La gestion des différences culturelles dans les fusions

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La gestion des différences culturelles dans les fusions-acquisitions
internationales : une compétence distinctive ?
Christine Coisne Edhec Business School
Cet article propose un cadre conceptuel permettant d’éclairer la problématique culturelle dans
les fusions-acquisitions transnationales. En effet, encore aujourd’hui, plus de la moitié de ce
type d’opérations échouent pour des raisons dites culturelles. Peu de progrès ont été constatés
depuis les années 80 et d’éminents chercheurs regrettent l’absence d’avancée significative
dans ce domaine. Les résultats contradictoires issus des travaux relatifs au paradigme de la
distance culturelle fournissent le point de départ de cette analyse: le paradigme de la distance
culturelle, qui englobe l’ensemble des analyses de mesure des différences entre cultures et a
largement dominé la recherche de ces trente dernières années, n’a pas permis de tirer des
conclusions claires et significatives sur les phénomènes de rapprochement culturel.
L’analyse propose de passer ce paradigme pour aborder le mode de gestion des différences
culturelles par les organisations transnationales dans la phase d’intégration. Elle a pour
objectif de formuler des pistes de réflexion et de recherche permettant d’enrichir la
compréhension des difficultés rencontrées dans la dynamique du rapprochement de deux
entités organisationnelles. Afin d’atteindre cet objectif, l’analyse propose de suivre un
continuum qui progresse de la non-prise en compte à la prise en compte des différences
culturelles et identifie des stratégies culturelles susceptibles d’être mises en œuvre dans les
organisations transnationales. La mise en perspective de ces stratégies privilégie une prise en
compte active des éléments constitutifs des ensembles culturels en présence.
La prise en compte active des caractéristiques culturelles présente un double avantage : elle
permet d’alléger les tensions liées aux « factions » culturelles et de capitaliser sur les
bénéfices dérivés de la diversité des approches. Les processus d’intégration socioculturelle,
d’une part, et organisationnelle, d’autre part, sont facilités grâce à la mise en place d’un
management interculturel formalisé reposant sur des dispositifs adaptés. Le management
interculturel de l’intégration des fusions-acquisitions internationales est présenté comme une
compétence organisationnelle distinctive, capable de transformer les résistances et
incompréhensions mutuelles en création de valeur pour l’organisation. Il procède d’une étude
détaillée des caractéristiques culturelles des deux organisations ou audit culturel, qui va servir
de fondement à l’élaboration d’une stratégie culturelle en lien avec les objectifs du
rapprochement et se traduire en mécanismes formels d’intégration culturelle sous-tendus par
l’apprentissage.
Les bénéfices d’une gestion formalisée des différences culturelles peuvent se révéler
considérables pour les chercheurs et praticiens : les démarches qui consistent à tourner la page
du paradigme de la distance culturelle et aborder la différence sous l’angle de
l’enrichissement mutuel sont dignes d’intérêt.
Mots-clés : différences culturelles - gestion intégration fusions et acquisitions
internationales
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La gestion des différences culturelles dans les fusions-acquisitions internationales : une
compétence distinctive ?
Introduction
Ces trois dernières décennies ont vu se multiplier les rapprochements internationaux de toute
nature. Les fusions-acquisitions sont, à ce titre, un mode d’approche privilégiée de nouveaux
marchés permettant aux entreprises d’accéder à une taille et un rayonnement supérieurs et de
générer de la rentabilité et de la croissance. Dans l’analyse des critères de performance, la
recherche en fusions-acquisitions s’est développée à l’intérieur de champs bien spécifiques.
Les expertises financière et stratégique ont dominé les courants de recherche dans les années
1980 et 1990 (Cartwright & Schoenberg, 2006). La création de richesse (Agrawal & Jaffe,
2000) ou l’alignement stratégique entre les entités du rapprochement (Seth, 1990) ont focalisé
l’attention des chercheurs pendant deux décennies. Peu à peu, les critères organisationnels
sont entrés en ligne de compte dans l’analyse de la performance, retenant l’intérêt de
chercheurs spécialistes de la psychologie, du comportement organisationnel et de la gestion
des ressources humaines (Buono & Bowditch, 1989; Cartwright & Cooper, 1992; Mirvis &
Marks, 1992; Sales & Mirvis, 1984). L’étude des conséquences du choix de la stratégie
d’intégration post-acquisition sur la performance (Haspelagh & Jemison, 1991; Cartwright &
Cooper, 1993) ainsi que la mise en œuvre du processus d’intégration (Child, Faulkner &
Pitkethly, 2001; Schweiger & Very, 2003) ont fait plus récemment l’objet d’un intérêt
croissant.
La culture ayant été « accusée » de faire obstacle aux rapprochements internationaux et
nationaux (Zollo & Meier, 2008), de nombreuses études se sont penchées sur l’influence de
la culture nationale aussi bien qu’organisationnelle sur la performance. Des résultats pour le
moins concluants issus de ces travaux ont renforcé l’intérêt des chercheurs pour l’énigme
culturelle, certains décrivant les bienfaits, d’autres, les inconvénients des rapprochements
transnationaux. Les concepts d’ « ajustement culturel » (cultural fit : Weber, Shenkar &
Raveh, 1996), de « compatibilité culturelle » (cultural compatibility : Cartwright & Cooper,
1993), de « distance culturelle » (cultural distance : Morosini, Shane & Singh, 1998) et de
« similitude de style de management » (management style similarity : Larsson & Finkelstein,
1999) ont constitué divers angles d’approche du lien entre culture et performance qui nous
intéresse aujourd’hui dans ses aspects contrastés et ambigus.
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Une première méta-analyse réalisée par King et al. (2004) portant sur 93 études empiriques
confirme l’hypothèse selon laquelle les facteurs de succès des fusions-acquisitions méritent
plus ample attention : « nos résultats indiquent que la performance des fusions-acquisitions est
modérée par des variables non identifiées par la recherche existante ». Une deuxième méta-
analyse menée par Stahl & Voigt (2004) sur l’impact des différences culturelles sur la
performance conclut à la non-résolution de la plupart des facteurs explicatifs de la variance
culturelle. Des analyses postérieures proposent des pistes de recherche complémentaires.
Very & Teerikangas (2006) suggèrent que des biais conceptuels et méthodologiques ont altéré
le processus et les résultats de la recherche. Stahl & Voigt (2008) se demandent si le rapport
entre culture et performance est modéré par les différences de culture ou par le mode de
gestion de ces différences.
L’étude qui suit se propose d’examiner la pertinence du mode de gestion des différences
culturelles ou management interculturel appliqué à la gestion des fusions-acquisitions. Elle
fournit un cadre conceptuel permettant d’appréhender la portée du management interculturel
dans la gestion du processus d’intégration sous l’angle des compétences distinctives. Son
développement s’organise en trois parties : la première partie dessine le cadre conceptuel des
travaux présentés en mettant en lumière les modes de gestion des différences culturelles ; la
seconde identifie les enjeux culturels de la réussite des rapprochements internationaux ; la
troisième partie insère le cadre conceptuel dans une dynamique d’intégration positive pour
l’organisation.
1- La gestion des différences culturelles dans les rapprochements internationaux
L’objet de cette première partie est de mettre en évidence les éléments de la problématique
culturelle dans les rapprochements d’entreprises. L’internationalisation des économies a
favorisé les contacts entre cultures: les formes les plus courantes de rapprochements telles que
les alliances inter-organisationnelles, les partenariats d’entreprises ou les fusions-acquisitions
ont posé la problématique culturelle en des termes concrets et mis au défi chercheurs et
praticiens d’identifier les facteurs clés de succès des rapprochements. Dans une récente étude
du cabinet de conseil Bain &Co, menée en 2009 auprès de 10.000 cadres issus de 73 pays, la
culture figurait au premier rang des préoccupations managériales de réussite, ex-æquo avec la
stratégie. Et pourtant, les performances affichées par ces combinaisons culturelles sont loin
d’être satisfaisantes et continuent d’alimenter les recherches et expérimentations.
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Les processus et comportements organisationnels dans la phase d’intégration des fusions-
acquisitions ont fait l’objet d’un intérêt croissant ces 20 dernières années. Les spécialistes du
comportement organisationnel (Buono & Bowditch, 1989; Cartwright & Cooper, 1993;
Mirvis & Marks, 1992; Sales & Mirvis, 1984 ; Berry, 1990 ; Nahavandi & Malekzadeh, 1988)
se concentrent sur les facteurs humains de l’intégration (taux de satisfaction, sentiment
d’identi partagé dans la nouvelle organisation issue du rapprochement, degré
d’acculturation) alors que les experts du changement organisationnel ((Jemison & Sitkin,
1986; Hunt, 1988; Shrivastava, 1986 ; Haspelagh & Jemison, 1991)) étudient les stratégies de
rapprochement, transferts de compétences et partage de ressources. La conjonction des deux
champs, rare ou inexistante, est délaissée au profit d’une fragmentation des problématiques,
que nous identifions comme une faiblesse dans la recherche actuelle.
La problématique culturelle quant à elle s’exprime en termes d’écarts et/ou de mesures. On y
recense un certain nombre de travaux. L’ajustement culturel ou « cultural fit » (Marks, 1992 ;
Buono & Bowditch, 1989 ; Chatterjee et al, 1992) est défini comme le degré de compatibilité
perçu entre deux systèmes culturels. La distance culturelle ou « cultural distance »
(Morosini et al, 1998 ; David and Singh, 1994 ; Larsson & Risberg, 1998) est relative à l’écart
existant entre les caractéristiques des systèmes culturels. La compatibilité culturelle ou
« cultural compatibility » (Cartwright and Cooper, 1993, 1996) est synonyme de « cultural
fit ». Enfin, la similitude entre styles de management ou management style similarity (Datta,
1991 ; Larsson & Finkelstein, 1999) s’applique au degré de compatibilité entre modes de
management. Ces travaux visent tous à mieux appréhender le degré d’ajustement requis pour
que deux systèmes culturels puissent fonctionner ensemble. Cependant, les résultats
contradictoires issus de ces recherches ne permettent pas de résoudre l’énigme culturelle : la
différence est tantôt perçue comme une opportunité, tantôt comme une menace et le débat se
trouve relancé sur l’alchimie culturelle des rapprochements internationaux.
Le processus qui consiste à dépasser l’analyse des différences et similitudes culturelles entre
entités du rapprochement n’a été qu’effleuré par la recherche. Ce vide académique découle
vraisemblablement de l’importance excessive accordée à la description, à la comparaison et
par conséquent à la mesure des différences culturelles, une perspective qui a mobililes
experts ces vingt dernières années et qui a trouvé son origine dans un courant épistémologique
positiviste de « réification » de la culture, sur la base des études menées depuis Hofstede
(1980).
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La perspective académique souffre donc d’une fragmentation excessive et les chercheurs
s’attèlent depuis peu à ouvrir le champ des investigations au-delà des études de mesure ou de
similitude (Very & Teerikangas, 2006 ; Stahl & Voigt, 2008). Dans cette optique, nous
pensons que le paradigme de la distance culturelle est révolu et qu’il convient d’adopter une
approche autre que déterministe, dépassant le cadre de l’examen des données culturelles
passées à « la moulinette » du rapprochement pour aborder le traitement ou mode de gestion
des différences culturelles. Deux raisons nous invitent à adopter cette position : la première
émane de l’étude des rapprochements interculturels qui démontre que des différences
culturelles gérées efficacement peuvent produire des cultures hybrides (Shimoni, 2011)
sources de compréhension et satisfaction mutuelles. La seconde nous est fournie par les
conclusions de revues récentes de la littérature (Stahl & Voigt, 2008) : même si l’examen des
dimensions culturelles est essentiel dans l’appréhension des aspects statiques de l’intégration,
celui-ci doit être combiné à l’analyse des variables modératrices du processus, telles que la
gestion de ces dimensions.
Nous alimentons cette approche par différents modèles théoriques. La littérature de recherche
américaine sur la gestion de la diversité (Adler, 2002 ; Cox, 1993) a donné naissance à un
courant de recherche qui reconnaît la diversité culturelle au sens large (origine ethnique,
culture nationale, genre, âge,…) comme source d’enrichissement pour l’organisation et
s’inscrit en faux contre le caractère nuisible de toute forme de “différence” (Adler, 2002). La
non-prise en compte (ou la mauvaise gestion de la diversité) peut nuire à la performance
organisationnelle alors que la gestion de la diversité peut s’avérer être un atout stratégique
pour l’entreprise (Cox, 1993). Une étude de McKinsey parue en Avril 2012 établit que les
équipes dirigeantes intégrant la diversité affichent des performances supérieures notamment,
mais pas seulement, dans le cas d’une internationalisation.
D’une manière générale, la prise en compte de la différence a pour effet d’enrichir
l’organisation de multiples opinions, avis, interprétations, répertoires de significations qui
favorisent ainsi une plus grande tolérance aux autres, une ouverture, une flexibilité et
créativité accrues, et la naissance de nouvelles compétences distinctives (Adler, 2002 ; Mirvis
& Marks, 2003). A l’inverse, la non prise en compte de la différence culturelle génère des
difficultés de compréhension, d’exécution, de prise de cision, retarde le processus et laisse
la place à l’ambiguïté, la confusion, la complexité occasionnant frictions, incompréhensions et
défauts de communication de tous ordres (Adler, 2002 ; Cox, 1993).
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