Maladie de Crohn, des mutations génétiques protectrices

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Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Maladie de Crohn, des mutations génétiques protectrices
15/03/11
Les gènes prédisposant à la maladie de Crohn identifiés jusqu'ici permettent d'expliquer une petite partie de
l'héritabilité de cette maladie inflammatoire du système digestif. En décortiquant le génome de personnes
saines et de personnes atteintes de cette pathologie, à la recherche de variants génétiques rares, des
chercheurs de l'ULg ont découvert des mutations génétiques qui protègent l'homme contre la maladie de
Crohn.
Depuis le séquençage complet
du génome humain, en 2003, des scientifiques du monde entier s'attèlent à mettre le doigt sur les gènes,
ou plutôt les variants génétiques, qui prédisposent l'homme aux diverses maladies qui trouvent leur
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origine au sein de notre ADN. En 2007, une équipe de chercheurs de l'ULg, dirigée par Edouard Louis
et Michel Georges, découvrait la mutation d'un gène associée à la maladie de Crohn (lire l'article Un
gène de la maladie de Crohn identifié). Fruit d'une collaboration étroite entre l'équipe du spécialiste en
gastroentérologie et celle du spécialiste en génétique et génomique depuis 2002, cette étude révélait un
variant génétique présent chez 20% des patients atteints de cette maladie.
Suite à cette découverte les chercheurs ont décidé de s'aventurer plus loin dans les méandres de la
génétique de cette maladie inflammatoire chronique du système digestif. En 2008, grâce à une large métaanalyse effectuée en collaboration avec le National Institute of Health (NIH) aux Etats-Unis, le Wellcome
Trust en Angleterre et les hôpitaux universitaires belges Erasme, UZ Gent et UZ Leuven, les scientifiques
Liégeois ont réussi à mettre en évidence une quarantaine de gènes associés à la maladie de Crohn. Malgré
ce grand pas en avant dans la compréhension des origines génétiques de la maladie, l'ensemble de ces
gènes ne permet d'expliquer que 20 à 30% de l'héritabilité de cette affection.
A la recherche de variants génétiques rares
« Nous nous sommes alors dit qu'il pouvait exister des mutations rares, qui ne sont pas perçues par le type
d'analyse utilisé jusqu'ici car leur détection nécessite une lecture intégrale des gènes », indique Edouard
Louis, ancien maître de recherches au FNRS, actuellement chargé de cours à l'ULg et chef du service de
Gastroentérologie au CHU de Liège. Afin de vérifier cette hypothèse, Edouard Louis, Michel Georges - qui
dirige l'Unité de Génomique Animale du GIGA - et leurs collègues ont réalisé le séquençage complet des
quelque quarante gènes identifiés ainsi que d'autres gènes soupçonnés d'être impliqués dans l'apparition
de la maladie de Crohn. « Nous avons fait les analyses à partir d'échantillons de cohortes de patients de
plus en plus importantes afin de confirmer les résultats », continue Edouard Louis. « Ici aussi, les hôpitaux
Erasme, UZ Gent et UZ Leuven ainsi que d'autres centres européens ont participé à la récolte d'échantillons
de sang afin d'obtenir une banque de données puissante ».
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Si cette étude a permis de confirmer la présence de variants génétiques rares dans le génome des personnes
atteintes de la maladie de Crohn, elle a également révélé que ceux-ci ne sont que très peu responsables de
l'héritabilité de la maladie. Une autre conclusion de cette étude mérite cependant de plus amples explications.
En effet, les scientifiques ont découvert que certains des variants génétiques rares mis en lumière au cours de
cette analyse étaient, non pas prédisposants à la maladie de Crohn, mais bien protecteurs vis-à-vis de cette
dernière ! Il s'agit notamment de variants du gène codant pour le récepteur de l'IL-23, une cytokine qui joue
un rôle essentiel dans l'activation du système immunitaire. Les résultats de cette étude sont publiés dans la
revue Nature Genetics (1).
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Une réponse immunitaire exagérée
Lesdits variants se trouvent sur le chromosome 1, au niveau d'une des trois zones associées à la maladie de
Crohn mises en évidence lors de l'étude de criblage génétique de 2007. « Ces mutations sont observées chez
2 à 3% des individus « sains » et chez 0,5 à 0,8% des personnes atteintes de la maladie, elles sont donc
dix fois moins fréquentes chez ces dernières », précise Edouard Louis. « D'où l'hypothèse que ces variants
invalident la capacité d'activation de la cascade inflammatoire », poursuit-il. Chez les personnes porteuses de
ces variants rares, les récepteurs à IL-23 auraient donc une activité réduite, ce qui empêcherait l'apparition
d'une réponse immune exagérée contre la flore bactérienne intestinale. Car si les causes exactes de la maladie
de Crohn restent à ce jour méconnues, des études scientifiques montrent qu'une partie de la réponse pourrait
en effet se trouver dans la façon dont l'organisme réagit face aux bactéries qui colonisent le système digestif.
Il y a une dizaine d'année, les scientifiques s'accordaient pour dire que les inflammations de l'intestin qui
surviennent en cas de maladie de Crohn étaient dues à une hyperactivité du système immunitaire. Aujourd'hui,
de nouvelles études tendent à montrer que la cause de cette maladie serait un système de défense trop faible,
en tout cas dans un premier temps. L'idée est la suivante : comme le corps réagit de manière insuffisante
face aux bactéries intestinales, celles-ci prolifèrent et provoquent des inflammations. Ensuite, le système
immunitaire tente de contrer les conséquences de sa première réaction trop faible et devient hyperactif.
(1). Yukihide Momozawa, Myriam Mni, Kayo Nakamura, Wouter Coppieters, Sven Almer, Leila Amininejad,
Isabelle Cleynen, Jean-Frédéric Colombel, Peter de Rijk, Olivier Dewit, Yigael Finkel, Miquel A Gassull,
Dirk Goossens, Debby Laukens, Marc Lémann, Cécile Libioulle, Colm O'Morain, Catherine Reenaers,
Paul Rutgeerts, Curt Tysk, Diana Zelenika, Mark Lathrop, Jurgen Del-Favero, Jean-Pierre Hugot, Martine de
Vos, Denis Franchimont, Severine Vermeire, Edouard Louis & Michel Georges. Resequencing of positional
candidates identifies low frequency IL23R coding variants protecting against inflammatory bowel disease.
Nature Genetics 43, 43-47(2011)
Le tabac, un facteur de risque
Décrite aux Etats-Unis en 1932 par le Docteur Burnill Bernard Crohn, la maladie du même nom touche
environ 15.000 personne en Belgique. Chez une personne atteinte, toutes les parties du tube digestif
peuvent être sujettes à une inflammation permanente. Cependant ce sont plus fréquemment le côlon
et l'intestin grêle qui sont touchés. Les symptômes qui en découlent sont des diarrhées, des douleurs
abdominales, une perte de poids, de la fièvre et de la fatigue. Si les facteurs génétiques jouent un rôle
important dans l'apparition de la maladie, les facteurs environnementaux sont également en cause.
Depuis les années 30-40, la maladie de Crohn est de plus en plus fréquente dans les pays occidentaux.
Cette évolution suggère que notre mode de vie favorise l'apparition de cette maladie. Parmi les facteurs
environnementaux identifiés par les scientifiques, on compte notamment le tabac. Le tabagisme multiplie en
effet le risque de développer la maladie de Crohn par deux…
« Chez des jumeaux identiques, si l'un des jumeaux a la maladie de Crohn, l'autre a 50% de chance de
développer aussi cette maladie. Chez des frères et sœur, ce pourcentage est de 5% », explique Edouard
Louis. Des chiffres qui soulignent malgré tout la grande influence de nos gènes sur la probabilité de souffrir
de cette maladie. Il est donc primordial de continuer à scruter le génome pour y déceler les gènes qui y
prédisposent.
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« L'unité de génomique
animale de Michel Georges est à la pointe du développement des techniques et concepts en génétique,
collaborer avec lui nous permet d'être au sommet de la recherche sur la génétique de la maladie de
Crohn », s'enthousiasme Edouard Louis. « La découverte de variants génétiques rares protecteurs n'a pas
d'intérêt en terme de diagnostic mais bien en terme de compréhension de la maladie et de recherche de
nouvelles pistes thérapeutiques. Elle confirme que la recherche de substances pouvant agir au niveau de la
cascade de mécanismes liés à l'IL23 est pertinente », conclut-il.
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