A coeur ouvert

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A COEUR OUVERT
Une publication périodique du Service de cardiologie,
Département cardio-vasculaire médico-chirurgical,
Hôpital de la Tour, Meyrin/Genève
No 19 - 2008
FAIT CLINIQUE
Un homme de 48 ans, consulte pour un avis de sa pression artérielle (PA). Ce cadre dynamique travaillant
dans une banque, explique qu’ayant un appareil d’automesure tensionnelle à domicile (AMT) au vu de ses
antécédents familiaux d’hypertension artérielle (père et une sœur) et risque cardiovasculaires (dyslipidémie
traitée par une statine, un tabagisme à 1 paquet / jour et un excès pondéral à 27,4 Kg/m2) s’inquiète pour
ses valeurs de PA. En effet, il a constaté à plusieurs reprises des valeurs de la PA systolique entre 146 et
148 mmHg et de la diastolique entre 96 et 99 mmHg. Les mesures de la PA ont été effectuées en position
assise, à la même heure et avec la même fréquence (matin et soir) sur quelques jours. Il consulte son médecin traitant. Celui-ci, ne relève pas d’élévation de la PA au-delà de 140/90 mmHg lors de trois consultations
consécutives. L’appareil d’automesure du patient est bien fonctionnel après vérification en simultané avec
l’appareil du médecin traitant. Par ailleurs, l’examen clinique, un électrocardiogramme de repos, un bilan
biologique extensif comprenant entre autre les électrolytes sanguins, une fonction rénale et un dosage des
hormones thyroïdiennes ainsi que des catécholamines urinaires sur 24 heures ne montrent rien de particulier.
Le médecin traitant propose au patient une attitude préventive hygiéno-diététique. Ainsi, le patient réussit
à perdre un peu de poids (26,3 Kg/m2), à diminuer le nombre de cigarettes entre 10 et 15/jour et avoir une
activité physique de marche en raison de 3 fois par semaine d’une durée de 30 à 45 minutes. En dépit de
cela, le patient constate toujours la présence des valeurs de PA qui sont élevées à domicile (systolique entre
142 et 145 mmHg, diastolique entre 94-96 mmHg). Le médecin traitant demande alors un enregistrement
ambulatoire non invasif de la PA de 24 heures.
Avant de regarder le résultat de l’enregistrement non-invasif de la PA de 24 heures (MAPA), pensezvous que dans cette situation l’examen est justifié ou bien fallait-il d’emblée introduire un traitement
antihypertenseur ?
Si oui, pourquoi ?
PA/FC
160
PAS = pression artérielle systolique
PAD = pression artérielle diastolique
= limites de normalités
FC = fréquence cardiaque
150
mmHg / bat/min
140
PAS
130
120
110
PAD
100
90
FC
80
70
60
8
22
6
heures
RÉPONSE
Comme vous pouvez le constater sur la figure, la MAPA du patient montre une hypertension artérielle systolo-diastolique en phase diurne (moyenne systolique à 139 mmHg et diastolique à 91 mmHg). Cet examen
permet de préciser, contrairement à la mesure conventionnelle en milieu médical ou à domicile par le patient comment varient les valeurs de PA en période nocturnes. Qui, je vous rappelle sont pronostic en terme
de survenue d’événements cardiovasculaires indépendamment des valeurs diurnes. Chez notre patient, le
profil nocturne est anormalement élevé (moyenne systolique à 131 mmHg et diastolique à 89 mmHg).
Sur la base de l’histoire clinique du patient et de différentes investigations effectuées, le diagnostic
d’Hypertension Artérielle Essentielle Masquée a été retenu.
Définition de l’Hypertension Masquée:
Au cours de ces 15 dernières années, on a montré que le niveau tensionnel basal était mieux défini par la
mesure ambulatoire (MAPA) ou l’automesure tensionnelle à domicile (AMT) que par la méthode conventionnelle en milieu médical. Très récemment, plusieurs études ont démontré, tant pour la MAPA que pour
l’AMT, que la morbi-mortalité cardiovasculaire était mieux prédite par le niveau tensionnel défini par ces
deux méthodes que celui mesuré en consultation médicale. Cependant, il n’y a pas d’étude prospective
montrant qu’une méthode est supérieure à l’autre en terme pronostic. Néanmoins, on peut supposer que par
le nombre de mesures obtenues par la MAPA et sans interférence de contrôle par le sujet sur les valeurs enregistrées ainsi que d’autre part de l’analyse du profil tensionnel nocturne, cette méthode est plus précise dans
le diagnostic, l’évaluation de la stratification du risque cardiovasculaire et dans la surveillance du patient
hypertendu traité.
La comparaison des résultats des mesures tensionnelles obtenues par les différentes méthodes a conduit
les sociétés savantes à classer les patients en quatre catégories (tableau) : normotendu ou ( normotendu
contrôlé s’il prend un traitement antihypertenseur ) ; hypertension ou ( hypertension non contrôlée
sous traitement ) ; hypertension de la blouse blanche ou encore hypertension de consultation ; enfin
hypertension masquée.
Mesure Conventionnelle en Milieu Médical
Automesure à Domicile
(moyenne)
Ou
Mesure Ambulatoire de 24h
(moyenne diurne)
<140 et 90 mmHg
>ou=140 ou 90 mmHg
<135 et 85 mmHg
Normotendu
Contrôlé
Hypertension de la
Blouse blanche
>ou=135 ou 85 mmHg
Hypertension
Masquée
Hypertension
Non contrôlée
Prévalence et évolution de l’Hypertension Masquée:
La prévalence de l’hypertension masquée varie, selon les études disponibles, de 8 à 55%, écarts d’estimation
principalement dus à des différences de définition et/ou de population étudiée. Si l’on restreint son évaluation
à la population des sujets apparemment normotendus ou contrôlés par un traitement antihypertenseur en
consultation, elle va de 23% dans une population générale non sélectionnée à 40%-55% chez les patients
adressés ou suivis pour une hypertension. Autrement dit, le quart à la moitié des patients apparemment
contrôlés en consultation sont en fait des hypertendus non contrôlés.
Il n’existe pas d’étude publiée de reproductibilité de l’identification ou du diagnostic de l’hypertension
masquée à court et à moyen terme. Pour le long terme, il y a deux études ayant réévalué la classification
initiale de normotension ou d’hypertension masquée après quelques années de suivi chez les enfants et chez
des adultes jeunes. Elles déterminent davantage le devenir des sujets ayant une hypertension masquée
que la reproductibilité de cette dernière. Une étude montre que l’hypertension masquée persiste chez plus
du tiers des enfants identifiés comme étant des hypertendus masqués et l’autre que la probabilité d’évolution
vers l’hypertension artérielle permanente est double de celle des patients normotendus.
Facteurs de risque cardiovasculaire associés et critères prédictifs de l’Hypertension Masquée:
Le rôle de l’âge et du sexe est difficile à préciser du fait de résultats contradictoires, mais la prévalence
diminuerait avec l’âge et serait supérieure chez les hommes. En revanche, la grande majorité des études
concordent pour les autres facteurs de risque cardiovasculaire. Les patients ayant une hypertension masquée
ont des facteurs de risque et des antécédents cardiovasculaires plus proches de ceux des hypertendus que
de ceux des normotendus ou des patients ayant une hypertension de la blouse blanche. Ils ont volontiers
un indice de masse corporelle plus important, voire une obésité, sont plus souvent consommateurs de tabac et
d’alcool, ont plus souvent des dyslipidémies et des glycémies élevées. Dans une étude récente japonaise
transversale réalisée chez 3400 hypertendus traités avec une moyenne d’âge de 66 ans et 45% d’hommes,
les facteurs prédictifs de l’hypertension masquée sont un indice de masse corporelle supérieur ou égal à
25 Kg/m2, une PA systolique de consultation supérieure ou égale à 130 mmHg, une consommation habituelle
d’alcool et un nombre de classes d’antihypertenseurs supérieur ou égal à deux. La fréquence de l’hypertension
masquée augmente de façon linéaire avec l’augmentation du nombre de ces facteurs, laissant penser que
l’identification de trois ou quatre d’entre eux permettrait d’en suspecter une.
Pronostic cardiovasculaire de l’Hypertension Masquée :
Il est démontré que l’atteinte des organes cibles des hypertendus masqués est importante : ces patients
ont un indice de masse ventriculaire gauche et une épaisseur intima-média carotidienne plus élevés que
ceux des sujets normotendus. On dispose maintenant de trois études publiées, de même schéma méthodologique, confirmant le mauvais pronostic cardiovasculaire de l’hypertension masquée. Ainsi dans l’étude
prospective française SHEAF ( Self-measurement of blood pressure at Home in the Elderly : Assessment
and Follow-up ), portant sur des patients âgés hypertendus traités, il est apparu que le risque d’événements
cardiovasculaires, prenant pour référence les patients contrôlés est multiplié par deux pour les hypertendus
masqués et équivalent à celui des patients avec une hypertension non contrôlée. Ces études ont les limites
des études de cohorte. Il n’y a pas de visite de suivi permettant de connaître l’évolution de la PA, l’introduction ou la modification des traitements antihypertenseurs. Il n’en demeure pas moins qu’elles sont concordantes, démontrant le caractère pronostique péjoratif de l’hypertension masquée.
Chez notre patient un traitement antihypertenseur a été instauré par une monothérapie d’inhibiteur de l’enzyme de conversion. Après trois mois de traitement et sans modification des autres facteurs de risque cardiovasculaire modulables, les valeurs de PA systolique et diastolique se sont abaissés entre 130-132 mmHg
et respectivement entre 84-86 mmHg par AMT tandis que les valeurs moyennes systolique et diastolique
par la MAPA étaient à 127 et 79 mmHg en phase diurne, respectivement à 119 et 72 mmHg durant la nuit.
MESSAGES
1.
2.
3.
4.
5.
Le niveau de la pression artérielle basale ainsi que le pronostic cardiovasculaire sont mieux définis
par la mesure ambulatoire de 24 heures (MAPA) ou l’automesure tensionnelle à domicile (AMT) que
par la méthode conventionnelle en milieu médical.
L’hypertension artérielle retrouvée par automesure ou par MAPA sur les valeurs moyennes diurnes,
mais non lors de la consultation, constitue la définition de l’hypertension masquée.
La prévalence de l’hypertension masquée varie, selon les études disponibles, de 8 à 55%.
Elle diminuerait avec l’âge et serait supérieure chez les hommes.
Les patients ayant une hypertension masquée ont un indice de masse ventriculaire gauche et une
épaisseur intima-média carotidienne plus élevés que ceux des sujets normotendus et identiques à
ceux des hypertendus.
Certaines questions ne sont pas résolues. La reproductibilité n’est pas encore démontrée. Les
causes sont inconnues. Le moyen d’identifier les individus ayant une hypertension masquée reste à
déterminer, puisque le screening de toute la population semble matériellement non envisageable.
Enfin, la dernière question est celle du traitement. Si la notion d’atteinte des organes cibles doit
faire intensifier le traitement, on ne possède pas d’essai randomisé comparant la morbi-mortalité
cardiovasculaire de l’adaptation du traitement antihypertenseur sur les mesures occasionnelles et
celles de l’adaptation sur la MAPA ou l‘AMT. La seule certitude est la nécessité d’accroître
l’utilisation de la MAPA comme de l’AMT dans notre pratique quotidienne.
Références
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Bjorklund K, Lind L, Zethelius B et al. Isolated ambulatory hypertension predicts cardiovascular
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Ciaroni S, Bloch A. La mesure ambulatoire de la pression artérielle : intérêt clinique et évaluation
pronostique de l’hypertension artérielle nocturne. Praxis 1977 ; 86 : 17-22.
Cas préparé par le Dr Stefano Ciaroni
FONDATION DE LA TOUR
POUR LA RECHERCHE
C A R D I O VA S C U L A I R E
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