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LLAATTIITTUUDDEESS
sadeurs (1533 ; Londres, National
Gallery), est l’image même d’une
emprise sur le monde qui est l’es-
prit de la Renaissance. Les instru-
ments de mesure des astres, les
représentations du globe terrestre,
les cartes géographiques, les objets
exotiques et les livres attestent cette
confiance illimitée dans les capaci-
tés humaines à l’exploration de ce
Nouveau Monde qui s’ouvrait à l’an-
cienne Europe, source d’inestima-
bles richesses.
Cette aventure alla de pair avec
l’invention de l’imprimerie, qui fit
la fortune de Bâle au début du XVIe
siècle. En 1501, la ville adhère à la
Confédération helvétique pour
échapper au pouvoir des Habsbourg.
Erasme s’y installa de 1521 à 1529
et il y lutta contre l’esprit radical de
la Réforme de Luther. En Angleterre,
Thomas More, dont il était l’ami,
poursuivit ce même combat. Dans
son Eloge de la folie, il essaya de
tempérer l’idolâtrie des images et
s’efforça de ridiculiser les abus des
discours des prêtes. Mais ce fut en
vain : la Réforme y eut gain de
cause et, en 1528, les images des
églises furent abolies.
Holbein participa à ce mouve-
ment de renouveau des idées.
C’était un érudit qui fit ses classes
de latin auprès d’Oswald Myconius,
un théologien réputé. Dans l’exem-
plaire de lEloge de la folie de ce
dernier, qui fut publié à Bâle en
1515, Holbein laissa d’intéressants
dessins en marge qui attestent de
son engagement dans ce débat
intellectuel qui divisa les esprits.
Comme tous les peintres d’alors,
une fois devenu maître, en 1519, et
après avoir reçu, l’année suivante,
le titre de “bourgeois” de la ville, il
obtint surtout des commandes reli-
Hans Holbein Le Jeune, né à
Augsbourg en 1497 ou
1498, vécut ses années de
formation à Bâle, avant de s’affirmer
comme un peintre de renommée
internationale à Londres, où il mou-
rut en 1543. Fils de Hans Holbein
dit l’Ancien, un des peintres les plus
connus du sud de l’Allemagne, ce
fut dans son atelier qu’il entreprit
son apprentissage, à côté de ses frè-
res Sigmund et Ambrosius. Avec
celui-ci, son aîné (1493 /1494 - vers
1519), il partit à Bâle en 1515 et
entra dans l’atelier de Hans Herbst
où il accomplit son apprentissage
pour accéder à la guilde des artistes.
Hans Holbein Le Jeune fut un
artiste de la Renaissance euro-
péenne. Son double portrait de Jean
de Dinteville et Georges de Selve,
plus connu sous le nom Les ambas-
La main de Dieu
Hans Holbein Le Jeune au Kunstmuseum de Bâle
Lucília Verdelho da Costa
EXPOSIÇÕES/EXPOSITIONS
ACTUALIDADE CULTURAL/ACTUALITÉ CULTURELLE
Hans Holben, “Bilnis des Erasmus von Rotterdam, 1523.
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gieuses. Il s’y exécuta avec une
assurance qui étonne.
L’exposition qui présente, au
Kunstmuseum de Bâle, ces oeuvres
à caractère religieux ainsi que ses
premiers portraits, permet de retra-
cer ses années de formation, mais
n’éclaircit pas le mystère Holbein.
D’un côté, nous y retrouvons des
retables d’influence italienne, tels
que celui de la Madone de Soleure
(1522) et de la Madone de Darmstadt
(1526-1529) ; d’un autre côté, nous
y apercevons l’influence de ce que
l’on pourrait nommer l’Ecole du
nord, et en particulier de Hans
Holbein l’Ancien et de Dürer. En
effet, en même temps que Holbein
assimile l’art du portrait à la manière
des peintres de Florence et de Milan,
il atteint des sommets d’intimisme et
de religiosité dans le récit des scènes
de l’Ancien et du Nouveau Testament
exécutées selon la tradition picturale
d’origine flamande. Cette manière
où il incorpore néanmoins des
éléments de la Renaissance italienne,
comme les décors d’architecture,
est surtout visible dans le retable
Oberried (1521-1522) - plus précisé-
ment le diptyque de la Nativité et
l’Annonce aux bergers de la cathé-
drale de Fribourg - en - Brisgau -, et
aussi dans La Cène (vers 1524) et
dans le magnifique Retable de la
Passion qui appartiennent au musée
de Bâle. Parmi tous ces ouvrages,
le célèbre Christ au tombeau (vers
1521 - 1522), du même musée, se
place comme une énigme.
Ce tableau, unique en son genre,
suscite bien des interrogations. D’un
côté, par ses dimensions - deux
mètres de longueur -, on peut bien
se demander s’il ne se destinait à
compléter un ensemble monumen-
tal duquel ferait partie le retable
Oberried, qu’il exécuta en partie
avec son père, et dont on ne sait
pas grand chose - à part qu’il a été
commandé par un membre du
conseil municipal de Bâle et que,
pour des raisons inconnues, il est
resté inachevé (les deux volets
peints sont les volets extérieurs, le
revers des deux panneaux n’ayant
jamais été peints). Il pourrait bien
s’agir d’une predella de ce retable,
dont l’iconographie serait, à bien
des égards, révolutionnaire. En
effet, nous voyons l’intérieur d’un
cercueil comme si nous en avions
ôté la planche frontale. Cette
impression résulte de l’effet de pers-
pective qui nous laisse entrevoir,
du côté droit, la ligne fuyante du
plan sur lequel viennent s’adosser
les pieds. Devant nous, gît un
homme mort. Son visage verdâtre
penche un peu vers le spectateur.
Les cheveux épars, la barbe éteinte,
les yeux et la bouche grands ouverts
comme pour exprimer l’affliction,
la douleur et la souffrance, sont
d’un réalisme effroyable. Le corps,
ravagé aussi par les plaies de la
Passion et dont la main semble dési-
gner un point mystérieux, témoigne
d’une étude approfondie de l’ana-
tomie humaine.
Jamais, dans l’histoire de l’art
occidental, un peintre n’a réussi à
créer une image si humaine et si
convaincante de la mort. Fut-il
effrayé par l’image de son frère
Ambrosius décédé deux ou trois ans
auparavant ? Ce frère, dont un
dessin exposé laisse deviner un
talent inouï, aurait ainsi introduit à
jamais la mort au coeur même de
l’oeuvre de Holbein. Celui-ci aurait
remplacé le frère mort en prenant
possession de ses dons, mais en
introduisant, dans la représentation
trop parfaite des êtres vivants,
l’image de l’étrangeté, comme un
masque figé dans le temps, de leur
apparence fictive.
C’est comme si Holbein, à partir
du moment où il eut pris conscience
de cette réalité faite de chair, avait
redoublé de soins pour y introduire
le maximum de fidélité au modèle
vivant et de beauté fracassante,
sorte de rempart contre la pourri-
ture qui mine les choses et les êtres.
La vérité serait toujours ailleurs,
dans le clivage entre le corps vivant
et son double déjà mort en puis-
sance, puisque l’artiste ne peut
jamais reproduire l’instant qu’il arra-
che au temps et qui fait le temps
figé du portrait. La magnificence du
portrait augmenterait encore la puis-
sance de cette tragédie dans la
mesure où tous les attributs partici-
pant de sa beauté - objets émanant
de l’ordre du pouvoir, étoffes somp-
tueuses, bijoux précieux - agiraient
comme des natures mortes, vidées
de sens et prêtes aussi à disparaî-
tre.
Du point de vue artistique,
Holbein réussit ce tour de force en
incorporant, à la tradition italienne
du portrait à trois quarts selon un
plan rapproché, une technique de
peinture inspirée du nord de
l’Europe qui s’attarde à la profusion
et à l’exécution minutieuse du détail
et s’appuie sur l’éclat et le contraste
vigoureux des couleurs plutôt que
sur le modelé des volumes. Si
Holbein avait déjà connu une
certaine renommé avec les portraits
de Benedikt von Hertenstein (1517,
Metropolitan Museum de New
York), de Bonifacius Amerbach
(1519, Kunstmuseum de Bâle) et
d’Erasme de Rotterdam (notamment
le portrait que celui-ci lui commanda
en 1523 pour envoyer en Angleterre),
ce fut après son séjour en France en
1524, que s’accentua cette nouvelle
orientation. Il réalisa alors deux
tableaux - la Vénus et l’Amour
(1524) et la Laïs de Corinthe (1526)
du Kunstmuseum de Bâle - où les
modèles de la Renaissance italienne,
notamment en ce qui concerne les
effets de clair-obscur selon le modèle
de Léonard da Vinci, sont plus
présents.
En 1526, et après certainement
un échec auprès de la cour de
France, Holbein chercha à s’affir-
mer comme portraitiste à Londres,
où il séjourna jusqu’en 1528 - et
ensuite, de 1532 jusqu’à sa mort.
Grâce aux lettres de recommanda-
tion d’Erasme, il entra dans l’inti-
mité de Thomas More, dont il fit le
portrait en 1527 (New York, Frick
Collection) ; il laissa aussi un dessin
de More entouré de sa famille, dans
un portrait de groupe assez intimiste
(Sir Thomas More et sa famille,
Kunstmuseum de Bâle). De cette
même période, nous pouvons encore
admirer le dessin et le Portrait de
Mary Wottom, Lady Guildford (1527,
St. Louis Art Museum, Montréal), le
Portrait d’une dame avec un écureuil
(National Gallery, Londres), ce dernier
exécuté plus dans la tradition de
Dürer, et surtout l’extraordinaire
portrait de sa propre famille, qui
appartient à la collection bâloise. Pour
la suite, il faudra patienter et atten-
dre l’exposition qui se tiendra à
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de titre inspiré du même sujet. Mais
dans le dessin de Holbein, ce n’est
ni Appeles ni Protogène qui sortent
vainqueurs de ce duel. C’est une
troisième main qui rompt les nuages
- la main divine - qui vient s’ajouter
à celle des deux opposants et triom-
pher sur l’issue du défi.
Cette main divine peut s’inter-
préter comme la main d’Appeles,
mais aussi comme la main de l’ar-
tiste qui se confronte au pouvoir de
Dieu. La conscience de cette supé-
riorité qui le transforme en démiurge,
installe autour de lui la distancia-
tion entre le créateur et les choses
créées. L’artiste a le pouvoir de
générer la vie avec ses créations,
mais, dans la mesure où celles-ci
deviennent des images, elles se
figent dans le temps avec une vie
qui leur est propre, et finissent par
tuer leur modèle - lequel est donc
condamné à mourir.
Conscient de cette étrangeté du
pouvoir des images, qui le réduit à
un spectateur malgré lui, Holbein
vécut aussi une sorte d’exil, sans
que pour autant il n’arrêtât de
façonner le monde. C’est donc pour
lutter contre la mort - cette même
mort qui rampe en silence, comme
une énigme, dans le portrait des
Ambassadeurs -, qu’il laissa l’image
attendrissante et oh ! combien
réelle, de sa femme et ses enfants,
comme un moment d’un souvenir
heureux, si bien qu’empreinte déjà
de nostalgie.
La mort, disait Erasme de
Rotterdam, est ma seule limite. Ce
fut pourtant de son effigie qu’il
frappa une monnaie en son propre
honneur - en cela, rivalisant avec
les grands noms de l’Antiquité clas-
sique. Ce n’est pas un hasard si ce
fut à son école que Holbein Le
Jeune apprit les détours de la rhéto-
rique de l’image - et, délibérément
ou non, la puissance destructrice
de l’humaine condition. Comme
l’immortel penseur, les personnages
de ses tableaux auliques triom-
phaient du Temps
1Cf. BATSCHMANN, Oskar, et GRIE-
NER, Pascal, Hans Holbein, Paris,
Gallimard, 1997, p. 27.
2Idem, ibidem, p. 31.
tait son prestige, non seulement il
proclamait sa fierté, mais il se
vantait comme un démiurge. Par ce
fait, il défiait Dieu lui-même.
L’image de la méduse, que nous
voyons sculptée sur le chapiteau
classique auprès de lady Guilford,
peut signifier une allégorie de la
Méduse, laquelle avait, selon les
Grecs, le pouvoir de transformer en
pierre quiconque lui adressait un
regard. Le peintre avait ainsi un
double pouvoir - celui de transfor-
mer des êtres vivants en image et
celui de transformer cette image en
icône, par le pouvoir de les terras-
ser et de les figer.
Ce pouvoir s’inscrit dans cette
mort, ou ce dédoublement, ce
punctum qui représente le Christ
au tombeau du début des années
20. Cependant, dans le portrait de
sa femme, quelque chose de plus
profond, et de plus vivant, y fait
surface. Malgré qu’il se présente
sous un fond différent de celui d’ori-
gine - il a dû être amputé et collé
sur le bois sur un fond noir -, nous
y voyons sa femme vêtue modeste-
ment, le regard perdu dans le vide,
entourée de ses deux enfants, dans
une composition similaire à une
Vierge à l’Enfant et Saint Jean
Baptiste. La petite fille, assise sur
les genoux de sa mère, regarde à
sa gauche, de même que le garçon,
celui-ci peint debout et le visage vu
de profil. Une immense nostalgie
se dégage de ses trois personnages,
peints avec humilité et une éton-
nante tendresse.
Dans ce portrait d’adieu, nous
pouvons entrevoir tous les para-
doxes de l’homme et de l’artiste.
Celui qui dessina, en 1517, une
marque pour l’imprimeur Valentinus
Curio où figure le concours qui
opposa Appeles à Protogène, les
deux plus grands peintres de
l’Antiquité selon le récit de Pline
dans son Histoire naturelle, pouvait
à présent revendiquer pour lui le
titre de nouveau Appeles et se faire
passer pour le successeur de Dürer,
qu’Erasme retint comme le plus
grand peintre de son époque.
Holbein suivit en cela l’exemple de
son frère Ambrosius qui dessina à
peu près à la même époque, pour
l’éditeur Johannes Froben, une page
Londres, à la Tate Britain, où seront
exposés les portraits qui ont rendu
Holbein célèbre.
Mais, pour l’instant, restons à
Bâle. Il y séjourna encore de 1528
à 1532. Pendant ces quatre ans, où
triompha la Réforme, il finit ou
modifia quelques commandes anté-
rieures, s’y acheta une maison et
exécuta le Portrait de sa femme
Elisabeth Binzenstock, avec ses deux
enfants, Philipe et Catherine, qui
resta longtemps en possession de
sa femme. C’est aussi une oeuvre
qui occupe une place à part dans
son oeuvre. Pour mieux compren-
dre sa particularité, nous devons
nous arrêter devant le portrait de
lady Guilford et son dessin prépa-
ratoire, qui figurent dans l’exposi-
tion bâloise. Dans ce dernier, lady
Guilford présente un air souriant et
un regard espiègle, tandis que, dans
l’oeuvre final, elle nous fixe d’un
regard éteint. Son visage arbore
une expression sévère plus à
l’image du rang social qui est le sien
dans sa qualité d’épouse du contrô-
leur de l’administration royale, Sir
Henry Guilford. Entre l’un et l’au-
tre, s’interposa la médiation d’un
art raffiné et très élaboré selon des
références explicites à l’Antiquité.
Cette élaboration tient à la place
de la représentation du modèle. La
mimésis, en tant que capacité de
l’artiste à reproduire les traits de
celui-ci, y devrait être parfaite. Déjà
dans le portrait de Bonifacius
Amerbach, la première oeuvre
exécutée par Holbein en tant qu’ar-
tiste indépendant, il y peignit l’ins-
cription suivante : “Bien que visage
peint, je ne diffère pas du visage
vivant ; dessiné à l’aide de traits
précis, j’ai la même valeur que mon
maître. Au moment où il avait
achevé huit cycles de trois ans,
l’oeuvre d’art me représente, avec
toute l’exactitude qui appartient à
la Nature1”. Bien des années plus
tard, sur le portrait du marchand
Derich Born (1533, Château de
Windsor), il écrivit : “Si vous ajou-
tez la voix, voici Derich, si sembla-
ble à lui-même que vous vous
demandez si c’est le peintre ou son
géniteur qui l’a fait2”.
Au fur et à mesure que Holbein
prenait de l’aisance, et qu’augmen-
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