Crises de l'État-providence : Actualité, Définition et Évolution

Telechargé par Amina Bouchayb
Les crises de l’Etat providence sont-elles toujours d’actualité ?
« Le problème central de l’État-providence moderne, c’est qu’il est dans une économie
de plein emploi et de croissance forte, et qu’il doit aujourd’hui survivre dans une économie
de chômage structurel et de croissance faible. » Pierre Rosanvallon, La Crise de l’État-
providence (1981) L’idée de Rosanvallon met en lumière une contradiction fondatrice : un
modèle conçu dans la prospérité doit survivre dans la stagnation. Cela pose directement la
question de la persistance de ses crises.
L’Etat Providence (ou welfare state, « Etat de bien-être ») est une conception de l'État
celui-ci étend son champ d'intervention et de régulation dans les domaines économiques et
sociaux. Elle se traduit par un ensemble de mesures ayant pour but de redistribuer
les richesses et de prendre en charge différents risques sociaux comme la maladie, l'indigence,
la vieillesse, l'emploi, la famille... L'Etat-providence est fondé sur la solidarité entre les
différentes classes sociales et la recherche de la justice sociale. L’Etat providence et l’Etat
social sont deux termes utilisés comme synonyme mais il y une différence subtile dans la
mesure ou L’Etat providence est l'État social en action, dans sa forme la plus expansive et la
plus institutionnalisée.
Selon F.-X. Merrien les États-providence présentent trois caractéristiques : « une intervention
réglementaire de l’État afin d’assurer une certaine sécurité économique aux citoyens par le biais
de systèmes de sécurité sociale (1) ; une volonté de redistribution qui passe par des transferts
monétaires verticaux ou horizontaux (2) ; la volonté de l’État de fournir à la population une
série de services et d’équipements collectifs à des coûts très inférieurs à ceux du marché (3) ».
Selon G. Esping-Andersen, il existe trois types idéaux d’État-providence : le gime libéral,
le régime conservateur-corporatiste et le régime social-démocrate.
Le régime libéral, observé aux États-Unis, au Canada et en Australie, accorde une grande place
aux mécanismes de marché. L’État y intervient peu et se limite à garantir un filet de sécurité
pour les plus démunis. Les prestations sociales sont faibles et ciblées, et les citoyens doivent
principalement se débrouiller par eux-mêmes.
Le régime conservateur-corporatiste, présent en Allemagne, en Italie, en Belgique, en France
ou au Japon, repose sur la protection liée au travail et à la famille. L’État complète cette
protection en soutenant le maintien des statuts professionnels et sociaux. Les prestations
sociales dépendent donc souvent du statut professionnel et le rôle de la famille est central dans
l’organisation de la protection sociale.
Enfin, le régime social-démocrate, en vigueur en Suède et en Norvège, repose sur une
intervention forte de l’État pour assurer une protection sociale élevée et une redistribution des
revenus. Ce modèle repose sur la logique de « démarchandisation », c’est-à-dire que les
individus peuvent accéder à des services sociaux et conserver leurs moyens d’existence sans
dépendre du marché. Les droits sociaux ne sont plus liés au travail, mais à la citoyenneté,
garantissant ainsi une sécurité universelle et égalitaire.
Pour mesurer le poids de l’État-providence, on utilise plusieurs indicateurs quantitatifs. Parmi
les principaux figurent les dépenses sociales rapportées au PIB : plus ce ratio est élevé, plus
le système est lourd et coûteux pour l’État. S’y ajoutent le taux de prélèvements obligatoires,
le taux de couverture des principaux risques sociaux, la part des transferts sociaux dans
le revenu des ménages ainsi que les indicateurs d’inégalités, tels que le coefficient de Gini.
À ces mesures chiffrées s’ajoutent des indicateurs qualitatifs, qui portent sur la qualité et le
niveau des services publics, permettant d’apprécier l’efficacité réelle de l’intervention de
l’État dans la protection sociale.
Les crises de l'État providence désignent l'ensemble des difficultés et remises en cause
auxquelles ce modèle d'État interventionniste est confronté depuis plusieurs décennies. Selon
P. Rosanvallon (La crise de l’État-providence, 1981), l’État-providence connaît une triple
crise : une crise de financement, une crise d’efficacité et une crise de légitimité.
Pour mesurer le poids des crises de l’État-providence, plusieurs indicateurs peuvent être
mobilisés. Parmi les principaux figurent le taux de déficit public et la dette publique, souvent
liés à l’accroissement des dépenses sociales. On prend également en compte le ratio entre
inactifs et actifs, qui traduit la pression démographique sur le système, ainsi que le niveau de
satisfaction et les formes de contestation sociale, reflétant la légitimité et l’acceptabilité des
politiques publiques auprès des citoyens.
L’Etat Providence une conception de l’Etat, dont les prémices apparaissent à la fin du XIXème
siècle et qui s’impose après la Seconde Guerre mondiale.
En effet à la fin du 19 siècle deux modèles classiques de l’Etat providence émergent. En
Allemagne, le chancelier Bismarck, pour réduire l’audience croissante des mouvements
socialistes au sein de la classe ouvrière, est le premier à mettre en place un vaste dispositif de
sécurité sociale de nature assurantielle, grâce aux lois de 1883-1889 organisant la prise en
charge de la maladie, des accidents du travail, de la vieillesse et de l’invalidité. Ce système est
fondé sur 3 critères déterminants : tout d’abord le caractère obligatoire de l’assurance sociale,
ensuite la proportionnalité entre cotisations versées et prestations perçues et enfin l’autonomie
de gestion des administrations d’assurance sociale (une gestion paritaire entre représentants des
salariés et des employeurs). C’est donc l’Allemagne qui est la première à se doter d’un véritable
système de protection sociale, où l’Etat tient toutefois un rôle discret, se contentant de poser les
règles initiales. Mais ce système servira de matrice à la plupart des pays d’Europe.
L’étape suivante de la construction sociale se déroule en Angleterre, pendant la Seconde Guerre
mondiale, en 1941, avec le rapport du député libéral William Beveridge sur la réforme de
l’assistance sociale, dans lequel il se propose « d’éradiquer la pauvreté » en développant un
système ayant pour base les « trois U » : « universalité » (car tous les citoyens sans distinction
y ont accès), « uniformité » (des prestations fournies) et « unicité » (du système sous la tutelle
de l’Etat). Celui-ci est financé par l’impôt et était originellement considéré comme relevant de
l’assistance, bien qu’il constitue dans une certaine mesure un dépassement du modèle
assurantiel. Le critère décisif de ce modèle « beveridgien » est celui d’universalité, car en visant
à « libérer l’homme du besoin » et en développant la solidarité au sein de la société, par le biais
de l’impôt notamment, il donne une nouvelle dimension à la citoyenneté.
L’État-providence connaît son âge d’or durant les Trente Glorieuses. En effet, la moyenne des
dépenses sociales (retraite, santé, famille, chômage, etc.) pour les pays fondateurs de l'OCDE
(Europe de l’Ouest, Amérique du Nord) se situait autour de 13 à 15 % du PIB au début de la
période. Vers la fin des Trente Glorieuses (milieu des années 1970), cette moyenne était déjà
montée à environ 20-22 % du PIB. Cette progression a été rendue possible par une croissance
économique exceptionnelle, qui a permis aux États de financer sans difficulté l’extension des
protections sociales.
Durant les années 1970, l’État-providence entre dans une première phase de crise structurelle.
Les chocs pétroliers de 1973 et 1979 provoquent une stagflation une combinaison inédite
de forte inflation, de stagnation économique et de montée brutale du chômage qui met un terme
au cercle vertueux de croissance et de plein-emploi des Trente Glorieuses. Cette conjoncture
dégrade les finances publiques : les recettes fiscales et de cotisations stagnent ou reculent avec
la récession, tandis que les dépenses sociales augmentent mécaniquement sous l'effet de la
hausse du chômage et de l'inflation. La pression est particulièrement forte dans certains pays :
en France, par exemple, les dépenses de prestations sociales (hors santé) sont passées
d'environ 19,4 % du PIB en 1974 à 25,3 % en 1981 (INSEE)
Entrant dans les années 1980, l’Europe mais aussi d'autres régions occidentales connaissent une
crise idéologique : le tournant néolibéral s’impose progressivement. L’État-providence est
remis en question : les gouvernements, sous l’influence des idées libérales, prônent la réduction
de l’intervention étatique, l’allègement des dépenses publiques et le retour au marché comme
moteur central de l’organisation sociale. En conséquence, dans plusieurs pays, les priorités
changent : les politiques sociales sont revues à la baisse, les prestations sont conditionnées ou
restreintes, l’accent est mis sur incitation au travail (workfare) plutôt que sur l’assistance
universelle.
Aujourd’hui, l’État-providence semble traverser une crise plus profonde, philosophique et
structurelle. Ce ne sont plus seulement les contraintes budtaires ou la conjoncture
économique qui sont en cause, mais l’ensemble des transformations sociales, démographiques
et économiques qui remettent en question sa pertinence. La mondialisation, le développement
rapide du numérique et les crises sanitaires, comme la pandémie de COVID-19, ont créé de
nouvelles formes de vulnérabilité, avec une précarisation de l’emploi, des inégalités croissantes,
une exclusion sociale renforcée et des mutations profondes du travail. Ces évolutions révèlent
les limites des mécanismes traditionnels de protection sociale. Ainsi, les crises de l’État-
providence ne sont pas seulement historiques : elles perdurent aujourd’hui, confrontées
aux mutations économiques, sociales et technologiques.
Le Maroc illustre, dans son modèle de développement, le rôle central de l’État social comme
pilier du progrès économique et de la justice sociale. Depuis les années 2000, le pays a intensifié
ses efforts pour renforcer la protection sociale, en adoptant une série de mesures structurantes.
Parmi elles, on peut citer la loi n°65-00 portant Code de la Couverture Médicale de Base (CMB)
en 2002, le lancement du Régime d’Assistance Médicale (RAMED) destiné à la population
défavorisée en 2008, ainsi que l’adoption de la loi relative à l’Assurance Maladie Obligatoire
(AMO) des travailleurs non-salariés en 2018. Ces initiatives montrent la volonté progressive de
l’État de couvrir l’ensemble de la population et de consolider le socle de protection sociale.
Après la pandémie de 2020 et sous l’impulsion des Directives Royales, le Maroc a amorcé une
nouvelle ère de protection sociale, marquée par l’adoption de la loi-cadre n°09.21 relative à la
protection sociale. Cette réforme poursuit quatre objectifs principaux : l’élargissement de la
couverture médicale obligatoire, la généralisation des allocations familiales, l’extension de
l’affiliation aux régimes de retraite et la généralisation de l’indemnité pour perte d’emploi. Elle
s’inscrit dans une logique de renforcement universel et structuré de l’État-providence marocain,
visant à réduire les vulnérabilités de tous les citoyens.
Parallèlement, le gouvernement a mis en place un régime d’aide sociale directe pour compenser
les insuffisances de la caisse de compensation, grâce à des mécanismes de ciblage assurés par
le Registre Social Unif (RSU). À cela s’ajoutent la réforme nationale du système de santé
(loi 06.22) et les mesures en faveur du logement social, renforçant ainsi le socle du modèle
social marocain. Ces dispositifs mobilisent des budgets considérables, estimés à environ 51
milliards de dirhams par an, que l’État entend financer en partie grâce à une réforme fiscale
visant l’élargissement des recettes publiques.
Pourtant, l’histoire du Maroc montre que ce modèle social a toujours été confronté à des crises.
Tensions économiques, insuffisance de couverture pour certaines catégories de population et
dysfonctionnements administratifs ont régulièrement fragilisé l’efficacité des dispositifs.
Aujourd’hui encore, le pays fait face à de nouvelles crises, comme en témoignent les récentes
mobilisations sociales et grèves, notamment la « Grève génération Z », dénonçant la mauvaise
qualité des hôpitaux, les retards dans la mise en œuvre des programmes sociaux et les inégalités
persistantes.
Ces défis démontrent que, malgré les efforts continus pour élargir et moderniser la protection
sociale, les crises de l’État-providence au Maroc restent pleinement d’actualité, interrogeant la
capacité du pays à concilier justice sociale et efficacité des dispositifs.
L’ensemble de ces éléments nous conduit à soulever plusieurs interrogations :
D’abord, dans quelle mesure les fragilités structurelles héritées du passé continuent-elles
de limiter l’efficacité de l’État-providence ? (1) Ensuite, quels sont les défis contemporains
économiques, sociaux et technologiques qui exacerbent les crises de lÉtat-providence ?
(2) Par ailleurs, la permanence des crises du modèle de l’État-providence annonce-t-elle sa
fin ? (3) Enfin, comment les crises actuelles peuvent-elles être transformées en
opportunités pour repenser et moderniser l’Etat providence ? (4)
Ces différentes interrogations soulignent l’importance d’analyser les limites et les potentialités
de l’État-providence, rendant le sujet particulièrement pertinent dans un contexte mondialisé
marqué par l’essor des déséquilibres sociaux. Ainsi, la problématique peut se formuler ainsi :
les crises à répétition que traverse l'État-providence signent-elles l'échec définitif d'un
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