LES MALADIES TROPICALES (1) Le diagnostic de la rage Laurent Dacheuxa, Hervé Bourhya,* RÉSUMÉ SUMMARY La rage est une zoonose virale due à un lyssavirus et caractérisée par un tableau d’encéphalite. Elle est mal contrôlée voire en recrudescence dans de nombreuses régions d’Afrique et d’Asie. En France, c’est aujourd’hui essentiellement une maladie d’importation. Le diagnostic clinique étant souvent difficile, le diagnostic de laboratoire est le seul diagnostic de certitude. En post-mortem chez l’homme et l’animal, le diagnostic s’effectue à partir d’une biopsie ou d’un prélèvement cérébral analysés par immunofluorescence directe, par isolement en culture cellulaire ou par immunocapture d’antigène par ELISA. En intra-vitam chez l’homme, le diagnostic se pratique principalement par RT-PCR nichée sur 3 prélèvements sériés de salive et/ou sur une biopsie de peau prélevée au niveau de la nuque. La contribution des techniques de diagnostic au contrôle de la rage, à sa prévention et à la prise en charge des patients exposés par la mise en œuvre à bon escient de la prophylaxie post-exposition, est majeure. Encéphalite – zoonose – rage – lyssavirus immunofluorescence – isolement – RT-PCR. Rabies laboratory diagnosis Rabies is an encephalitis due to a lyssavirus, a zoonotic agent. It is not yet controled and is even re-emerging in many African and Asian countries. In France, most of the animal and human cases are imported. The clinical diagnosis of rabies is often difficult and therefore the laboratory diagnosis remains the only diagnosis of certainty. In post-mortem diagnosis in animals or humans, brain biopsy or brain specimens will be analysed by direct immunofluorescence, cell culture isolation and rabies antigen capture by ELISA. In intra-vitam diagnosis in humans, nested RT-PCR will be performed on 3 saliva specimens collected at intervals and/or on a skin biospsy collected at the tap of the neck. The contribution of laboratory diagnosis methods is major for the control of rabies, its prevention and for the optimal delivery of the postexposition prophylaxis in rabies-exposed patients. 1. Introduction La rage est une zoonose virale due à un lyssavirus auquel sont sensibles tous les mammifères. Elle est transmissible accidentellement à l’homme, généralement à la suite d’une morsure, d’une griffure ou d’un léchage sur plaie par un animal enragé. La contamination des muqueuses (par exemple oculaire) est aussi une voie efficace d’infection. Enfin quelques rares cas de transmission par allogreffe sont notés. La rage est caractérisée cliniquement par l’apparition d’un tableau d’encéphalite dont les symptômes sont très variables selon les individus et les espèces considérés. Elle est toujours fatale dans un délai bref. Le diagnostic différentiel avec d’autres encéphalites virales d’étiologie différente est souvent difficile voire impossible. Dans ces conditions, seul l’examen de laboratoire permet de porter un diagnostic de certitude. Au début des années 1980, un diagnostic demandait entre 15 jours et 3 semaines. a Centre national de référence pour la rage Centre collaborateur de l’OMS de référence et de recherche pour la rage Unité dynamique des lyssavirus et adaptation à l’hôte Institut Pasteur 25, rue du Docteur-Roux 75724 Paris cedex 15 * Correspondance [email protected] [email protected] artticle article i l reçu le le 20 février, février i accepté té lle e 30 jui jjuin in 2 2010 010 © 2010 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. Encephalitis – zoonosis – rabies – lyssavirus – immunofluorescence – isolation – RT-PCR. Il était effectué par immunofluorescence et par l’inoculation de souris avant de pouvoir mettre en évidence le virus. Aujourd’hui le diagnostic de la rage peut s’effectuer en 24 heures. Les gains de temps et de sensibilité obtenus permettent aujourd’hui de mieux répondre aux impératifs de la prophylaxie de la rage chez l’homme. Nous proposons ici de rappeler succinctement les principes, les propriétés et les indications de ces techniques de laboratoire. Elles sont maintenant utilisées par de nombreux centres de diagnostic de la rage dans le monde entier et en particulier en France. Elles ont aussi été adaptées aux conditions des pays tropicaux où l’incidence de la rage est la plus importante. 2. Les lyssavirus 2.1. Taxinomie Les lyssavirus appartiennent à la famille des Rhabdoviridae et à l’ordre des Mononegavirales. Sur la base de la comparaison des séquences des nucléoprotéines et des génomes complets, onze espèces (anciennement dénommées génotypes) ont pu être définies (tableau I) [1]. On distingue pour chaque espèce un virus prototype : le virus de la rage (espèce RABV), le virus Lagos bat (espèce LBV), REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 // 33 le virus Mokola (espèce MOKV) et le virus Duvenhage (espèce DUVV), le virus European bat lyssavirus type 1 (espèce EBLV-1), le virus European bat lyssavirus type 2 (espèce EBVL-2) et le virus Australian bat lyssavirus (espèce ABLV). De nouveaux isolats ont été obtenus chez des chauves-souris et constituent les prototypes de nouvelles espèces. Figure 1 – Représentation schématique de la structure du virion. 2.2. Morphologie - structure Le virus rabique est un virus enveloppé présentant en microscopie électronique une forme d’obus. La taille des virions est d’environ 100-300 nm de long sur 75 nm de diamètre. Ces virions sont constitués d’une nucléocapside centrale de symétrie hélicoïdale entourée d’une enveloppe lipidique empruntée à la cellule lors du bourgeonnement (figure 1). L’enveloppe composée d’un double feuillet phospholipidique entoure tout le virion. Elle comporte deux protéines d’origine virale, la glycoprotéine G et la protéine de matrice M. La G, en position transmembranaire, s’associe sous forme de trimères pour constituer des spicules. En microscopie électronique, les spicules distants d’environ 5 nm apparaissent disposés régulièrement autour du virion et Tableau I – Classification des lyssavirus et caractéristiques épidémiologiques. Espèce Distribution géographique Espèces réservoirs et/ou vectrices Autres espèces concernées (cul-de-sac épidémiologique) Cas humains identifiés Virus de la rage RABV Monde entier, à l’exception de l’Antarctique, l’Australie, certains pays d’Europe de l’Ouest, une partie de la Scandinavie et certaines îles Chien, carnivores sauvages, chauves-souris (uniquement pour le continent américain) Homme, carnivores domestiques et sauvages, herbivores, autres chauves-souris (?) 55 000/an (99 % liés au chien, et quelques dizaines de cas liés aux chauvessouris) Lagos bat virus LBV Afrique : Nigéria, République centrafricaine, Afrique du Sud, Sénégal, Ethiopie, Guinée, Zimbabwe Chauves-souris frugivores (genres Eidolon, Epomophorus, Rousettus, Micropteropus) Chauves-souris insectivores (genre Nycteris), chats, chiens, mangouste aquatique Aucun à ce jour Mokola virus MOKV Afrique : Nigéria, République centrafricaine, Zimbabwe, Cameroun, Ethiopie, Afrique du Sud Non identifiées Homme, musaraignes, chats, chiens, rongeur 1 confirmé (Nigéria, 1971), 1 suspecté (Nigéria, 1969) Duvenhage virus DUVV Afrique : Afrique du Sud, Zimbabwe Chauves-souris insectivores (genre Miniopterus, Nycteris) Homme 3 (Afrique du Sud, 1971, 2006, Pays-Bas via Kenya, 2007) European bat lyssavirus type 1 (sous-type a ou b) EBLV-1 Europe Chauves-souris insectivores (principalement genre Eptesicus) Homme, autres chauvessouris insectivores (?), chats, moutons, fouine 1 confirmé et 2 suspectés (Russie, 1985) European bat lyssavirus type 2 EBLV-2 Europe Chauves-souris insectivores (principalement genre Myotis) Homme 2 (Finlande, 1985, Ecosse, 2002) Australian bat lyssavirus ABLV Australie Chauves-souris frugivores (genre Pteropus) et insectivores (principalement genre Saccolaimus) Homme 2 (Australie, 1996, 1998) Aravan virus ARAV Asie centrale (Kirghizistan) Chauve-souris insectivore (genre Myotis) (isolée une seule fois en 1991) ? Non rapporté Khujand virus KHUV Asie centrale (Tadjikistan) Chauve-souris insectivoire (genre Myotis) (isolée une seule fois en 2001) ? Non rapporté Irkut virus IRKV Sibérie orientale Chauve-souris insectivore (genre Murina) (isolée une seule fois en 2002) ? Non rapporté WCBV Région du Caucase Chauve-souris insectivore (genre Miniopterus) (isolée une seule fois en 2003) ? Non rapporté Dénomination West caucasian bat virus 34 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 LES MALADIES TROPICALES (1) donnent au virus son aspect hérissé. La M forme un manchon entre l’enveloppe et la nucléocapside virale. La nucléocapside est constituée de l’ARN génomique (environ 12 000 nucléotides) associé à trois protéines virales : la nucléoprotéine N, l’ARN polymérase ARN dépendante L et la phosphoprotéine P. L’ARN génomique est linéaire, monocaténaire, non segmenté, non polyadénylé et de polarité négative. La transcription de 3’en 5’aboutit à la production séquentielle de 5 ARN messagers (ARNm) en quantité décroissante, monocistroniques coiffés et polyadénylés, codant pour les protéines N, M, P, G et L [1]. La protéine N est étroitement liée à l’ARN sur la totalité de sa longueur. Les protéines P et L ont un rôle fonctionnel important dans les phénomènes de transcription et de réplication du génome viral. 3. Epidémiologie 3.1. Dans le monde Le contrôle de la rage reste encore une des priorités de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS). En effet, il ne faut pas sous-estimer la gravité de cette infection dans certaines parties du monde. Plus d’un siècle après la découverte de la vaccination antirabique, on estime que la rage dans le monde est encore à l’origine d’environ 55 000 décès par an [2]. Ce chiffre ne semble pas évoluer favorablement. Au contraire, la rage semble même ré-émerger dans certaines parties du monde (c’est le cas en Chine, au Vietnam et dans certaines parties d’Afrique). La raison est due à une absence de prise en charge efficace par les autorités de santé publique humaine et vétérinaire [3, 4]. Selon l’OMS, ce chiffre place la rage au 10e rang des maladies infectieuses mortelles. Deux continents sont particulièrement touchés : l’Afrique et l’Asie. Le chien représente la principale espèce animale réservoir dans le monde (il est à l’origine d’environ 99 % des décès humains) (figure 2). Cependant de très nombreuses autres espèces de mammifères jouent le rôle de réservoirs. Elles appartiennent à 2 ordres : celui des chiroptères (chauves-souris hématophages, insectivores et frugivores) et celui des carnivores (renard, mouffette, mangouste par exemple). A chacun de ces réservoirs correspond un variant particulier de lyssavirus. En dehors de ces réservoirs, la plupart des espèces de mammifères sont sensibles aux lyssavirus et peuvent donc constituer des vecteurs de l’infection chez l’homme. 3.2. En Europe et en France Durant ce dernier siècle, des modifications importantes des cycles épidémiologiques de la rage en Europe ont été observées. De plus, la mise en place de nouvelles investigations épidémiologiques et biologiques a permis la mise en évidence de nouveaux cycles épidémiologiques. La rage est aujourd’hui toujours présente. Son incidence chez l’homme reste limitée (moins de 5 cas par an en Europe) par l’application stricte de mesures de prophylaxie post exposition (PPE) et par des mesures de contrôle vétérinaire de la rage dans les populations animales sauvages et domestiques [5]. Les principaux réservoirs animaux autochtones sont : le chien dans les pays d’Europe de l’Est et aux frontières avec le Moyen-Orient ; le renard en Figure 2 – Cycle épidémiologique de la rage. Europe centrale et de l’Est ; le chien viverrin dans le nordest de l’Europe et les chauves-souris insectivores sur l’ensemble du continent [6, 7]. Enfin, tous les ans des cas d’importation d’animaux enragés en provenance de zones d’enzootie sont recensés, montrant la perméabilité de nos frontières et l’absence de prise de conscience du risque rabique par les voyageurs. Ces importations menacent en permanence le statut indemne de rage des animaux non volants des pays de l’ouest européen et compliquent la décision thérapeutique des médecins en l’absence d’information sur l’animal mordeur. La rage des chauves-souris est de caractérisation ancienne en Europe. Les premiers isolats datent de 1954. A partir de 1985, des campagnes importantes de capture de chiroptères sont réalisées au Danemark et dans les PaysBas et révèlent l’importance de l’enzootie [8]. Depuis la fin de ces campagnes exploratoires, environ 50 cas par an sont diagnostiqués dans de nombreux pays européens. Trois cas humains dus à des lyssavirus de chauves-souris européennes ont été confirmés en Europe de 1977 à 2010. Les lyssavirus sont aussi présents dans les populations françaises de chiroptères. Les conséquences en santé publique restent réduites. Aucun cas humain n’a été rapporté. Cependant 50 à 100 patients par an reçoivent une PPE suite à un contact avec une chauve-souris. Enfin, un cas d’infection par ces virus a été rapporté chez un chat en Vendée en 2007 [9]. Ceci montre que le passage de l’infection des chauves-souris aux animaux domestiques est réduit mais possible. Les lyssavirus du chien et du renard ont été éliminés du territoire français depuis respectivement 1924 et 1998 [10]. Cependant l’importation d’animaux au statut sanitaire incertain en provenance de zones d’enzootie met régulièrement en péril la situation de la France. A la suite d’une de ces importations passée malheureusement inaperçue, une chaîne de transmission s’est temporairement développée en France fin 2007-début 2008. Cet épisode aujourd’hui contrôlé a fait perdre temporairement à la France son statut de pays indemne de rage des carnivores non-volants. La rage humaine en France métropolitaine est de nos jours une maladie d’importation. Sur les 21 cas humains recensés en France de 1970 à 2008, 20 ont été acquis chez des voyageurs (18 en provenance d’Afrique dont 10 en provenance du Maghreb). Un cas humain rapporté à la Réunion en 1996 est un cas importé de Madagascar. Un autre cas rapporté en Guyane en 2008 est dû à un virus de rage des chauves-souris hématophages. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 // 35 4. Rappels sur la prise en charge des patients exposés A long terme, la prophylaxie de la rage repose sur le contrôle et la disparition de la rage animale. La protection immédiate des populations repose sur la prévention au travers de la vaccination antirabique des professions exposées et sur la PPE des individus éventuellement contaminés. Le nombre de PPE dans le monde est de l’ordre de 15 millions par an. En France, la PPE est administrée au travers de consultations spécialisées effectuées par les centres antirabiques répartis sur tout le territoire français [11]. Deux protocoles recommandés par l’OMS sont utilisés [12]. Il s’agit de protocoles associant 4 ou 5 injections de vaccins par voie intramusculaire à une sérothérapie antirabique effectuée si possible par instillation locale au niveau des zones de morsure, dans les cas les plus graves. 5. Rappels cliniques 5.1. La rage chez l’animal Le signe clinique le plus marquant reste la modification du comportement habituel (ex : perte de méfiance pour l’homme). Un comportement agressif et une hyperactivité sont fréquemment retrouvés chez les carnivores infectés (domestiques ou sauvages), mais des formes paralytiques sont également observées, sans signe d’agressivité associé. Au cours de la maladie, un animal infecté peut aussi présenter alternativement ces deux formes cliniques. La mort survient en général en moins de deux semaines. 5.2. La rage chez l’homme Le virus chemine de la zone de contamination vers le système nerveux central par voie nerveuse. L’incubation a une durée médiane de l’ordre de 30 jours avec des extrêmes de 7 jours à plus de 1 an voire 6 ans. C’est pendant cette période que les mesures prophylactiques doivent être entreprises. La période prodromique dure entre 2 et 10 jours. Le début est brutal avec des douleurs et des paresthésies (sensation de brûlure, froid, fourmillement) au niveau du point d’entrée. La fièvre est inconstante. Le malade peut présenter des signes digestifs (anorexie, nausées, vomissements, diarrhée), des signes neurologiques (céphalées, vertiges) ainsi que des signes divers (anxiété, tristesse, irritabilité, insomnie, cauchemars). La période d’état est ensuite très courte. Elle est caractérisée par une encéphalomyélite présentant principalement deux types distincts de forme clinique : une forme spastique et une forme paralytique [13]. Rapidement, cette période d’état est suivie d’une phase de coma qui peut être artificiellement prolongée par l’administration de soins intensifs. Toute rage déclarée est mortelle. Les évolutions favorables sont exceptionnelles. La forme spastique ou « rage furieuse » (70 % des cas) se manifeste par des troubles du comportement, une hyperactivité, des spasmes phobiques (hydrophobie, aérophobie) ou inspiratoires et des dysfonctionnements du système 36 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 nerveux autonome (hypersalivation, énurésie, priapisme, hypersudation). L’hydrophobie est un signe spécifique de la rage mais inconstamment retrouvé. Elle peut s’accompagner d’aérophobie : le souffle d’air sur la peau ou le visage du patient déclenche également ces spasmes phobiques. Les signes de dysphagie sont plus fréquents. Les périodes d’agitation ou d’obnubilation alternent avec des périodes de normalité. Ces signes durent classiquement entre 1 à 4 jours puis le coma survient. Le patient décède ensuite par paralysie du système cardiorespiratoire, en moyenne dans les 5 jours après le début des signes cliniques en l’absence de prise en charge médicale. La forme paralytique ou « rage muette » (30 % des cas) se manifeste par des paresthésies au niveau du point d’entrée puis par une paralysie flasque avec aréflexie. L’hydrophobie/aérophobie est peu présente. La maladie évolue vers une para/quadriplégie qui peut faire évoquer une myélite transverse ou un syndrome de Guillain Barré et le décès survient par paralysie respiratoire, en moyenne 2 semaines après le début des symptômes (en l’absence de prise en charge médicale). 6. Le diagnostic de laboratoire 6.1. Introduction L’établissement d’un diagnostic clinique de la rage est délicat et d’une fiabilité limitée. En effet, les signes cliniques de la maladie, bien que dominés par des symptômes nerveux, restent pléiomorphes et non spécifiques chez l’animal et l’homme. Seule l’hydrophobie (associée ou non à de l’aérophobie) peut être considérée comme pathognomonique de la rage humaine, mais elle n’est pas toujours retrouvée [14]. Ainsi, la confirmation du statut enragé d’un animal ou d’un individu repose uniquement sur la réalisation du diagnostic biologique, qui doit donc être le plus fiable possible en termes de sensibilité et de spécificité [15]. En effet, le résultat de ce diagnostic est lourd de conséquence puisqu’il a un impact direct sur la prévention de la mortalité humaine liée à la rage. La confirmation d’un cas de rage animale conduit ainsi à la mise en place le plus rapidement possible de la PPE chez les personnes en contact. De même, l’établissement d’un diagnostic de rage chez un patient conduit à des mesures préventives chez les personnes de son environnement, et à la mise en place d’un traitement palliatif pour ce patient amené inéluctablement à décéder. Egalement, la survenue de cas de rage chez des patients transplantés à partir d’organes prélevés sur un donneur enragé souligne l’intérêt de la mise en place d’un diagnostic intra-vitam réalisé précocement [16]. A l’inverse, l’établissement d’un diagnostic négatif chez l’animal aboutit à l’arrêt de la PPE. Enfin, le diagnostic biologique est l’outil indispensable de tout programme de surveillance et de contrôle de la rage humaine et animale, car il permet l’obtention de données épidémiologiques fiables [4]. Ce diagnostic biologique de la rage animale ou humaine est réalisé exclusivement dans des centres de référence habilités, en laboratoire de confinement L2, voire L3. En France, cette activité est répartie entre le Centre national de référence pour la rage (CNRR) de l’Institut Pasteur à LES MALADIES TROPICALES (1) Paris et le Laboratoire d’études sur la rage et la pathologie des animaux sauvages de l’ANSES à Malzéville (ANSES Nancy). Le CNRR est en charge de l’analyse de toutes les suspicions de rage humaine (www.pasteur.fr/recherche/ unites/Dylah/fr-diagno.html) (figure 3) ainsi que de tous les animaux domestiques ou sauvages suspects d’avoir transmis la rage à l’homme (au travers de morsure, griffure, léchage voire simple manipulation), l’ANSES Nancy réalisant le diagnostic de la rage sur les autres animaux pour lesquels le risque de contamination à l’homme a été écarté. En France, la rage humaine et animale fait partie des maladies à déclaration obligatoire. Le diagnostic biologique de la rage est réalisé par la mise en évidence directe du virus dans les prélèvements analysés, que ce soit au travers de la détection des antigènes viraux, de l’isolement viral ou de la détection des ARN viraux. Des techniques de dosage des anticorps antirabiques peuvent également être utilisées dans le cadre d’un diagnostic de rage humaine, mais elles sont généralement utilisées pour le suivi et le contrôle vaccinal chez l’homme et l’animal. Figure 3 – Prélèvements et conditions d’expédition au CNR de la rage. 6.2. Prélèvements Les prélèvements potentiellement infectieux doivent être expédiés selon la réglementation en vigueur en matière de risque infectieux, en l’occurrence dans la classe 6.2 et affectés au N° ONU 3373 en tant que « Matière biologique de catégorie B » (dans un triple emballage et par un transporteur habilité). Ils doivent être accompagnés de renseignements cliniques et biologiques (www.pasteur. fr/recherche/unites/Dylah/fr-diagno.html) (figure 3). r Chez l’homme Le prélèvement de choix pour le diagnostic intra-vitam de la rage humaine est la biopsie cutanée obtenue au niveau d’une zone richement innervée (préférentiellement à la base de la nuque dans une zone riche en follicules pileux) [14]. En effet, le virus est régulièrement retrouvé dans les cellules nerveuses entourant la base des follicules. Cette biopsie peut être réalisée par un dermatologue à l’aide d’un instrument de type Biopsy Punch (diamètre de 4 mm). La salive est le second prélèvement à analyser. Elle doit être collectée par écouvillonnage ou par recueil direct et de façon séquentielle (au minimum 3 heures d’intervalle entre deux prélèvements). L’excrétion intermittente du virus dans la salive nécessite en effet de multiplier le nombre d’échantillons. Les prélèvements d’urine, de LCR et de sérum peuvent être également réalisés, bien que la sensibilité diagnostique soit plus faible. Les empreintes de cornées réalisées du vivant du patient sont à proscrire, de par leur faible sensibilité diagnostique mais surtout par le risque d’atteinte oculaire qu’elles induisent chez les patients, surtout si la suspicion de rage est écartée. En cas de décès du patient, des prélèvements cérébraux (biopsies de cortex cérébral, d’hippocampe ou de cervelet) peuvent être réalisés [17, 18]. L’ensemble de ces différents prélèvements doit être conservé et expédié congelé, ceci afin de garantir au maximum l’intégrité de ces échantillons biologiques, et donc du virus potentiellement présent. r Chez l’animal Le diagnostic est exclusivement réalisé sur l’animal mort à partir de prélèvements cérébraux au niveau du bulbe rachidien et de l’hippocampe, voire du cortex cérébral Figure 4 – Méthodes de diagnostic de laboratoire de la rage. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 // 37 ou du cervelet. Généralement, la tête entière de l’animal est expédiée aux centres de référence qui se chargent de l’autopsie. Cependant, les cadavres des petits animaux (en particulier les chauves-souris) peuvent être envoyés directement alors qu’une décérébration, réalisée par du personnel spécifique dans des conditions de sécurité adaptées, est préférable pour les gros mammifères (tels les bovins, ovins ou caprins). Des biopsies de cerveau peuvent aussi être prélevées et acheminées vers le laboratoire [19]. Ces techniques peuvent être particulièrement intéressantes en milieu tropical [20]. 6.3. Les techniques de diagnostic (figure 4) 6.3.1. Détection des antigènes rabiques La mise en évidence d’antigènes rabiques dans les prélèvements cérébraux (hippocampe, bulbe rachidien, cortex cérébral ou cervelet) par immunofluorescence directe représente la méthode de référence [21]. Elle est très rapide (moins de 2 heures). Elle est réalisée sur appositions ou frottis cérébraux (fixés préalablement à l’acétone) à l’aide d’anticorps (mono ou polyclonaux) antinucléocapsides couplés à la fluorescéine et permettant la détection de l’ensemble des différentes espèces de lyssavirus. Une réponse positive se traduit par la mise en évidence au microscope à fluorescence d’inclusions de couleur verte ou jaune verte, nettement brillantes, de forme et de taille variables. Une contre-coloration au bleu d’Evans est conseillée, facilitant ainsi la lecture. La sensibilité de cette technique est excellente mais elle reste influencée par l’état de conservation de l’échantillon [21]. Cet examen rapide nécessite une certaine expérience de la part du personnel réalisant la lecture, cette dernière devant au minimum être effectuée par deux personnes différentes. De plus, deux parties anatomiques cérébrales doivent être analysées par animaux (et par patient si elles sont disponibles), la répartition du virus au sein du cerveau n’étant pas homogène. La recherche des antigènes rabiques peut également être réalisée à partir de broyats cérébraux par immunocapture des nucléocapsides (technique ELISA) [22]. Les surnageants de ces broyats sont ainsi mis en présence de cupules sensibilisées avec des anticorps mono ou polyclonaux antinucléocapsides. Un mélange d’anticorps antinucléocapsides couplés à une enzyme (la peroxydase) est utilisé pour la révélation. La réaction peut être lue au spectrophotomètre ou même à l’œil nu. Cette technique rapide ne nécessite qu’un équipement réduit. Le taux de corrélation avec l’immunofluorescence directe, méthode de référence, est excellent et cette technique permet également de détecter les différents variants viraux de lyssavirus. Un test rapide de détection des antigènes viraux par immunohistochimie directe a récemment été développé [23]. Ce test repose sur l’analyse d’appositions ou de frottis cérébraux à l’aide d’anticorps monoclonaux antinucléocapside couplés à la biotine. Après incubation avec des complexes streptavidine-peroxydase, la fixation de ces anticorps est révélée par l’addition d’un substrat chromogène (le 3-amino-9-ethylcarbazole ou AEC). Sous microscope classique, les antigènes viraux apparaissent 38 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 sous forme d’inclusions magenta. 6.3.2. Isolement du virus rabique Cette technique est réalisée en routine sur culture cellulaire (cellules de type neuroblastomes murins) à partir de broyats cérébraux (obtenus à partir de différentes parties anatomiques), parfois de salive chez l’homme. Elle est rapide (moins de 24 heures) et très sensible, à condition que le virus ait conservé son pouvoir infectieux. La présence d’inclusions virales dans le cytoplasme des cellules est révélée par immunofluorescence directe comme décrit précédemment [21]. Ce test remplace avantageusement l’isolement viral sur l’animal (souriceaux nouveau-nés). En effet, cette dernière technique pose des problèmes d’éthique et ne permet pas l’obtention rapide du résultat car elle nécessite l’observation de l’apparition des symptômes cliniques de la rage sur une période de 10 à 21 jours. Ce dernier test reste cependant nécessaire pour la conservation et l’amplification des souches virales de terrain. 6.3.3. Détection des ARN viraux et typage de la souche virale Cette détection est réalisée par RT-PCR en point final, le plus souvent de type « nichée » à partir d’ARN extrait de salive, d’urine, de LCR ou de prélèvements de peau pour le diagnostic intra-vitam de la rage [14, 24, 25]. Elle est réalisée sur prélèvement cérébral ou biopsie de peau chez le patient décédé. Cette technique est basée sur l’utilisation d’amorces spécifiques ciblant certains gènes viraux, en particulier les gènes de la nucléoprotéine et de la polymérase. Ces amorces doivent également être capables de détecter l’ensemble des différents variants de lyssavirus. La technique de RT-PCR en temps réel (utilisant des sondes nucléotidiques ou un agent intercalant de type SYBER Green) n’a été que peu développée dans le diagnostic de la rage. Les quelques études basées sur l’utilisation de cette technique ont présenté des résultats encourageants, permettant en particulier d’obtenir un résultat plus rapidement et avec une sensibilité de détection identique voire supérieure aux techniques RT-PCR évaluées, tout en limitant les risques de contamination. Cependant, la grande diversité génétique retrouvée au sein des lyssavirus peut rendre délicate l’utilisation de sondes nucléotidiques spécifiques, aboutissant dans certains cas à l’obtention de faux-négatifs, en particulier lorsque des mutations sont présentes au niveau du site de fixation de ces sondes. En cas de positivité, l’identification et le typage du lyssavirus est systématiquement réalisé par séquençage et analyse phylogénique de différents gènes viraux (gène de la nucléoprotéine, de la polymérase, de la glycoprotéine, voire du génome complet). Cette analyse est essentielle pour déterminer l’espèce, l’origine géographique, l’espèce animale à laquelle l’isolat est préférentiellement adapté, et mettre en évidence de nouveaux variants. Les résultats sont pris en compte par les autorités sanitaires dans le cadre de la prophylaxie sanitaire et médicale, comme cela fut le cas en France notamment lors de l’identification des récents cas d’importation de rage canine, originaire d’Afrique du Nord pour la majorité d’entre eux. De même, l’analyse moléculaire de la souche virale isolée chez le dernier cas de rage humaine autochtone diagnostiqué LES MALADIES TROPICALES (1) en Guyane française en mai 2008 a permis d’identifier un lyssavirus circulant chez les chauves-souris hématophages présentes dans cette région. 6.3.4. Détection des anticorps antirabiques La recherche et le titrage des anticorps spécifiques de la rage peuvent se faire à partir du sérum ou du LCR. La méthode de référence est la technique de séroneutralisation virale en culture cellulaire (technique de réduction des foyers de fluorescence) [26]. Une quantité définie de virus rabique est incubée avec des dilutions croissantes du sérum ou du LCR à tester, puis l’ensemble est mis à incuber en présence de cellules. Les foyers d’infection virale sont ensuite révélés sur le tapis cellulaire par immunofluorescence directe, puis sont dénombrés sous microscope à fluorescence, leur nombre diminuant de façon proportionnelle au titre d’anticorps antirabiques neutralisants présents dans l’échantillon testé. Un titre en unité internationale (UI) est enfin calculé à partir de sérums de référence testés en parallèle. Ce test nécessite des dispositions spécifiques, telle l’utilisation d’un laboratoire de confinement L3 pour la production et l’utilisation du virus rabique d’épreuve. De plus, la numération des foyers de fluorescence est une étape délicate réservée à du personnel qualifié et habitué à ce type de test. Une autre technique de dosage des anticorps antirabiques plus simple et plus rapide de mise en œuvre consiste à doser les immunoglobulines G antirabiques spécifiques par test immunoenzymatique [27]. Ce test est d’ailleurs largement utilisé en routine dans les laboratoires de biologie médicale. L’épreuve sérologique reste d’un intérêt limité dans le diagnostic de la rage, car les anticorps n’apparaissent qu’au stade ultime d’évolution de la maladie. Cet examen est, en revanche, couramment pratiqué en médecine humaine et vétérinaire, pour le suivi des sujets vaccinés ou traités. Désormais un règlement européen impose la réalisation d’un titrage des anticorps antirabiques pour tout carnivore domestique qui a séjourné dans un pays non indemne de rage. 6.3.5. Autres techniques D’autres tests décrits depuis de nombreuses années font appel à des colorations non spécifiques telle la recherche des corps de Négri dans les tissus cérébraux, constitués d’inclusions virales cytoplasmiques acidophiles pathognomoniques de l’infection rabique. Ces tests ne présentent pas une sensibilité et une rapidité dans l’obtention des résultats suffisantes pour pouvoir être d’une quelconque utilité dans la décision thérapeutique [20]. 6.4. Indications et interprétation des résultats 6.4.1. Diagnostic biologique de la rage Chez l’homme, toute la difficulté est de penser à l’étiologie rabique devant un tableau d’encéphalite, rechercher la notion de voyage, de morsure, de griffure, examiner les téguments. En pratique courante, le diagnostic de rage n’est évoqué qu’en deuxième voire troisième intention en cas d’encéphalite non étiquetée. La recherche d’ARN viraux par RT-PCR est la méthode de choix, les anticorps n’apparaissant qu’à la phase ultime de la maladie. Ce diagnostic est possible avant le décès, en particulier à partir d’une biopsie de peau de la nuque et/ou de prélèvements salivaires. Il permet, outre le diagnostic chez le malade, la mise en route de la PPE dans l’entourage familial, professionnel et hospitalier. Le diagnostic post-mortem (immédiat ou rétrospectif) peut être réalisé par détection d’ARN viraux sur biopsie de peau ou biopsie cérébrale, mais il est généralement obtenu par la mise en évidence d’antigènes rabiques dans le cerveau. Chez l’animal, le diagnostic biologique repose sur la mise en évidence d’antigènes viraux ou l’isolement viral à partir des tissus cérébraux. Ce diagnostic est rapide et extrêmement fiable. Il est essentiel car il est à l’origine de la mise en place de la PPE chez les personnes exposées à cet animal ou, dans le cas contraire, d’éviter l’utilisation de doses vaccinales et d’immunoglobulines antirabiques de coût élevé et dont l’approvisionnement pourrait être limité. Dans tous les cas, l’interprétation du diagnostic biologique est donnée par les centres de référence, seuls habilités pour cela. 6.4.2. Dosage sérologique chez l’homme Le taux d’anticorps protecteurs doit être supérieur ou égal à 0,5 unités internationales par mL (UI/ml) chez une personne vaccinée (en deçà, des rappels sont nécessaires, par exemple pour les personnes exposées). Cependant, l’exposition à des lyssavirus appartenant à un génotype autre que l’espèce RABV (celle des souches vaccinales utilisées) peut conduire à relever ce seuil à 1 UI/ml, la protection antivirale croisée induite par les vaccins n’étant pas complète. C’est notamment la recommandation qui a été faite en France pour les personnes exposées aux lyssavirus des chauves-souris européennes (espèces EBLV-1 et EBLV-2). 7. Conclusion Nous avons célébré, en 2008, les 120 ans de la méthode de PPE mis au point par Louis Pasteur. La fondation de l’Institut Pasteur qui s’en est suivie a permis la diffusion au monde entier des travaux et des méthodes de travail de Louis Pasteur, en particulier pour la lutte contre les maladies infectieuses. Cependant la rage reste aujourd’hui encore une maladie d’actualité qui tue dans une certaine indifférence plus de 50 000 personnes par an. Les raisons de cette négligence sont multiples. La raison principale réside en l’absence de données sur l’incidence et de système de surveillance fiable dans de nombreux pays. Dans ce contexte, la contribution des techniques de diagnostic, à la prévention, au traitement et à la connaissance des mécanismes moléculaires impliqués dans la rage, est majeure. En France, un réseau fiable de surveillance existe. Ce réseau s’appuie sur la confirmation de toute suspicion humaine ou animale au laboratoire par les techniques présentées dans ce document. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - MARS 2011 - N°430 // 39 Références [1] Delmas O, Holmes EC, Talbi C, Larrous F, Dacheux L, et al. Genomic diversity and evolution of the lyssaviruses. PLoS ONE 2008;3:e2057. [2] Knobel DL, Cleaveland S, Coleman PG, Fevre EM, Meltzer MI, et al. Re-evaluating the burden of rabies in Africa and Asia. Bull World Health Organ 2005;83:360-8. [3] Dodet B Report of the Fifth AREB Meeting Ho Chi Minh City, Vietnam, 17-20 November 2008. Vaccine 2009;27:2403-7. [4] Dodet B, Adjogoua EV, Aguemon AR, Amadou OH, Atipo AL, et al. Fighting rabies in Africa: the Africa Rabies Expert Bureau (AfroREB). Vaccine 2008;26:6295-8. [5] Bourhy H, Dacheux L, Strady C, Mailles A. Rabies in Europe in 2005. EuroSurveill 2005;10:213-6. [6] Bourhy H, Kissi B, Audry L, Smreczak M, Sadkowska-Todys M, et al. Ecology and evolution of rabies virus in Europe. 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