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LES FIGURES CROISÉES DU JURISTE ET DU
MANAGER DANS LA POLITIQUE FRANÇAISE DE
RÉFORME DE L’ÉTAT
1
Jacques CAILLOSSE
Professeur de droit public à l’Université Paris II Panthéon-Assas,
CERSA — CNRS
Les quelques réflexions proposées ici évitent délibérément le registre, aussi
ambitieux que surchargé, des propositions de ce que pourrait ou devrait être une politique
managériale à l’usage des institutions publiques
2
. Elles consistent beaucoup plus
modestement à observer comment la mise en œuvre d’un tel programme de réforme
— ou la seule prétention de le réaliser — a de fortes chances d’être reçue, là où, plus que
partout ailleurs, de vieilles traditions organisationnelles continuent de faire prévaloir,
comme autant d’immuables nécessités, des modes de pensée et des formes d’action
largement informés par une culture de nature juridique
3
. Bref, plutôt que de décliner un
énième projet de modernisation de l’action publique, on a choisi de regarder du côté des
1. L’exercice présenté sous cet intitulé prend appui sur un ensemble de travaux relatifs aux mutations du
droit administratif et publiés entre 1989 et 2002. Plutôt que de multiplier les renvois à ces études, il m’a semblé
plus commode d’en présenter d’emblée la liste. Cf. Caillosse (J.), « L’administration française doit-elle
s’évader du droit administratif pour relever le défi de l’efficience ? », Politiques et management public, juin
1989, p. 163-182 ; « La réforme administrative et la question du droit », AJDA, 1989, p. 3-14 ; « La
modernisation de l’État. Variations sur le modèle juridique d’administration », AJDA, 1991, p. 755-764 ; « Le
droit, verrou de la modernisation ? », in : Muller (P.) (sous la dir. de), Le modèle français d’administration est-il
en crise ?, L’Harmattan, coll. « Logiques politiques », 1992, p. 755-764 ; « Le manager entre dénégation et
dramatisation du droit », PMP, décembre 1993, p. 85-109 ; « Le droit administratif contre la performance
publique ? », AJDA, 1999, p. 195-211 ; « Le droit administratif français saisi par la concurrence ? », AJDA,
2000, p. 99-103 ; « Quel droit administratif enseigner aujourd’hui ? », La revue administrative, n° 328, 2002,
p. 343-358, et, n° 329, 2002, p. 454-472. V. aussi, en collaboration avec Hardy (J.), Droit et modernisation
administrative,La Documentation française, DGAFP, coll. « Perspectives », 2000, 123 p.
2. V. par exemple, dans une littérature intarissable, Bon (M.), « Sur la réforme de l’État. De l’usager au
client », Commentaire, n° 97, 2002, p. 13-18.
3. La problématique que développe la présente étude est assurément tributaire d’une configuration
politico-juridique des plus singulières, liée au mode de construction de l’État en France. À défaut de pouvoir
approfondir ici cette question (cf. pour une tentative en ce sens, Caillosse (J.), « Droit public-droit privé : sens
et portée d’un partage académique », AJDA, 1996, p. 965-964), rappelons combien le partage entre le droit
public et le droit privé, même s’il se fait de plus en plus relatif et n’est plus ce qu’il était, garde toute sa valeur
explicative lorsqu’il s’agit de comprendre pourquoi la question du management est tellement disputée.
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conditions de réception de ce qu’il est convenu d’appeler, par-delà les différences de style
et de contenu, les politiques de modernisation du service public et de réforme de l’État
dans les versions qu’on leur connaît depuis la circulaire du 23 février 1989 —
communément appelée « circulaire Rocard » — relative au renouveau du service
public
4
.
DROIT OU MANAGEMENT ?
Aussi circonscrit soit-il, l’exercice ne relève pas de l’évidence. Sa conduite doit tout
particulièrement se garder des facilités qu’offre chacun des deux principaux discours-
types auquel le sujet semble ne pas pouvoir échapper.
Du premier type d’analyses on dira qu’il est plus spécialement tributaire d’une
manière de « juridisme ». C’est alors du seul point de vue du droit, ou peut s’en faut,
qu’est pensé le changement, ou, si l’on préfère, la modernisation de l’action publique. On
s’en doute, pareille approche est d’abord promue par tous ceux — juristes théoriciens et
praticiens — qui, à des titres divers, font du droit leur(s) affaire(s). Ici, la logique même
de la réforme est saisie en termes juridiques : cette dernière est alors perçue soit comme
une entreprise à conduire et à inscrire dans l’univers du droit, soit, au contraire, comme
une menace pour un ordre juridique à défendre. Dans ce dernier cas, on observera que
les transformations dictées par la raison managériale risquent de porter atteinte à des
savoir-faire comme à des valeurs dont notre droit administratif ne cesserait d’entretenir
la mémoire, pour autant que l’on peut voir dans ce droit une machinerie complexe qui,
mêlant le réel et le symbolique, fonctionne — selon la belle expression de René Chapus
— « pour le plus grand service des tiers »
5
. De là ces attitudes, aussi bien théoriques que
pratiques, qui cherchent dans le droit et l’invocation de principes juridiques une ultime
garantie contre des perspectives de changement vécues comme autant de menées contre
ce qui est pris, à tort ou à raison, pour le modèle français d’administration publique. On
pense notamment à certains usages franchement incantatoires du droit statutaire de la
fonction publique (que ce soit pour n’en retenir que les vices, ou n’en célébrer que les
seules vertus
6
), ou encore aux débats relatifs au mythique « service public à la
L’originalité des formes que revêt le débat social sur ce sujet est indissociable de la part prise par le droit public
et la juridiction administrative en charge de sa gestion, non seulement dans la régulation des politiques
publiques, mais dans l’histoire même de la construction de l’État. Voir sur ce point, les travaux de Legendre (P.)
— en particulier, la 3
e
partie de son — « Administration classique », in :Trésor historique de l’État en France,
Fayard, 1992, p. 395-422, et, « La royauté du droit administratif. Recherche sur les fondements traditionnels
de l‘État centraliste en France », même ouvrage, p. 578-609. Cf. le célèbre chapitre que Tocqueville consacre
au sujet, dans le livre II de L’ancien régime et la Révolution, sous le titre « Que la justice administrative et la
garantie des fonctionnaires sont des institutions de l’ancien régime », Gallimard, coll. « Idées », 1952,
p. 122-127.
4. JO du 24 février 1989, p. 2526.
5. Cf. Chapus (R.), « Le service public et la puissance publique », RDP, 1968, p. 235-282.
6. Sur cette lecture du droit, v. Caillosse (J.), « Le statut de la fonction publique et la division de l’ordre
juridique français », in : Supiot (A.) (sous la dir. de), Le travail en perspectives, Paris, LGDJ (Coll. « Droit et
Société »), 1998, p. 347-357.
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française »
7
: dans un cas comme dans l’autre la juridicité devient la matière première
d’une controverse qui se déploie dans l’espace public.
D’autres analyses appartiennent plutôt au registre de l’« économisme », si par ce
vocable on accepte de désigner une tendance consistant à ramener la réforme de la
fonction administrative et de l’action publique à une affaire de productivité et de
rendement. Moderniser l’État revient alors à instituer la mesure de ses performances, en
repensant l’activité des services publics dans le cadre d’une économie de marché. Le
modèle marchand finit même ici par dépasser le champ des discussions propres à la
conception et à la mise en œuvre des politiques publiques pour se faire lui-même norme
juridique. Une fois admis que l’univers normatif dans lequel les pratiques administratives
sont projetées, exercées et contrôlées, génère, ou en tout cas encourage, l’inertie et
l’irresponsabilité bureaucratiques, on en arrive à promouvoir une sorte de culte de
l’efficacité, au point de la vouloir indifférente le cas échéant à des exigences de légalité
considérées une fois pour toutes comme contre-productives. Les travaux de recherche ne
manquent pas, même issus de la commande publique, qui donnent de cette évolution
tendancielle d’édifiantes illustrations
8
.
On ne manquera surtout pas de le noter : il y a dans les deux postures — l’une
comme l’autre informe, on le sait, le comportement des décideurs publics — qui viennent
d’être schématisées une même entreprise de dramatisation de l’ordre juridique des
choses. Le sur-investissement dans la juridicité fonctionne à la manière d’un leurre,
quelle que soit la forme qu’il revêt : défense crispée de la norme ou désinvolture à l’égard
de la règle. Expliquons-nous.
Ce que les politiques de modernisation administrative remuent en profondeur ne
concerne pas nécessairement le juridique, ou ne l’atteignent que de façon accessoire ou
dérivée
9
. Lorsqu’au nom du « réalisme économique » sur lequel le management prend
attache, on déplore l’existence de telle ou telle norme ou procédure, ou qu’au contraire
on en revendique la fabrication, ce n’est pas tant l’économie du droit que la réalité
substantielle de l’administration qui est mise en débat : l’essentiel est bien souvent là,
dans la redistribution du pouvoir administratif, dans les modes d’exercice du comman-
7. Citons, à titre d’exemples, outre le fameux Rapport public 1994 du Conseil d’État, Service public,
services publics : déclin ou renouveau ?, Études et Documents, n° 46, La Documentation française, 1995 ;
Stirn (B.), « La conception française du service public », Cahiers juridiques de l’électricité et du gaz, 1993,
p. 289-305 ; Rapport de la commission du commissariat général du plan présidée par Stoffaes (C.), Services
publics, questions d’avenir, Paris, O. Jacob, 1995 ; Vedel (G.), « Service public à la française : oui, mais
lequel ? », Le Monde, 22 décembre 1995, p. 13 ; Chevallier (J.), « La réforme de l’État et la conception
française du service public », RFAP, n° 77, 1996 ; Moderne (F.), « Le concept de service public à l’épreuve du
marché unique européen », Mélanges dédiés à J. Mas, Paris, Économica, 1996, p. 239-252. Pour une relecture
critique de ce « récit » du service public à la française, cf. la contribution de Hastings (M.), « Les constellations
imaginaires du service public », in : Decreton (S.) (sous la dir. de), Le service public et le lien social, Paris,
L’Harmattan, 1999, p. 33-52.
8. Tel est notamment le thème qu’aborde l’étude, précitée, intitulée « Le manager entre dénégation et
dramatisation du droit ».
9. Observons qu’une part non négligeable de ce que l’on désigne sous le mot de « modernisation » se
réalise indépendamment du droit existant : le fait est qu’il n’est alors point besoin de lui donner une expression
juridique spécifique. C’est ainsi qu’a pu être revue, dans un cadre juridique inchangé, et dans certains de ses
aspects, la gestion des rapports de travail au sein des organismes publics. De même, l’usage des nouvelles
technologies dont on sait pourtant les implications juridiques n’a pas nécessité de remise en cause du droit
existant. On peut dire la même chose des actions de sensibilisation et de responsabilisation des personnels : le
service du public a pu s’en trouver valorisé, sans transformation préalable des rapports juridiques de travail. Tel
est d’ailleurs le discours commun aux circulaires Rocard relative au renouveau du service public (op. cit.)et
Juppé relative à la réforme de l’État (JO, 28 juillet 1995, p. 11217) : la modernisation peut ou doit, c’est selon,
se faire à droit constant.
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dement et de la décision, bref dans le pilotage de l’action publique. Pour le dire d’un
mot : nombre de questions complaisamment rangées dans la rubrique « droit » n’ont
que de très lointains rapports avec l’objet même de ce dernier. Elles appartiennent sans
aucun doute au champ politique. Le problème n’est pas vraiment de s’interroger sur la
signification d’une norme ou l’application judicieuse ou déplacée d’une catégorie
juridique dans l’ordre du droit, il s’agit bien plutôt d’analyser les usages sociaux
auxquels ces « outils mentaux » sont ou devraient être soumis
10
. Ce qui, en situation,
s’avère déterminant n’est plus la règle voulue et posée par le législateur. L’essentiel se
détermine ailleurs, dans les configurations d’acteurs : c’est là que la norme prend sens,
par le travail incessant de la relecture et des interprétations. Il suffit, pour s’en faire une
idée, de penser à ce qui se joue vraiment derrière la dénonciation récurrente des
rigidités auxquelles le droit des finances publiques condamne la gestion administrative.
Ce « récit » familier a surtout pour effet de différer l’examen critique des pratiques
juridiques du ministère de l’économie et des finances ou plus précisément de ceux qui
en ont la manœuvre. Les investigations gagneraient à connaître un même déplacement
dans le cas bien connu des remises en causes récurrentes du statut des fonctionnaires :
jusqu’où est-il opportun de s’en prendre au système des règles
11
? Non que ce dernier
doive être tenu pour immuable ; produit situé d’une construction collective, il est en
cela voué à se transformer et à disparaître ! Mais ne vaudrait-il pas mieux, pour cette
raison même, donner pleine valeur explicative aux représentations et aux interprétations
contrastées qu’en retiennent les acteurs ?
Entre les adeptes de ces deux manières de penser la réforme de l’État, un dialogue
de sourds — ou quelque chose qui lui ressemble — s’est installé, qui n’a rien
d’innocent. Il ne s’agit pas d’une simple affaire de production d’images administratives
dont on pourrait comparer l’aptitude à travestir et à fausser l’identité de l’action
publique. Ne l’oublions surtout pas : avec les politiques de modernisation du service
public, tout un marché s’est constitué. Les acteurs qui l’ont investi ne sont pas
seulement désireux d’y faire prévaloir une doctrine de l’action publique. Derrière les
« points de vue » contrastés qui s’affirment, ce sont bien des intérêts matériels qu’on
s’emploie à faire prospérer. Voyez, par exemple, comment les récits relatifs au
nécessaire changement administratif — qu’il soit imputable au juriste ou au manager
12
— obligent à repenser les besoins de formation des personnels. La concurrence entre
les organismes publics et/ou privés prétendant pouvoir répondre à ces besoins n’est
d’ailleurs pas étrangère à la rivalité entre les deux grands discours décrits plus haut :
là où certains voient la nécessité de traiter le déficit de formation juridique des
fonctionnaires, en raison de son coût pour l’administration
13
, d’autres, à la façon de
Michel Crozier, estiment au contraire que ce n’est plus de légistes dont la conduite de
la nouvelle action publique a besoin, mais de « patrons responsables »
14
.
10. Sur Les usages sociaux du droit, cf. l’ouvrage collectif du CURAPP, PUF, 1989.
11. V. en exemple d’une réflexion en ce sens, Le Vert (D.), « Le statut des fonctionnaires et la
modernisation de la fonction publique : vrais enjeux et faux débats », RFAP, n° 25, 1983, p. 17. Il est vrai que
ce raisonnement ne fait pas l’unanimité. V. la critique de ce point de vue par Pochard (M.), « Quel avenir pour
la fonction publique ? », AJDA, 2000, p. 3.
12. V. l’analyse des relations qu’entretiennent ces deux « postures » par Fraisse (R.), « L’administrateur
public, juriste et manager », RFAP, n° 51, 1989, p. 5, et, par Lascoumes (P.), « Pour une formation à la
« gouvernementalité » : le fonctionnaire, légiste ou manager public », même Revue, p. 113-124.
13. C’est le sujet que traite principalement, sous le titre : « Quelle formation pour les fonctionnaires ? »,
le n° 51 de la RFAP,1989.
14. De Crozier (M.), lire, notamment, « L’État modeste, une grande ambition », PMP, n° 2, 1989, p. 1.
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DROIT ET MANAGEMENT ?
Une fois instruit de l’existence de ces deux modèles — celui du « juridisme » et
celui de « l’économisme » — il devient possible de les mettre en tension. Car ce que
montre, surtout depuis la circulaire Rocard, l’expérience française de la réforme de
l’État, c’est que l’espace aussi bien que le temps dans lesquels les fonctions publiques se
redéploient, sont travaillés et structurés par deux rationalités concurrentes. Entre le droit
et le management les interactions sont désormais constantes. De leurs combinaisons
diverses et mouvantes, génératrices de changements, mais aussi de blocages, dépend la
nouvelle économie de ce qu’on appelle l’administration. La voilà en pleine reconstitu-
tion. Partout, dans les modes d’organisation et de décision comme dans les formes de
contrôles, les exigences croisées de la règle et de la performance redessinent l’identité
institutionnelle de l’État.
Fortune du management public
Aucun juriste ne peut manquer de le constater, sans doute même de le déplorer : le
succès du management public
15
— quand bien même celui-ci tarde aux yeux de certains
à se manifester pleinement, comme il peut le faire dans les pays anglo-saxons notamment
sous la forme du « New Public Management »
16
— provoque dores et déjà un très
sérieux brouillage de nombre de catégories usuelles de la pensée juridique.
En soumettant, globalement, l’exercice de la fonction administrative, ou si l’on
préfère de l’action publique, à des préoccupations de type managérial ; en obligeant peu
15. Le management dont il est ici question n’est pas nécessairement celui qui préoccupe le plus les
professionnels de la gestion, praticiens et théoriciens confondus. Certes l’usage de cette notion suppose pour
le moins une technologie propre, c’est-à-dire un ensemble organisé de pratiques et de savoir-faire gestionnaires,
appliqués en l’occurrence dans le cadre spécifique des institutions publiques, qu’elles soient responsables de
tâches purement bureaucratiques, ou d’activités de production, de distribution et de service, pour reprendre la
terminologie de l’ordonnance de 1986 relative au droit de la concurrence. On se gardera bien toutefois
d’assimiler ce management à un simple objet de gestion moderne des ressources humaines, organisé autour de
techniques qui se suffiraient à elles-mêmes. À travers lui, c’est bien à l’accomplissement d’un programme de
remodelage d’un paysage institutionnel marqué et structuré par le droit public que l’on tend. Dans la référence
désormais insistante au management public se lit le code commun à tous les projets de réforme de l’État dans
son acception la plus généreuse. Ceux-ci peuvent indifféremment concerner les structures, les décisions ou les
contrôles des institutions administratives, tous s’ordonnent autour de la même visée fondamentale : « accroître
le rendement du travail bureaucratique », pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu (in : « Droit et
passe-droit. Le champ des pouvoirs territoriaux et la mise en œuvre des règlements », Actes de la recherche en
sciences sociales, n° 81/82, p. 89). Ce management-là n’a bien sûr rien d’une catégorie juridique. Il ne devient
pas moins « affaire » juridique dès lors qu’avec lui des comportements nouveaux — regroupons-les par
commodité sous le label de la performance publique — prennent forme et sens juridiques, passant du statut de
simple fait social à celui de norme juridique. Là se joue une partie essentielle dont l’œuvre de Pierre Legendre
a fortement identifié les enjeux véritables. Comme l’écrit l’auteur (Le désir politique de Dieu. Étude sur les
montages de l’État et du Droit, Fayard, 1988, p. 90) : « Dans les soutes du juridisme moderne sont entreposées,
si j’ose dire, les notions emblématiques de l’Occident — ces thèmes de Nature et de Loi auxquels le
Management a directement affaire (...). Le management, en tant que corpus normatif, est ce produit typique de
la dogmaticité occidentale ; il prend place dans le vaste mouvement de rationalisation de l’éthique, inauguré par
les médiévaux, poursuivi par les scolastiques plus modernes, catholiques ou réformés, canalisé enfin vers le
juridisme contemporain ».
16. V. par exemple sur la question, Clark (D.), « Managérialisme, justice administrative et réforme des
services publics en Grande-Bretagne », Revue internationale des sciences administratives, n° 4, 1999,
p. 559-579, et, Mac Eldowney (J.), « La réforme de la gestion publique et le droit administratif dans le cadre
de la prestation des services publics locaux », RISA, n° 1, 2003, p. 76-93.
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