a cheng et son

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Analyse d'un succès : A Cheng et son œuvre
Biographie et thématique
N o ë l Dutrait 1
En juillet 1984 paraît dans la revue Shanghai wenxue une nouvelle intitulée « Qi wang » (Le Roi des échecs), premier texte d'un auteur de trentecinq ans, A Cheng2.
Dans le foisonnement littéraire qui a suivi l'ouverture politique et
économique de 1978, au milieu d'une production plus encline à dénoncer
les méfaits de la Révolution culturelle ou à évoquer les problèmes sociaux
de l'époque, la publication de cette nouvelle avait toutes les chances de
passer inaperçue. L'auteur était totalement inconnu pour 1 ' immense majorité
des lecteurs, à l'exception de quelques membres de l'élite intellectuelle
pékinoise et d'une poignée d'artistes non conformistes.
Pourtant, le texte d'A Cheng devait rapidement attirer l'attention des
critiques littéraires et des écrivains du Continent, puis, très vite, de Hong
Kong et de Taiwan. C'est un article de Wang Meng, paru dans le Wenyibao
dès le mois d'octobre 1984, qui a déclenché toute une série de comptes
rendus sur l'œuvre, pour la plupart laudatifs3. L'écrivain Wang Zengqi,
1
2
3
Noël Dutrait est Maître de conférences à l'Université de Provence (AixMarseille 1).
Les références aux textes d'A Cheng renvoient à leur traduction en français,
sauf indication contraire. Elles sont données en annexe.
Cf. Wang Meng, « Qie shuo "Qi wang" » (À propos du « Roi des échecs »),
Wenyibao, 1984 (10), pp. 43-45.
Études chinoises, vol. XI, n° 2, automne 1992
Noël Dutrait
puis Ba Jin lui-même en ont donné un commentaire élogieux4. A Cheng
reçut ensuite pour « Le Roi des échecs » l'un des prix décernés aux meilleures
nouvelles des années 1983-1984, aux côtés d'auteurs plus âgés et souvent
prestigieux comme Lu Wenfu, Deng Youmei, Jiang Zilong, Zhang Xianliang, etc.5
À Hong Kong, un article de Michael Duke paru dans Jiushi niandai
en 1985 attire si bien l'attention des lecteurs que la revue publie le texte
du « Roi des échecs » dans son numéro suivant*. Invité à Hong Kong cette
même année à l'occasion d'une exposition de livres chinois, A Cheng est
au centre d'un débat entre le rédacteur en chef de la revue et plusieurs
intellectuels. Cette longue discussion est très révélatrice de l'état d'esprit
d'A Cheng et de l'admiration que lui portent ses interlocuteurs7.
Un article paru en 1988 dans l'édition d'outre-mer du Quotidien du
peuple indique que le recueil d'A Cheng, Le Roi des échecs, comprenant,
à côté de la nouvelle-titre, « Le Roi des arbres », « Le Roi des enfants »
et six autres textes courts, a été tiré dès la première édition à 15 000
exemplaires, très vite épuisés. Il a été réédité à 20 000 exemplaires, ce
4
5
6
7
Ainsi, répondant aux questions d'un journaliste du Wenyibao, Ba Jin déclare
prometteurs les débuts d'A Cheng. Selon lui, A Cheng, « tout en attachant
une grande importance à l'étude de la culture traditionnelle chinoise dont il
a saisi la quintessence, s'intéresse aux procédés modernes d'expression artistique venant de l'étranger. La synthèse qu'il en tire, dépourvue de tout artifice,
est des plus réussies. » Citation donnée par Zhong Chengxiang, « Zhong shi
fu zi sumiao » (Croquis des Zhong, père et fils), Qingnian zuojia, 1987 (4),
pp. 163-168.
Plutôt que parmi les nouvelles {duanpian xiaoshuo), les oeuvres d'A Cheng
sont classées comme zhongpian xiaoshuo (litt. « nouvelles de longueur
moyenne », ou « courts romans »). Cf. 1983-1984 quahguo youxiu zhongpian
xiaoshuo pingxuan huojiang zuopinji (Recueil des meilleures nouvelles de
longueur moyenne primées sur le plan national en 1983-1984), Pékin, Zuojia
chubanshe, 1986, p. 465.
Michael Duke, « Zhonghua zhi dao bijing bu tui » (Tout bien considéré, la
voie chinoise n'est pas sur le déclin), Jiushi niandai, 1985 (8), pp. 82-85, et
(9), pp. 86-100.
Cf. « Yu A Cheng dongla xiche » (Discussion à bâtons rompus avec A Cheng),
Jiushi mandai, 1986 (1), pp. 68-78. La longueur du texte de cette discussion
(dix pages) est assez exceptionnelle dans l'histoire de la revue.
36
A Cheng et son œuvre
qui est assez rare pour ce genre d'ouvrage8. Le même article précise par
ailleurs que c'est un des premiers livres venus du Continent à être publié
à Taiwan ; et même, en son temps, il compta parmi les dix livres qui s'y
vendirent le mieux.
Que ce soit en Chine continentale ou en Chine « extérieure », l'œuvre
d'A Cheng a donc immédiatement retenu l'attention des critiques, les uns
recherchant chez lui l'influence de telle ou telle famille de pensée (taoïste
ou confucianiste), les autres comparant ses écrits à des œuvres occidentales
qui lui ressemblent soit par le titre (Le joueur d'échecs de Stefan Zweig),
soit par le contenu (L'étranger de Camus)9.
La nouvelle d'A Cheng devait être remarquée à son tour par les
sinologues, les traducteurs et les critiques étrangers. « Le Roi des échecs »
est traduit en français dans Littérature chinoise en 1985, puis de nouveau
en 1988, avec « Le Roi des arbres » et « Le Roi des enfants » ; enfin,
une version anglaise paraît en 1990 10 .
8
Cf. Shi Wan, « Wo yu Qi wang de chuban » (L'édition du Roi des échecs
et moi), Renmin ribao (édition d'outre-mer), 5 décembre 1988, p. 7.
9 Voir entre autres : Su Ding etZhong Chengxiang, « Qi wang yu daojiameixue »
(Le Roi des échecs et l'esthétique taoïste), Dangdai wenxuepinglun, 1985 (3),
pp. 20-26 ; et, des mêmes auteurs, « Lun A Cheng de meixue zhuiqiu »
(Recherches esthétiques chez A Cheng), Wenxue pinglun, 1985 (6), pp. 5360 ; Liu Jianhua, « A Cheng de Qi wang yu Jiamu de Juwairen » (Le Roi
des échecs dA Cheng et L'étranger de Camus), Waiguo wenxue yanjiu, 1987
(1), pp. 115-122. Pour une opinion négative sur A Cheng, voir Li Wentian,
« A Cheng xiaoshuo ji wenhua huigui yishi de xiaoji qingxiang » (Les romans
d'A Cheng et la tendance passéiste à un retour en arrière culturel), Pipingjia
[Taiyuan], 1986 (7), pp. 215-220.
10 Cf. Littérature chinoise, 1985 (4), pp. 153-210 ; Les trois rois ; Three Kings,
introduction et traduction de Bonnie S. McDougalI, Londres, Collins Harvill,
1990. Pour les travaux en langue anglaise, voir Ross Edmond Lonergan,
Tradition and Modernity in the Novellas ofAh Cheng, M.A. Thesis, University
of British Columbia, 1989. Voir aussi Kam Louie, « The Short Stories of Ah
Cheng : Daoism, Confucianism and Life », The Australian Journal ofChinese
Affairs, 18, 1987, pp. 1-13 ; Michael S. Duke, « Reinventing China : Cultural
Exploration in Contemporary Chinese Fiction », Issues andStudies, 1989 (8),
pp. 29-53 (voir en particulier le paragraphe pp. 36-40). En français, l'un des
articles de critique littéraire les plus élogieux a été celui de Claude Roy, « Pour
37
Noël Dutrait
Au moment où le monde artistique et littéraire était secoué par la
polémique sur le « modernisme », après l'échec du mouvement contre « la
pollution spirituelle », pourquoi la première œuvre d'un nouvel écrivain
a-t-elle déchaîné l'enthousiasme de la critique littéraire, et surtout, pourquoi
a-t-elle remporté un tel succès auprès des lecteurs chinois et étrangers ?
Ce succès est-il dû, comme le suggère Liu Shaoming, à la pauvreté extrême
de la production littéraire chinoise pendant plus de trente ans, le premier
écrit vivant et spontané depuis 1949 ayant aussitôt conquis tous les suffrages ? u
Étroitement liée à la naissance du mouvement littéraire et artistique dit
de « la recherche des racines », la parution de ces nouvelles d'A Cheng
n'est-elle pas l'aboutissement d'une réflexion sur l'avenir de la littérature
et de l'art chinois, terriblement asséchés par trente ans de réalisme socialiste
ou de romantisme révolutionnaire ? N'est-elle pas aussi à l'origine d'un
puissant courant qui, à l'image des sciences humaines, cherche la place
que doit occuper dans la modernité une culture chinoise millénaire, remise
en question de manière radicale aussi bien par les écrivains du Quatre Mai
que par les dirigeants communistes, mais qui reste toujours très présente
et peut-être de plus en plus féconde ?
L'influence de tel ou tel courant de pensée sur son œuvre ayant déjà
fait l'objet de recherches approfondies12, je m'attacherai à dégager les thèmes
les plus significatifs qui ont inspiré A Cheng13. Ses écrits forment un corpus
saluer A Cheng », Le nouvel observateur, 27 mai-2 juin 1988, p. 146. Lors
de la parution de Perdre son chemin, Michel Polac a aussi montré un grand
enthousiasme pour ce livre dans un article publié dans L'événement du jeudi
(19 septembre 1991) sous le titre « Réveillez-vous !» et au cours de plusieurs
émissions télévisées ou radiophoniques.
11 Cf. Liu Shaoming, « Qie shuo A Cheng » (À propos d'A Cheng), Zhongyang
ribao, 13 novembre 1986, p. 4.
12 Cf. Su Ding et Zhong Chengxiang, 1985 (3), op. cit. ; voir aussi la thèse de
Ross Edmund Lonergan, op. cit., et surtout Kam Louie, op. cit.
13 L'analyse thématique m'a semblé pertinentepour approcher l'œuvred'A Cheng
dans la mesure où, comme le dit Daniel Bergez, « une lecture thématique ne
se présente jamais comme un relevé de fréquences ; elle tend à dessiner un
réseau d'associations significatives et récurrentes ; ce n'est pas l'insistance
38
A Cheng et son œuvre
facile à manier de textes qui ont été rédigés et publiés au cours de deux
périodes bien distinctes : 1984-1986 pour ceux qui ont été composés en
Chine et qui constituent la base de ma recherche, et de 1987 jusqu'à
aujourd'hui pour les textes très courts qu'A Cheng qualifie de biji xiaoshuo
(selon les cas, « essais » ou « notes et croquis ») rédigés aux États-Unis.
Avant d'entreprendre cette analyse thématique, il ne sera pas inutile
de procéder à un court rappel biographique mettant l'accent sur les épisodes
de la vie de l'auteur qui ont particulièrement marqué son écriture.
Biographie
La biographie d'A Cheng est assez bien connue, au moins pour la période
qui va jusqu'à son départ pour les États-Unis en 1987. Il a répondu à de
nombreuses interviews et la publication de ses écrits est toujours accompagnée d'une notice sur sa vie. Lui-même a donné une autobiographie,
certes succincte, mais très révélatrice de son état d'esprit :
Je m'appelle A Cheng. Mon nom de famille est Zhong. En 1984, j'ai commencé
à écrire et j'ai signé A Cheng, afin d'assumer la responsabilité de mes écrits.
Je suis né le jour de la fête Qingming. Au moment où les Chinois pensaient
à leurs morts, je suis arrivé comme par étourderie. Six mois plus tard, la
République populaire de Chine était fondée. Ainsi j ' appartiens, pourrait-on dire,
à l'ancienne société. J'ai ensuite connu l'école primaire et l'école secondaire.
La Révolution culturelle a éclaté avant la fin de mes études secondaires. J'ai
alors été envoyé à la campagne au Shanxi, en Mongolie intérieure, puis au
Yunnan : je n'y suis guère resté plus de dix ans. En 1979, je suis rentré à Pékin
où j'ai pris femme. J'ai trouvé un travail. J'ai eu un enfant, aussi gentil que
tous les enfants. Une telle expérience (de la vie) ne dépasse pas l'imagination
d'un Chinois moyen. J'ai vécu comme tout le monde, et je vis comme tout
le monde, à cette seule petite différence près que j'écris. J'envoie mes textes
là où on les imprime et où on les transforme en argent, afin de subvenir à mes
qui fait sens, mais l'ensemble des connexions que dessine l'œuvre, en relation
avec la conscience qui s'y exprime ». Cf. Daniel Bergez, Pierre Barbéris, PierreMarc de Biasi et al., Introduction aux méthodes critiques pour l'analyse littéraire, Paris, Bordas, 1990, p. 102.
39
Noël Dutrait
dépenses familiales. Comme un menuisier qui part chaque jour faire son travail,
je suis un artisan. Je suis donc comme tout le monde, je n'ai rien de différent14
On le voit, A Cheng cultive le paradoxe. Il vient au monde « comme par
étourderie » le jour de la célébration des morts, il est lycéen au moment
où on ferme les écoles en Chine, il se confond avec la masse des Chinois
à ceci près qu'il écrit des textes salués par la critique et ce, dit-il, pour
compléter les revenus familiaux. Dans cette autobiographie, A Cheng
dévoile la philosophie de l'existence qui sous-tend tous ses écrits : sous
la banalité se trouve l'extraordinaire, dans le calme apparaît le trouble, de
l'ordre immuable des choses surgit l'inattendu. La composition de cette
brève autobiographie est en total accord avec ses conceptions stylistiques :
seul l'essentiel est dit. Cette concision se retrouve dans la rédaction de
l'écolier Wang Fu (« Le Roi des enfants »)13 comme dans le scénario
qu'A Cheng rédigera pour le cinéaste Xie Jin.
A Cheng est né le 6 avril 1949, ce qui lui permet de dire sur le mode
de la plaisanteriequ'il est de « l'ancienne société ». Son père, Zhong Dianfei,
était un théoricien du cinéma réputé, membre du Parti communiste, et sa
mère travaillait aux studios de Pékin. Au cours du mouvement des Cent
Fleurs, Zhong écrivit un article dénonçant l'ingérence de la politique et
de la bureaucratie dans la création cinématographique. Pendant le mouvement de rectification « anti-droitier », il fut envoyé à la campagne pour
y être « rééduqué ». Afin de subvenir à ses besoins, sa mère fut contrainte
de vendre les livres de la bibliothèque familiale et cette tâche incomba
au jeune A Cheng qui en profita pour lire systématiquement tout ce qui
s'y trouvait : les romans classiques chinois, mais aussi les grands noms
de la littérature occidentale — Tolstoï, Dostoïevski, Balzac, Hugo, etc.16
Réhabilité en 1960, son père le fit entrer au lycée n° 4 de Pékin, fréquenté
par les enfants des dirigeants du pays. Parmi ses camarades, le poète Bei
Dao et le réalisateur Chen Kaige qui mettra en scène « Le Roi des enfants ».
14 Qi wang, avant-préface. Cette autobiographie est reprise dans Jiushi mandai,
1986 (1), en tête de la « discussion à bâtons rompus avec A Cheng », p. 68.
15 Le Roi des échecs, p. 236.
16 Dans une lettre écrite en 1988, A Cheng m'a indiqué à quel point le nom
de la France était lié pour lui à Balzac ou Hugo.
40
A Cheng et son œuvre
Le déclenchement de la Révolution culturelle en 1966 l'empêcha de
poursuivre sa scolarité au lycée et brisa une nouvelle fois l'unité de sa
famille : ses parents furent déportés à la campagne et lui-même devint
un de ces « jeunes instruits » qui ne pourront rentrer à Pékin qu'au bout
d'une dizaine d'années.
Il fut envoyé d'abord au Shanxi dans une région particulièrement pauvre
qu'il évoquera dans un texte publié en 1989, « Zhuanye » (Spécialité)17.
Puis, attiré par une description que ses amis lui firent, il demanda son transfert
en Mongolie intérieure où il pensait trouver une source d'inspiration pour
son activité préférée, le dessin. En fait, il déchanta rapidement et souhaita
se faire muter au Yunnan en raison de la beauté des paysages. Là, il touche
un maigre salaire et n'a guère de distractions. Il passe son temps libre à
dessiner et surtout à raconter des histoires à ses amis18. Dans la ferme
collective où il habite, tous viennent l'écouter raconter ou évoquer des
personnages tirés des romans chinois et étrangers qu'il a lus avant la
Révolution culturelle. Dans sa préface à la traduction anglaise des Trois
rois, Bonnie S. McDougall affirme qu'A Cheng s'efforçait, pour les rendre
plus accessibles, d'adapter les récits qu'il racontait aux paysans. En retour,
ceux-ci lui offraient cigarettes et bons repas. C'est ainsi qu'il a raconté
Anna Karénine en plusieurs mois, par petits morceaux. Plus tard, en 1984,
lorsque les paysans verront à la télévision l'adaptation anglaise du roman,
ils manifesteront leur colère envers A Cheng, l'accusant d'avoir déformé
l'histoire originale !19
A Cheng restera au Yunnan jusqu'en 1979. Il a toutefois la permission
de retourner à Pékin une fois par an. En 1976, il participe à l'hommage
à Zhou Enlai sur la place Tian'anmen. Un portrait du premier ministre
dessiné par A Cheng circulera d'ailleurs à cette époque et sera reproduit
17 Traduit en français dans Chroniques, pp. 13-19.
18 Ces renseignements biographiques sont tirés des articles suivants : Zhong
Chengxiang, op. cit. ; Zhong Chengxiang, « A Cheng qi ren » (A Cheng,
l'homme), série de quatorze articles parus dans le Renminribao (édiùond'outremer), du 6 janvier au 28 janvier 1987. On trouve également des renseignements
biographiques sur A Cheng dans la préface de Bonnie S. McDougall, op.
cit., p. 7.
19 Ibid., p. 12.
41
Noël Dutrait
dans le numéro 3 de larevue Jintian/Today en novembre 1978. L'expression
tendue et fatiguée de Zhou Enlai contraste avec les portraits officiels
montrant invariablement un homme aimable et souriant. C'est grâce au
peintre Fan Zeng qu'A Cheng pourra rentrer à Pékin en 1979. Celui-ci
l'a découvert au Yunnan et a remarqué sa passion pour le dessin. Il le fait
entrer à la revue Shijie tushu où A Cheng s'occupera aussi bien de la
maquette, de la rédaction des articles que des illustrations. A Cheng se
fait à cette époque une certaine réputation dans le monde des arts sous
le nom de Bei Zhong20. Il fréquente les milieux artistiques de la capitale
et surtout les membres du groupe des Étoiles. C'est ainsi qu'il rencontre
le critique littéraire et écrivain Li Tuo. Lors d'une soirée chez ce dernier21,
ses amis le persuadèrent d'écrire les histoires qu'ils aimaient tant l'entendre
raconter. Et plus tard, parut dans le numéro 7 de la revue Shanghai wenxue
sa nouvelle « Le Roi des échecs ». Sa gloire toute récente le poussa à démissionner de la revue Shijie tushu pour travailler à la rédaction de scénarios
ou à l'adaptation de films. Il collabora ainsi avec le metteur en scène Teng
Wenji et ils tournèrent ensemble deux films qui n'auront guère de succès.
Le célèbre cinéaste Xie Jin lui confie l'adaptation du roman de Gu Hua,
Furongzhen (Hibiscus)22. Une polémique s'engage entre eux car A Cheng
s'est contenté de remettre deux opuscules très minces. Suivant les préceptes
du héros de sa propre nouvelle « Le Roi des enfants » lorsqu'il apprend
aux élèves à faire une rédaction, il refuse d'enjoliver et de se lancer dans
d'interminables descriptions :
Ce que j'écris, c'est un scénario de travail, ce n'est pas un texte littéraire destiné
à des lecteurs. Je n'y indique que ce qui a un sens réel pour la mise en scène.
Par exemple, lorsque l'on mentionne en extérieur « un fleuve », les scénarios
rajoutent en général de nombreuses descriptions comme : « un fleuve sinueux,
20 Les seuls croquis d'A Cheng à avoir été reproduits à l'étranger se trouvent
dans la revue Doc(k)s consacrée aux « non-officiels » chinois, c'est-à-dire
aux poètes et artistes du printemps de Pékin de 1978. Il s'agit de quatre nus
signés Zhong Acheng. Cf. Doc(k)s, 41, hiverl981-82, folio 176-177.
21 Dans son article « 1985 », Li Tuo affirme ne pas se souvenir si cette scène
s'est passée à la fin de 1983 ou au début de 1984. Cf. Li Tuo, « 1985 », JintianJ
Today, 1991(3^), pp. 59-73.
22 Gu Hua, Hibiscus, traduit par Philippe Grangereau, Paris, Robert Laffont, 1987.
42
A Cheng et son œuvre
clair et limpide », etc. En réalité, quand le metteur en scène tourne la séquence,
il choisit un fleuve auquel il a pensé auparavant. Quelles qu'en soient la précision
ou la beauté, la description imaginée par le scénariste est faite en pure perte.
Voilà pourquoi dans mon scénario, j'ai seulement écrit « un fleuve ». Ainsi
ai-je évité pas mal de bavardages et fait économiser du papier à l'État. Je n'y
perdrai pas puisqu'il a été décidé que je serai payé pour l'ouvrage complet
et non au mot.23
En 1985, Feng Mu, rédacteur en chef de la revue Wenyibao et ami du
père d'A Cheng, l'aide à s'isoler pendant un mois pour écrire « Le Roi
des arbres » qui sortira dans le premier numéro de la revue Zhongguo zuojia.
Enfin, quelques mois plus tard, « Le Roi des enfants » paraît dans la revue
Renmin wenxue. Par la suite, il écrit d'autres nouvelles plus courtes qui
ont été rassemblées en 1985 dans le recueil Qi wang. L'année suivante,
il publie une série de textes courts évoquant des paysages, des personnages
ou des situations curieuses sous le titre « Biandi fengliu » (Hommes de
tous les horizons)24.
Depuis 1987, A Cheng vit aux États-Unis où il a été invité. Cette même
année, il fait un bref retour en Chine à l'occasion des funérailles de son
père. Invité à Paris dans le cadre de la manifestation « Les Belles Étrangères », il ne quitte pas les États-Unis à cause d'un problème de visa de
longue durée.
Depuis cette date, il publie régulièrement dans la revue Jiushi mandai.
Son nom est mentionné dans le comité de rédaction de la revue Jintianl
Today, publiée en Norvège, où il a fait paraître un texte, « Zuotian jintian
huo jintian zuotian » (L'aujourd'hui d'hier ou l'hier d'aujourd'hui)25. Il
est également membre du conseil d'administration et responsable des
23 Cf. Zhong Chengxiang, « Zhong shi fu zi sumiao ». Xie Jin se verra contraint
de refaire presque entièrement le scénario !
24 Cf. Qi wang et « Biandi fengliu ». Ce dernier se compose en principe de trois
parties, la seconde n'ayant peut-être pas existé : dans une lettre qu'il m'a écrite,
A Cheng affirme ne plus se souvenir si « Biandi fengliu (zhi er) » a réellement
été publié. Il explique qu'au moment de son succès, de nombreuses revues
lui ont commandé des textes et qu'il ne se rappelle plus lesquels ont été publiés.
25 JintianIToday, 1991 (3-4), pp. 115-121.
43
Noël Dutrait
questions littéraires et artistiques de la Fondation littéraire Jintian créée
en juin 1991M.Enjuin 1992, il est invité à résider pendant un mois à Venise
où il écrit un essai sur cette ville, non encore publié27.
Les thèmes
Faim et quête de la nourriture
A Cheng a commencé à écrire, confie-t-il dans une interview, parce
qu'il voulait être sûr d'avoir assez d'argent pour faire provision de baicai,
ces choux que tous les Pékinois se doivent de stocker au début de l'hiver28.
La quête de la nourriture, qui est ainsi à l'origine même de sa démarche,
est un thème constamment présent dans son oeuvre.
Son personnage le plus célèbre, le Roi des échecs, Wang Yisheng, est
fasciné par la nourriture ; il ne cesse de poser des questions à ce sujet.
Quand le narrateur lui raconte comment, après la mort de ses parents, il
a parfois été obligé de rester une journée entière sans manger, le Roi des
échecs 1 ' interroge sur la façon dont il a pu réellement survivre à cette épreuve.
Le narrateur recherche dans les œuvres littéraires qu'il connaît des allusions
à cette préoccupation vitale. Il raconte au Roi des échecs ses lectures,
L'amour de la vie de Jack London et Le cousin Pons de Balzac, mais son
interlocuteur n'apprécie guère ces récits. Il soupçonne les auteurs de ne
pas avoir vécu la réalité qu'ils décrivent. Son jugement sur Le cousin Pons
est sans appel :
Cette histoire ne vaut rien. Ce n'est pas une histoire de nourriture, c'est une
histoire de gourmandise. Ce Pons ne serait pas mort s'il s'était contenté de
manger, sans s'empiffrer. Je n'aime pas cette histoire.29
26 Cf. Tan Jia, « Jintian wenxue jijinhui dongshihui jishi » (Note sur le conseil
d'administration de la Fondation littéraire « Aujourd'hui »), Jiushi mandai,
1991 (9), p. 108.
27 Voir l'article de Wang Keping, « A Cheng zai Weinisi » (A Cheng à Venise),
Jiushi mandai, 1992 (9), pp. 88-90.
28 Ibid., 1986 (1), p. 68.
29 Le Roi des échecs, p. 24.
44
A Cheng et son œuvre
Le plus drôle est qu'il approuve le comportement du personnage décrit
par London dans L'amour de la vie. Recueilli par un navire au moment
où il va mourir de faim, l'homme cache dans sa cabine la nourriture qu'on
lui donne : la faim l'a rendu fou30. Ainsi s'exprime le Roi des échecs :
Cet homme a raison. Il devait absolument cacher ses biscuits sous son matelas.
D'après ce que tu dis, il serait devenu fou, paniqué par la perte de sa nourriture.
Mais non, il a raison, il a mille fois raison.31
Il affirme encore qu'il n'est pas possible de jouer correctement aux échecs
le ventre creux ; sa manière de manger est décrite minutieusement :
Lorsque le repas était servi dans le wagon des jeunes instruits, Wang Yisheng
avait l'air inquiet s'il n'était pas absorbé par une partie d'échecs. Au bruit du
cliquetis des gamelles dans les compartiments voisins, il fermait les yeux, serrait
fortement les lèvres comme s'il était saisi par la nausée. Une fois servi, il se
mettait immédiatement à manger à toute vitesse, la pomme d'Adam se rétractant
à chaque bouchée, les veines du visage gonflées. Parfois, il s'arrêtait subitement
et ramenait avec son doigt les grains de riz et les gouttes d'huile qui s'étaient
collés au bord de sa bouche ou sur son menton. Si un grain de riz tombait
sur ses habits, il le récupérait immédiatement en le remontant avec son pouce
jusqu'à la bouche. S'il n'y parvenait pas et si le grain de riz tombait par terre,
il se penchait pour le ramasser, sans bouger les pieds.32
La voracité de Wang Yisheng contraste avec son raffinement lorsqu'il
s'adonne au jeu d'échecs. Il précise par ailleurs que l'un de ses maîtres
lui a appris qu'on ne joue pas pour gagner sa vie. Le jeu d'échecs est un
art et non un gagne-pain.
Dans les années soixante, la quête de la nourriture était un acte essentiel
pour les Chinois et surtout pour les jeunes instruits installés à la campagne.
Dans la nouvelle, ils rêvent de banquets pendant leurs moments de repos,
et le narrateur (en fait A Cheng lui-même) se fait une spécialité de décrire
de bons repas. Il les raconte tellement bien, en s'inspirant de sa propre
30 Jack London, L'amour de la vie, traduit par P. Wenz, Paris, Gallimard, 1978.
31 Le Roi des échecs, p. 23.
32 Ibid., p. 22.
45
Noël Dutrait
expérience familiale (son père était un fin gourmet), que ses camarades
se jettent sur lui pour le faire taire !33
L'une des scènes les plus frappantes du « Roi des échecs » est encore
un banquet. Les jeunes instruits mettent en commun le peu de produits
qu'ils possèdent pour composer un repas autour de deux serpents qu'ils
font cuire :
En un instant, il ne resta plus dans le bol que le squelette des deux serpents.
J'apportai les aubergines cuites à la vapeur et les assaisonnai de sel et d'ail.
Je changeai l'eau de la marmite et j ' y plongeai les os des reptiles pour faire
une soupe. Chacun reprit son souffle, tendit ses baguettes et, en un clin d'oeil,
les aubergines furent englouties.34
Et naturellement, la conversation roule sur la nourriture, symbole d'inégalité
sociale puisque seuls lesrichespeuvent manger des nids d'hirondelles ou
des crabes.
Dans une nouvelle beaucoup plus courte, « Huican » (Un banquet), A
Cheng décrit l'organisation d'une réception dans une bannière de Mongolie
intérieure à l'occasion de la fête de la mi-automne. Il évoque avec humour
les préparatifs de la fête commandée par les dirigeants. Comme ils manquent
totalement d'argent pour acheter de l'alcool, les paysans sont contraints
d'utiliser les fonds qui leur avaient été alloués pour l'installation des jeunes
instruits. L'avidité avec laquelle les convives se jettent sur le repas et la
description d'ensemble de l'atmosphère qui règne à cette occasion donnent
la mesure du dénuement dans lequel se trouvaient les habitants de la région
à cette époque. Le banquet est un temps fort de la vie des paysans et des
jeunes instruits. C'est une occasion rare de manger de la viande et de boire
33 Ibid., p. 33. Ici, il faut voir une allusion autobiographique : A Cheng était
célèbre parmi ses camarades jeunes instruits pour ses talents de conteur. À
cette époque, toute forme de culture était interdite et le savoir ne pouvait se
transmettre qu'oralement, comme le fait le vieux chanteur pour les chansons
anciennes dans « Shuzhuang », in Qi wang, p. 186 (traduit en français sous
le titre « Le vieux chanteur » dans l'anthologie La Remontée vers le jour,
pp. 177-185).
34 Le Roi des échecs, p. 51.
46
A Cheng et son œuvre
de l'alcool, un moyen de s'informer sur ce qui se passe dans le reste du
pays grâce aux discours des officiels35.
Parfois, la quête de la nourriture pousse au cannibalisme36. Dans la
nouvelle « Chuiyan » (La fumée du foyer), un homme ne peut s'empêcher
de repousser violemment sa petite fille le jour où celle-ci, en jouant, lui
fourre la main dans la bouche. Ce geste a ravivé en lui un terrible souvenir.
Perdu dans une forêt du Yunnan, tourmenté par la faim, il trouve enfin
une habitation dont la cheminée fume. Il supplie l'occupant des lieux de
lui donner à boire un peu de la soupe qui cuit sur le feu, mais, lorsqu'il
soulève le couvercle de la marmite, il aperçoit une main d'enfant37. Cette
évocation du cannibalisme revient dans d'autres œuvres d'A Cheng ou chez
ses contemporains. Dans « Le Roi des échecs », le cannibalisme est évoqué
sur le mode humoristique : les jeunes instruits mangent des rats, mais, disentils, puisque les rats, comme les hommes, mangent des céréales, ceux qui
mangent des rats sont donc des cannibales38. Dans Pa pa pa de Han
Shaogong, les habitants d'un village dévorent les cadavres de leurs ennemis
à la fin des combats39.
Une des scènes les plus atroces du roman Hong gaoîiang*0 d'un écrivain
de la même génération qu'A Cheng, Mo Yan, décrit comment des soldats
japonais ordonnent au boucher de dépecer vif un prisonnier après lui avoir
tranché les oreilles. Celles-ci sont données en pâture aux chiens et les restes
de son corps disparaissent au cours de la nuit sans que l'on sache ce qu'ils
sont devenus...
Dans « Milu » (Perdre son chemin), les jeunes instruits sont tentés de
couper avec les dents le cordon ombilical du bébé de la femme qu'ils aident
35 « Huican », in Qi wang, p. 179.
36 Des actes de cannibalisme dus, comme chez A Cheng, au manque de nourriture
sont attestés tout au long de l'histoire de la Chine. Voir à ce sujet Key Rey
Chong, Cannibalism in China, Wakefïeld, Longwood Académie, 1990.
37 « Chuiyan », Jiushi niandai, 1989 (7), pp. 11-12.
38 Le Roi des échecs, p. 34.
39 Han Shaogong, Pa pa pa, traduit du chinois par Noël Dutrait et Hu Sishe,
Aix-en-Provence, Éditions Alinéa, 1990.
40 Mo Yan, Le clan du sorgho, traduit du chinois par Pascale Guinot et Sylvie
Gentil, Arles, Actes Sud, 1990.
47
Noël Dutrait
à accoucher, mais ils n'osent pas et y renoncent. Mordre dans la chair
humaine leur semble impossible41.
Dans « Hu di » (Fond du lac), les jeunes instruits imaginent un monde
à l'envers où ce seraient les poissons qui mangeraient les hommes :
Et, dans ce cas, ce seraient les poissons qui pécheraient les hommes. Ils les
attraperaient au filet, les ouvriraient, leur ôteraient les poils, les passeraient dans
le sel et les feraient sécher. Us mettraient en tas hommes et femmes, puis, vêtus
d'une veste, ils mangeraient de l'homme avec leurs baguettes en buvant de
l'alcool. D y aurait de l'homme fumé, de l'homme à la vapeur, de l'homme
cuit en sauce rouge, de la soupe d'homme.42
Curieusement, le thème de l'anthropophagie apparaît aussi dans l'œuvre
d'un autre contemporain d'A Cheng, le Vietnamien Nguyên-Huy Thiep.
Dans Un général à la retraite, cet auteur décrit comment la femme du
personnage principal nourrit les chiens de son élevage avec des fœtus
récupérés dans l'hôpital où elle travaille43. Ici, ce ne sont pas les hommes
qui mangent les hommes, mais, pire, on nourrit des chiens avec de la chair
humaine !
Ces évocations font naturellement penser à Lu Xun comparant la société
de son temps à une société mangeuse d'hommes. De la même manière
que dans « Le remède » on fait manger à un enfant atteint de tuberculose
un petit pain trempé dans le sang frais d'un condamné à mort, Bingzai,
l'avorton de Pa pa pa, est contraint de manger de la soupe à la viande
humaine. Et l'on se souvient de l'appel de Lu Xun en 1916 dans « Le
journal d'un fou » :
Peut-êtrey a-t-il encoredes enfants quin'ontjamais mangé de l'homme ? Sauvez,
sauvez les enfants...44
41 « Perdre son chemin », in Perdre son chemin, p. 26.
42 « Fond du lac », in Perdre son chemin, p. 116.
43 Nguyên-Huy Thiep, Un général à la retraite, nouvelles traduites du vietnamien
par Kim Lefèvre, La Tour d'Aiguës, Éditions de l'Aube, 1990.
44 Lu Xun, « Le remède » et « Le journal d'un fou », traduits en français par
Martine Valette-Hémery, De la révolution littéraire à la littérature
révolutionnaire, Paris, L'Herne, 1970, respectivement pp. 30-44 et 45-56.
48
A Cheng et son œuvre
Littérature de la cruauté, la jeune littérature chinoise des années 1980
reprend ce thème cher à Lu Xun pour dénoncer implicitement la société
qui dévore sa propre jeunesse. Rentrant de leur séjour forcé dans les régions
les plus déshéritées de la Chine, où ils ont été en contact avec une réalité
qu'ils ne soupçonnaient pas, les jeunes écrivains évoquent un monde
fonctionnant à l'envers — les poissons mangent les hommes, les hommes
s'entre-dévorent —, un monde d'une cruauté absolue où l'homme a perdu
toute valeur — il n'est plus bon qu'à donner aux chiens (ceux-ci d'ailleurs
refusent de manger les deux oreilles qui leur sont proposées dans Hong
gaoliang). En 1984-1985, l'évocation de tant d'horreurs tranchait avec
l'optimisme assez général qui était de mise en Chine. Peut-être annonçaitelle le massacre qui devait intervenir cinq ans plus tard45.
Culte du livre et force de l'écrit
Le culte du livre apparaît d'abord dans « Le Roi des enfants »"*. L'écolier
Wang Fu, prêt à passer des centaines de jours à recopier le dictionnaire
du professeur, rappelle les personnages « modèles » qui étaient donnés
traditionnellement en exemple à la jeunesse chinoise : Che Sheng, un petit
enfant, continue à étudier la nuit grâce à la lumière des lucioles pour
économiser l'huile de la lampe ; Sun Kang profite de la lueur de la lune
sur la neige pour continuer à lire ; et le grand calligraphe Wang Xizhi luimême, quand il était enfant, noircissait une rivière à force d'y rincer son
45 Voir à ce sujet deux courts articles dans lesquels je développe rapidement cette
idée, « Champs de sorgho », La quinzaine littéraire, 559, 1990 (7), p. 12,
et « Chine : chroniques d'une violence annoncée », Impressions du Sud, 29,
été 1991, p. 86.
46 Dans son article « The short Stories of Ah Cheng : Daoism, Confucianism
and Life », Kam Louie voit dans le « Le Roi des enfants » et « La couchette »
une illustration nette de la tendance confucéenne d'A Cheng. D'après cette
étude, A Cheng n'a montré son penchant pour le taoïsme que dans « Le Roi
des échecs » (la recherche de nouveaux adversaires et l'aspiration vers un jeu
parfait pouvant être assimilées à la quête du Dao), mais dès « Le Roi des
enfants », sa philosophie consisterait à préconiser, à la place de la morale révolutionnaire, le retour aux valeurs anciennes, parmi lesquelles le culte du livre
et la soif d'apprendre.
49
Noël Dutrait
pinceau.. .47 Dans « Wopu » (La couchette), la jeune fille qui se met à
lire dès qu'elle est installée à sa place exerce une grande fascination sur
les autres occupants du wagon4*. Dans « Le Roi des arbres », le livre apparaît
sous la forme d'une bande dessinée tirée du roman Au bord de l'eau, livre
interdit en ville, mais dont le fils du Roi des arbres possède un exemplaire
déchiré. La vue de cet ouvrage provoque chez le narrateur un sentiment
de nostalgie très fort :
En ville, ce genre de livre était considéré comme faisant partie des « quatre
vieilleries » et avait disparu depuis longtemps. Cet ouvrage, éclairé par une
faible lampe à pétrole, resurgissait devant moi d'une manière complètement
inattendue et m'apparut comme une lointaine réminiscence. Je ressentis soudain
combien ces années de révolution avaient été épuisantes, au point que cette
vieille histoire de meurtre ressemblait à une très douce et reposante berceuse.49
La force de l'écrit est partout mise en valeur dans l'œuvre d'A Cheng.
L'écrit peut même avoir un caractère sacré, par exemple quand le vieux
chiffonnier du « Roi des échecs » est puni par les rebelles révolutionnaires
pour avoir arraché des dazibao afin de les vendre comme vieux papiers.
Dans « Zhouzhuan » (Roulements de fonds), des lettres d'amour inachevées
sont retrouvées parmi les immondices. Les lettres achevées, elles, sont
rangées dans les tiroirs de leurs destinataires. L'écriture leur a évité d'être
jetées aux ordures et permis de gagner leur place légitime !50
47 Notons que dans l'adaptation cinématographique du « Roi des enfants », le
réalisateur Chen Kaige a totalement transformé l'idée du texte. Pour lui, la
culture provoque l'aliénation et le jeune Wang Fu deviendra un bureaucrate
stupide à force d'avoir étudié. Il invente un autre personnage, celui de l'enfant
sauvage qui refuse d'aller à l'école, symbole « rousseauiste » d'une Chine
vierge de toute culture qui pourra repartir sur des bases nouvelles. Voir
« Entretien avec Chen Kaige », dans le dossier établi par Hu Bin à l'occasion
de la présentation du film au Festival de Cannes en 1988 (sans numérotation
de page).
48 « Wopu », in Qi wang, p. 199 (« La Couchette », in Perdre son chemin,
p. 51).
49 Le Roi des échecs, pp. 133-134. Les « quatre vieilleries » désignaient pendant
la Révolution culturelle la culture ancienne, la pensée traditionnelle, les
coutumes et les mœurs du passé.
50 « Zhouzhuan », in Qi wang, p. 194 (« Roulements de fonds », in Perdre
son chemin, p. 43).
50
A Cheng et son œuvre
II existe aussi dans l'œuvre d'A Cheng des livres « néfastes » que ses
héros rejettent. Lorsque l'instituteur du « Roi des enfants » découvre le
manuel scolaire dont il devra se servir en classe, sa réaction est immédiate :
Quand je vis ce livre répugnant, chiffonné et lourd d'humidité, les pages souillées
de craie partout annotées au crayon et au stylo, je fus saisi de dégoût...51
Plus tard, il décidera de se passer de ce manuel qui représente l'orthodoxie
en matière d'éducation, pour le remplacer par ses propres méthodes :
naturellement il entrera en dissidence et devra abandonner son poste.
Un autre exemple de livres « néfastes » se trouve dans « Le Roi des
arbres », lorsque les jeunes instruits tentent de décharger de la charrette
qui les a amenés une caisse terriblement lourde. Elle contient les livres
de leur responsable, Li Li, qui arrive « chargé » de son idéologie puisque
sa malle contient tous les classiques marxistes-léninistes et maoïstes. Xiao
le Noueux, le vieux bûcheron, pose sans peine sur son épaule la malle que
trois jeunes gens déplaçaient difficilement, comme s'il « se jouait » de son
poids. Plus tard, c'est lui qui s'opposera à Li Li et à ses principes rigides
pour tenter d'empêcher le désastre écologique ordonné par le Parti, hélas
sans succès puisqu'il en mourra.
La fascination qu'exercent les livres sur A Cheng s'enracine certainement dans le contexte politique de son enfance. On a vu comment il s'est
ouvert à la littérature du monde entier lorsqu'il fut chargé de vendre les
livres de la bibliothèque paternelle.
La Révolution prétendument « culturelle » a été pour l'esprit le désert
que l'on sait. Rien d'étonnant si quelques années plus tard, A Cheng a
donné, par réaction, une telle place à la culture dans ses œuvres. Il ne s'agit
sans doute pas d'une simple réhabilitation des valeurs du passé. Pour les
jeunes instruits comme A Cheng, chaque écrit avait une valeur inestimable,
quel que fût son contenu, hormis bien sûr les classiques marxistes et maoïstes
qui représentaient alors l'orthodoxie et qui, dans « Le Roi des arbres »,
constituent le trésor du seul Li Li.
Cette réhabilitation de la culture de la part d'un jeune écrivain a profondément touché le public chinois. Nombreux sont les critiques qui ont
51 Le Roi des échecs, p. 177.
51
Noël Dutrait
insisté sur ce point. Plus profonde qu'une seule « recherche des racines »,
l'œuvre d'A Cheng constitue une véritable défense de la culture chinoise
et de la culture universelle52.
La satisfaction des besoins naturels
Curieusement, l'évocation de la satisfaction des besoins naturels, et
surtout de la miction, apparaît ça et là chez A Cheng, à des moments qui
correspondent souvent chez ses héros à une grande détente ou à une réflexion.
Loin de provoquer dégoût ou malaise, cet acte fait partie des activités vitales.
Ainsi, dans la nouvelle « Milu » (Perdre son chemin), le jeune instruit
qui fait office d'infirmier, considéré par le narrateur comme un idiot, ne
ressent ni gêne ni répugnance lorsqu'il soigne son ami alité53.
C'est dans le « Le Roi des enfants » que, pour la première fois, est
mentionnée, et de la manière la plus surprenante, l'évacuation de l'urine.
Le personnage principal, la Perche, a été nommé instituteur dans une région
reculée du Yunnan. Un jour, pendant qu'il écrit au tableau, la voix d'un
homme en train de héler un buffle lui parvient dans le lointain et il laisse
son esprit vagabonder :
Dans mon équipe, j'avais gardé des buffles pendant longtemps. Le buffle est
un animal obstiné et patient. On peut le frapper, l'injurier, il se contente de
fermer un peu les yeux et continue à manger ce dont il a envie. Je pense que
les philosophes doivent lui ressembler, sinon, comment feraient-ils pour arriver
à accumuler toutes les connaissances dont ils ont besoin ? Et pourtant, ces
« philosophes » que je menais paître avaient aussi des moments où ils s'impatientaient car ils avaient hâte que je me mette à uriner. Ils étaient en effet
attirés par le sel. L'urine est salée. Ils se bousculaient joyeusement pour boire
mon urine. Je me retenais et grimpais dans la montagne pour l'offrir aux buffles,
sans en perdre une seule goutte. Si vous donnez de l'urine à un buffle, il vous
obéira à jamais et vous considérera comme son père ou sa mère. Souvent, je
me disais que j'étais à la tête d'une bande de compagnons que je dirigeais
joyeusement avec mon urine.54
52 Cf. Michael Duke, « Zhonghua zhi dao bijing bu tui », p. 82.
53 « Milu », in Qi wang, p. 216 (« Perdre son chemin », in Perdre son chemin,
p. 11).
54 Le Roi des échecs, p. 182.
52
A Cheng et son œuvre
Dans « Perdre son chemin », la miction a une importance vitale. En
l'absence de nourriture, uriner provoquerait, selon le narrateur, une perte
de calories dangereuse et il empêche son compagnon de se soulager55. Dans
« Liusuo » (Le pont de corde), les hommes qui ontfranchila rivière Nujiang
en se balançant dans une nacelle au-dessus du vide éprouvent, à l'arrivée,
le besoin de se soulager et leur urine retourne à la nature :
Le chef et les deux hommes s'approchent de la falaise et baissent leur pantalon.
Leur urine décrit un arc de cercle, puis quelques mètres plus bas, elle est dispersée
par le vent et se dirige en direction du gouffre, vers le sud-est. La rivière Nujiang,
tout en bas, coule comme un mince filet d'urine.5*
Dans le même récit, les animaux, pris de panique, se soulagent, eux aussi,
pendant la traversée du pont de corde, accrochés dans une nacelle au-dessus
du vide. La seule différence entre les animaux et les hommes est que les
hommes attendent d'être arrivés sur l'autre rive :
Je descends prudemment. Mes jambes flageolantes me portent à peine. Mes
pieds trépignent de joie, comme s'ils découvraient pour la première fois que
la terre existe encore au monde. Ma vessie est gonflée, mon sexe tout flasque.
J'ai l'impression d'avoir envie de pisser, mais je ne le fais pas car j'ai peur
de perdre mes dernières forces en urinant.57
L'urine symbolise, comme dans « Perdre son chemin », une force vitale
qu'il faut utiliser judicieusement, ici pour garder des buffles, ou économiser
pour préserver sa vie.
Les excréments humains sont aussi l'un des thèmes fondamentaux d'une
jeune femme écrivain, Can Xue. Pour elle, ils sont la représentation négative
et cauchemardesque de la société, alors que chez A Cheng, il s'agit plus
d'un symbole de libération, d'équilibre et de bien-être58. Dans « Grand
55
56
57
58
Perdre son chemin, p. 7.
Ibid., p. 89.
Ibid., p. 93.
Cf. Can Xue, « La lucarne », L'infini, 35, printemps 1991, p. 109 ; « La
cabane sur la montagne », La Nouvelle Revue Française, 456, janvier 1991,
p. 31 ; Dialogues en paradis, Paris, Gallimard, 1992 (traductions de Françoise
Naour).
53
Noël Dutrait
vent », l'évocation des excréments humains prend une autre valeur métaphorique. A Cheng y raconte comment des intellectuels envoyés dans une
école du Sept Mai sont chargés de les mettre à sécher au soleil avant de
les réduire en poudre. Notre auteur se réfère ici explicitement au slogan
en vogue pendant la Révolution culturelle qui stipulait que « les chiens
mangeront toujours la merde », à savoir qu'un intellectuel ou un contrerévolutionnaire ne changeraient pas de nature et qu'il fallait donc les abattre.
Dans ce texte, pourtant, la « libération » vient des excréments. Comme
le vent s'élève, les deux intellectuels chargés de pulvériser les mottes sèches
lèvent la tête pour voir s'envoler la poussière : c'est donc elle qui les incite
à redresser la tête. Et A Cheng de conclure : « Ils (les intellectuels) réalisent
alors qu'il y a longtemps qu'ils n'ont pas levé la tête pour regarder quelque
chose. »59
La femme et la sexualité
Bien que les personnages féminins ne soient pas très nombreux dans
l'œuvre d'A Cheng et que l'évocation de la sexualité demeure assez rare,
si ce n'est sous forme d'allusions ou de plaisanteries, la manière pudique
dont il aborde ces thèmes a certainement contribué à son succès. A Cheng
a confié à Zhong Chengxiang qu'il ne comprenait pas les femmes et que,
de là, venait l'absence de personnages féminins dans ses écrits60. Les femmes
apparaissent le plus souvent sous la figure de mères bienveillantes. La mère
de Wang Yisheng est un des personnages les plus forts du « Roi des échecs ».
Délaissée par un mari ivrogne, elle a tout fait pour que son fils renonce
à sa passion car elle sait que le jeu ne nourrit pas son homme. Pourtant,
devant sa ténacité, elle lui offre un dernier cadeau avant de mourir : un
jeu d'échecs « aveugle » sur lequel elle n'a pas pu tracer le nom des pièces,
étant illettrée61. À lafin,lorsque Wang Yisheng remporte une partie contre
59 « Dafeng », Jiushi mandai, 1989 (8), pp. 10-11 (« Grand vent », in Chroniques,
pp. 21-25).
60 Cf. Zhong Chengxiang, « A Cheng qi ren », Renmin ribao, 9 janvier 1987,
P-7.
61 II s'agit ici du jeu d'échecs chinois, le xiangqi, dont les pièces sont rondes
et marquées d'un caractère chinois indiquant leur nom.
54
A Cheng et son œuvre
neuf adversaires, ses premières paroles après un moment d'absence sont
pour sa mère : « Maman, ton fils, aujourd'hui... Maman... »62 Dans « Shazi »
(L'Idiot), la femme de Lao Li est une épouse idéale selon la tradition
chinoise, puisqu'elle remplit son rôle à merveille et semble se fondre dans
son cadre de vie :
Cette femme se déplaçait dans la pièce en parfaite harmonie avec la pendule,
les vases et les calligraphies qui s'y trouvaient. Elleavaitl'air tellement équilibrée
et calme qu'elle montrait la même élégance que les deux caractères de style
yan « vertu et sagesse ».a
Dans « Le Roi des enfants », c'est le personnage de Laidi qui est le plus
pittoresque. Jeune instruite comme les autres membres du groupe, elle
voudrait améliorer sa situation grâce à la connaissance de la musique qu'elle
prétend avoir. Peut-être aimerait-elle aussi avoir une aventure avec le
narrateur pour profiter de son éphémère promotion sociale—il a été nommé
enseignant de l'équipe de production. Quand le narrateur, la Perche, rentre
à la tombée de la nuit pour retrouver son équipe, il aperçoit quelqu'un
l'attendant au bord de la route. Le lecteur peut croire à un rendez-vous
amoureux, mais non, les personnages féminins d'A Cheng sont vertueux :
Laidi n'est là que pour offrir son dictionnaire à la Perche.
Dans « Maolin » (Forêt profonde), le narrateur rencontre une vieille
femme qui excelle dans l'art du papier découpé. Comme la bande dessinée
dont il est question dans « Le Roi des arbres » ou le dictionnaire mentionné
dans « Le Roi des enfants », ses œuvres, représentant des sujets traditionnels
interdits à cette époque, renferment une valeur symbolique très forte. La
tradition est ici préservée par une femme64.
Dans une nouvelle seulement, « Xizao » (Le bain), A Cheng trace le
portrait d'une femme audacieuse. Mais il ne s'agit pas d'une Chinoise.
C'est une Mongole dont les coutumes sont bien différentes de celles des
Han. Voulant souligner une différence physique, le cavalier mongol dira
62 Le Roi des échecs, p. 85.
63 Perdre son chemin, p. 72. Le style yan désigne le style du calligraphe et poète
Yan Zhenqing de la dynastie des Tang.
64 Perdre son chemin, p. 103.
55
Noël
Dutrait
même à la femme : « Les choses des Chinois ne sont pas comme les
nôtres ! »65 Celle-ci observe et juge l'homme nu qu'elle a devant elle avant
de le provoquer par une chanson, puis elle s'enfuit sur son cheval, poursuivie
par l'homme. La liberté de ton de ce texte et la sensualité qui s'en dégage
sont uniques dans l'œuvre d'A Cheng.
La sexualité des jeunes instruits n'est presque jamais évoquée, sauf en
de rares allusions. Ainsi dans « Le Roi des échecs »66, quand le groupe
de camarades croise au centre culturel de la bourgade des jeunes femmes
aux poitrines provocantes, ou encore lorsque, dans « Perdre son chemin »,
les deux amis égarés dans la forêt du Yunnan doivent aider la jeune femme
Aini à accoucher et qu'ils la déshabillent : « J'entrai en vitesse. Il avait
déshabillé la femme et avait reposé ses vêtements sur son ventre. J'étais
encore jeune homme, je baissai les yeux. »67
Les jeunes instruits préfèrent « effacer » leur sexualité de la même
manière qu'ils demandent à leur ami peintre dans « Le Roi des échecs »
de barbouiller les « parties honteuses » qu'il a représentées sur ses croquis
de nus68. La sexualité était à cette époque et reste encore aujourd'hui un
sujet tabou en Chine. A Cheng l'évoque de manière furtive et détournée
en faisant preuve d'une réserve qui ne pouvait que plaire à un large public
de lecteurs souvent choqués par la hardiesse d'un Zhang Xianliang, par
exemple69.
La figure de l'idiot
À deux reprises apparaissent explicitement dans les écrits d'A Cheng
des figures d'« idiot ». C'est même le titre de l'une de ses nouvelles. L'idiot
représente la face cachée de la société, c'est une sorte de figure involontairement emblématique de la famille à laquelle il appartient :
65
66
67
68
69
Ibid., p. 97.
Le Roi des échecs, p. 65.
Perdre son chemin, p.'24.
Le Roi des échecs, p. 68.
Zhang Xianliang, La moitié de l'homme, c'est la femme, traduit par Yang
Yuanliang, Paris, Belfond, 1987.
56
A Cheng et son œuvre
Dans la vie courante, bien sûr, les choses ont souvent deux aspects : deux
variantes. Mais pour l'idiot, il n'y a qu'une variante : la famille dans laquelle
il vit. Lui, c'est la constante. C'est pourquoi il est facile de trouver à quelle
famille appartient un idiot dans la rue : il suffit de regarder dans quelle catégorie
il peut être classé.70
Avec humour, A Cheng classe les idiots en quatre catégories : ceux qui
sont noirs de crasse, hiver comme été ; ceux qui sont sales, mais qui changent
de temps à autre de vêtements ; ceux qui se lavent parfois, mais qui sont
vêtus de vieux vêtements ; ceux qui sont propres, mais idiots. Il oublie
une cinquième catégorie, celle des idiots que l'on cache et que personne
ne voit jamais : Lao Li, l'ami avec qui le narrateur travaille depuis des
années, ne lui a jamais révélé l'existence de son fils idiot ; il ne le découvre
que par hasard à l'occasion d'une visite chez lui. L'apparition de ce personnage manque de faire échouer la relation que la fille de Lao Li entretient
avec son fiancé. Chaque famille, chaque société renferme donc une face
cachée, un secret, difficilement avouable.
Dans « Perdre son chemin », celui que tout le monde appelle « l'Idiot »
se révèle en fait comme étant le plus intelligent. Malgré son air stupide,
il est capable d'aider une femme à accoucher au fond de la forêt. L'importance progressive que prend l'Idiot aux dépens du narrateur constitue la
trame du récit. Et, au moment où le bébé va naître grâce à ses soins, l'Idiot
se permet même d'injurier le narrateur qui lui lit un manuel de premiers
secours pour l'aider à remplir sa tâche :
« La tête est sortie ! », s'écria-t-il en haletant. « Crétin ! Lis vite ! Espèce
de froussard ! » C'était la première fois que je voyais l'Idiot ainsi. Il osait
m'injurier !71
Perdu dans la forêt, dégagé des contraintes que lui fait subir la société,
l'Idiot devient intelligent, et le narrateur ne peut que se mettre à son service.
Ce message a sans aucun doute séduit profondément un public de lecteurs
traumatisés par l'acculturation que Mao Zedong a imposée pendant la
70 Perdre son chemin, p. 66.
71 Ibid., p. 25.
57
Noël Dutrait
Révolution culturelle. A Cheng montre en effet comment l'homme, coupé
de toute culture et loin de la civilisation, garde cependant en lui une flamme
capable de le conduire à l'intelligence et au savoir-faire. Si le personnage
simple d'esprit de Lu Xun, A Q, symbolisait le peuple chinois au début
du siècle, incapable de se révolter et résigné à son sort quel que soit le
prix à payer, l'Idiot d'A Cheng, grâce à son apparente débilité, se préserve
du monde extérieur afin d'entretenir en lui une passion ou développer un
talent72. De même, dans Pa pa pa de Han Shaogong, seul l'idiot, nommé
Bingzai, « l'Avorton », survit à la destruction et à l'exil grâce à son état73.
La recherche du bonheur dans l'adversité
La littérature dite de cicatrices qui est apparue après la mort de Mao
Zedong s'est attachée à dénoncer les méfaits de la Bande des quatre et
les souffrances endurées par le peuple pendant la Révolution culturelle.
Chez A Cheng, le contexte politique et social sert de toile de fond au récit,
mais il est rare que les difficultés de l'existence soient explicitement
soulignées. Chacun de ses personnages est en quête d'un mode d'existence
lui permettant de sauvegarder quelques instants de bonheur. Les meilleurs
exemples sont donnés par Wang Yisheng et le narrateur lui-même dans
« Le Roi des échecs ». Ce dernier dit en conclusion :
Pourrais-je connaître un tel bonheur si je n'étais pas un homme ordinaire ?
Mon foyer est détruit, ma famille est morte. La tête rasée, je manie chaque
jour la houe. Et pourtant, c'est cela la vraie vie. Celui qui en prend conscience
connaît le bonheur et la joie.74
Se conduire en homme dans une période où l'individu était méprisé
au profit de la collectivité n'était sans doute pas aisé. Le fait que, dans
ses écrits, il n'ait jamais mis l'accent sur la dénonciation des dures conditions
de vie des jeunes instruits ni sur la misère qu'il côtoyait a beaucoup frappé
les lecteurs chinois. Dans sa courte autobiographie, il dit : « J'ai alors été
72 Lu Xun, Histoire d'A Q, véridique biographie, traduit par Michèle Loi, Paris,
UGF (Le livre de poche), 1989.
73 Han Shaogong, op. cit.
74 Le Roi des échecs, p. 86.
58
A Cheng et son œuvre
envoyé à la campagne au Shanxi, en Mongolie intérieure, puis au Yunnan :
je n'y suis guère resté plus de dix ans. »75L'emploi de ce « guère »76 traduit
bien l'état d'esprit de l'auteur. D'autres écrivains auraient dit : « Nous avons
perdu dix ans de notre vie... » Dans une interview, il relativise les dix ans
de souffrance des jeunes instruits en les comparant avec les siècles de
souffrance subis par les paysans77.
Dans « Le Roi des enfants », la camaraderie entre les jeunes instruits
est un élément essentiel dans leur quête du bonheur. Les plaisanteries, les
disputes sans importance, l'amitié les aident à vivre dans des conditions
difficiles. Le héros de cette nouvelle recherche aussi le bonheur dans son
enseignement, mais un bonheur fait de choses toutes simples puisqu'il se
contente d'apprendre aux enfants à écrire lisiblement et clairement, les invite
à renoncer aux fioritures, aux formules toutes faites, à la « langue de bois ».
Mais d'autres personnages ont de plus grandes exigences dans leur recherche du bonheur : savoir lire pour pouvoir aider son père (l'écolier Wang
Fu, dans la même nouvelle), arriver à une parfaite maîtrise de la calligraphie
(« L'Idiot »). Le bonheur peut encore se savourer dans la découverte chez
une paysanne du Shaanxi d'extraordinaires papiers découpés, à une époque
où les thèmes traditionnels étaient bannis de toute forme d'art populaire
(« Forêt profonde »), ou dans la contemplation d'un paysage grandiose
(« Montagnes enneigées »)78.
Ce sont souvent des situations fugitives, fruits d'une longue quête ou
simples résultats du hasard, que décrit A Cheng. L'humour aussi permet
toutes les extravagances : les immondices, dans « Roulements de fonds »,
ne connaissent-elles pas la joie de rentrer dans leur ville d'origine, portées
dans des hottes et bercées par le chant des porteurs ?79
La conclusion de « Forêt profonde » décrit, semble-t-il, ce que pourraient
être quelques moments de bonheur parfait. Le narrateur contemple la vieille
femme en train de confectionner pour lui un papier découpé :
75
76
11
78
Cf. supra, p. 39.
En chinois : jin.
Cf. « Yu A Cheng dongla xiche », p. 76.
« Montagnes enneigées », in Perdre son chemin, p. 109 : « Il faut que je voie
les montagnes enneigées. Quand ce sera fait, les choses pourront commencer. »
79 Perdre son chemin, p. 43.
59
Noël Dutrait
Ma bouche n'est plus sèche. Pris de paresse, je m'appuie de côté contre le
mur. Je regarde la grand-mère en train de découper, le vieillard accroupi qui
tousse et aussi le chien qui aboie. Une poule a sans doute pondu un œuf car
elle ne cesse de caqueter. Enfin, je dévie mon regard et confie mes sentiments
à la forêt.80
L'union avec la nature
A propos de la poésie chinoise, François Cheng affirme : « Tout poème,
comme tout tableau, doit donc réaliser l'union entre l'Homme et la Nature
que la rhétorique chinoise désigne par l'expression qing-jing (sentimentpaysage). »S1 De même, les héros d'A Cheng entretiennent un rapport étroit
avec la nature, qui devient parfois un personnage à part entière. « Le Roi
des arbres » en offre un bon exemple : sous la forme d'un être humain,
la nature est au centre même de la nouvelle. La fusion entre homme et
nature y est presque complète. Au début du récit, les jeunes instruits chargés
d'abattre la forêt croient que ce roi dont ils entendent parler est un arbre
immense qui a poussé au sommet de la colline. En fait, c'est un homme,
ainsi surnommé en raison de son expérience de bûcheron. Lorsque l'« arbreesprit » est abattu malgré ses avertissements, l'homme meurt lui aussi.
L'harmonie avec la nature a été rompue, la mort est inéluctable82. Bien
plus, la terre refuse le cercueil du Roi des arbres qu'elle rejette après une
semaine de pluies torrentielles.
Le combat contre la nature mené par les jeunes instruits peut aussi être
considéré comme une parabole. Dans la nouvelle, deux logiques s'opposent :
celle du responsable des jeunes instruits, activiste convaincu, qui veut mettre
la nature au service de l'homme, et celle de Xiao le Noueux, le vieux
bûcheron, pour qui il est absurde de couper les arbres existants pour les
remplacer par des essences « utiles ». Si l'opposition entre les deux hommes
80 Ibid., p. 108.
81 Cf. François Cheng, « Perspectives comparatistes : représentations cosmologiques et pratiques signifiantes dans la tradition chinoise », Extrême-Orient
Extrême-Occident, 1, 1982, p. 26.
82 Guo Moruo, dans son autobiographie, note que les paysans du Sichuan croient
en l'existence d'« arbres-esprits ». Cf. Kouo Mo-jo, Autobiographie, mes
années d'enfance, traduit du chinois par Pierre Ryckmans, Paris, Gallimard,
1970, p. 25.
60
A Cheng et son œuvre
n'est pas décrite de manière manichéenne — Li Li n'est pas antipathique
et Xiao le Noueux n'apparaît pas comme un « héros positif » —, les deux
logiques sont cependant incompatibles, l'issue fatale.prévisible. De lamême
manière, remplacer une culture traditionnelle par une autre plus « utile »
conduit, malgré les espoirs que ce changement suscite, à la catastrophe
et à la mort. D'autant que la forêt est mise à feu, comme le fut la Chine
durant la Révolution culturelle.
Symbole de purification ou phénomène inquiétant, le feu est souvent
présent dans les récits d'A Cheng. Dans « Xueshan » (Montagnes enneigées), allumer un feu s'apparente à un cérémonial :
Je ramasse de l'herbe sèche dont je fais un petit tas, puis je vais chercher des
grosses branches que je dispose par dessus. Je sors les allumettes et essaie d'en
craquer une. Dès que le soufre s'est allumé, je la protège. Pourtant, la flamme
se rétracte, manquant d'air, puis grossit tranquillement. Mes mains brillantes
offrent ce feu avec le plus grand respect à l'herbe sèche. Elle s'enflamme, suivie
des brindilles qui crépitent.83
En fait, la vision du feu distrait le narrateur de son but initial : admirer
les montagnes enneigées est pour lui une nécessité impérieuse. Il tente de
penser à la neige, mais les flammes le fascinent et retiennent son regard.
Le feu est ici provoqué par l'homme, mais rapidement il ne peut plus être
contrôlé ; il suscite donc à la fois admiration et méfiance :
Alors je réalisai que je n'avais encore jamais vu de vrai feu, ni de véritable
destruction ; j'ignorais donc d'autant plus ce que pourrait être la régénération
des êtres et des choses.84
83 Perdre son chemin, p. 109.
84 Le Roi des échecs, p. 156. Un texte de Gaston Bachelard éclaire particulièrement la démarche d'A Cheng : « L'homme rêvant devant son foyer est,
au contraire, l'homme des profondeurs et l'homme d'un devenir. Ou encore,
pour mieux dire, le feu donne à l'homme qui rêve la leçon d'une profondeur
qui a un devenir : la flamme sort du cœur des branches. » Cf. G. Bachelard,
La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard, 1949, p. 100. Dans « Le complexe
d'Empédocle », il écrit aussi : « Mais la rêverie au coin du feu a des axes
plus philosophiques [...]. Le feu suggère le désir de changer, de brusquer le
temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà. » Ibid., p. 39.
61
Noël Dutrait
Qu'il s'agisse de décrire une forêt, le feu ou un paysage, A Cheng renoue
avec le style des grands auteurs chinois de prose poétique85. Comme dans
une peinture chinoise traditionnelle, une profonde sérénité se dégage de
ses descriptions, signe d'une harmonie de l'homme avec la nature. Dans
le « Roi des échecs », les jeunes instruits vont se laver dans une rivière
à la nuit tombée :
C'était presque le soir. Le soleil se couchait entre deux montagnes et le fleuve
semblait rouler des flots d'or. Sur la rive, les rochers rougeoyaient comme des
blocs de fer chauffés au feu. Des oiseaux dont les cris se répondaient au loin
rasaient la surface de l'eau. De l'autre côté du fleuve, un homme chantait d'une
voix traînante un chant de montagnard. La mélodie s'éloigna petit à petit, sans
que l'on ait vu l'ombre du chanteur. Immobiles, nous fixions l'endroit d'où
s'élevait le chant. Un bon moment s'écoula. Wang Yisheng poussa un soupir,
sans prononcer un mot.86
Au lendemain de la Révolution culturelle, qu'un jeune écrivain ayant vécu
une période aussi troublée puisse s'attacher à décrire des scènes d'harmonie
et de calme plutôt que de désordre et de chaos a beaucoup impressionné
les lecteurs chinois. À une époque où la confiance dans l'idéologie et la
politique s'était perdue (dans les années 1984-1986, date de parution des
œuvres d'A Cheng, le rôle du Parti communiste dans la société chinoise
est sérieusement remis en question et la « fièvre culturaliste » fait rage),
les lecteurs d'A Cheng ont pu reporter leurs espérances sur les personnages
qu'il décrit, capables de « s'unir avec la nature » pour éventuellement
« conquérir l'ordre politique » ou alors se « réaliser » eux-mêmes, pour
reprendre les termes de Martine Valette-Hémery dans sa préface h Paysages
chinois en prose*1. Le succès d'A Cheng et des autres écrivains appartenant
85 Cf.Les paysageschinoisen prose, traduit par Martine Valette-Hémery, Amiens,
Le nyctalope, 1987. Dans cet ouvrage sont rassemblés des textes de Wang
Wei, Liu Zongyuan, Su Shi, Yuan Hongtao, etc.
86 Le Roi des échecs, p. 68.
87 Cf. Martine Valette-Hémery {op. cit., p. 11) : « Aux origines de la civilisation
chinoise, la nature, et surtout sa manifestation dans la montagne, suscite un
respect d'ordre magique et religieux. Il faut être en harmonie avec elle pour
conquérir l'ordre politique, selon les rituels, ou la réalisation de soi, selon le
taoïsme, dont la vision mystique de la nature exercera une influence durable.»
62
A Cheng et son œuvre
au mouvement « Recherche des racines » ne vient-il pas, entre autres, de
ces espérances ?
Conclusion
Les thèmes abordés par A Cheng et son style ont sans conteste séduit ses
lecteurs. L'angle sous lequel il a abordé la réalité a non moins été déterminant. En prise directe avec les problèmes de leur temps (vie des jeunes
instruits, recherche d'un absolu, réhabilitation de l'individu dans la société),
tout en se tenant au strict nécessaire pour assurer leur survie, A Cheng
et ses héros, dans leur rapport au monde, incarnent le type idéal du lettré
taoïste.
Dans « Le Roi des échecs », l'écriture d'A Cheng s'apparente à celle
de bien des écrivains ou poètes influencés par le taoïsme. N'explique-til pas dans la longue interview parue dans Jiushi niandai, comment une
impérieuse nécessité l'a poussé à écrire cette nouvelle sans qu'il puisse
lui opposer de résistance ?88 Cette première œuvre n'a fait l'objet d'aucune
réflexion préalable ni d'aucune retouche etc'est la «situation», ou l'« état »
(zhuangtaî) dans lequel il était, qui l'a poussé à écrire. Il dit qu'il ne sait
pas s'il écrira encore beaucoup, que cela dépendra donc des « situations »
dans lesquelles il se trouvera89. Cette disposition d'esprit est certainement
une des clefs pour comprendre l'œuvre d'A Cheng, que l'on pourrait classer
dans la littérature de situation, ou, selon la définition de Marie-Anne
Lescouret, « la littérature du comme-ça »90. Cette définition s'applique mieux
88 De la même manière que Su Dongpo écrivait en se souvenant de son père :
« Depuis mon enfance, j'ai entendu mon père traiter de la littérature en disant
que dans l'antiquité les sages composaient sans pouvoir s'en empêcher. C'est
pourquoi si mon frère et moi-même avons tant écrit, nous n'avons néanmoins
jamais eu la moindre intention d'écrire. » Citation donnée par François Jullien
dans « L'absence d'inspiration : représentations chinoises de l'incitation
poétique », Extrême-Orient Extrême-Occident, 1, 1982, p. 62.
89 Cf. « Yu A Cheng dongla xiche », p. 73.
90 Cf. Marie-Anne Lescouret, « La littérature du comme-ça », Critique [Chine
1949-1989], 507-508, août-septembre 1989, p. 680 : « L'auteur rend compte
63
Noël Dutrait
encore aux brefs récits qu' A Cheng publie dans Jiushi niandai depuis 1989.
Avec une extrême concision, ces récits reprennent un par un les thèmes
évoqués plus haut ou en traitent de nouveaux. Ils s'attachent surtout à décrire
des personnages, des situations, des faits. A Cheng jette un regard froid
sur ses contemporains, mais ne juge jamais, du moins en apparence91.
Loin d'être une littérature « en quête d'un Age d'or où vivraient encore
de bons sauvages, gardiens des valeurs étemelles du peuple chinois » comme
l'affirme Françoise Naour92, d'autres nouvelles d'A Cheng (« Le Roi des
enfants » ou « Le Roi des arbres », par exemple) ont avant tout démontré
aux lecteurs chinois que certaines valeurs universelles n'avaient pas disparu
de leur pays : l'honnêteté, l'amitié, la persévérance, la poursuite d'une
activité autre que la seule satisfaction des besoins vitaux, valeurs non pas
préservées par « de bons sauvages » dans des endroits reculés, mais par
des personnages ordinaires dans lesquels tout homme, quelle que soit sa
nationalité, pourrait se reconnaître. C'est là l'autre facette de l'œuvre d'A
Cheng. Ses « héros » ne sont pas « héroïques ». Ce sont des hommes simples
d'un état de choses, d'une fraction de l'existence d'un personnage ou d'un
groupe, sans déduire de ces cas particuliers d'appréciation universelle et
définitive sur le sens de l'existence ou les composantes profondes de la nature
humaine. Il raconte l'histoire de tel ou tel, et elle a eu lieu comme ça. »
91 Dans une lettre datant du mois de mars 1991, A Cheng m'a exposé les raisons
pour lesquelles il renonçait à l'écriture de romans et optait pour la forme courte
du biji xiaoshuo, essai ou littérature de notes ou de croquis, en se référant
explicitement au zawen de Lu Xun. H explique que le roman de type occidental
n'a jamais véritablement existé en Chine, mais que la tradition chinoise aplutôt
développé la poésie, la prose ou la nouvelle. Il juge donc souhaitable de
développer ces formes littéraires et à la rigueur les courts romans (zhongpian
xiaoshuo). Après la parution de ses textes intitulés« Biandifengliu », un critique
de Hangzhou, Li Qingxi, avait parlé de « nouvel essai » (xin biji xiaoshuo).
C'est pourquoi il s'est consacré depuis à l'écriture de ce genre d'oeuvre. H
explique ainsi quels avantages il y trouve : « Le biji xiaoshuo possède à la
fois les caractéristiques de la poésie, de la prose, de l'essai et du roman. On
peut y transmettre beaucoup de notre patrimoine et l'on peut en même temps
procéder à toutes sortes d'expérimentations dans l'expression, par exemple
le rythme, les sonorités, la syntaxe, l'angle de vue, etc. »
92 Cf. Françoise Naour, « Joyce, racines et reportages », L'ÎH/WU, printemps 1991,
p. 106.
64
A Cheng et son œuvre
qui tranchent avec les personnages positifs que la littérature chinoise a
produits depuis 1949. Wang Yisheng, le Roi des échecs, est prêt à capituler
si la situation devient dangereuse : « Les choses prennent des proportions
énormes, me dit-il à voix basse. Surveillez bien et, à la moindre alerte,
on file ! »93 Quand le Roi des enfants perd son poste d'instituteur, il ne
se révolte pas et retourne tranquillement dans son équipe de production,
satisfait d'avoir déjà pu inculquer quelques principes aux élèves et de leur
avoir laissé un dictionnaire.
Mais, dans leur apparente simplicité, ces personnages sont capables d'accomplir des exploits : Wang Yisheng, le Roi des échecs, gagne seul contre
neuf adversaires, le Roi des arbres défend son arbre jusqu'à la mort, le
Roi des enfants tente l'impossible pour éduquer correctement ses élèves,
le personnage que l'on appelle l'Idiot dans « Perdre son chemin » est capable
d'aider à accoucher une femme perdue dans la forêt
Le succès d'A Cheng vient aussi de son style. Jusqu'en 1984, date à
laquelle se révèlent les écrivains appartenant à la génération des jeunes
instruits (A Cheng, Han Shaogong, etc.), la scène littéraire était occupée
par des auteurs encore très influencés soit par les techniques narratives
respectant les critères définis par Mao Zedong à Yan'an, soit par une
imitation du roman psychologique (Zhang Jie, Dai Houying) présentant
une réflexion sur la société chinoise. A Cheng et les écrivains de sa génération
n'ont jamais eu à subir le poids de la théorie littéraire orthodoxe. Leur
isolement total sur le plan culturel lorsqu'ils étaient à la campagne les a
protégés des influences des théoriciens de la littérature et ils ont même
développé un sens critique aigu sur tout ce qui était imprimé à cette époque.
Le seul poids qu'ils aient eu à subir, c'est celui de la politique qui les
empêchait d'écrire ce qu'ils voulaient. Quand cette pression s'est quelque
peu relâchée à partir de 1984, ils ont pu découvrir la littérature contemporaine
du monde entier grâce à l'énorme travail des traducteurs chinois. En même
temps, les théories littéraires d'avant-garde ont été introduites elles aussi
de l'étranger grâce à la polémique sur le « modernisme » qu'a entraînée
la parution du livre de Gao Xingjian, Premier essai sur les techniques du
93 Le Roi des échecs, p. 77.
65
Noël Dutrait
roman moderne9*. Un déclic s'est produit et ils ont inventé une littérature
à la fois profondément chinoise et ouverte sur le monde95. Naturellement,
A Cheng ne fait pas exception. Pour transmettre sa vision du monde, il
s'est lui aussi livré à un travail d'écriture, du moins dans les nouvelles
postérieures au « Roi des échecs ». Cas unique chez A Cheng, qui a été
nourri dans son enfance de littérature classique et occidentale et qui par
la suite s'est enrichi d'une immense expérience de la vie, cette nouvelle
a été écrite en une seule nuit, de la même manière que les peintres chinois
adeptes du Chan exécutaient leurs œuvres d'un fulgurant coup de pinceau
à l'issue d'un long apprentissage technique et d'une méditation profonde96.
Plus tard, ses autres écrits seront le fruit d'un travail plus réfléchi et
approfondi. Il dit d'ailleurs lui-même dans un questionnaire destiné à la
rédaction d'une notice biographique que son œuvre préférée est « Le Roi
des enfants » et non « Le Roi des échecs »97. Peut-être est-ce parce que
« Le Roi des échecs » lui échappe, comme s'il avait été écrit d'une manière
presque automatique.
A Cheng a su concilier dans une même œuvre renoncement aux valeurs
matérielles et attachement à des valeurs essentielles, trivialité du quotidien
94 Gao Xingjian, Xiandai xiaoshuojiqiao chutan (Premier essai sur les techniques
du roman moderne), Canton, Huacheng chubanshe, 1981.
95 C'est Li Tuo qui, en 1987 à Pékin, avait attiré mon attention sur ce processus.
Il m'avait bien montré à quel point le débat sur le modernisme a joué un rôle
capital dans l'apparition de la nouvelle littérature en 1984-1985. Voir
« Questions à Li Tuo, écrivain et critique », propos recueillis par Noël Dutrait,
Impressions du Sud, 2* trimestre 1988, p. 13, et l'ouvrage fondamental compilé
par He Wangxian, Xi/ang xiandaipai wenxue wenii lunzhengji (Recueil d'essais
polémiques sur la littérature du courant moderniste à l'occidentale), Pékin,
Renmin wenxue chubanshe, 1974, 2 vols. Soulignant également le « poids
du politique », Gao Xingjian m'a raconté qu'A Cheng lui avait fait lire des
textes datant d'avant 1984, à son avis impubliables à cette époque.
96 Pourtant, selon Ross Edmond Lonergan, qui se livre à une étude très précise
de la structure des « Trois rois », la structure du « Roi des échecs » a été
soigneusement préparée quoi qu'en dise A Cheng. Pour lui, A Cheng est
« moderne dans la forme et traditionnel dans la signification de ses œuvres ».
Cf. Ross Edmond Lonergan, op. cit., p. 31.
97 Je remercie Annie Curien de m'avoir permis de lire ce questionnaire que l'auteur
lui avait envoyé.
66
A Cheng et son œuvre
et beauté des sentiments, lâcheté et héroïsme, générosité et méchanceté
des hommes. De cette opposition et de cette complémentarité des contraires,
dans le sillage de la philosophie taoïste, se dégage une impression de grande
sérénité. Loin du pessimisme très en vogue dans la littérature des années
1980, A Cheng montre aux lecteurs chinois que l'espoir se trouve en chacun
d'eux98.
Le public chinois, ému de constater que les valeurs indispensables à
l'homme n'avaient en rien disparu, a en même temps découvert dans cette
œuvre une dénonciation implicite de la Révolution culturelle. Il a aussi
trouvé chez A Cheng une saisissante description d'une réalité qu'il connaissait — la vie des paysans et des jeunes instruits — mais que peu avaient
osé transposer en littérature de cette manière : une vie où se trouvent mêlées
les joies que procurent l'amitié et la fidélité et les souffrances provoquées
par la famine et la bêtise. Par son enthousiasme, le public chinois a montré
qu'il avait saisi son message.
98 II est significatif de noter qu'au moment des événements de mai-juin 1989,
A Cheng n'a jamais pris position publiquement. Après le massacre de Tian'anmen, il a continué à publier dans Jiushi niandai des textes sans rapport direct
avec l'actualité (bien que l'analyse en profondeur du caractère des Chinois
et de la nature de la société où ils vivent finit par ressortir de la lecture de
ces écrits). Pourtant, en septembre 1991, il décrit dans « Chengzhang » (Grandir),
comment un homme né le 1er octobre 1949 (la même année que l'auteur...)
est formé dans l'orthodoxie communiste (à chacun de ses examens il doit rédiger
une rédaction sur le thème « Grandir sous le drapeau rouge ») et comment
il finit, comme ouvrier chargé en 1976 de la construction du Mausolée de Mao
Zedong, par se soulager du sommet de l'ouvrage en contemplant les monuments
de la place Tian'anmen et le portrait de Mao... Cf. Jiushi niandai, 1991 (9),
p. 16, traduit en français dans Chroniques, pp. 111-114. Les textes d'A Cheng
deviennent de plus en plus caustiques depuis qu'il vit aux États-Unis, mais
ils ne sont plus lus que par les Chinois qui ont accès à la revue Jiushi niandai,
67
Noël Outrait
Annexe
Œuvres d'A
Cheng
1984
— « Qi wang » (Le Roi des échecs), Shanghai wenxue, 1984 (7), pp.
15-35
1985
— « Qi wang », Jiushi niandai, 1985 (9), pp. 86-100
— « Shu wang » (Le Roi des arbres), Zhongguo zuojia, 1985 (1), pp.
85-102
— « Haizi wang » (Le Roi des enfants), Renmin wenxue, 1985 (2),
pp. 4-19
— Qi wang, Pékin, Zuojia chubanshe, 1985 :
- « Qi wang »
- « Shu wang »
- « Haizi wang »
(traduits dans Les trois rois)
-
«
«
«
«
«
Milu » (Perdre son chemin)
Huican » (Un banquet)
Zhouzhuan » (Roulements de fonds)
Wopu » (La couchette)
Shazi » (L'Idiot)
(traduits dans Perdre son chemin)
- « Shuzhuang » (Le pieu)
(traduit sous le titre « Le vieux chanteur »,
dans La remontée vers le jour)
1986
— « Biandi fengliu (zhi yi) » (Hommes de tous les horizons, n° 1) in
Cheng Depei et Wu Liang (éds.), Tansuo xiaoshuoji (Recueil de romans
expérimentaux), Shanghai, Shanghai wenyi chubanshe, 1986, pp. 619630:
68
A Cheng et son œuvre
- « Xiagu » (Le ravin)
- « Liusuo » (Le pont de corde)
- « Xizao » (Le bain)
(traduits en français avec « Biandi fengliu (zhi san) »
sous le titre « Au fil du chemin »)
— « Biandi fengliu (zhi san) » (Hommes de tous les horizons, n° 3),
Zhongshan, 1986 (3), pp. 4-7 :
- « Maolin » (Forêt profonde)
- « Xueshan » (Montagnes enneigées)
- « Hu di » (Fond du lac)
(traduits en français avec « Biandi fengliu (zhi yi) »
sous le titre « Au fil du chemin »)
1989
— « Jiehun » (Un mariage), Jiushi niandai, 1989 (5), pp. 15-16
(traduction à paraître dans Anthologie de la littérature
chinoise actuelle, Paris, Gallimard, 1993)
— « Zhuanye » (Spécialité), Jiushi niandai, 1989 (6), pp. 11-12
— « Chuiyan » (La fumée du foyer), Jiushi niandai, 1989 (7), pp.
11-12
— « Dafeng » (Grand vent), Jiushi niandai, 1989 (8), pp. 10-11
— « Pingfan » (Réhabilitation), Jiushi niandai, 1989 (9), p. 12
— « Sexiang » (Apparence), Jiushi niandai, 1989 (10), pp. 12-13
— « Jiepi » (Un maniaque de la propreté), Jiushi niandai, 1989 (11),
pp. 12-13
— « Dinglun » (Conclusion finale), Jiushi niandai, 1989 (12), p. 10
(traduits dans Chroniques)
1990
— « Yizi » (Les chaises), Jiushi niandai, 1990 (1), p. 9
(traduit dans Chroniques)
— « Guancha » (Observation), Jiushi niandai, 1990 (2), p. 12
69
Noël
Dutrait
— « Danbai » (Protéines), Jiushi niandai, 1990 (3), p. 14
(inédits en traduction française)
—
—
—
—
—
—
« Juewu » (Conscience), Jiushi niandai, 1990 (4), p. 17
« Emeng » (Cauchemar), Jiushi niandai, 1990 (5), p. 14
« Liaotian » (Bavardage), Jiushi niandai, 1990 (6), p. 18
« Qi qie » (Épouse et concubine), Jiushi niandai, 1990 (7), p. 17
« Huiyi » (Le souvenir), Jiushi niandai, 1990 (8), p. 20
« Saomang » (Suppression de l'analphabétisme), Jiushi niandai,
1990 (9), p. 20
— « Xiaoqiao » (Le petit moineau), Jiushi niandai, 1990 (10), p. 18
— « Dashui » (L'inondation), Jiushi niandai, 1990 (11), p. 16
— « Xiexie » (Merci), Jiushi niandai, 1990 (12), p. 20
(traduits dans Chroniques)
1991
— « Yinzhai » (La tombe), Jiushi niandai, 1991 (1), p. 20
— « Dawei » (Gros Bide), Jiushi niandai, 1991 (2), p. 20
— « Chouhen » (Haine), Jiushi niandai, 1991 (3), p. 38
— « Xizhuang » (Le costume occidental), Jiushi niandai, 1991 (4),
p. 25
(traduits dans Chroniques)
— « Xiaoyu » (Xiaoyu), Jiushi niandai, 1991 (5), p. 13
(inédit en traduction française)
—
—
—
—
—
«
«
«
«
«
Dadu » (Un pari), Jiushi niandai, 1991 (6), p. 19
Tianma » (Les injures célestes), Jiushi niandai, 1991 (7), p. 11
Baizhi » (La feuille blanche), Jiushi niandai, 1991 (8), p. 11
Chengzhang » (Grandir), Jiushi niandai, 1991 (9), p. 16
Huozang » (L'incinération), Jiushi niandai, 1991 (11), p. 15
(traduits dans Chroniques)
— « Zuotian jintian huo jintian zuotian » (L'aujourd'hui d'hier ou
l'hier d'aujourd'hui), JintianIToday, 1991 (3-4), pp. 115-121
(inédit en traduction française)
70
A Cheng et son œuvre
1992
— « Kuzi » (Les pantalons), Jiushi niandai, 1992 (12), p. 17
(inédit en traduction française)
—
—
—
—
«
«
«
«
Cesuo » (Les toilettes), Jiushi niandai, 1992 (1), p. 11
Damen » (La grande porte), Jiushi niandai, 1992 (2), p. 16
Buding » (La pièce), Jiushi niandai, 1992 (5), p. 11
Doufu » (Le fromage de soja), Jiushi niandai, 1992 (6), p. 20
(traduits dans Chroniques)
— « Tiqin » (Le violon), Jiushi niandai, 1992 (8), p. 17
— « Kaogu » (Archéologie), Jiushi niandai, 1992 (9), p. 15
(inédits en traduction française)
Traductions
— Les
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en français
(par Noël
Dutrait)
trois rois, Aix-en-Provence, Éditions Alinéa, 1988 :
Le Roi des échecs »
Le Roi des arbres »
Le Roi des enfants »
— « Le vieux chanteur », in La remontée vers le jour, Aix-en-Provence, Éditions Alinéa, 1988, pp. 177-185
— Perdre son chemin, La Tour d'Aiguës, Éditions de l'Aube, 1991 :
- « Perdre son chemin »
- « Un banquet »
- « Roulements de fonds »
- « La couchette »
- « L'Idiot »,
- « Au fil du chemin » (« Le ravin », « Le pont de corde », « Le
bain », « Forêt profonde », « Montagnes enneigées », « Fond du
lac »)
— Chroniques, La Tour d'Aiguës, Éditions de l'Aube, 1992 :
- « La fumée du foyer »
71
Noël Dutrait
Spécialité »
Grand vent »
Réhabilitation »
Un maniaque de la propreté »
Apparence »
Conclusion finale »
Les chaises »
Conscience »
Bavardage »
Cauchemar »
Le souvenir »
Epouse et concubine »
Suppression de l'analphabétisme »
Le petit moineau »
L'inondation »
Merci »
La tombe »
Gros Bide »
Le costume occidental »
Un pari »
Les injures célestes »
La feuille blanche »
Grandir »
L'incinération »
Les toilettes »
La grande porte »
La pièce »
Le fromage de soja »
72
A Cheng et son œuvre
Caractères chinois
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