• Pour la séance de pose, Gisze est vêtu d’une chemise blanche sous un pourpoint
de soie rouge et d’une veste noire à manches mi-longues. D’un côté, Holbein met
l’accent sur les bras qui, avec la veste ample et l’ombre noire derrière le mar-
chand, donnent de l’ampleur et du volume à la silhouette. D’un autre côté, il
enferme son personnage dans le coin d’une pièce, le coince entre la table et la
paroi lambrissée que son coude gauche semble heurter.
• Montrer l’homme, c’est en effet le montrer dans ses contradictions. Cette repré-
sentation est symbolique de la double situation de ce marchand : à la fois tra-
duisant la puissance, le prestige propre à la Ligue hanséatique* à laquelle il
appartient et la vie des marchands à l’étranger obligés de vivre dans une prison
«dorée ». D’où le trousseau de clés pendant à la ceinture de Gisze, par crainte
des voleurs.
• L’inscription sur papier blanc fixée à la paroi indique que Gisze était dans sa
trente-quatrième année (« Distique sur le portrait de Georg Gisze. Ce que tu vois
ici, montre bien les traits et l’image de Georg ; son œil est aussi vif, ses joues sont
bien ainsi faites. Dans sa trente quatrième année en l’an 1532. »). Le peintre, né
en 1497 à Augsbourg, avait à peu près le même âge que son modèle. Holbein,
artiste libre, dont le principal appui, Thomas More (voir la rubrique « texte et
contexte », p. 16 du manuel), venait d’être décapité, côtoyait surtout ses compa-
triotes vivant au Stalhof (un groupe de bâtiments situé sur la rive de la Tamise à
Londres et doté d’une unique porte d’entrée, verrouillée le soir). En 1532 et dans
les années qui suivirent, Holbein fit le portrait d’une douzaine de marchands alle-
mands établis à Londres, Gisze ayant sans doute été le premier. Les marchands y
voyaient aussi leur intérêt propre, celui d’acquérir des tableaux à bon marché !
L’inscription en latin certifiant que le tableau représentait bien Georg Gisze, n’a-
vait rien d’insolite, mais ce qui nous intéresse, c’est que Gisze voulait faire savoir
à la postérité que ses joues et ses yeux étaient réellement comme ils ont été peints.
Peindre la Nature, voilà bien une préoccupation de la Renaissance.
Dans quel cadre Gisze est-il peint ?
• Le tapis d’Orient qui recouvre la table de Gisze et qui est sans doute parvenu en
Europe en passant par Venise, n’était pas destiné à des travaux d’écriture mais
montre qu’il y avait assez d’argent pour embellir les « skrivekamere ». Peut-être
devait-il aussi rendre la pièce plus confortable car les marchands y passaient
aussi la nuit. Le vase de fleurs et la boule précieusement décorée qui contient du
cordon agrémentent la pièce. Ce n’est pas un hasard si une horloge de table,
dotée d’une seule aiguille sur le cadran placé en haut, est posée sur le tapis. La
population vivait encore au rythme de la sonnerie des cloches des églises et des
hôtels de ville. Les nouvelles montres transportables, en revanche, fonctionnaient
à l’aide de ressorts d’acier. Elles n’étaient pas très précises mais satisfaisaient les
instincts ludiques, faisant aussi comprendre que leur propriétaire était ouvert à
tout ce qui était nouveau et pouvait s’offrir ce petit miracle de la technique.
Ouverture à ce qui est nouveau, voilà un autre trait illustrant l’Humanisme.
• À côté de l’horloge de table se trouve un cachet, un petit sceau avec lequel on
imprimait une marque sur la cire ou la laque. Un autre cachet, plus décoratif et
muni d’une boule d’ambre est suspendu à l’étagère de gauche. Sur la table, nous
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IMAGE D’OUVERTURE – 1. Les mouvements littéraires aux XVIeet XVIIesiècles
*Le Moyen Âge est marqué par le développement de flottes de commerce dans la mer du Nord et la
Baltique. Les commerçants de villes telles que Hambourg, Brême, Lubeck colportent dans ces régions laines
et peaux de Russie, dentelles et draps d’Angleterre, huiles scandinaves : ils se groupent vers 1250 pour
former la puissante Ligue hanséatique, syndicat professionnel chargé d’assurer la défense commune de villes
membres contre les « pillards de mer et de terre » et qui acquiert en fait une indépendance quasi totale
vis-à-vis des autorités terrestres (elle la conservera jusqu’au XVes.).