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Livre blanc
systématisé. Près de 1 700 personnes vivent en état dit « pauci-relationnel » (EPR) ou « végétatif
chronique ». Sans autre forme de procès, leur existence découverte dans les dédales d’une actualité
douloureuse incite certains, dans l’effroi, à revendiquer pour eux une « mort dans la dignité »… Faute
d’avoir pris le temps de faire un détour côté vie, auprès des proches de ces personnes ou dans les
établissements qui les accueillent sans donner le sentiment de s’acharner à maintenir abusivement
en vie des mourants. Car c’est bien à des personnes en vie, à des membres de notre cité, certes
en situation de vulnérabilité comme d’autres le sont, que s’adressent ces signes de considération et
d’affection dans le quotidien et la justesse d’un soin digne des principes de respect et de solidarité
que prône notre démocratie.
Le fait même d’avoir à recourir à une désignation comme celle d’« état végétatif chronique » ou
« pauci-relationnel » en dit long, du reste, de notre difculté à se représenter ce que certains ont
décidé d’emblée – sans même avoir tenté une approche ne serait-ce que par sollicitude et an
de mieux comprendre – de considérer insupportable, voire « indigne d’être vécu ». Un médecin
réanimateur les avait même considérées comme des « intermédiaires entre l’animal et l’homme »,
provoquant le 24 février 1986, à la suite d’expérimentations pratiquées sur elles dans des conditions
éthiquement irrecevables, un avis de Comité consultatif national d’éthique, en devoir de préciser : «
Ce sont des êtres humains qui ont d’autant plus droit au respect dû à la personne humaine qu’ils se
trouvent en état de grande fragilité2. »
« La personne malade a droit au respect de sa dignité » : cette référence à la loi du 4 mars 2002
relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé doit s’appliquer de manière
inconditionnelle à toute personne, quelles que soient ses altérations cognitives et l’amplitude de ses
handicaps. Cette même loi précise : « Les professionnels mettent en œuvre tous les moyens à leur
disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. » Ainsi, deux mois après son vote,
une circulaire du ministère chargé de la Santé prescrivait le 3 mai 2002 les conditions de « création
d’unités de soins dédiées aux personnes en état végétatif chronique ou en état pauci-relationnel ».
Le concept de « soins prolongés » y est évoqué en tenant compte de ses spécicités : ils s’adressent
à des personnes « atteintes de maladies chroniques invalidantes avec risque de défaillance des
fonctions vitales, nécessitant une surveillance médicale constante et des soins continus à caractère
technique ». Des professionnels compétents ont su en effet développer au sein des structures
spéciquement dédiées de médecine physique et de réadaptation une expertise indispensable. Le
contexte est certes douloureux, complexe et incertain ; il n’en sollicite que davantage une qualité
d’attention et de retenue tant à l’égard de la personne en état de conscience minimale que de ses
proches.
Affronter les enjeux du point de vue de nos valeurs
Se pose la question du pronostic, lorsqu’à la suite d’un accident vasculaire cérébral ou d’un
traumatisme crânien les séquelles sont susceptibles de compromettre la qualité de vie de la personne
et ses facultés relationnelles. Il serait intéressant d’évaluer dans les pratiques les conséquences
d’évolutions tant législatives que du point de vue de l’imagerie fonctionnelle : cette approche
médicale devrait être réalisée en tenant compte de paramètres ou de déterminants propres à ces
états de handicaps, comme leurs uctuations possibles et l’incidence des conditions mêmes de
réalisation des investigations. Tout semble indiquer cependant que les décisions s’envisageraient
désormais en amont, dans les premières heures, ne serait-ce qu’avec le souci d’éviter l’engrenage
de situations estimées insupportables. Le doute est-il alors favorable à la survie de la personne alors
qu’elle aura rarement anticipé une réalité aussi catastrophique et qu’il est humainement impossible
de se la représenter ? Les proches sont-ils à même d’exprimer un point de vue avéré, alors que
l’impact d’un tel désastre que rien ne permettait d’envisager bouleverse leurs repères et les soumet
à des dilemmes sans véritable issue satisfaisante ? Serait-il possible de dénir un seuil temporel au-
2 « Avis sur les expérimentations sur des malades en état végétatif chronique », Comité consultatif national d’éthique, avis no
7, 24 février 1986.
PRÉFACE