No dossier: 129340 31 20140109 G No demande: 1395982 Page 5
[44] Dans l'état actuel du droit, où le locateur est passible d'une diminution de loyer, de
dommages et voire même la résiliation du bail à ses torts, il doit pour assurer sa défense, faire
jouer des présomptions de faits ressemblants à une chasse à la sorcière. Qui a bien pu
introduire les punaises dans l'immeuble? Les experts se perdent en conjecture sur la durée de
vie et la grande mobilité de ces insectes. Mais nous l'avons vu, trouver la personne qui a
introduit les punaises n'entraîne pas nécessairement sa responsabilité légale. Il faut donc
également établir que cette personne a commis une faute et le simple fait de les introduire dans
l'immeuble n'en est pas nécessairement une. Nous assistons alors à de stériles débats malgré
l'importance des enjeux.
[45] Il est normal que le locateur soit soumis à l'obligation de faire exterminer les punaises par
des professionnels; comme l'exigent certaines réglementations municipales. En plus d'être
soumis à des obligations de résultat à cet égard, il est celui qui a accès à tous les logements de
l'immeuble et aux espaces communs. Dans cette optique, le législateur a voulu que les
locataires victimes puissent généralement obtenir une diminution de loyer, l'exécution en nature
des obligations du locateur et voire même la résiliation de leur bail en cas de préjudice sérieux.
[46] L'octroi de dommages-intérêts n'est cependant pas absolu et selon l'origine du trouble, le
locateur bénéficiera de moyen de défense accru. L'un d'eux est le trouble de fait d'un tiers de
l'article 1859 du Code civil du Québec. Il s'agit d'un régime, qui de l'avis du tribunal, est le plus
conforme à l'intention du législateur lorsque l'origine ou la prolifération des punaises ne résulte
pas d'une quelconque négligence. Car il a pour effet de rétablir l'équilibre des droits et
obligations des cocontractants. Il a comme avantage de faire supporter à chacun des
cocontractants une partie des conséquences de la présence des punaises dans un logement. Il
s'agit en effet, d'une situation où les cocontractants ne sont habituellement pas fautifs et envers
laquelle ils ont bien peu de contrôle. L'établissement d'une présomption de fait semble être le
meilleur moyen de contrer le déséquilibre observé et faciliter la preuve à toutes les parties. Car
tout comme le locateur en l'instance, un locataire pourrait bénéficier de cette présomption de fait
advenant une poursuite à son encontre.
[47] Empruntant la définition de L. Faribault, dans son Traité de droit civil du Québec, l'auteur
Jobin traite du trouble de fait d'un tiers comme suit :
« Le trouble de fait est l'atteinte à la jouissance du bien sans que l'auteur n'invoque le
droit d'agir ainsi. »(12)
[48] Bien qu'on applique généralement ce régime juridique à des situations où le trouble provient
d'une personne connue ne possédant aucune relation contractuelle avec le locateur, la définition
ci-devant reproduite est assez large, selon nous, pour englober les cas où la cause de
l'apparition des punaises demeure inconnue ou attribuable à aucun comportement fautif. Si le
législateur a voulu appliquer une responsabilité amoindrie au locateur lorsque le trouble provient
d'un acte fautif d'un locataire voisin, il est raisonnable de lui appliquer également un régime
amoindri de responsabilités lorsque la cause d'un trouble est inconnue et qu'aucun
cocontractant n'a pu avoir un contrôle sur son apparition.
[49] À moins de preuve probante que l'apparition de punaises dans un logement résulte d'un fait
fautif, il est tout aussi probable que les punaises aient été introduites par un tiers. Il n'est donc
pas jugé déraisonnable de conclure à l'applicabilité de ce régime juridique à ces situations.
[50] C'est ce qui amène le tribunal à conclure que lorsque l'apparition de punaises dans un
logement n'est attribuable à aucune négligence, la situation sera présumée être le trouble du fait
d'un tiers selon les termes de l'article 1859 du Code civil du Québec. Par conséquent, en
l'absence de négligence, les dommages résultant de la simple présence des punaises ne
pourront être compensés. Les autres recours demeurent cependant ouverts, notamment la
diminution de loyer.
[51] Les comportements fautifs ou négligents après l'apparition des punaises pourront
cependant entraîner la responsabilité de leur auteur. Il pourrait s'agir notamment de l'inaction ou
du défaut de recourir à des services d'extermination reconnus, au défaut de dénonciation, au
manque de collaboration à l'extermination, etc. Dans ces cas, la cause du dommage ne pourrait
plus être assimilée fait d'un tiers et les autres régimes de responsabilité pourront trouver
application.
[52] Appliquant ces principes aux faits du litige, l'apparition des punaises au logement n'est due
à aucun fait fautif d'un occupant de l'immeuble, il y a donc assimilation au régime du trouble de
jouissance due au fait d'un tiers. Le locataire peut donc se voir octroyer une diminution de loyer
sans toutefois être compensé pour les dommages résultant de la simple présence des punaises
au logement. »
[39] Le tribunal est totalement d’accord avec les propos tenus par la juge administrative Gravel.
[40] Par conséquent, le tribunal n’octroiera pas à la locataire quelque montant que ce soit en
dommages-intérêts pour ses pertes matérielles.
AZ-51042074