L’HYPOTH `
ESE DE RIEMANN 3
La fonction zˆ
eta
Mort de la tuberculose en Italie `a 40 ans, ce g´enie des math´ematiques qu’´etait
Bernhard Riemann (1826-1866) a baptis´e ζ(s) la fonction
ζ(s)=1+ 1
2s+1
3s+1
4s+&c.
(il est traditionnel de noter sla variable dont d´epend cette s´erie). L’´etude de cette
fonction rel`eve a priori de l’analyse, qui est la partie des math´ematiques qui s’oc-
cupe des fonctions, de leurs limites, etc. Au XIVesi`ecle, Nicole Oresme (1323-1382),
qui enseignait au Coll`ege de Navarre `a Paris, et qui fut ´ev`eque de Lisieux, savait
d´ej`a que la s´erie harmonique ζ(1) a une somme infinie :
ζ(1) = 1 + 1
2+1
3+1
4+&c.=∞
(il disait que ✭✭ cette grandeur est sup´erieure `a n’importe quelle grandeur que l’on
s’est donn´ee ✮✮ ). En 1650, Pietro Mengoli (1625-1686), un jeune math´ematicien de
Bologne, pose la question de la valeur
ζ(2) = 1 + 1
22+1
32+1
42+&c.
et d´eclare que la r´eponse ✭✭ r´eclame un esprit plus riche [que le mien] ✮✮ . En 1735,
L´eonard Euler (1707-1783), alors `a Saint-P´etersbourg (sans doute l’un des plus
grands math´ematiciens ayant exist´e jusqu’`a ce jour, et certainement le plus pro-
lifique : ses œuvres compl`etes comprennent plus de 70 volumes !) r´epond `a la ques-
tion par une d´ecouverte spectaculaire :
ζ(2) = π2
6,
o`uπ=3,1416 ... est la surface du cercle unit´e. Il ne s’arrˆete pas l`a, et calcule les
valeurs ζ(2n) en tous les entiers pairs 2n. Signalons en passant qu’on sait encore
fort peu de choses aujourd’hui sur les valeurs ζ(2n+ 1) aux entiers impairs ; il a
fallu attendre plus de deux si`ecles apr`es Euler pour apprendre, grˆace `a Roger Ap´ery
en 1979, que ζ(3) est irrationnel comme πet ζ(2) (un nombre irrationnel est un
nombre qui ne s’exprime pas comme une fraction de nombres entiers). En l’an 2000,
un jeune professeur de lyc´ee, Tanguy Rivoal, a d´emontr´e que la fonction zˆeta prend
une infinit´e de valeurs irrationnelles aux entiers impairs.
Mais l’histoire ne commence pas l`a ; comme on va le voir, cette histoire passe
par trois points nodaux : le premier autour de 350 av. J.-C., le second en 1737, et
le troisi`eme en 1859. Et on voit arriver les pr´emices du quatri`eme et dernier : la
solution semble de plus en plus proche . . .
L’infini des nombres premiers
L’histoire commence par un probl`eme arithm´etique : celui des nombres premiers.
Un nombre pest premier si on ne peut pas l’´ecrire sous la forme d’un produit p=ab,
avec aet btous les deux diff´erents de p. On s’interroge depuis l’antiquit´e grecque
sur ces nombres, comme 2,3,5,7,11,13,17,19,&c.(par convention, le nombre
1 n’est pas consid´er´e comme premier). Mais leur g´en´eration semble totalement
ind´ependante de toute construction pr´ealable : le passage de 10 `a 11, et celui de
11 `a 12, se font par le mˆeme acte, l’addition de l’unit´e au nombre pr´ec´edent, et
cependant la deuxi`eme op´eration donne un r´esultat tr`es diff´erent de la premi`ere,
puisque 11 est premier et que 12 ne l’est pas. Leur apparition est impr´evisible : il y
a 4 nombres premiers entre 190 et 200, et aucun entre 200 et 210. La figure 2 est un
paysage construit `a partir de donn´ees al´eatoires fournies par la suite des nombres