J’ai honte de ne pas avoir honte d’entendre dans ma propre tête ces mots insensés, vivement-
que-tu-meures, j’ai l’impression que c’est te vouloir du bien et puis ce matin, cette autre voix
lumineuse a fait de la place, immense dans mon cœur, la voici, apaisée et aimante, je te
l’offre , et je l’offre aussi aux infirmières de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital de Gap pour
leur demander pardon de mon impatience, même si je sais qu’elles l’ont comprise.
Marie,
Quelle est cette impatience à vouloir que tu meures ?
La mienne.
Quelle est cette souffrance que je veux abréger ?
La mienne. »
Intervention de Marjorie JOLIBOIS :
Lorsque les patients racontent leur histoire douloureuse, ils évoquent souvent des deuils,
différents types de deuils. Il s’agira de séparations (disputes avec un membre de la famille, par
exemple), de pertes (dommages, à savoir perte d’un travail, d’un statut social) et de deuils (la
mort d’un proche).
Nous pouvons constater que ces deuils surviennent de manière concomitante à la douleur.
I me raconte qu’elle a perdu son père il y a 10 ans. Un père dont elle était proche. Quand je
lui pose la question quand ont commencé ses douleurs de spondylarthrite, elle me répond il y
a 10 ans et ajoute vous pensez qu’il y a un lien ?
P me raconte qu’elle a perdu son travail, elle vient d’être licenciée pour inaptitude et tout
cela à cause de cette « fichue » algodystrophie. P ajoute, depuis je repense aux morts à tous
ceux que j’aime… j’ai l’impression qu’ils m’appellent.
Les deuils
Il faut se méfier des « mal-morts » et notamment des circonstances brutales d’un
décès comme les suicides ou les accidents.
N me raconte le jour où son grand-père s’est suicidé. Il était hospitalisé dans le cadre de son
cancer de la prostate, à priori métastatique aux dires des examens et de l’équipe soignante.
Selon N, il aurait entendu qu’il était « foutu » et ne l’a pas supporté, si bien qu’il a mis fin à
ses jours en se jetant de sa chambre d’hospitalisation. Cela fera 7 ans.
P me raconte dans quelles circonstances son plus jeune frère s’est suicidé et qu’elle n’a pas
pu lui dire au revoir. La longueur des procédures médico-légales ont abîmé le corps si bien
que son frère aîné lui aurait dit « il n’est pas beau à voir, tu vas être traumatisée ». P est
restée sur ces paroles et regrette. Cela va faire plus de 20 ans.
Il est important de se pencher également sur la relation entretenue entre le patient et
leurs morts, récents ou plus anciens. De la séparation de ces relations dépend la
guérison, le soulagement. Cette relation peut se définir sur plusieurs aspects :
o Premièrement au moment du « passage » quels sont les gestes faits, les paroles dites, la
présence offerte. Ce sont des moments essentiels qui renvoient aux rituels et aux
traditions qui ont une fonction protectrice. Des traditions qui, parfois, se perdent dans la
culture moderne qui craint la mort, les morts, qu’elle oublie le plus vite possible. Cette
mort vécue comme un échec de la médecine « on n’a rien pu faire pour le sauver ». C’est
dans ce moment-là où des souffrances difficiles à guérir naissent.