M. I. Finley, dans un article fameux qui date de 1959, a écrit qu’« en Grèce
ancienne la liberté et l’esclavage ont marché de pair » (M. I. Finley, « Was Greek
Civilization Based on Slave Labour ? », Historia 8, 1959, p.145-164, p.164).
Néanmoins, aucune étude systématique qui tenterait de combiner également les deux
perspectives n’a jamais été entreprise. Ainsi les travaux sur la liberté sont-ils bien
distincts de ceux sur l’esclavage : ils insistent, sauf exceptions, sur le caractère politique
de la notion de liberté, sur sa liaison avec les guerres médiques et la démocratie
athénienne. En revanche, les travaux sur l’esclavage mettent souvent l’accent sur le
caractère social du problème de l’esclavage, sur son importance pour la cité grecque et
la démocratie ou, en ce qui concerne les hilotes, pour la cité spartiate, mais ils ne
s’interrogent pas sur sa relation avec la notion de liberté. De plus, les études qui traitent
des deux perspectives n’échappent pas à cette catégorisation : les interprétations des
experts sur l’esclavage risquent parfois de minimiser l’importance de la notion de
liberté politique, comme c’est le cas du livre d’Orlando Patterson, Freedom in the
Making of Western Culture, N. York 1991. Inversement, pour les experts de la liberté,
cette notion constitue un facteur plus déterminant de la civilisation grecque que la
présence d’esclaves, comme c’est la perspective du travail de Kurt Raaflaub, The
Discovery of Freedom in Ancient Greece, Chicago 2004. Ce travail a pris comme point
de départ cet écart entre les intérêts et les méthodologies différentes, qui donne même
l’impression d’une impasse. La question principale a été d’apprécier la déclaration de
M. I. Finley en l’appliquant à la pensée des historiens grecs : si la liberté et l’esclavage
ont vraiment marché de pair, de quelle manière cette coexistence s’est-elle réalisée ? De
quelle sorte de liberté parle-t-on et de quelle sorte d’esclavage ? Peut-on parler d’une
pensée homogène sur la liberté et l’esclavage ou y a-t-il des nuances et des
accentuations selon l’auteur, l’époque, etc. ? Ce sont certaines questions qui se trouvent
à la base de cette recherche.
La limitation du corpus aux trois historiens majeurs des Vème et IVème siècle
se justifie évidemment par des considérations pratiques : il s’agit déjà d’un ensemble
considérable, difficile à maîtriser dans un cadre d’une thèse de doctorat. Il n’était pas
possible de remonter à l’époque archaïque qui pose des problèmes spécifiques. De plus,
en ce qui concerne les autres genres (la poésie épique et lyrique, le drame, la
philosophie, la rhétorique), les questions de la liberté et d’esclavage sont présentes,
mais une combinaison de deux perspectives ne peut pas être facilement établie. Dans le
théâtre et la philosophie, l’idéologie de la liberté (collective et individuelle) et les