Telechargé par rhinarazafiarison

Les plaies penetrantes de labdomen condu-1

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Annales de chirurgie 129 (2004) 156–163
www.elsevier.com/locate/annchi
Article original
Les plaies pénétrantes de l’abdomen, conduite diagnostique
et thérapeutique. À propos de 79 patients
Abdominal wound injuries: diagnosis and treatment
O.J.-Y. Monneuse *, X. Barth, L. Gruner, F. Pilleul, P.J. Valette, O. Oulie, E. Tissot
Service de chirurgie digestive, hôpital Édouard-Herriot, Pavillon G, 5, place d’Arsonval, 69437 Lyon, France
Reçu le 8 septembre 2003 ; accepté le 23 janvier 2004
Disponible sur internet le 05 mars 2004
Résumé
Introduction. – Les plaies de l’abdomen justifient classiquement une laparotomie systématique. Toutefois, cette attitude peut être modulée
en fonction de l’agent vulnérant (arme blanche ou arme à feu) et de la précision des examens d’imagerie s’ils écartent la possibilité d’une lésion
viscérale et autorisent une surveillance en milieu chirurgical.
Patients et méthodes. – Étude rétrospective de 79 patients (mai 1995–mai 2002) ayant une plaie pénétrante de l’abdomen : 47 (59 %) par
arme blanche et 32 (41 %) par arme à feu. Les paramètres étudiés ont été la corrélation radiochirurgicale, le traitement et les suites opératoires.
Résultats. – Soixante-huit patients ont été opérés de première intention, et 11 ont bénéficié d’une surveillance « armée ». Parmi les
11 patients surveillés (9 après plaie par arme blanche et 2 après plaie par arme à feu), deux ont dû être opérés (1 dans chaque groupe). La
corrélation entre l’imagerie et les constatations opératoires était bonne 34 fois (72 %) après plaie par arme blanche et 21 fois (80 %) après plaie
par arme à feu ; le nombre moyen de lésions viscérales était respectivement de 1 et 3. Six patients (8 %) sont décédés (mortalité de 2 et 16 %
respectivement), douze (15 %) ont eu des suites compliquées.
Conclusion. – Les plaies pénétrantes par arme blanche peuvent être traitées par surveillance rapprochée si l’imagerie exclue une lésion
viscérale. Les plaies par arme à feu justifient encore une laparotomie systématique en raison de la multiplicité des lésions et de leur mauvais
pronostic.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract
Introduction. – Traditionally, penetrating abdominal wounds justify routine laparotomy. However, this policy can be adapted to
mechanism of injury (stab or firearm) and accuracy of imaging procedures if they eliminate visceral injury thus allowing close follow up.
Patients and methods. – Retrospective study of 79 patients (May 1995–May 2002) with a penetrating abdominal wound: (47 (59%) stab
wounds and 32 (41 %) firearm wounds). Correlation between imaging and surgical findings, treatment, post-operative course were studied.
Results. – Sixty-eight patients were operated on from the outset, and 11 underwent close follow-up. Of the 11 patients who had follow-up,
(9 after stab wound and 2 after firearm wound), two had to be operated (1 in each group). Correlation between imaging and surgical findings
was good in 34 (72%) patients after stab wound and in 21 (80%) after firearm wound; the mean number of visceral injuries was 1 and
3 respectively. Six patients (8%) died (mortality: 2% and 16% respectively), 12 (15%) had postoperative complications.
Conclusion. – Penetrating abdominal stab wounds can be treated by close follow-up if imaging excludes visceral injury. Firearm wounds
still justify routine laparotomy due to both multiplicity of visceral injuries and bad prognosis.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Plaie de l’abdomen ; Arme à feu ; Arme blanche ; Chirurgie
Keywords: Abdominal wound; Fire-arm wound; stab wound; Surgery
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (O.J.-Y. Monneuse).
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.anchir.2004.01.013
O.J.-Y. Monneuse et al. / Annales de chirurgie 129 (2004) 156–163
1. Introduction
Les plaies pénétrantes de l’abdomen constituent actuellement un véritable problème de santé publique aux ÉtatsUnis. De nombreuses publications américaines, portant sur
de grandes séries, font état de la situation épidémiologique et
de différentes attitudes diagnostiques et thérapeutiques. En
France, la fréquence de ces plaies est très inférieure [1] et les
attitudes diagnostiques et thérapeutiques sont sensiblement
différentes.
À partir d’une étude rétrospective portant sur 79 patients
opérés en sept ans d’une plaie pénétrante de l’abdomen, nous
avons voulu faire un état des lieux afin de dégager un arbre
décisionnel quant à la conduite à tenir chez les patients
victimes de telles lésions.
2. Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude monocentrique, homogène, continue
rétrospective de mai 1995 à mai 2002. Les patients inclus
avaient de façon certaine une plaie pénétrante de l’abdomen,
c’est-à-dire franchissant le péritoine. Le diagnostic était
porté soit cliniquement à l’accueil du patient (éviscération,
extériorisation d’épiploon...), soit radiologiquement, soit
après exploration sous anesthésie locale au bloc opératoire
dans les conditions d’une éventuelle laparotomie complémentaire.
L’exploration chirurgicale sous anesthésie locale était
menée si une exploration radiologique éliminait une lésion
intrapéritonéale chirurgicale (absence d’épanchement intrapéritonéal). Elle permettait de diagnostiquer les plaies pénétrantes, les patients justifiant alors d’une surveillance clinique, biologique et radiologique de plusieurs jours. En cas
d’impossibilité de réaliser une telle surveillance, une laparotomie exploratrice, ou éventuellement une cœlioscopie exploratrice, était conduite sous anesthésie générale.
La surveillance « armée » proposée aux patients ayant une
plaie pénétrante de l’abdomen comprenait :
• un bilan tomodensitométrique (TDM) initial éliminant
une pathologie abdominale de prise en charge chirurgicale, chez les patients compliants à une telle surveillance ;
• une évaluation clinique répétée toutes les huit heures ;
• un bilan biologique (essentiellement numération formule sanguine) quotidien ;
• et une échographie à la recherche d’un épanchement
péritonéal à 48 heures ; cette dernière était éventuellement répétée en fonction de l’évolution clinique, biologique et radiologique.
Les paramètres étudiés étaient le mécanisme lésionnel
(arme blanche, arme à feu) ainsi que les circonstances du
traumatisme, le type d’examen complémentaire radiologique
réalisé (échographie abdominale, TDM), le traitement envisagé (chirurgie, surveillance « armée »), les suites opératoires, et la durée d’hospitalisation. La corrélation entre les
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données radiologiques préopératoires et les lésions décrites
en peropératoire a été évaluée selon trois niveaux :
• en cas de concordance exacte entre le diagnostic radiologique préopératoire et les lésions décrites par le chirurgien, la corrélation était décrite comme bonne ;
• en cas de lésion peropératoire non diagnostiquée radiologiquement mais dont la description n’aurait de toute
façon pas modifié l’attitude chirurgicale, la corrélation
était décrite comme partielle et ;
• en cas de découverte peropératoire de lésion(s) dont la
description préopératoire aurait fait changer l’attitude
chirurgicale, la corrélation était décrite comme mauvaise. Ainsi, la description préopératoire de lésions non
retrouvées en peropératoire entraînait un classement
dans le groupe mauvaise corrélation.
Les patients ont systématiquement été revus un mois après
leur sortie de l’hôpital. Aucun patient n’a été perdu de vue.
Du fait des faibles effectifs des sous-groupes, les statistiques réalisées sur cette série ont été uniquement descriptives.
3. Résultats
De mai 1995 à mai 2002, 79 patients (67 hommes, 12 femmes) présentant une plaie pénétrante de l’abdomen ont été
pris en charge. La moyenne d’âge globale était de 36 ans
(extrêmes : 17–85). Le mécanisme était une plaie par arme
blanche chez 47 patients (59 %) et une plaie par arme à feu
chez 32 (41 %). Aucun patient n’a été perdu de vue.
Soixante-huit patients (86 %) ont été opérés de première
intention. Onze patients ont bénéficié d’une surveillance
« armée » parmi lesquels deux patients ont nécessité une
laparotomie secondaire. La répartition des atteintes des différents organes abdominaux est représentée sur la Fig. 1.
Six patients (8 %) sont décédés, dont trois en peropératoire (tous victimes d’une plaie par arme à feu) et trois dans la
période postopératoire précoce. Douze patients ont eu des
suites compliquées (15 %). Soixante et un patients ont eu des
suites favorables (77 %) dont cinq patients avec des complications mineures (abcès de paroi) ne nécessitant pas de réintervention. La durée moyenne de séjour était de
12 ± 7,5 jours (extrêmes : 1–83).
3.1. Plaies par arme blanche
Parmi les 47 patients, 26 se déclaraient victimes d’agression, 15 ont été blessés par autolyse, trois ont eu un accident
de travail, et trois déclaraient des circonstances accidentelles
suspectes ou peu claires.
Le bilan radiologique comprenait six fois des examens
conventionnels (radiographies simples du thorax et de l’abdomen) permettant de poser l’indication chirurgicale, 29 fois
une échographie, et 17 fois une TDM avec injection. Après
plaie par arme blanche, le pourcentage de patients ayant eu
une TDM est passé de 10 % en 1996 à 100 % en 2002. La
corrélation des résultats radiologiques aux constatations pe-
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arme blanche
arme à feu
Fig. 1. Fréquence de l’atteinte lésionnelle au cours des plaies par armes blanches et armes à feu.
Tableau 1
Répartition des orifices d’entrée des plaies de l’abdomen par arme blanche et
arme à feu
Plaies par arme
blanche
Hypochondre droit
2
Hypochondre gauche
10
Épigastre
11
Flanc droit
0
Flanc gauche
0
Péri ombilical
14
Fosse iliaque droite
2
Fosse iliaque gauche
2
Hypogastre
0
Fosse lombaire droite
2
Fosse lombaire gauche 0
Basi thoracique droit
0
Basi thoracique gauche 3
Plaies par arme à feu
1
2
2
0
0
6
2
2
2
0
4
15
0
(n = 4), et au niveau splénique par splénectomie (n = 1). Neuf
plaies du mésentère et quatre plaies du mésocôlon ont été
traitées par suture hémostatique sans qu’une résection digestive associée ne soit nécessaire. Enfin, un patient a eu la
suture d’une plaie de la veine cave.
Un patient (2 %) est décédé ; ce patient, victime d’une
plaie épigastrique extrêmement hémorragique, avait été pris
en charge sur le lieu de l’accident en état de mort apparente et
initialement réanimé. Le bilan lésionnel n’avait constaté
qu’une plaie de veines sous-cutanées dilatées liées à une
circulation collatérale sur cirrhose. Le patient a fait un
deuxième arrêt cardiorespiratoire à j1, non récupéré. Six
patients (13 %) ont eu des suites opératoires compliquées :
une occlusion nécessitant une réintervention à j9, une fistule
biliaire spontanément tarie en quelques jours, quatre fièvres
supérieures à 39 °C (en rapport avec un abcès de paroi, une
pneumopathie et deux fois sans origine déterminée). Quarante patients (85 %) ont eu des suites opératoires simples
(Fig. 2). La durée moyenne d’hospitalisation a été de
7 ± 2,5 jours (extrêmes 1–21).
Morbidité / Mortalité
Pourcentage de la population
ropératoires a été jugée bonne 34 fois (72 %), partielle cinq
fois et mauvaise trois fois ; pour cinq patients il n’a pas été
possible d’effectuer la corrélation.
Trente-huit patients (81 %) ont été pris en charge d’emblée sous anesthésie générale (36 laparotomies, et 2 laparoscopies dont 1 convertie pour exploration jugée insuffisante).
Neuf patients (19 %) ont bénéficié d’une surveillance « armée » dont un (1/9 = 11 %) a nécessité une laparotomie
secondaire.
La répartition des différents orifices d’entrée cutanés figure sur le Tableau 1. Une fois les orifices d’entrée étaient
multiples. Les lésions pariétales n’ont pas posé de problème
thérapeutique particulier.
Les lésions viscérales observées sont répertoriées sur la
Fig. 1. En moyenne, il existait une lésion viscérale par patient. Au niveau des organes creux, les gestes réalisés ont été :
suture gastrique (n = 6), suture simple (n = 4) et résection
anastomose (n = 1) du grêle, suture simple (n = 3) et extériorisation en colostomie (n = 1) d’une plaie du côlon. Les plaies
parenchymateuses ont été traitées au niveau hépatique par
suture (n = 4) ou application de compresses hémostatiques
100
80
60
armes blanches
40
armes à feu
20
0
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Fig. 2. Fréquence des complications post opératoires au cours des plaies par
armes blanches et armes à feu.
O.J.-Y. Monneuse et al. / Annales de chirurgie 129 (2004) 156–163
3.2. Plaies par arme à feu
Parmi les 32 patients, 12 patients ont été blessés par
autolyse, dix patients se sont déclarés victimes d’agression,
et deux patients ont été blessés au cours d’accidents de
chasse ; pour six patients, la cause de l’accident était imprécise et deux patients se sont blessés en nettoyant leur arme.
Un patient a été opéré sans aucun examen radiologique
complémentaire. Chez les autres patients, le bilan radiologique comprenait : dix fois des examens radiologiques conventionnels et échographiques, six fois une échographie seule,
dix fois une TDM injectée, et six fois une échographie couplée à une TDM injectée. Après plaie par arme à feu, le
pourcentage de patients ayant eu une TDM est passé de 0 %
en 1995 à 100 % en 2002. La corrélation des résultats radiologiques a été jugée bonne 21 fois (80 %), partielle trois fois
(12 %) et deux fois (8 %) comme mauvaise. Pour six patients
il n’a pas été possible d’effectuer une corrélation.
Trente patients ont été pris en charge d’emblée sous anesthésie générale (tous par laparotomie), dont un patient en
extrême urgence. Sur les deux patients placés sous surveillance « armée », un a été opéré de façon différée du fait
d’une plaie de la fesse dont le caractère pénétrant n’a été
affirmé à j1 par une TDM de contrôle prescrite devant l’aggravation des signes cliniques.
La répartition des différents orifices d’entrée cutanés figure sur le Tableau 1. L’orifice d’entrée était unique pour
27 patients, double chez un patient, quadruple chez deux
patients, et se présentait sous forme d’un criblage cutané
chez deux autres. Un orifice cutané de sortie était présent
chez 11 patients, dont un avait une perte de substance pariétale supérieure à 10 cm. Les lésions pariétales ont posé des
problèmes de réparation dans trois cas du fait d’un délabrement très important (une plaie lombaire, une plaie basithoracique, et une plaie fessière). Ces défects ont été traités deux
fois par mise en place d’une plaque résorbable (associée une
fois à un drainage par sac de Mickulicz) pour combler la
perte de substance, et une fois par rapprochement des berges
de la plaie.
Les lésions viscérales observées figurent sur la Fig. 1. En
moyenne, il existait trois lésions viscérales par patient. Au
niveau des organes creux, les gestes réalisés ont été : suture
gastrique (n = 7), suture duodénale (n = 1), résection–anastomose du grêle (n = 6), colectomie droite avec anastomose
immédiate (n = 3), suture colique protégée par iléostomie
latérale (n = 1), colectomie segmentaire gauche avec simple
ou double stomie (n = 4), drainage d’une perforation rectale
avec colostomie latérale d’amont (n = 1), et suture d’une
plaie vésicale (n = 2).
Les plaies parenchymateuses étaient hépatiques (n = 11),
spléniques (n = 9), pancréatiques (n = 5) ou rénales (n = 6).
Parmi les 11 patients ayant une plaie du foie, une intervention
« de sauvetage » a été débutée pour deux sous massage
cardiaque externe, les lésions hépatiques étant majeures au
sein de multiples autres lésions et le décès est survenu en
peropératoire. Un patient avait également une plaie du pédi-
159
cule hépatique associée à dix autres lésions abdominales et
est décédé à j2 de complications hémorragiques. Les autres
gestes hépatiques réalisés ont été une exérèse gauche (n = 2)
ou un geste hémostatique sans résection associée (n = 6), un
clampage temporaire du pédicule hépatique ayant été nécessaire quatre fois. Les plaies de la rate ont été traitées par
splénectomie (n = 9). Parmi les cinq lésions pancréatiques, il
y a eu deux splénopancréatectomies caudales (une pour rupture de la queue du pancréas, une pour plaie de l’artère
splénique) et trois drainages au contact d’une contusion pancréatique. Les plaies du rein ont été traitées deux fois par
néphrectomie d’hémostase et quatre fois de façon conservatrice.
Les plaies des troncs vasculaires intéressaient : l’aorte
(n = 1), la veine cave (n = 1), l’artère iliaque externe (n = 2),
l’iliaque interne (n = 1), l’artère iliaque primitive (n = 1), et la
veine rénale gauche (n = 1). Toutes ces plaies ont été suturées
sauf la plaie iliaque interne traitée par ligature et la plaie
iliaque primitive traitée par pontage. De plus, trois plaies des
veines sus-hépatiques et une plaie de la veine porte étaient
associées aux lésions hépatiques.
Cinq patients (16 %) sont décédés de complications hémorragiques incontrôlables en peropératoire (n = 3) ou à j2
(n = 1), ou d’une cellulite pariétale malgré de nombreuses
réinterventions passant par la réalisation d’une laparostomie
(n = 1). Onze patients (34 %) ont eu des suites jugées
compliquées : cellulite pariétale réopérée avec thoracostomie
(n = 1), péritonite postopératoire réopérée (n = 1), pseudoanévrysme de l’artère mésentérique supérieure (n = 1), occlusion nécessitant une reprise chirurgicale (n = 1), fistule
pancréatique après pancréatectomie caudale (n = 2, dont une
traitée par drainage radiologique et l’autre par drainage chirurgical), insuffisance rénale aiguë post-rhabdomyolyse nécessitant une dialyse (n = 1), collection sous hépatique associée à une thrombose portale (n = 1), septicémie (n = 1) et
abcès de paroi (n = 1). Seize patients (50 %) ont eu des suites
simples (Fig. 2). La durée moyenne de séjour a été de
20 ± 10,5 jours (extrêmes 1–83).
4. Discussion
La présente étude suggère que la nature de l’agent vulnérant est un élément essentiel à prendre en compte et deux
sous-groupes de patients doivent être considérés : ceux victimes d’une plaie par arme blanche et ceux victimes d’une
plaie par arme à feu. Les patients victimes d’une plaie par
arme blanche ont des lésions de moindre gravité, comme en
atteste une mortalité de 2 % contre 16 % après plaie par arme
à feu. Les associations lésionnelles sont moins fréquentes (en
moyenne une lésion viscérale par patient dans notre étude)
que dans les plaies par arme à feu (en moyenne 3 lésions
viscérales par patient). De plus, après plaie par arme blanche,
les lésions intra-abdominales rencontrées ne relèvent pas
toujours d’une intervention chirurgicale à visée thérapeutique. Elles peuvent donc, dans certaines conditions, bénéfi-
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cier d’une surveillance « armée », remettant ainsi en cause le
dogme de la laparotomie systématique devant toute plaie
pénétrante de l’abdomen.
Shaftan et al. [2] ont été en 1960 parmi les premiers à
remettre en question ce dogme dans les plaies par arme
blanche, ne proposant une laparotomie que sur des critères
cliniques précis. Dans leur série, le taux de pénétration péritonéale n’était que de 63 % parmi 112 patients pris en charge.
Ditmars et al. [3] ont introduit la notion de laparoscopie
première systématique, avec secondairement, en cas d’effraction péritonéale, une laparotomie complémentaire ;
parmi les patients laparotomisés dans sa série, seulement
50 % ont eu une laparotomie thérapeutique. Cette attitude
visait à supprimer les complications des laparotomies inutiles qui, dans la littérature, ont une mortalité variant de 0 à
0,3 % [4] et une morbidité de 3 à 37 % [5,6] faite essentiellement de complications cardiorespiratoires, de suppurations
pariétales, d’éviscérations et d’iléus postopératoires [1]. La
laparoscopie systématique avait l’avantage d’éviter les laparotomies « blanches » mais aussi pour inconvénients :
• de conduire à une laparotomie systématique chez des
patients ayant une lésion pénétrante mais non perforante
(laparotomie non thérapeutique) ;
• et d’imposer une laparoscopie systématique à des patients ayant une plaie non pénétrante de l’abdomen, pour
lesquelles une exploration rigoureuse de la plaie sous
anesthésie locale aurait suffit, évitant ainsi une « cœlioscopie blanche ». Dans notre expérience, seuls 11 %
traités par surveillance « armée » ont dû être laparotomisés secondairement. Actuellement, et grâce aux progrès de l’imagerie, ce dogme de laparotomie systématique est également remis en cause dans les plaies par
arme à feu [5,7,8], y compris en cas d’atteinte hépatique
[9].
Ainsi, dans une série de 362 plaies de l’abdomen par arme
à feu, Lowe et al. [10] ont analysé la va1eur prédictive des
différents signes cliniques (signes péritonéaux, silence auscultatoire, choc hémorragique, hémorragie digestive, pneumopéritoine, éviscération) ; parmi les patients ne présentant
aucun de ces signes et ayant eu une laparotomie, 42 % d’entre
eux présentaient des lésions péritonéales, plaidant au
contraire pour le maintien de la laparotomie exploratrice de
principe dans les plaies abdominales par arme à feu. Notre
série illustre la multiplicité des lésions intra-abdominales (en
moyenne 3 par patient) et la gravité des plaies par arme à feu.
Cette gravité peut parfois conduire à un traitement réalisé
selon la technique de laparotomie de sauvetage, appelée
également laparotomie écourtée telle qu’elle est actuellement bien décrite [11,12]. Une laparotomie systématique
nous semble par conséquent de mise dans les plaies par arme
à feu, en prenant le risque d’une exceptionnelle laparotomie
inutile.
Le corollaire de l’abandon du dogme de la laparotomie
systématique dans les plaies par arme blanche est la surveillance « armée », dont le but est d’éviter une laparotomie
blanche ou non thérapeutique par une surveillance clinique et
radiologique. Ses conditions d’application sont strictes : absence d’éviscération, absence de signe d’hémorragie interne
ou de péritonite, absence d’hémorragie digestive, patient
compliant à une surveillance clinique et plateau technique
disponible pour une surveillance radiologique répétée.
Dans notre série, la bonne corrélation des examens radiologiques aux lésions anatomiques et à l’état de gravité du
patient nous permet d’envisager une telle attitude dans la
prise en charge des plaies par arme blanche. Par ailleurs,
Richter et al. [13] montraient dès 1970 que les laparotomies
différées n’entraînaient pas d’augmentation dans ce sousgroupe de mortalité ni de morbidité, attitude confirmée
aujourd’hui par de nombreux auteurs [10,14–17]. Dans notre
expérience, c’est souvent l’absence de compliance du patient
(éthylisme, contexte social ou médicolégal ou psychiatrique)
qui justifie de renoncer à une surveillance armée au profit
d’une laparotomie ou d’une cœlioscopie de principe, même
si celle-ci doit être blanche ou non thérapeutique.
L’apport de la laparoscopie diagnostique (notamment
quant au caractère pénétrant de la plaie abdominale) est
évident [3]. Proposée en 1970 par Heselson et al. [18], et
confirmée dans son utilisation par Gazzaniga et al. [19] en
1976, elle est utilisée pour déterminer les indications de
laparotomie exploratrice. Depuis, l’intérêt de la vidéochirurgie dans l’identification des lésions et le traitement de certaines d’entre elles, a été montré au travers de nombreuses
publications [3,20–22]. Dans le cadre des plaies par arme
blanche, Porter et al. [23] ont rapporté en 1996 une expérience de 99 laparoscopies : les plaies étaient non pénétrantes
dans 50 % des cas, et pénétrantes sans nécessité de laparotomie dans 12 % des cas. Parmi les patients laparotomisés
après laparoscopie, 61 % d’entre eux ont eu une laparotomie
thérapeutique, les autres ayant une laparotomie non thérapeutique ou blanche.
Dans le cadre des plaies par arme à feu, la cœlioscopie a
également été évaluée. Sosa et al. [24], à partir d’une étude
rétrospective de 952 plaies de l’abdomen dont 817 avaient
justifié une laparotomie systématique d’emblée, ont montré
que dans 12 % des cas l’intervention était inutile avec une
morbidité propre de 22 %. À partir de cette expérience,
121 plaies par arme à feu avec hémodynamique stable ont fait
l’objet d’une étude prospective : la laparoscopie a montré que
la plaie était non pénétrante dans 65 % des cas sans faux
négatif, pénétrante chez 42 patients conduisant à 32 laparotomies thérapeutiques. La sensibilité de la laparoscopie était
ainsi de 100 % et sa spécificité de 98 % [24].
La laparoscopie peut être réalisée selon différentes techniques, ce qui complique l’analyse de la littérature. Elle peut
être réalisée sous anesthésie locale au chevet du patient [22]
limitant l’insufflation et le temps de l’examen. Dans le cadre
des plaies de l’abdomen, cette technique est le plus souvent
difficile chez des patients souvent peu coopérants ou pour
une exploration complète de la cavité abdominale notamment dans le cadre des plaies aux confins des parois abdominales (thoracique, dorsale). La plupart des auteurs préfèrent
une technique habituelle sous anesthésie générale au bloc
161
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PLAIES DE L’ABDOMEN
PAR ARME BLANCHE
Choc hémorragique
Péritonite
Eviscération
Ecoulement digestif ou urinaire
Oui
INDICATION
OPERATOIRE EVIDENTE
Non
INDICATION OPERATOIRE
NON EVIDENTE
+/- Echographie et
Tomodensitométrie
(hémodynamique stable)
Echographie + TDM
Lésion viscérale
chirurgicale
LAPAROTOMIE
COELIOSCOPIE
Pas de lésion
viscérale chirurgicale
Exploration de la plaie sous AL
PLAIE PENETRANTE
ou
PORTE D’ENTREE A DISTANCE
Surveillance
impossible
Surveillance
possible
SURVEILLANCE
« ARMEE »
Fig. 3. Conduite à tenir devant une plaie de l’abdomen par arme blanche.
PLAIE
NON PENETRANTE
Surveillance
quelques heures
162
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PLAIES DE L’ABDOMEN
PAR ARME A FEU
Hémodynamique stable
Echographie + TDM
Hémodynamique instable
Clichés simples
(thorax, ASP, bassin)
Embolisation
pré opératoire
LAPAROTOMIE
Fig. 4. Conduite à tenir devant une plaie par arme à feu.
opératoire en insufflant la cavité péritonéale au CO2, ou avec
une technique « gazless » permettant d’éviter le risque de
pneumothorax majeur en cas de plaie diaphragmatique (rencontrée chez 3 des 225 patients de l’expérience de Porter
[23]), et celui d’embolie gazeuse majeure en cas de plaie
veineuse sèche.
Certains auteurs sont allés plus loin dans la cœliochirurgie
des plaies pénétrantes de l’abdomen, ne se contentant pas
d’une simple exploration, mais réalisant dans le même temps
le traitement des lésions. Ainsi Zantut et al. [25] ont rapporté
en 1997 une série rétrospective multicentrique de 510 plaies
de l’abdomen explorées par laparoscopie (dans la mesure où
l’état clinique du patient le permettait). Dans 54 % des cas
aucune laparotomie n’était réalisée, soit du fait de l’absence
de lésion péritonéale (plaie non pénétrante de l’abdomen),
soit du fait de lésions intrapéritonéales minimes. Vingt-six
patients ont eu un traitement laparoscopique complet de leurs
lésions viscérales (diaphragme, foie, vésicule biliaire).
Les limites de la laparoscopie [26] résident donc principalement dans l’entraînement de l’équipe chirurgicale. Sa morbidité propre reste faible, de 1 à 3 % [20], faite de perfora-
tions accidentelles du grêle, d’hémorragies ou de
suppurations de paroi.
Au total, au vu des résultats de notre série de plaies
abdominales par arme blanche et armes à feu, nous pouvons
schématiser notre attitude diagnostique et thérapeutique
(Figs. 3 et 4).
5. Conclusion
Dans la prise en charge des plaies de l’abdomen, leur
caractère pénétrant doit être reconnu au plus tôt. L’apport de
l’imagerie médicale et le développement de la cœlioscopie
ont profondément modifié l’approche diagnostique et thérapeutique des plaies de l’abdomen, si bien que le dogme de la
laparotomie exploratrice systématique a été progressivement
remis en cause. Dans notre série de 79 patients opérés en sept
ans, le recours à l’échographie et à la tomodensitométrie a
permis de diagnostiquer précocement des lésions intrapéritonéales encore cliniquement peu parlantes tout en évitant des
laparotomies ou des cœlioscopies exploratrices inutiles ;
O.J.-Y. Monneuse et al. / Annales de chirurgie 129 (2004) 156–163
nous avons également montré que les lésions liées aux plaies
par arme blanche étaient moins complexes et de meilleur
pronostic que celles liées aux plaies par arme à feu.
Au plan thérapeutique, la laparotomie en urgence reste
indiquée en cas d’instabilité hémodynamique, de signes cliniques de péritonite, d’éviscération ou d’écoulement digestif
par la plaie, ainsi que dans les plaies par arme à feu compte
tenu de la fréquence et de la multiplicité des lésions viscérales observées.
Dans les autres cas, une exploration de la plaie sous
anesthésie locale est indispensable, après un bilan échographique et tomodensitométrique. En l’absence de signe de
perforation, le malade peut bénéficier d’une surveillance
« armée » en milieu chirurgical, le risque d’une intervention
secondaire étant d’environ 10 %. L’apparition ultérieure de
signes d’appel abdominaux ou la persistance d’un doute
diagnostique doivent conduire à répéter les explorations radiologiques, voire à poser l’indication d’une cœlioscopie
exploratrice.
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