Le stress oxydant dans l’insuffisance rénale chronique et l’hémodialyse B. Descamps-Latscha et V. Witko-Sarsat INSERM U507, Hôpital Necker, Paris De nombreux travaux ont montré que l’hémodialyse induit la génération excessive d’oxydants (formes réactives de l’oxygène et oxydants chorés) par les cellules phagocytaires activées au contact de la membrane de dialyse et des endotoxines bactériennes du dialysat et majore le déficit en anti-oxydants (principalement en glutathion) inhérent à l’urémie chronique. Le stress oxydant qui en résulte joue un rôle non négligeable dans la pathologie de l’inflammation associée à l’hémodialyse et principalement dans l’athérome accéléré dont les complications grèvent lourdement la mortalité en hémodialyse. Des études plus récentes de larges cohortes de patients urémiques ont révélé que ce stress oxydant est en fait présent dès le stade précoce de l’insuffisance rénale et s’accentue avec la progression de l’urémie, et que certaines toxines urémiques ont pour cibles électives les cellules phagocytaires. Nos travaux visant à la meilleure caractérisation du stress oxydant chez le patient dialysé nous ont permis de décrire la présence dans le plasma de ces patients de nouveaux marqueurs du stress oxydant envers ou AOPP (Advanced Oxidation Protein Products) qui se sont avérés des toxines urémiques potentielles et des médiateurs de l’inflammation. La meilleure connaissance de la part respective de la bio-incompatibilité des circuits de dialyse et des toxines urémiques responsables de l’état de préactivation des cellules phagocytaires devrait permettre de dégager des stratégies thérapeutiques permettant de contrecarrer la survenue des complications liées au stress oxydant chez le patient hémodialysé et dont l’efficacité pourrait être suivie par les AOPP. Evidence has accumulated that oxidative stress resulting from the increased generation of oxidants (reactive oxygen species and chlorinated oxidants) by activated phagocytes at the contact of dialysis membranes and dialysate endotoxins and from the uremia-related profound deficiency in antioxidants (glutathion system mainly) plays a prominent role in the pathogenesis of the accelerated atherosclerosis process which accounts for almost one half of deaths in dialysis patients. However more recent studies of large cohorts of uremic patients have shown that oxidative stress is already present at an early stage of chronic renal failure, increases with the progression of uremia and that phagocytic cells are elective targets of uremic toxins. Our recent studies aimed at better characterizing oxidative stress in dialysis patients have led to describe the presence in the plasma of uremic patients of AOPP (Advanced Oxidation Protein Products) which proved to be potential uremic toxins and mediators of inflammation. A better knowledge of the respective contribution of bioincompatibility and uremic toxins at the origin of phagocyte activation will allow to develop therapeutic strategies aimed at reducing the incidence of oxidative stress related complications and with AOPP as a gauge of their efficacy. Mots-clés : Stress oxydant – Insuffisance rénale chronique – Hémodialyse. Key words: Oxidative stress – Chronic renal failure – Hemodialysis. Les conditions de survenue du stress oxydant défini par la rupture de l’équilibre entre la génération d’oxydants et l’activité des systèmes antioxydants se trouvent pleinement réunies chez le patient urémique hémodialysé ce d’autant plus que la production sans cesse renouvelée d’oxydants ne peut être contrecarrée en raison d’un déficit majeur dans les systèmes anti-oxydants notamment celui du glutathion. Ce stress oxydant devrait jouer un rôle non négligeable dans la pathologie de l’inflammation associée à l’hémodialyse, notamment l’arthropathie avec dépôts amyloïdes de β2-microglobuline et l’athérome accéléré dont les complications grèvent lourdement la mortalité en hémodialyse. La bio-incompatibilité de la membrane de dialyse et la contamination possible du dialysat par des fragments d’endotoxines bactériennes sont autant de facteurs susceptibles de déclencher l’activation des cellules phagocytaires et leur génération consécutive d’oxydants. L’étude d’une large cohorte de patients urémiques a révélé que des signes en faveur d’un stress oxydant sont présents dès le stade précoce de l’urémie et s’accentuent avec sa progression et culminent en hémodialyse, montrant le rôle des toxines urémiques et l’effet majorant de la dialyse dans la genèse du stress oxydant. L’évaluation du stress oxydant chez le patient hémodialysé a longtemps reposé uniquement sur la mesure des dérivés de la peroxydation lipidique tels que le malondialdehyde (MDA) et, Néphrologie Vol. 24 n° 7 2003, pp. 377-379 377 session III Résumé • Summary session III plus récemment, le 4-hydroxynonenal (4-HNE) et les F2-isoprostanes. Une autre approche a porté sur la mesure des lipoprotéines de basse densité (LDL) oxydées dont la présence à des concentrations importantes chez le patient hémodialysé va de pair avec l’athérome accéléré et des anticorps anti-LDL oxydées ont également été mis en évidence. Enfin des marqueurs de l’altération de l’ADN (8-OH guanidine) des dérivés de l’oxydation du NO et des signes indirects tels qu’une apoptose accrue ont été également décrits chez ces patients. En revanche, et bien que les protéines plasmatiques constituent des cibles électives des oxydants, les marqueurs sélectifs de l’attaque oxydative des protéines ont été, à ce jour, peu utilisés à des fins diagnostiques ou de recherche clinique. Nos travaux visant à une meilleure caractérisation du stress oxydant chez les patients dialysés ont permis d’individualiser la présence dans le plasma de ces patients de dérivés de l’oxydation des protéines que nous avons ainsi baptisés AOPP (Advanced Oxidation Protein Products) en raison de leur relation étroite avec les AGE (Advanced Glycation Endproducts). primordial dans les complications de l’hémodialyse. Ceci est particulièrement net pour les complications ayant une dominante inflammatoire telles que : 1) l’athérome accéléré via l’oxydation des LDL – dont le rôle pathogène résulte en partie de leur capacité d’induire l’activation des macrophages – et également via la myéloperoxydase dont la présence au sein des lésions athéromateuses a été récemment décrite ; 2) l’arthropathie à β2-microglobuline qui peut subir des modifications sous l’effet de l’oxydation comme de la glycation ; 3) l’anémie en raison de la très grande susceptibilité des érythrocytes aux oxydants et de leur importance dans la lutte anti-oxydante via leur contenu glutathion ; 4) et enfin la malnutrition qui accentue la perte en antioxydants et dont le stress oxydant qui en résulte constitue une composante majeure. ■ Les AOPP dans l’inflammation de l’insuffisance rénale chronique Le stress oxydant chez le patient dialysé met en jeu des composantes liées à l’insuffisance rénale par le biais des toxines urémiques et des composantes liées aux circuits de dialyse et notamment la biocompatibilité des membranes et la qualité du bain de dialyse. En effet tant les toxines urémiques que le C5a et le C3a générés par l’hémo-incompatibilité et les endotoxines résultant de la contamination éventuelle du dialysat sont capables d’activer la production d’oxydants par les neutrophiles et les monocytes. La pratique de l’hémodialyse dans des conditions optimales de biocompatibilité et avec un dialysat ultrapur est une des bases de la prévention du stress oxydant. Certains procédés de dialyse dite « anti-oxydante » incorporant de la vitamine E dans le circuit extracorporel (liposomes de l’hémolipodialyse) ou surtout la membrane sont actuellement développés. La membrane Excebrane a prouvé son efficacité à diminuer certains marqueurs du stress oxydant et l’activation des cellules phagocytaires mais uniquement par rapport aux membranes cellulosiques bio-incompatibles. Les projets d’incorporer la vitamine E dans des membranes hautement compatibles (au lieu du cuprammonium) devaient permettre de mieux déterminer l’efficacité de la vitamine E ainsi « greffée » dans la lutte contre le stress oxydant chez le patient dialysé. Concernant les thérapeutiques anti-oxydantes proprement dites les faits suivants décrits dans les revues précitées ont été observés : la vitamine E exerce un effet bénéfique sur l’anémie et les accidents cardiovasculaires (SPACE study) ; la vitamine C dont la perte perdialytique est importante est nécessaire mais comporte des risques d’effet pro-oxydant et d’apport d’oxalate ; le glutathion IV réduit le stress oxydant mais de façon modeste et un essai thérapeutique multicentrique avec un inducteur de glutathion, la N-acétylcystéine est en perspective. L’étude du rôle des AOPP dans la dysrégulation immunitaire associée à l’insuffisance rénale a montré leur présence dès le stade précoce de l’urémie, leur accumulation au cours de sa progression en relation étroite avec les marqueurs d’activation monocytaire (néoptérine et cytokines pro-inflammatoires). Ces résultats ont été corroborés par l’observation que des AOPP formés in vitro (par traitement de l’albumine avec des oxydants chlorés) activent le métabolisme oxydatif et la production de TNF par les monocytes et nous ont amenés à proposer que les AOPP pourraient constituer une nouvelle famille de toxines urémiques et/ou de médiateurs de l’inflammation. La mise en évidence d’une relation entre les AOPP et l’activité oxydative des polynucléaires neutrophiles dépendante de la myéloperoxydase suggère que les AOPP pourraient, à l’instar des cytokines, être des médiateurs de la communication entre polynucléaires et monocytes. Dans cette hypothèse, les polynucléaires neutrophiles, qui demeurent la source principale de myéloperoxydase, seraient la source principale des oxydants chlorés responsables de la formation des AOPP et les monocytes constitueraient la cible privilégiée des AOPP via un récepteur qui reste à définir. D’un point de vue plus fondamental, les oxydants chlorés, jusque-là considérés comme des espèces microbicides dont la production est restreinte aux cellules phagocytaires, se sont révélés via leur action sur les protéines capables de moduler la réaction inflammatoire. Ce nouveau concept, selon lequel la base moléculaire de l’activité délétère des oxydants pourrait impliquer les produits d’oxydation des protéines, est remarquablement illustré dans l’inflammation associée à l’urémie. ■ Implications du stress oxydant dans les complications de l’hémodialyse Comme le soulignent les revues générales données en référence le stress oxydant joue un rôle non négligeable voire même 378 ■ Prévention du stress oxydant et stratégies anti-oxydantes en hémodialyse ■ Conclusion En conclusion le stress oxydant est une composante majeure de l’inflammation associée à l’insuffisance rénale chronique et majorée par l’hémodialyse. Les recherches menées chez les patients urémiques pour mieux le dépister, en connaître les Néphrologie Vol. 24 n° 7 2003 mécanismes et en déterminer le rôle physiopathologique ont débouché sur des découvertes fondamentales dans la compréhension des bases moléculaires de l’inflammation et sur des approches thérapeutiques qui devraient permettre d’en contrecarrer les effets délétères au bénéfice de ces patients. Adresse de correspondance : 1. Descamps-Latscha B, Drueke T, Witko-Sarsat V. Dialysis-induced oxidative stress : Biological aspects, clinical consequences, and therapy. Semin Dial 2001 ; 14 : 193-9. 2. Descamps-Latscha B, Witko-Sarsat V. Importance of oxidatively modified proteins in chronic renal failure. Kidney Int 2001 ; 78 (Suppl.) : S108-13. 3. Himmelfarb J, Stenwinkel P, Ikizer TA, Hakim RM. The elephant in uremia : Oxidant stress as a unifying concept of cardiovascular disease in uremia. Kidney Int 2002 ; 62 : 1524. 4. Morena M, Martin-Mateo M, Cristol JP, Canaud B. Stress oxydant, hémoincompatibilité et complications de la dialyse au long cours. Néphrologie 2002 ; 23 : 201-8. session III Dr Béatrice Descamps-Latscha INSERM U507 Hôpital Necker 161, rue de Sèvres F-75015 Paris Cedex 15 E-mail : [email protected] Références Néphrologie Vol. 24 n° 7 2003 379