La conscience des troubles (insight) dans la schizophrénie : une

L’Encéphale (2008) 34, 597—605
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.elsevier.com/locate/encep
PSYCHOPATHOLOGIE
La conscience des troubles (insight) dans la
schizophrénie : une revue critique
Partie I : insight et schizophrénie, caractéristiques
cliniques de l’insight
Lack of insight in schizophrenia: A review
Part I: Theoretical concept, clinical aspects and
Amador’s model
S. Raffarda,, S. Bayardb, D. Capdeviellea, F. Garciaa,
J.-P. Boulengera, M.-C. Gely-Nargeotb
aService universitaire de psychiatrie adulte, hôpital de la Colombière, centre hospitalier universitaire de Montpellier,
Montpellier-1, 191, avenue du Doyen Gaston-Giraud, 34295 Montpellier cedex 5, France
bDépartement de psychologie, unité de psychopathologie et de neuropsychologie, EA3021, université Paul-Valéry,
Montpellier-3, 34195 Monpellier cedex 5, France
Rec¸u le 14 aoˆ
ut 2006 ; accepté le 10 octobre 2007
Disponible sur Internet le 20 f´
evrier 2008
MOTS CLÉS
Conscience des
troubles ;
Schizophrénie ;
Modèles descriptifs ;
Revue de la
literature ;
Prise en charge
psychologique
Résumé La mesure et l’évaluation de la conscience des troubles dans la schizophrénie
connaissent un essor et un regain d’intérêt depuis une vingtaine d’années. La conscience d’avoir
un trouble mental, que les auteurs anglosaxons traduisent par insight, doit être explorée comme
un processus multidimensionnel et ne peut se limiter à une approche dichotomique en tout ou
rien qui a longtemps dominé dans la pratique clinique. Les liens entre déficits de l’insight et
mauvais pronostic dans le processus de soins sont l’explication première du nombre croissant de
recherches dans ce domaine et leurs études représentent un intérêt majeur pour l’amélioration
de la prise en charge des patients.
La schizophrénie est l’entité psychiatrique dans laquelle la conscience des troubles (ou
insight) est la plus fréquemment altérée. Entre 50 et 80 % de la population de sujets affectés de
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : s-raffard@chu-montpellier.fr (S. Raffard).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2007.
doi:10.1016/j.encep.2007.10.008
598 S. Raffard et al.
schizophrénie présentent un déficit dans la conscience de leur maladie. Comparativement aux
autres troubles mentaux (psychotiques ou non), la littérature internationale souligne depuis
deux décennies l’importance et l’intensité des troubles de l’insight dans cette pathologie.
Définie pendant très longtemps comme un phénomène dichotomique, la récente modélisa-
tion clinique de la conscience des troubles dans la psychose et le développement d’outils
d’évaluation ont permis d’en souligner son aspect multifactoriel et dynamique. Dans cette revue
de la question sur l’insight dans la schizophrénie, nous reviendrons sur l’évolution du concept
d’insight en psychiatrie et sur sa définition. Les caractéristiques cliniques qui y sont spécifique-
ment associées seront abordées. L’ensemble des outils permettant d’évaluer l’insight dans la
schizophrénie seront présentés et un intérêt particulier sera porté au modèle clinique d’Amador
et à l’outil d’évaluation sur lequel il repose, la Scale to Assess Unawareness of Mental Disorder
(SUMD). En conclusion les prises en charge des troubles de l’insight dans la schizophrénie seront
évoquées.
© L’Encéphale, Paris, 2007.
KEYWORDS
Insight;
Schizophrenia;
Review;
Models;
Psychological
intervention
Summary
Introduction. — Schizophrenia is the psychiatric disorder in which the awareness of pathology
(or insight) is most frequently altered.
Literature findings. — A review of the literature shows that between 50 and 80% of patients with
schizophrenia do not believe they have a disorder. Studies published on this subject over the
two last decades stressed the specificity of this phenomenon in schizophrenic patients, taking
into account both its prevalence and its clinical consequences comparatively to other mental
disorders. If in bipolar disorders a lack of insight is linked with the intensity and acuteness of
symptomatology, there is only a limited relationship between these factors in schizophrenia,
thus making lack of insight a trait rather than a state-related symptom.
Discussion. — Though defined for a very long time as a dichotomic phenomenon, the recent
interest on insight in psychosis and the development of assessment tools for its evaluation have
made it possible to underline its multifactorial and dynamic characteristics. Although lack of
insight related to pathologies may vary across time in bipolar disorders, the results of clinical
studies suggest that this phenomenon remains stable in schizophrenia.
Conceptual proposals. — In this review, we will reconsider the evolution of this concept in psy-
chiatry and its definition. The clinical characteristics, which are specifically associated with the
lack of insight in schizophrenia will be outlined. We will describe more specifically the model
of Amador and Strauss and their assessment tool: the Scale to Assess Unawareness of Mental
Disorder (SUMD). This model developed since the 1990s takes into account the time-related
evolution of insight, and can be applied both to bipolar and psychotic disorders.
Assessment tools. — The SUMD has six general items and four subscales. The general items esti-
mate the three most widely used definitions of insight: awareness of having a mental disorder,
awareness of the achieved effects of medication and awareness of the social consequences of
having a mental disorder, and include assessment of both current and past-time periods. Four
other subscales, each composed of 17 items, assess awareness and attribution of specific cur-
rent and retrospective symptoms as well as deficits associated with severe mental disorders.
Insight, thus, appears as a multidimensional and continuous phenomenon, since patients’ awa-
reness may apply only to part of their symptoms and vary over time. In this article, we will
review existing scales assessing insight in schizophrenia. The deficiency of available scales vali-
dated in French limits the number of scientific publications concerning this important aspect
of the clinical evaluation of schizophrenic patients.
Therapeutical aspects. — Finally, interventions to improve insight in patients with schizophrenia
are presented. Recent studies have shown cognitive behavioural therapy (CBT) to be of benefit
in the treatment of poor insight in schizophrenia.
Conclusion. — Evidence suggests that early diagnosis and treatment of schizophrenia leads to
better prognosis. An important suggestion from theses studies may be that psychosocial therapy
needs to focus on explanations that are in tune with the culture, rather than focus on diagnostic
labels.
© L’Encéphale, Paris, 2007.
La conscience des troubles (insight) dans la schizophrénie : une revue critique 599
Introduction
Les cliniciens confrontés à la psychose ont toujours consi-
déré comme partie intégrante de la maladie l’incapacité
de certains patients à pouvoir reconnaître leurs troubles.
Très tôt dans l’histoire de la psychiatrie, les aliénistes
s’interrogeaient déjà à propos de cette caractéristique
clinique et sur son particularisme [17]. Plus récemment,
Amador et Kronengold [7] précisent à ce propos : «Quand
on discute de leur maladie et de la nécessité d’un traite-
ment avec des sujets souffrant de troubles psychotiques, les
cliniciens et leurs familles se sentent souvent frustrés face
à leur extrême manque de conscience de leurs troubles ».
Force est de constater que depuis une vingtaine d’année,
l’étude de la non conscience de la maladie chez les patients
schizophrènes suscite un regain d’intérêt. Les répercussions
cliniques sévères qui y sont très souvent associées en consti-
tuent certainement la raison première. En effet, l’absence
de conscience des troubles aurait un effet significatif sur
des facteurs comme la compliance au traitement ou les pas-
sages à l’acte agressifs. Différents travaux expérimentaux,
menés en recherche clinique, ont permis l’élaboration de
modèles multidimensionnels de la conscience de la maladie,
permettant de dépasser une simple vision dichotomique trop
réductrice. Ces études, presque toutes exclusivement issues
de la littérature anglosaxonnes, permettent également de
souligner la faiblesse de la recherche clinique franc¸aise (en
psychiatrie et en psychologie), centrée sur cette probléma-
tique.
Pour définir la conscience des troubles dans les patho-
logies mentales, les auteurs anglosaxons utilisent le terme
insight ou awareness. La traduction adoptée de manière
consensuelle par les auteurs francophones est celle de
«conscience »[17,18]. Dans cet article, par souci de simpli-
fication, ces termes seront adoptés sans distinction bien que
cela mériterait un débat plus approfondi tant ils recouvrent
des réalités singulières qui s’ancrent dans des référentiels
variés [38].
Dans un tel contexte, cette revue de la question se
propose de dresser un état des lieux de ce concept
qu’est l’absence de conscience des troubles dans la schi-
zophrénie. Après avoir abordé l’évolution historique du
concept d’insight dans la schizophrénie, nous en présen-
terons sa définition la plus récente, tel que le modèle
clinique d’Amador et al. [4—8] permet de la concevoir avec
ses prolongements méthodologiques (outils d’évaluation de
l’insight). Puis, nous en décrirons les répercussions cliniques
et les relations qu’entretient l’absence de conscience des
troubles avec l’ensemble de la symptomatologie schizophré-
nique ainsi que son évolution au décours de la maladie.
Insight et schizophrénie
Généralités
Une mauvaise conscience d’avoir un trouble mental n’est
pas spécifique à la pathologie schizophrénique. Le DSM IV-
TR [3] a pris la décision d’inclure cette dimension dans le
critère diagnostic du trouble obsessionnel-compulsif (TOC)
et la littérature récente sur l’insight a vu se développer des
recherches sur des patients atteints de troubles mentaux
aussi divers que la dysmorphophobie [36] ou les troubles
bipolaires [6,48,49]. Afin de comparer les diverses popula-
tions étudiées, une échelle la Brown Assessment of Beliefs
Scale [23] a été développée pour mesurer dans une grande
variété de troubles psychiatriques la capacité d’un patient
à reconnaître qu’il a un trouble mental et que ses croyances
sont altérées par le fait d’avoir un problème psychiatrique
ou psychologique. Néanmoins les troubles de l’insight ont
été beaucoup étudiés dans la schizophrénie, de part leur
stabilité et leur intensité. En effet, les déficits dans la
conscience des troubles apparaissent comme plus communs
et sévères chez les personnes affectées de schizophrénie
que dans les troubles schizoaffectifs ou les dépressions
majeures avec ou sans caractéristiques psychotiques, mais
pas significativement différents des patients bipolaires [49].
D’après différentes études, il a été estimé qu’entre 50 et
80 % des patients atteints de schizophrénie ne considèrent
pas avoir un trouble mental [6,11,22,49]. Par ailleurs, la
dernière version du manuel diagnostique américain DSM IV-
TR [3] considère désormais que le manque d’insight dans
cette pathologie est une manifestation de la maladie qui
doit être considérée comme un symptôme propre du spectre
schizophrénique. De manière assez consensuelle, différents
travaux ont démontré que, globalement, les patients schi-
zophrènes présentaient une moindre conscience de leur
maladie comparativement à des patients atteints d’autres
troubles psychotiques [6,11,49] et ce, quelque que soit
l’instrument de mesure de l’insight utilisé. Ce fait a été sys-
tématiquement observé lors de la comparaison de patients
avec troubles bipolaires (avec ou sans sévérité psycho-
tique) et de patients atteints de schizophrénie. De plus,
une récente méta-analyse [26] relative aux troubles bipo-
laires a permis de préciser que l’insight dans la manie,
bien que sévèrement altéré, ne pouvait être considéré
comme un trait mais plutôt comme un état qui ne dépen-
dait pas du caractère psychotique de l’épisode. Des résultats
semblables ont été obtenus lors de la comparaison du
degré d’insight de patients souffrant de troubles dépres-
sifs avec celui de patients schizophrènes [6,49]. Cependant,
contrairement aux sujets en état maniaque, le caractère
psychotique de l’épisode altérait le degré de conscience
des troubles. Il résulte de ces différentes études que les
déficits de l’insight seraient plus un trait des troubles schi-
zophréniques tandis qu’ils seraient plus liés à l’intensité de
la symptomatologie dans les troubles bipolaires. Les troubles
de l’insight dans la schizophrénie auraient ainsi une valeur
nosologique et clinique fondamentale.
Évolution historique du concept d’insight dans la
schizophrénie
Le terme insight apparaît la première fois en 1934 dans
un article de Lewis [34] qui propose de définir ce concept
en se basant sur son utilisation en clinique courante.
Son premier constat est de mettre en avant l’absence de
définition stricte de ce terme malgré son usage fréquent
ainsi que la difficulté à le définir et à l’évaluer [13,38].
Lewis [34] définit l’insight comme une «attitude adaptée
face à un changement morbide en soi », une capacité à se
décentrer et à poser un jugement sur son état. Il s’agit donc
dans cette définition de l’insight de prendre en compte
600 S. Raffard et al.
la qualité de compréhension qu’un patient a envers sa
maladie et elle se rapproche du concept de conscience de
soi. D’autres auteurs souligneront [54] l’insuffisance d’une
telle définition, arguant que l’évaluation de l’insight doit
aussi prendre en compte et considérer les attitudes et
comportements en vie quotidienne d’un patient durant son
hospitalisation ou concernant sa compliance au traitement.
Cette distinction se justifie cliniquement par ces patients
qui ne se disent pas être malades, mais qui viennent
demander leur traitement et le prennent régulièrement ou
ne s’opposent pas à leur hospitalisation tout en niant avoir
un problème mental sévère. Autrement dit, ces auteurs
soulignaient l’importance de distinguer les connaissances
et la conscience qu’a un patient de son trouble mental
et ses attitudes face à la maladie qui peuvent être en
opposition. La psychopathologie phénoménologique a pu
mettre en exergue cette dissociation entre la souffrance
vécue par ces patients et le peu de conscience du caractère
pathologique de leurs pensées ou expériences vécues [15].
À la suite de ces travaux, avant tout, se référant à une
approche clinique, il est ici important de souligner que de
nombreuses définitions de l’insight ont été développées et
proposées et qu’il demeure un manque de clarté associé
à ce concept, certainement inhérent, d’une part, à la
difficulté de définir la conscience et, d’autre part, à la
conceptualiser dans les maladies mentales en référence à
une normalité qui nous échappe.
Historiquement en France, notamment après la thèse
portant sur la conscience morbide de Charles Blondel [16],
est apparue une rupture entre la conscience de soi nor-
male et la conscience pathologique de soi qui accompagne
les troubles mentaux, notamment la schizophrénie [2,17].
Alors que la psychiatrie classique considérait jusque-là qu’il
y avait une continuité entre le normal et le pathologique [2],
la thèse de Blondel [16] va entraîner chez les psychiatres,
notamment franc¸ais, l’idée que les patients souffrant de
psychoses ne peuvent pas avoir en partie conscience de leurs
troubles, délires et hallucinations. Cette idée va marquer la
pratique des soignants en santé mentale et leur faire consi-
dérer qu’en grande partie le patient souffrant de psychose
est «hors de compréhension ».
Il demeure un fait clinique que l’évaluation de la
conscience des troubles dans la schizophrénie se heurte à
ce que Jaspers appelle «conscience morbide »[29].«Les
patients apprennent par cœur et répètent les mots des psy-
chiatres et des autres personnes sans connaître exactement
leur signification ». Beck et al. [11], dans une concep-
tualisation plus récente de l’insight ne disent pas autre
chose quand ils différencient l’insight cognitif de l’insight
émotionnel. Le premier s’approcherait du rationalisme
morbide mais rendrait compte aussi de processus internes
qui agiraient afin de rendre cohérent des phénomènes
internes vécus comme externes par les patients comme les
hallucinations. Le second correspondrait à l’opinion subjec-
tive qu’ils portent sur leurs troubles. Mais contrairement à
des auteurs comme Jaspers [2,29], un ensemble de cher-
cheurs vont différencier des niveaux d’insight [5,11,13,38]
et proposer que la conscience des troubles dans la schizo-
phrénie soit considérée comme un phénomène continu et
multidimensionnel. Cette considération que l’insight peut
être à la portée des patients, du moins en partie, a laissé la
place à une volonté depuis une vingtaine d’année d’étudier
et formaliser l’insight à travers une conceptualisation
multiple plus adaptée à un phénomène complexe.
Historiquement, le terme insight provient à l’origine
de la clinique psychanalytique [58]. Il a désigné dans un
premier temps la prise de conscience des conflits et des
mécanismes de défense à l’œuvre dans la dynamique incons-
ciente de l’analysant, prise de conscience favorisée par
les interprétations de l’analyste. Puis, ce terme insight
a rendu compte plus généralement chez les patients de
l’ensemble des processus de prise de conscience de ses
propres états mentaux [59] permettant secondairement une
résolution du symptôme par associations libres. Il a été
définitivement associé à la conscience qu’un patient pou-
vait avoir de son état pathologique, le terme insight étant
réservé aux troubles mentaux et son quasi-synonyme, le
terme anosognosie proposé par Babinski [10] étant asso-
cié aux troubles neurologiques [5,42,56]. Le destin de ces
deux termes a d’ailleurs suivi un chemin fort différent.
Alors que l’anosognosie que l’on retrouve dans des mala-
dies dégénératives comme la démence de type Alzheimer ou
frontotemporale [5,9,42] correspondait à une lésion ou une
anomalie cérébrale frontale ou pariétale [5,42], le défaut
d’insight dans la schizophrénie a été attribué dans un pre-
mier temps à un mécanisme de défense psychologique,
notamment le déni suite aux travaux de Freud [25].Ilest
important de souligner que le déni correspond à un refus
de prise en charge de certains éléments de la réalité alors
qu’ils ont été perc¸us. Dans le cadre de certaines anosogno-
sies, notamment pariétales, il s’avère que l’information sur
l’anomalie touchant une partie du corps comme dans le syn-
drome de Babinski n’est pas perc¸ue par le patient [55]. Dans
le déni il s’agit bien d’un mécanisme, certes inconscient
mais actif se déroulant dans l’après-coup du phénomène
perceptif [25] et non pas d’une anomalie perceptive. On
retrouve peu d’études psychanalytiques sur le thème de
l’insight et la plupart des travaux sont anglosaxons basés
sur l’analyse rétroactive de cas [38]. Il est important de
noter qu’un auteur comme Richflied [51], en avance sur son
temps, avait déjà proposé de dichotomiser l’insight entre un
insight intellectuel (intellectual insight)etuninsight émo-
tionnel (emotional insight) dans la prise en compte de la
compréhension que pouvait avoir un patient de son trouble
mental.
En ce qui concerne l’étiologie des déficits de la
conscience des troubles dans la schizophrénie, même si cer-
taines études vont dans le sens d’une implication de certains
processus de défense psychologiques [20,35], ce qui est
retrouvé dans un ensemble de maladies d’origine somatique
[45], le lien robuste entre déficits cognitifs et déficits de
l’insight dans la schizophrénie privilégie [1] d’appréhender
ce phénomène à travers une approche étiologique multidé-
terminée [5,36].
En résumé, cet a priori de l’insight comme absolument
hors de portée des patients a certainement retardé l’intérêt
porté à la problématique de l’insight et son étude à travers
des paradigmes plus expérimentaux. Les modèles scienti-
fiques actuels en psychopathologie cognitive qui plaident
pour un continuum entre le normal et le pathologique dans
les maladies mentales y sont certainement pour beaucoup
[12].
La conscience des troubles (insight) dans la schizophrénie : une revue critique 601
Figure 1 Modèle d’Amador et al., [6,8].
De plus, jusqu’à il y a peu, la plupart des praticiens se
cantonnaient à évaluer l’insight au travers de l’entretien cli-
nique [5,7,8,17]. Aussi féconde qu’elle soit, cette approche
éminemment subjective ne pouvait autoriser le recueil
systématique de données objectives par le biais d’outils
standardisés aux qualités métrologiques connues. Si la
richesse des études de cas a permis de mettre en exergue
la complexité du phénomène, l’absence d’outils de mesure
rendait donc difficile l’exploration et la réplication expé-
rimentale de l’hypothèse avancée par les cliniciens selon
laquelle les patients psychotiques auraient une conscience
partielle de leurs troubles. Il était de surcroît impossible
d’en cerner ses explications théoriques.
Il aura fallu attendre 1973 et l’étude multicentrique
de l’«International Pilot Study of Schizophrenia »menée
par l’Organisation mondiale de la santé pour que des
échantillons conséquents de patients fassent partie de pro-
tocoles opérationnalisant une définition de la conscience
des troubles [19]. Au travers de cette étude mondiale, les
différentes dimensions symptomatologiques de la schizo-
phrénie furent analysées au travers de différentes cultures
ethniques dans l’optique de faire émerger un ensemble de
symptômes susceptibles de définir des sous-groupes homo-
gènes et cliniquement valides de patients atteints de cette
maladie [19]. Les troubles de la conscience de la symp-
tomatologie psychiatrique étaient alors reconnus comme
un phénomène transculturel. De plus, son intensité put
alors être envisagée comme un élément déterminant afin
d’établir différents sous-types diagnostiques. Dans cette
étude, l’absence d’insight était envisagée lorsqu’un patient
déniait vigoureusement le fait d’être malade. Bien que
cette approche de la conscience des troubles demeure
relativement dichotomique, l’originalité de cette impor-
tante étude aura été d’illustrer de manière rigoureuse
que l’insight constitue un élément essentiel de la symp-
tomatologie schizophrénique. À la suite de cette étude,
différents auteurs ont essayé de conceptualiser l’insight
comme un phénomène non plus dichotomique, mais multidi-
mensionnel et pouvant évoluer dans le temps. [8,22,37,41].
Dans cette revue de la question, nous nous proposons
d’expliciter le modèle proposé par Amador et al. [5—8]
qui apparaît comme étant le modèle descriptif le plus
complet, ayant de plus l’avantage de proposer une échelle
d’évaluation largement utilisée dans les recherches interna-
tionales.
Le modèle clinique d’Amador et al. [5—8] et son
prolongement méthodologique : la Scale to Assess
Unwareness of Illness in Mental Disorders (SUMD)
[4]
Le modèle d’Amador et al. [5—8] est actuellement considéré
comme le modèle de référence en clinique et en recherche
pour appréhender la notion de l’insight dans la schizophré-
nie et dans les troubles psychotiques en général. Ces auteurs
ont proposé une approche continue et multidimensionnelle
de l’insight où deux principales dimensions sont envisagées :
la prise de conscience de la symptomatologie de la mala-
die et le processus d’attribution des symptômes (Fig. 1).
Le trouble de prise de conscience est défini par ces auteurs
comme un défaut d’agrément entre le jugement que le sujet
porte sur sa condition et celui qui est émit par le praticien.
Cette prise de conscience concerne quatre dimensions qui
sont les suivants :
le trouble mental ;
les effets du traitement ;
les conséquences sociales de la maladie ;
les signes et symptômes spécifiques (par exemple, les hal-
lucinations, l’émoussement affectif, etc.).
Le déficit d’attribution des symptômes renvoie quant à
lui au fait que le patient n’envisage pas un trouble mental
comme étant à l’origine de ceux-ci. Dans leur modèle, ces
auteurs ont également envisagé une dimension temporelle
en dichotomisant l’insight de la symptomatologie actuelle
de celui relatif à l’histoire passée de la maladie. Linsight
est donc défini dans ce cas, comme un phénomène pouvant
évoluer dans le temps.
À partir de ce modèle, ces auteurs ont proposé un ins-
trument de mesure de l’insight [4] : la Scale to Assess
Unwareness of Illness in Mental Disorders. Largement norma-
lisée dans sa version originale anglophone, cette échelle est
utilisée de manière privilégiée en clinique et en recherche.
Elle consiste en un entretien semi-structuré qui évalue
1 / 9 100%

La conscience des troubles (insight) dans la schizophrénie : une

La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !