to the module
of Kähler K -differentials Ω1K (A). We now introduce the appropriate category of bimodules to deal with d : A → Ω1Der (A). We call diagonal bimodule
1
a bimodule which is isomorphic to a subbimodule of an arbitrary product
of A. The category of diagonal bimodules is a full subcategory of the category of bimodules and we produce a left adjoint M 7→ Diag (M ) for the
corresponding embedding functor. Consequently the category of Diagonal bimodules is stable by taking subbimodules and arbitrary projective limits. This
category is also stable by taking tensor products over A. By applying the
functor Diag to d : A → Ω1 (A), we obtain a universal differential calculus
d : A → Diag (Ω1 (A)) for the derivations of A in diagonal bimodules. Furthermore we show that Diag (Ω1 (A)) = Ω1Der (A) and that d coincides with
the differential of ΩDer (A). Finally, it is worth noticing that when A is commutative, a diagonal bimodule is simply a module such that the canonical
mapping in its bidual is injective. Thus the notions of central bimodule and
of diagonal bimodule are noncommutative generalisations of the notion of
module over a commutative algebra which do not coincide with the notion
of right (or left) module.
1. INTRODUCTION ET PRÉLIMINAIRES - Dans la Note [5], une algèbre
différentielle graduée ΩDer (A) avec Ω0Der (A) = A a été introduite (avec la
notation ΩD (A)), A étant une algèbre unifère. Le calcul différentiel ΩDer (A),
basé sur les dérivations de A, a été construit à partir du calcul différentiel
universel Ω(A) [3], [7]. Du degré zéro au degré un, le calcul différentiel
universel est caractérisé par le fait que la dérivation d : A → Ω1 (A) est universelle pour les dérivations de A à valeurs dans les bimodules. Dans cette
Note, nous montrons que la dérivation d : A → Ω1Der (A) est universelle pour
les dérivations de A à valeurs dans une catégorie de bimodules que nous
appelons bimodules diagonaux. Dans le cas où A est commutative, un bimodule diagonal n’est autre que le bimodule sous-jacent à un module tel que
l’application canonique dans son bidual est injective. Nous introduisons une
autre catégorie de bimodules, les bimodules centraux, qui est un peu plus
grande que celle des bimodules diagonaux et qui se réduit pour A commutative à la catégorie des modules. Cette catégorie possède aussi une dérivation
universelle dZ : A → Ω1 (A)Z . Dans le cas où A est commutative, Ω1 (A)Z est
le module des K-différentielles de Kähler Ω1K (A) et dZ est la K-différentielle
dA/K . Dans toute cette Note A désigne une K -algèbre associative possédant
une unité notée 1l avec K = R ou C . Par un bimodule sur A ou plus
simplement un bimodule, nous désignerons toujours un (A, A)-bimodule i.e.
un A ⊗ Aop -module. L’algèbre A elle-même est canoniquement un bimodule.
2
Si M et N sont deux bimodules HomA
A (M, N ) désignera l’espace des homomorphismes de bimodules de M dans N ; on considèrera M ⊗ N comme un
bimodule pour la structure définie par a(m ⊗ n)b = (am) ⊗ (nb), a, b ∈ A,
m ∈ M et n ∈ N . M ⊗N et M ⊗ N sont des bimodules quotients de M ⊗N .
A
Z(A)
1
Soit Ω (A) le noyau de la multiplication m : A ⊗ A → A, m(a ⊗ b) = a · b,
et soit d : A → Ω1 (A) l’application linéaire définie par da = 1l ⊗ a − a ⊗ 1l ;
Ω1 (A) est un sous-bimodule de A ⊗ A et d est une dérivation de A à valeurs
dans Ω1 (A). Le couple (Ω1 (A), d) est caractérisé, à un isomorphisme près,
par la propriété universelle suivante [1], [2] : pour toute dérivation δ de
A à valeurs dans un bimodule M il existe un unique homomorphisme de
bimodules iδ : Ω1 (A) → M tel que δ = iδ ◦ d, i.e. on a Der(A, M ) '
1
HomA
A (Ω (A), M ). Soit Der(A)(= Der(A, A)) l’algèbre de Lie des dérivations
de A dans A et soit C 1 (Der(A), A) le bimodule des applications linéaires
de Der(A) dans A. On désignera encore par d la dérivation de A à valeurs
dans C 1 (Der(A), A) définie par (da)(δ) = δa, ∀δ ∈ Der(A) ; le sous-bimodule
de C 1 (Der(A), A) engendré par dA sera noté Ω1Der (A). L’homomorphisme
canonique id de Ω1 (A) dans Ω1Der (A) est surjectif, et son noyau F 1 Ω1 (A)
est donné par F 1 Ω(A) = ∩{ker (iδ )|δ ∈ Der(A)}, [5]. Il résulte de ce qui
A
1
1
précède que l’on a Der(A) ' HomA
A (Ω (A), A) ' HomA (ΩDer (A), A). Dans
la référence [5], Ω1Der (A) a été introduit et étudié avec la notation Ω1D (A) ;
nous avons remplacé le “D” de [5] par “Der” afin d’éviter toute confusion avec
[4] où la même notation Ω1D (A) désigne un autre objet, (voir aussi [6] pour
plus de détails sur ΩDer (A)). Dans le cas où A est une algèbre commutative,
Ω1 (A) est un idéal de A ⊗ A et le quotient Ω1 (A)/(Ω1 (A))2 est canoniquement un A-module noté Ω1K (A) et appelé module des K -différentielles
de A ; l’image de d : A → Ω1 (A) par la projection canonique de Ω1 (A)
sur Ω1K (A) est notée dA/ K , [1]. Le couple (Ω1K (A), dA/ K ) est alors caractérisé par la propriété universelle suivante, [1] : pour toute dérivation δ de
A à valeurs dans un A-module M , il existe un unique homomorphisme de
A-module iδ : Ω1K (A) → M tel que δ = iδ ◦ dA/ K .
2. BIMODULES CENTRAUX - Soit M un bimodule sur A. Nous dirons
que M est un bimodule central si pour tout élément z du centre Z(A) de A et
pour tout m ∈ M on a zm = mz. Il revient au même de dire que la structure
de bimodule de M sur Z(A) est induite par une structure de Z(A)-module
ou encore que M est un A ⊗ Aop -module.
Z(A)
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Exemples. - 1. Si A est une algèbre commutative, i.e. Z(A) = A, un bimodule central sur A n’est autre qu’un A-module (pour la structure de bimodule
induite). - 2. Si le centre de A est trivial, i.e. Z(A) = K1l, tout bimodule est
central.
On a les propriétés de stabilité suivantes: (i) tout sous-bimodule d’un bimodule central est central, (ii) tout quotient d’un bimodule central est central, (iii)
tout produit de bimodules centraux est central, (iiii) si M et N sont centraux
alors M ⊗ N est central.
Z(A)
Les propriétés de stabilité (i), (ii) et (iii) impliquent que toute limite projective de bimodules centraux est un bimodule central et que toute limite inductive de bimodules centraux est un bimodule central. Ces propriétés de stabilité
sont reliées à l’existence d’un foncteur covariant M 7→ MZ adjoint à gauche et
d’un foncteur covariant M 7→ M Z adjoint à droite du foncteur canonique IZ
de la catégorie des bimodules centraux dans celle des bimodules identifiant la
catégorie des bimodules centraux comme sous-catégorie pleine de la catégorie
des bimodules. Soit M un bimodule quelconque (sur A) et soit [Z(A), M ] le
sous-bimodule de M engendré par les zm − mz avec z ∈ Z(A) et m ∈ M .
On désignera par MZ le bimodule quotient M/[Z(A), M ] et par pZ la projection canonique de M sur MZ . MZ est central et tout homomorphisme de
bimodules de M dans un bimodule central est nul sur [Z(A), M ]. Soit d’autre
part, M Z l’ensemble des éléments m ∈ M tels que zm = mz, ∀z ∈ Z(A).
M Z est un sous-bimodule central de M , (le plus grand), on désignera par iZ
l’inclusion canonique de M Z dans M . Tout homomorphisme d’un bimodule
central dans M a son image dans M Z . Les couples (MZ , pZ ) et (M Z , iZ )
sont donc caractérisés à un isomorphisme près par les propriétés universelles
suivantes.
PROPOSITION 1 . (i) Pour tout homomorphisme de bimodules ϕ : M →
N de M dans un bimodule central N , il existe un unique homomorphisme de
bimodules ϕZ : MZ → N tel que ϕ = ϕZ ◦ pZ . (ii) Pour tout homorphisme de
bimodules ψ : N → M d’un bimodule central N dans M , il existe un unique
homomorphisme de bimodules ψ Z : N → M Z tel que ψ = iZ ◦ ψ Z .
La partie (i) implique que le foncteur M 7→ MZ de la catégorie des bimodules
dans la catégorie des bimodules centraux est adjoint à gauche de IZ , i.e.
A
on a HomA
A (MZ , N ) ' HomA (M, IZ (N )) pour N central, et la partie (ii)
4
implique que le foncteur M 7→ M Z est adjoint à droite de IZ , i.e. que l’on a
A
Z
HomA
A (IZ (N ), M ) ' HomA (N, M ) pour N central. Le foncteur M 7→ MZ
est par conséquent exact à droite et le foncteur M 7→ M Z est exact à gauche.
On notera que M est un bimodule central si et seulement si M = MZ et que
ceci est équivalent à M = M Z . D’autre part, l’identité zm ⊗ n − m ⊗ nz =
mz ⊗ n − m ⊗ zn + (zm − mz) ⊗ n + m ⊗ (zn − nz) implique que si M et N
sont des bimodules centraux alors (M ⊗ N )Z = M ⊗ N .
Z(A)
Considérons le bimodule Ω1 (A) et la (différentielle) dérivation universelle
d : A → Ω1 (A). Par composition avec la projection pZ : Ω1 (A) → Ω1 (A)Z ,
on obtient une dérivation dZ : A → Ω1 (A)Z ; dZ = pZ ◦ d.
PROPOSITION 2 . Pour toute dérivation δ : A → M de A dans un
bimodule central M , il existe un unique homomorphisme de bimodules iδ :
Ω1 (A)Z → M tel que l’on ait δ = iδ ◦ dZ .
Autrement dit, dZ : A → Ω1 (A)Z est universelle pour les dérivations à
valeurs dans les bimodules centraux. Cette proposition est une conséquence
immédiate de la proposition 2 et de la propriété universelle de d : A → Ω1 (A).
COROLLAIRE 1 . Si A est une algèbre commutative, Ω1 (A)Z s’identifie
au A-module Ω1K (A) des K -différentielles (de Kähler) de A et dZ est la
K -différentielle dA/K .
Remarque. En utilisant l’exactitude à droite de M → MZ , on déduit
j
m
de la suite exacte 0 → Ω1 (A) −→ A ⊗ A −→ A → 0 une suite exacte
j]
m]
Ω1 (A)Z −→ A ⊗ A −→ A −→ 0. Dans le cas où A est commutative, cette
Z(A)
dernière suite est une suite exacte de A-module avec Ω1 (A)Z = Ω1K (A) et
A ⊗ A = A⊗A = A, mais m] se réduit alors à l’application identique de A
Z(A)
A
dans A et, par conséquent, Im(j ] ) = 0. Ceci montre que j ] n’est généralement
pas injective.
3. BIMODULES DIAGONAUX - Soit M un bimodule sur A. Nous dirons
que M est un bimodule diagonal si M est isomorphe à un sous-bimodule de
AI où I est un ensemble approprié (dépendant de M ). Tout bimodule diagonal est évidemment central.
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Exemples. - 1. Si A est une algèbre commutative, un bimodule diagonal
n’est autre qu’un A-module (pour la structure de bimodule induite) tel que
l’application canonique dans son bidual soit injective. - 2. Si A est l’algèbre
Mn (C ) des matrices n × n complexes alors tout bimodule est diagonal.
On a les propriétés de stabilité suivantes : (i) tout sous-bimodule d’un bimodule diagonal est diagonal, (ii) tout produit de bimodules diagonaux est
diagonal, (iii) si M et N sont diagonaux alors M ⊗N est diagonal, (AI ⊗AJ
A
A
est un sous-bimodule de AI×J ).
Les propriétés de stabilité (i) et (ii) impliquent que toute limite projective
de bimodules diagonaux est un bimodule diagonal. Ces propriétés de stabilité sont reliées à l’existence d’un foncteur Diag de la catégorie des bimodules dans celle des bimodules diagonaux qui est adjoint à gauche du foncteur canonique IDiag identifiant la catégorie des bimodules diagonaux comme
sous-catégorie pleine de la catégorie des bimodules. Soit M un bimodule
A
quelconque et soit c : M → AHomA (M,A) l’homomorphisme canonique défini
par c(m) = (ω(m))ω∈HomAA (M,A) . Nous désignerons par Diag(M ) l’image de
c. Diag(M ) est un bimodule diagonal.
PROPOSITION 3 . Pour tout homomorphisme de bimodules ϕ : M → N
de M dans un bimodule diagonal N , il existe un unique homomorphisme de
bimodules Diag(ϕ) : Diag(M ) → N tel que ϕ = Diag(ϕ) ◦ c.
Puisque, par définition, un bimodule diagonal est un sous-bimodule de AI ,
il suffit de démontrer le résultat pour N = AI ; cela revient à le démontrer
pour N = A ce qui est évident d’après les définitions. La proposition 6 montre que le foncteur IDiag admet le foncteur Diag comme
A
adjoint à gauche, i.e. HomA
A (Diag(M ), N ) ' HomA (M, IDiag (N )). Le foncteur Diag est, par conséquent, exact à droite.
On notera que M est un bimodule diagonal si et seulement si HomA
A (M, A)
sépare les points de M et que ceci est équivalent à M ' Diag(M ). D’autre
part pour tout bimodule M , on a Diag(M ) = Diag(MZ ), ce qui implique que
si M et N sont des bimodules centraux, (en particulier si ils sont diagonaux),
on a Diag(M ⊗ N ) = Diag(M ⊗ N ).
Z(A)
PROPOSITION 4 . On a Diag(Ω1 (A)) = Ω1Der (A).
6
Ω1Der (A) est, par construction, un sous-bimodule de ADer(A) ; c’est donc un
A
1
1
bimodule diagonal. D’autre part HomA
A (Ω (A), A) ' HomA (ΩDer (A), A) imA
A
1
1
plique HomA (Ω (A), M ) ' HomA (ΩDer (A), M ) pour tout bimodule diagonal
M , d’où le résultat. COROLLAIRE 2 Pour toute dérivation δ de A à valeurs dans un bimodule
diagonal M , il existe un unique homomorphisme de bimodules iδ : Ω1Der (A) →
M tel que δ = iδ ◦ d.
Autrement dit la dérivation d : A → Ω1Der (A) est universelle pour les dérivations
à valeurs dans les bimodules diagonaux. De même que d : A → Ω1 (A) est le
bloc de base pour construire l’enveloppe différentielle universelle Ω(A) de A
[7], d : A → Ω1Der (A) est le bloc de base pour construire l’algèbre différentielle
ΩDer (A) introduite dans [5] avec la notation ΩD (A).
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
[1] N. BOURBAKI, Algèbre I, Chapitre III, Paris, Hermann 1970.
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M.D-V. Laboratoire de Physique Théorique et Hautes Energies,
Bât. 211, Université Paris XI, F-91405 Orsay Cedex
P.W.M. Erwin Schrödinger Institute of Mathematical Physics,
Pasteurgasse 6/7, A-1090 Wien, Austria
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