H I G H L I G H T S 2 01 3 : G É R I AT R I E Désir de mort chez les personnes âgées: que savons-nous de cette réalité? Stéfanie Monod, Etienne Rochat, Christophe Büla, Claudia Mazzocato, Brenda Spencer, Thomas Münzer, Armin von Gunten, Pierluigi Quadri, Anne-Véronique Dürst Service de Gériatrie et Réadaptation gériatrique, Unité de Consultation Ambulatoire et Communautaire, Hôpital Nestlé, Lausanne Au cours des études de médecine, nous apprenons que la mort est un risque qu’il faut combattre le plus long­ temps possible avec tout l’arsenal thérapeutique dont nous disposons. Même si nous sommes par la suite ré­ gulièrement confrontés à la mort, celle­ci reste souvent illicite et lorsqu’elle survient, elle peut être vécue comme un échec. Dans ce contexte médical particulier, lorsqu’un patient exprime ne plus «vouloir vivre», les soignants sont souvent désemparés, ne sachant comment répondre à cette demande. Le «spectre» des associations d’aide au suicide devient omniprésent. Les soignants ressentent alors une forte tension entre le respect de l’autonomie de la personne et le respect d’un principe de bienfaisance. S’ensuit généralement une surinterven­ tion maladroite, parfois vécue par le patient comme une incompréhension de la part du monde médical. La résultante est souvent un sentiment d’échec, tant pour le patient que pour les soignants. Le désir de mort reste un tabou important dans notre société judéo­chrétienne même largement sécularisée alors que la question de la finitude est probablement une préoccupation fréquente chez nos malades (très) âgés. Il apparaît donc important d’aborder cette réalité et de mieux la comprendre si l’on veut pouvoir ensuite évoquer intelligemment cette question difficile avec nos patients et en débattre sereinement au niveau de la société. Désir de mort: prévalence Stéfanie Monod Les auteurs n’ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l’article soumis. Le désir de mort peut être conceptualisé comme un continuum entre un désir de mourir «passif» (par ex. le fait d’espérer «ne plus se réveiller le matin») jusqu’à l’expression claire d’une volonté de se suicider ou de demander un suicide assisté. Le désir de mort a surtout été étudié dans le cadre des soins palliatifs, chez des patients relativement jeunes souffrant de cancer ou de SIDA et en phase terminale de leur maladie. La prévalence du désir de mort oscil­ lerait entre 2 et 17% selon le type de population, avec une fréquence plus élevée chez les patients en phase terminale. Une étude qualitative conduite chez des per­ sonnes un peu plus âgées en phase terminale de cancer (n = 96; âge moyen 69 ans) a montré une prévalence encore plus élevée, estimée aux alentours de 23% [1]. Très peu de données existent sur le désir de mort des personnes âgées. Quelques indicateurs méritent néan­ moins une certaine attention et, parmi eux, le taux de suicide. En Suisse, c’est dans le groupe des personnes de plus de 80 ans que l’incidence du taux de suicide est la plus élevée et cette incidence est en constante augmen­ tation depuis les années 80. La proportion de décès par suicide assisté qui concernent des personnes âgées souffrant de maladies non terminales augmente aussi régulièrement depuis 1990. L’âge moyen des personnes décédées par suicide assisté en ville de Zurich est passé de 69,3 ± 17,0 ans sur la période 1990–2000 (n = 149) à 76,9 ± 13,3 pour la période 2001–2004 (n = 147) (p <0,001) [2]. La proportion des personnes âgées de plus de 80 ans est également passée de 16,1 à 35,7% (p <0,001) sur la même période, laissant supposer que ce taux de suicide est en constante augmentation en particulier chez les personnes âgées à très âgées. Le suicide est bien sûr la forme la plus extrême de l’expression du désir de mort, et le désir de mort ne peut pas être réduit à cette seule question, en particulier chez les personnes âgées. Quelques données proviennent aussi d’études de cohortes européennes. Par exemple dans l’enquête Survey of Health, Ageing, and Retirement in Europe (n = 12 005 individus de plus de 50 ans, âge moyen 64,4 ± 1,4 ans), un désir de mort passif oscillait entre 4,6% dans le nord et 8,5% dans le sud de l’Europe. De la même manière, 15,3% des personnes interrogées dans le cadre de la Longitudinal Aging Study Amsterdam (n = 1794; 58–98 ans; 4 questions liées au désir de mort et au désir de vie) rapportaient avoir un désir de mort. Un désir de mort plus ou moins sévère serait donc présent chez une proportion non négligeable de la population âgée. Néanmoins, à ce jour les données restent très lacunaires. Désir de mort: modèle conceptuel De nombreux facteurs ont été associés au désir de mort chez des personnes adultes en soins palliatifs. Dans une revue de la littérature sur le désir de mort, Monforte et al. ont identifié des facteurs physiques (douleur, inconfort, dépendance fonctionnelle…), psychologiques (désespoir, peur de souffrir, sentiment «d’être une charge»…), psy­ chiatriques (dépression) et sociaux (soutien social) [3]. Les auteurs ont également identifié des facteurs dits «psycho­existentiels», tels que la perte d’autonomie, la perte de rôle social ou encore la perte de sens. Une ten­ tative de conceptualisation du désir de mort chez des patients cancéreux en phase terminale (âge médian 61,5 ± 11,0 ans) a été réalisée par Rodin [4]. Dans son modèle, l’auteur fait l’hypothèse que la dépression et le désespoir (compris ici comme un pessimisme face à l’avenir) sont les principales dimensions qui mèneraient Forum Med Suisse 2013;13(51–52):1063–1064 1063 H I G H L I G H T S 2 01 3 : G É R I AT R I E au désir de mort. Tous les autres facteurs, individuels (âge, sexe, bien­être spirituel, estime de soi et sécurité de l’attachement) ou en lien avec la maladie (symptômes physiques, état fonctionnel et douleurs), ne seraient qu’indirectement liés au désir de mort. On peut supposer que les déterminants du désir de mort chez les personnes âgées ne sont pas les mêmes que ceux identifiés chez des patients plus jeunes en fin de vie. Certains facteurs tels que le soutien social ou le sentiment «d’être une charge» devraient probablement être inclus dans un tel modèle. En outre, d’autres facteurs comme la détresse existentielle semblent égale­ ment susceptibles d’influencer l’expression d’un désir de mort. Cette détresse existentielle, définie comme la présence de besoins spirituels non couverts sur les questions de sens, de transcendance ou de valeurs, est probablement fréquente chez les personnes âgées et concernerait près de 60% des patients en réadaptation gériatrique [5]. Enfin, même si l’on suspecte que le désir de mort soit généralement l’expression d’une profonde souffrance psychique, physique ou spirituelle, il est aussi possible que certaines personnes, en particulier très âgées, expri­ ment un désir de mort passif qui traduirait plutôt un sentiment d’aboutissement et d’accomplissement positif de la vie. Ainsi, même si certains déterminants du désir de mort sont probablement les mêmes que chez des adultes plus jeunes, les modèles de compréhension de ce désir de mort chez les personnes âgées n’existent pas. Conclusion Cette question du désir de mort chez les personnes âgées doit donc encore être explorée. Dans le cadre d’un travail exploratoire financé par la Fondation Leenaards et d’un projet de recherche financé par le Fonds national Suisse PNR 67 «Fin de vie», notre équipe de recherche collecte actuellement des données sur ce désir de mort chez des patients âgés hospitalisés et des résidents d’EMS. L’objectif est d’améliorer notre compréhension des différentes significations que peut revêtir l’expression d’un tel désir chez ces personnes et d’élaborer ensuite avec les soignants des modèles de prise en compte de cette question. L’expérience que nous avons conduite jusqu’ici nous montre que les pa­ tients souhaitent partager ces réflexions (le taux d’ac­ ceptation de notre première étude auprès de patients âgés en réadaptation était de 75%). Même si aborder la question de la mort avec un patient est toujours un moment difficile qui requiert de la finesse de la part du soignant, ce moment peut aussi être l’occasion de chemi­ ner avec lui dans l’acceptation de sa maladie ou de son handicap. Cette démarche devrait donc globalement nous aider à mettre en œuvre des modèles holistiques de soins pre­ nant en compte les différentes dimensions bio­psycho­ sociales et spirituelles de la personne et résoudre au mieux la tension entre l’observation de la volonté de mourir de certains patients et les difficultés de notre médecine à assumer la mort. Correspondance: Dr Stéfanie Monod Responsable d’Unité, Médecin Associé Service de Gériatrie et Réadaptation gériatrique Unité de Consultation Ambulatoire et Communautaire Hôpital Nestlé, Niv. 04 Av. Pierre-Decker 5 CH-1011 Lausanne Stefanie.Monod-Zorzi[at]chuv.ch Références 1 Schroepfer TA. Mind frames towards dying and factors motivating their adoption by terminally ill elders. J Gerontol B Psychol Sci Soc Sci. 2006;61:S129–S139. 2 Fischer S, Huber CA, Imhof L et al. Suicide assisted by two Swiss right­to­die organisations. J Med Ethics. 2008;34:810–4. 3 Monforte­Royo C, Villavicencio­Chavez C, Tomas­Sabado J, Balaguer A. The wish to hasten death: a review of clinical studies. Psychoonco­ logy 2011;20(8):795–804. 4 Rodin G, Lo C, Mikulincer M, Donner A, Gagliese L, Zimmermann C. Pathways to distress: the multiple determinants of depression, hope­ lessness, and the desire for hastened death in metastatic cancer pati­ ents. Social Science & Medicine. 2009;68:562–9. 5 Monod S, Martin E, Spencer B, Rochat E, Büla C: Validation of the Spi­ ritual Distress Assessment Tool in older hospitalized patients. BMC Geriatrics. 2012;12:13. doi:10.1186/1471­2318­12­13. Forum Med Suisse 2013;13(51–52):1063–1064 1064