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n° 27 - septembre 2006 LLAATTIITTUUDDEESS
gieuses. Il s’y exécuta avec une
assurance qui étonne.
L’exposition qui présente, au
Kunstmuseum de Bâle, ces oeuvres
à caractère religieux ainsi que ses
premiers portraits, permet de retra-
cer ses années de formation, mais
n’éclaircit pas le mystère Holbein.
D’un côté, nous y retrouvons des
retables d’influence italienne, tels
que celui de la Madone de Soleure
(1522) et de la Madone de Darmstadt
(1526-1529) ; d’un autre côté, nous
y apercevons l’influence de ce que
l’on pourrait nommer l’Ecole du
nord, et en particulier de Hans
Holbein l’Ancien et de Dürer. En
effet, en même temps que Holbein
assimile l’art du portrait à la manière
des peintres de Florence et de Milan,
il atteint des sommets d’intimisme et
de religiosité dans le récit des scènes
de l’Ancien et du Nouveau Testament
exécutées selon la tradition picturale
d’origine flamande. Cette manière
où il incorpore néanmoins des
éléments de la Renaissance italienne,
comme les décors d’architecture,
est surtout visible dans le retable
Oberried (1521-1522) - plus précisé-
ment le diptyque de la Nativité et
l’Annonce aux bergers de la cathé-
drale de Fribourg - en - Brisgau -, et
aussi dans La Cène (vers 1524) et
dans le magnifique Retable de la
Passion qui appartiennent au musée
de Bâle. Parmi tous ces ouvrages,
le célèbre Christ au tombeau (vers
1521 - 1522), du même musée, se
place comme une énigme.
Ce tableau, unique en son genre,
suscite bien des interrogations. D’un
côté, par ses dimensions - deux
mètres de longueur -, on peut bien
se demander s’il ne se destinait à
compléter un ensemble monumen-
tal duquel ferait partie le retable
Oberried, qu’il exécuta en partie
avec son père, et dont on ne sait
pas grand chose - à part qu’il a été
commandé par un membre du
conseil municipal de Bâle et que,
pour des raisons inconnues, il est
resté inachevé (les deux volets
peints sont les volets extérieurs, le
revers des deux panneaux n’ayant
jamais été peints). Il pourrait bien
s’agir d’une predella de ce retable,
dont l’iconographie serait, à bien
des égards, révolutionnaire. En
effet, nous voyons l’intérieur d’un
cercueil comme si nous en avions
ôté la planche frontale. Cette
impression résulte de l’effet de pers-
pective qui nous laisse entrevoir,
du côté droit, la ligne fuyante du
plan sur lequel viennent s’adosser
les pieds. Devant nous, gît un
homme mort. Son visage verdâtre
penche un peu vers le spectateur.
Les cheveux épars, la barbe éteinte,
les yeux et la bouche grands ouverts
comme pour exprimer l’affliction,
la douleur et la souffrance, sont
d’un réalisme effroyable. Le corps,
ravagé aussi par les plaies de la
Passion et dont la main semble dési-
gner un point mystérieux, témoigne
d’une étude approfondie de l’ana-
tomie humaine.
Jamais, dans l’histoire de l’art
occidental, un peintre n’a réussi à
créer une image si humaine et si
convaincante de la mort. Fut-il
effrayé par l’image de son frère
Ambrosius décédé deux ou trois ans
auparavant ? Ce frère, dont un
dessin exposé laisse deviner un
talent inouï, aurait ainsi introduit à
jamais la mort au coeur même de
l’oeuvre de Holbein. Celui-ci aurait
remplacé le frère mort en prenant
possession de ses dons, mais en
introduisant, dans la représentation
trop parfaite des êtres vivants,
l’image de l’étrangeté, comme un
masque figé dans le temps, de leur
apparence fictive.
C’est comme si Holbein, à partir
du moment où il eut pris conscience
de cette réalité faite de chair, avait
redoublé de soins pour y introduire
le maximum de fidélité au modèle
vivant et de beauté fracassante,
sorte de rempart contre la pourri-
ture qui mine les choses et les êtres.
La vérité serait toujours ailleurs,
dans le clivage entre le corps vivant
et son double déjà mort en puis-
sance, puisque l’artiste ne peut
jamais reproduire l’instant qu’il arra-
che au temps et qui fait le temps
figé du portrait. La magnificence du
portrait augmenterait encore la puis-
sance de cette tragédie dans la
mesure où tous les attributs partici-
pant de sa beauté - objets émanant
de l’ordre du pouvoir, étoffes somp-
tueuses, bijoux précieux - agiraient
comme des natures mortes, vidées
de sens et prêtes aussi à disparaî-
tre.
Du point de vue artistique,
Holbein réussit ce tour de force en
incorporant, à la tradition italienne
du portrait à trois quarts selon un
plan rapproché, une technique de
peinture inspirée du nord de
l’Europe qui s’attarde à la profusion
et à l’exécution minutieuse du détail
et s’appuie sur l’éclat et le contraste
vigoureux des couleurs plutôt que
sur le modelé des volumes. Si
Holbein avait déjà connu une
certaine renommé avec les portraits
de Benedikt von Hertenstein (1517,
Metropolitan Museum de New
York), de Bonifacius Amerbach
(1519, Kunstmuseum de Bâle) et
d’Erasme de Rotterdam (notamment
le portrait que celui-ci lui commanda
en 1523 pour envoyer en Angleterre),
ce fut après son séjour en France en
1524, que s’accentua cette nouvelle
orientation. Il réalisa alors deux
tableaux - la Vénus et l’Amour
(1524) et la Laïs de Corinthe (1526)
du Kunstmuseum de Bâle - où les
modèles de la Renaissance italienne,
notamment en ce qui concerne les
effets de clair-obscur selon le modèle
de Léonard da Vinci, sont plus
présents.
En 1526, et après certainement
un échec auprès de la cour de
France, Holbein chercha à s’affir-
mer comme portraitiste à Londres,
où il séjourna jusqu’en 1528 - et
ensuite, de 1532 jusqu’à sa mort.
Grâce aux lettres de recommanda-
tion d’Erasme, il entra dans l’inti-
mité de Thomas More, dont il fit le
portrait en 1527 (New York, Frick
Collection) ; il laissa aussi un dessin
de More entouré de sa famille, dans
un portrait de groupe assez intimiste
(Sir Thomas More et sa famille,
Kunstmuseum de Bâle). De cette
même période, nous pouvons encore
admirer le dessin et le Portrait de
Mary Wottom, Lady Guildford (1527,
St. Louis Art Museum, Montréal), le
Portrait d’une dame avec un écureuil
(National Gallery, Londres), ce dernier
exécuté plus dans la tradition de
Dürer, et surtout l’extraordinaire
portrait de sa propre famille, qui
appartient à la collection bâloise. Pour
la suite, il faudra patienter et atten-
dre l’exposition qui se tiendra à