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sabouraud1976

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UN CAS DE LESIONS BILATERALES
DE LA CONVEXITE TEMPORALE:
TENTATIVE DE DEFINITION DES SYMPTOMES
0. Sabouraud,
J.
Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
(Service de Neurologie, Centre Hospitalier de Rennes)
Le cas que nous rapportons n'est peut-etre pas aussi singulier qu'il peut
apparaitre au premier abord.
De tels faits de lesions bilaterales de Ia convexite temporale doivent se
rencontrer avec une certaine frequence. Leur symptomatologie doit pouvoir
s'individualiser, et trouver place en regard de celle des lesions bilaterales
de l'hippocampe, des lesions bi-parietales, ou bi-occipitales.
HISTOIRE
CLINIQUE
Un garc;on de 15 ans (ne le 13.2.1952), apprenti menuisier sans aucun
antecedent pathologique, est victime le 4 juillet 1967 d'un accident de Ia
voie publique: il fait une chute de cyclo-moteur. II presente un coma d'em­
blee et est aussitot transporte a l'Hopital; a !'entree, chez ce patient en
coma vigil et tres agite, on note une anisocorie avec pupille gauche plus
large que Ia droite, il n'existe pas de deficit moteur, les reflexes osteo-tendi­
neux sont normaux et symetriques, le reflexe cutane plantaire est en exten­
sion a droite, indifferent a gauche. II existe, d'autre part, un hematome sous­
cutane temporal posterieur gauche, une otorragie gauche avec issue dans le
conduit auditif de quelques debris, probablement, de matiere cerebrale.
Le 5 juillet, l'etat de conscience du patient est identique, mais appa­
raissent quelques elements nouveaux: une diminution de Ia motilite spon­
tanee du membre inferieur droit; un signe de Babinski bilateral evident;
une raideur de Ia nuque.
Dans Ia nuit du 5 au 6 juillet, l'etat du malade s'aggrave brutalement:
il presente un encombrement broncho-pulmonaire majeur, le pouls s'accelere;
sur le plan neurologique, le deficit moteur droit semble s'accentuer, l'aniso­
corie devenir plus nette. II est transfere dans le service de Neuro-chirurgie.
Sous traitement anti-oedemateux (A.C.T.H.), son etat reste stationnaire
jusqu'au 7 juillet dans l'apres-midi, ou il presente, lors des incitations
Cortex (1976) 12, 154-168.
Lesions bilaterales de la convexite temporale
155
nociceptives, une reaction en extension des deux membres superteurs, pre­
dominant a droite, et a plusieurs reprises, spontanement, des clonies de
l'hemi-face gauche.
Le 9 juiliet, on note une discrete amelioration: l'anisocorie a disparu
et les deux membres superieurs reagissent en flexion au pincement; les clonies.
de Ia face se repetent tantot a droite, tantot a gauche. L'evolution au cours
des jours suivants va etre favorable, les phenomenes .cloniques de Ia face
vont s'espacer puis disparaitre, avec un retour progressif de Ia conscience
a Ia normale; cependant le malade ne parle pas.
Parmi les examens complementaires pratiques, les radiographies du
crane montrent un important trait de fracture temporo-parietal gauche; l'ar­
teriographie carotidienne gauche met en evidence: sur les cliches de face
et de profil un important deplacement des vaisseaux sylviens correspondant
a un volumineux foyer de contusion temporal gauche; un deplacement mo­
dere des vaisseaux medians vers Ia droite; les branches de Ia sylvienne sont
greles, "spasmees."
L'amelioration se poursuit et le malade rentre dans sa familie le 21
aout 1967. De retour dans Ia ferme familiale, son entourage note qu'il
presente de gros troubles du comportement; il n'a aucune activite suivie, se
promene de droite a gauche sans finalite, prend eventuellement sa bicyclette
pour faire un tour sur Ia route sans but precis avec une totale inconscience
du danger. Ses troubles du comportement sont juges d'autant plus curieux
qu'il est inaccessible a tout contact, qu'il ne semble comprendre aucun ordre,
et que son langage est fait d'une emission sonore incomprehensible. De plus,
il presente des acces de colere clastique, devient parfois mena~ant et inquiete
sJ]ffisamment sa familie pour que celle-d demande son placement en milieu
psychiatrique.
, Le 31 aout 1967, il entre dans le service de psychiatrie pour adolescents
bu I'on constate un comportement tres "regressif," avec souvent des attitudes
d'opposition; tout contact verbal est impossible et cette difficulte est mise
sur le compte ci'un trouble de comprehension; apres quelques semaines, on
note Ia possibilite de repeter de courtes phrases et une discrete amelioration
du comportement: le sujet se mele davantage a l'activite du pavilion et suit
parfois fidelement l'une ou !'autre des personnes ayant essaye d'etablir un
contact avec lui.
L'amelioration va se poursuivre sur ce seul plan de la sociabilite; les
troubles du langage, tant sur le plan de Ia comprehension que de l'ernission,
persisteront durant les semaines et mois ulterieurs; apres un certain delai
"d'apprivoisement," il pourra se livrer a quelques travaux menagers de ba­
layage ou de mise en place du couvert dans Ia salle a manger.
Le 1er aout 1968, apres un an d'evolution, un changement de pavilion
est necessaire etant donne l'age du patient. Cette modification de !'entourage
habitue! entraine des manifestations comparabl~s au comportement observe
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0. Sabouraud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
lors de !'admission precedente: attitude regressive, opposition, coleres clasti­
ques. Ce tableau regresse en quelques semaines et il reprend une activite
domestique a l'interieur du nouveau pavilion.
Parallelement a cette evolution clinique, depuis le traumatisme cramen,
plusieurs electroencephalogrammes ont ete pratiques, revelant une dysrythmie
lente avec quelques images de pointes-ondes et pointes-ondes degradees pre­
dominant dans la region temporale gauche, mais interessant !'ensemble du
scalp; cet aspect de l'electroencephalogramme justifia une therapeutique bar­
biturique (Phenobarbital 10 cg par jour) assode a la Diphenylhydantoine
(10 cg par jour). En outre, depuis son entree dans les services psychiatriques,
le patient a rec;u un traitement neuroleptique (Levomepromazine 60 mg par
jour, Haloperidol 1 mg par jour). Durant le dernier trimestre 1968, le
trace electroencephalographique revele une aggravation de la dysrythmie, et
le 24 janvier 1969 survient une premiere crise d'epilepsie qui justine son
passage dans le service de Neurologie.
A cette epoque, le syndrome neurologique assode des sequelles paralyti­
ques et des troubles des fonctions superieures que nous allons analyser.
( 1) Les sequelles paralytiques rassemblent: une paralysie faciale centrale
droite, avec hemianopsie laterale homonyme droite, diagnostiquee par !'ab­
sence de clignement palpebral a la menace; une paralysie du ner£ moteur
oculaire externe du cote gauche; une discrete dysarthrie paralytique.
(2) Les troubles des fonctions superieures portent ala fois sur le langage,
les activites pratiques et le comportement social.
Attitudes et activites spontanees du patient
Livre a lui-meme, il presente ce qui pourrait etre decrit semiologiquement
comme une instabilite psycho-motrice avec des phases d'inertie et d'autres
d'activite brouillonne, sans but, changeante; il se promene d'un endroit a
un autre, paraissant observer dec;i-dela l'activite en cours, mais sans y
participer. Par moments, il a des acces durant lesquels il deambule rapide­
ment en proferant une emission sonore inarticulee et ininterpretable. II fume
beaucoup, capable d'allumer lui-meme ses cigarettes; il mange seul et cor­
rectement; il s'occupe lui-meme de sa toilette et de son habillement; ses
conduites sphincteriennes sont normales.
Fonctions de communication
Elles sont dominees par des manifestations en "echo" et peuvent s'ana­
lyser sur les divers plans de la communication orale, ecrite ou gestuelle.
Lesions bilaterales de la convexite temporale
157
(1) Communication orale
Son langage est inexistant (quelques jurons). Apres un temps conside­
rable d'entrainement et dans des situations tres de:finies, il est devenu ca­
pable de dire "bonjour" et parfois "merci." Le reste de son emission sonore
spontanee est fait d'une suite de sons trop peu differencies pour etre indivi­
dualisables comme des phonemes modifies par une dysarthrie paralytique
qui existe mais demeure moderee.
Sur commande orale, il n'est pas capable de comprendre quelque ordre
que ce soit, aussi simple soit-il; les consignes qu'il execute ne peuvent etre
simplement verbales, mais doivent s'inserer dans un contexte pratique: le
balai pour balayer, le couvert pour mettre la table (d'autres patients effec­
tuant souvent simultanement le meme travail). Si une consigne lui est don­
nee hors de propos, il ebauche !'execution d'un ordre anterieur donne dans
des circonstances identiques: par exemple, si au cours de l'examen on lui
demande d'effectuer un ordre quelconque, il semble comprendre qu'il est
question d'une consigne, qu'il doit faire quelque chose et il prend even­
tuellement un crayon et un papier etant donne la frequence avec laquelle il
lui est demande de dessiner lors des visites du personnel medical; la situa­
tion generale semble done saisie mais le contenu linguistique de la com­
mande absolument meconnu. Des images et des objets etant devant lui, il
ne peut les identifier sur commande en les montrant du doigt, et les indique
les uns apres les autres jusqu'a un acquiescement de la part de l'examinateur.
La repetition par contre est parfaite, les ordres memes sont repetes dans
leur entier plutot qu'executes; la phonation est discretement modi:fiee par la
dysatthrie paralytique, mais on obtient une repetition servile pour une lon­
gueur de phrase ne depassant pas 6 a 8 mots; les erreurs grammaticales
ne 1sont pas corrigees; les mots imperatifs d'une consigne sont repetes.
I II est demeure definitivement impossible d'utiliser cette repetition pour
une reeducation au niveau le plus elementaire; avec un stock d'objets limite,
toujours les memes, il n'a jamais ete possible, malgre un entrainement patient
et prolonge, d'obtenir que le malade, soit montre du doigt l'objet nomme
par l'examinateur, soit nomme l'objet montre par l'examinateur. La seule
performance est toujours restee la repetition en echo.
Lors d'un essai de langage etranger (anglais), les phonemes eux-memes
ne sont pas repetes, mais !'ensemble melodique de la phrase a ete imi­
te. II en est de meme si une phrase fran«;:aise depasse 8 mots, le reste etant
melodiquement imite sur un ton soit interrogatif, soit reprobatif, soit chan­
tonnant, selon la version utilisee par l'interlocuteur. Cette tendance a la
repetition en echo est constante dans la relation duelle d'un entretien, dis­
paraissant des que l'on ne s'adresse plus au malade lui-meme. Le patient ne
continue pas un texte connu anterieurement, tel que celui d'une fable simple
qu'il avait apprise a !'ecole, mais s'arrete la ou l'examinateur s'est arrete,
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0. Sabouraud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
de meme pour la serie des chiffres et la serie des lettres; !'incitation
tinuer est simplement repetee comme telle.
a con­
(2) Au niveau du langage ecrit, le meme type de semiologie est constate:
aucune comprehension d'un ordre, si simple soit-il;
aucune identification, il ne pose pas les etiquettes sur les images;
une remarquable copie servile dans le graphisme: les fantaisies volon­
tairement introduites par l'examinateur aussi bien dans le graphisme que
dans l'orthographe, sont servilement et rapidement reproduites. Les mots
approchant de son propre nom de famille sont copies sans hesitation. Ce
phenomene de la copie intervient des que le langage ecrit est utilise au
meme titre que la repetition orale au niveau de la communication verbale.
Les formes graphiques aleatoires (courbes, spirales, ... ) sont egalement
servilement reproduites au meme titre que les dessins plus elabores faisant
intervenir des notions spatiales (cubes, maison) (Figure 1).
Le langage ecrit ne donne lieu a aucune verbalisation mais le fait de
lire devant lui un texte, de lui confier le texte ensuite entraine un mime­
tisme de l'acte de lire avec une emission sonore, inqualifiable, mais modulee
par le ton general de la phrase anterieurement lue par l'examinateur. II n'uti­
lise jamais l'ecriture de fac;on spontanee comme moyen de communication.
(3) Un autre type de manifestation "en echo" apparait lors des entre­
tiens, a savoir un mimetisme gestuel, exceptionnel dans sa rapidite, dans son
exactitude, et constituant un reel handicap dans toute consigne invigoree a
l'aide de gestes: le patient se contente d'imiter, et les gestes, et la mimique,
sans passer a !'execution. II faut noter qu'aussi bien au niveau de la face,
qu'au niveau des membres, le geste fait par l'examinateur est reproduit par
le patient sans phenomene de miroir.
Fonctions praxiques
Etant donnee !'importance du mimetisme, l'etude des fonctions praxiques
ne peut etre deduite que de !'observation lors de l'activite spontanee ou
lors de l'activite en atelier d'ergotherapie.
Dans les activites de la vie quotidiennes, le patient peut se vetir, se
servir normalement d'instruments simples necessaires au repas, se servir
d'un briquet ou d'allumettes pour allumer ses cigarettes, se servir d'un
balai, etc ... Cependant en atelier, on assiste a un trouble dans l'usage des
outils: pour enfoncer une pointe, il tape correctement d'abord, puis n'im­
porte comment et surtout n'importe ou, les gestes desordonnes pouvant
devenir dangereux: pour taper il peut utiliser n'importe quel objet et pas
seulement le marteau; il "barbouille" avec un pinceau, mais doit etre double
par un autre peintre qui reprend et ameliore le badigeon; il reproduit hors
159
Lesions bilaterales de la convexite temporale
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Copie de dessins et de mots. Les dessins avec l'asterisque sont les modeles.
de propos des gestes qu'il a vu faire: mettre en route une scie a ruban
en appuyant sur le bouton sans tenir compte des eventuels risques d'une telle
initiative intempestive.
Fonctions mnesiques
Diverses observations permettent d'avoir un aperc;u de leur conserva­
tion:
- lors des permissions dans la ferme familiale, le patient s'oriente bien,
- lors des tests ou des tentatives de reeducation, si on lui presente
un modele a copier et qu'ill'a deja realise dans le passe, au lieu de l'executer
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0. Sabouraud, ], Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
servilement, il cherche dans les pages de son cahier, ou bien meme il se
leve et va chercher dans un tiroir le dessin qu'il a fait plusieurs jours au­
paravant.
En. ce qui concerne les personnes, il manifeste une distinction entre les
familiers et les non-familiers, les amis et les surveillants charges de la di­
scipline. Mais la distinction ne vas pas au-dela, et la reaction est identique,
vis-a-vis des membres de la famille, des infirmieres et infirmiers, mededns,
etc ... sans aucune nuance permettant de supposer qu'il differencie les roles
et les places des personnes.
En resume, on peut assimiler assez largement le comportement de ce
patient a celui d'un animal domestique, avec une abolition des fonctions
superieures qui ont laisse la place a des phenomenes de mimetisme ou de
"reactions en echo," aussi bien dans le langage que dans les gestes.
Sur le plan evolutif, il est interessant de constater que cette symptomato­
logie a ete notee des les premieres observations dans le service de psychiatrie
infantile, et que durant toute la periode de survie du malade (5 ans) on
peut la considerer comme stationnaire.
Par contre, !'evolution de l'epilepsie apparue en janvier 1969 s'est faite
sur un mode aggravatif, tant sur le plan electrique, que sur le plan des
manifestations cliniques, tantot a type de simples suspensions de conscience
tantot a type de crises generalisees: celles-ci sont devenues de plus en plus
frequentes durant le mois de decembre 1971, et le patient est decede en
janvier 1972 d'un etat de mal irreversible. L'encephalographie gazeuse de
1969 avait montre une dilatation isotee de la corne temporale gauche.
DESCRIPTION ANATOMIQUE DES LESIONS
Etant donne !'interet et la particularite de la semiologie clinique, le
cerveau a ete technique en coupes seriees pour permettre une etude neuro­
anatomique precise. 1 Nous en decrirons d'abord les lesions macroscopique­
ment visibles dont le caractere bien limite nous a conduits a entreprendre
cette preparation; puis nous envisagerons les donnees obtenues par les colo­
rations myeliniques (Loyez) et les colorations cytologiques (Cresyl Violet)
pour tenter d'obtenir un bilan anatomique des lesions primaires et des lesions
de degenerescence secondaire.
Description macroscopique
A !'inspection du cerveau fixe, celui-ci parait normal, mises a part deux
lesions interessant les deux lobes temporaux; il n'y a pas d'engagement, ni
1 Nos remerciements vont au Dr. Yakovlev qui .a bien voulu que ce materiel soit technique
dans son laboratoire a Ia Southard Unit of Brain Research, Harvard Medical School.
Lesions bilaterales de la convexite temporale
161
des amygdales cerebelleuses, ni de la 5eme circonvolution temporale. II n'y
a ni dilatation des sillons, ni aplatissement des circonvolutions.
Au niveau du lobe temporal droit, il existe deux lesions:
- l'une de 1,5 cm2 interessant le tiers posterieur de la circonvolution
temporale superieure avant sa jonction avec la circonvolution supra-marginale;
- l'autre interessant !'ensemble du tiers moyen de la circonvolution
temporale moyenne, affleurant la berge superieure de la circonvolution tem­
porale inferieure.
Elles ont l'une et l'autre l'aspect de "plaques jaunes," plaques cicatri­
cielles d'une contusion hemorragique. Un discret halo "rouille" entoure les
lesions sur quelques millimetres.
Au niveau de !'hemisphere gauche, la lesion est plus etendue, interessant:
- la partie posterieure du tiers anterieur, !'ensemble du tiers moyen,
et Ia partie la plus inferieure du tiers posterieur de Ia circonvolution tempo­
rale moyenne;
- le tiers moyen et Ia partie anterieure du tiers posterieure de la
circonvolution temporale inferieure, la lesion affleurant la berge externe du
lobe fusiforme.
L'aspect de Ia lesion est identique a celui du cote oppose, mais parait
beaucoup plus excave, semblant s'enfoncer en son centre jusqu'a la paroi
ventriculaire; on note de petites zones de pigmentation ocre a Ia jonction
temporo-occipitale et sur Ia berge inferieure de Ia circonvolution temporale
superieure.
Macroscopiquement, cette lesion hemispherique gauche epargne Ia circon­
volution temporale superieure, sa jonction avec Ia circonvolution supra-mar­
girtale, le pli courbe.
Etude
a la
Ioupe binoculaire des colorations myeliniques de Loyez
Cette etude permet de preciser Ia topographie des lesions de contusion
proprement dite et des zones de demyelinisation secondaire.
(A) Les lesions traumatiques de contusion cerebrate
(1) Hemisphere droit:
(a) lesions corticales:
- Ia lesion corticale de la circonvolution temporale superieure est aussi
bien limitee que le laissait supposer Ia macroscopie; · elle interesse I'en­
semble de l'epaisseur du ruban cortical et realise une lacune recouverte a
Ia superficie par la membrane piale epaissie et tatouee de pigments hema­
tiques (Figure 2: A-1360-1560);
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0. Saboutaud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
la lesion de la circonvolution temporale moyenne interesse egalement
!'ensemble du ruban cortical, en regard de sa surface visible, les berges supe­
rieure et inferieure de cette drconvolution n'etant pas lesees (Figure 2:
B-1360-1560).
(b) lesions de la substance blanche sous-jacente:
-
il existe une paleur myelinique globale de la substance blanche du
lobe temporal. Cette paleur depasse celle habituellement trouvee chez les
temoins de meme age. Elle n'est que partielle, et il est possible d'y indivi­
dualiser deux faisceaux de demyelinisation beaucoup plus nets en provenance
des zones corticales detruites (Figure 2: C1 1360 - C2 1560); celui qui est
secondaire a la lesion de la circonvolution temporale superieure peut etre suivi
jusque dans la region laterale du thalamus (Figure 2: C2 1560). La bandelette
undnee demeure bien myelinisee.
K
Fig. 2 - Topographie des lesions sur des coupes frontales du cerveau au niveau des
tubercules mamillaires (1360) et des corps genouilles lateraux (1560).
Usions biiaterales de la convexit~ temporale
16.3
(2) Hemisphere gauche:
(a) les lesions corticales sont plus etendues qu'elles n'apparaissaient a
1'examen macroscopique:
- dans la region la plus Iesee au milieu du tiers moyen du lobe tempo­
ral (Figure 2: D 1560), le lobe fusiforme est touche dans sa berge externe
(Figure 2: E 1560), et la berge inferieure de la circonvolution temporale
superieure est egalement interessee (Figure 2: F 1560). La lesion s'etend
en profondeur jusqu'a la cavite ventriculaire detruisant toute la substance
blanche;
- d'autres lesions corticales sont retrouvees, plus circonscrites: a la
jonction de la circonvolution temporale superieure avec Ia circonvolution
supra-marginale; au niveau de la 2eme circonvolution occipitale; au niveau
de la partie anterieure de la longue circonvolution insulaire en arriere et en
bas du sillon central de !'insula (Figure 2: H 1360).
(b) les lesions de demyelinisation secondaires a ces foyers de contusion
cerebrale interessent:
- !'ensemble des fibres optiques constituant la boucle de Meyer qu'il
est possible de suivre jusqu'a la circonvolution calcarine (Figure 3:
I 2260-2480);
- le faisceau longitudinal inferieur, entierement detruit (Figure ~:
J 2260-2480);
- !'ensemble de Ia substance blanche parieto-occipitale gauche;
..,....- les fibres de Ia commissure anterieure.
~I faut noter que la substance blanche de Ia circonvolution temporale
est lesee dans sa partie inferieure (Figure 2: K 1360-1560) et que
toute Ia berge superieure et en particulier la circonvolution auditive interne
sont relativement epargnees et donnent naissance a des fibres myelinisees ou
en re~oivent.
- le faisceau fronto-occipital et le faisceau arque sont normaux.
sup~rieure
(B) A cote de ces lesions corticales de contusion proprement dite, et myeli­
niques de degenerescence secondaire, on note, seulement au niveau de !'he­
misphere gauche, un autre type de lesion a type de necrose tres localisee
en region peri-ventriculaire ou sous-corticale:
- en region peri-ventriculaire, il existe trois lesions: l'une a l'angle de la
corne frontale au-dessus du noyau caude; l'autre sur le plan de la coupe
passant par les noyaux rouges, juste au-dessus et en-dehors de l'angle supe­
rieur du corps ventriculaire; la derniere au-dessus de la corne occipitale
(Figure 3: L 2260 ). Celle-d plus etendue prend a son compte une grande
partie de la demyelinisation des fibres parieto-occipitales;
164
0. Sabouraud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
2260
2480
Fig. 3 - Topographie des lesions bemispheriques gauches sur' des coupes frontales en
arriere du splenium du corps calleux (2260) et en arriere de la carne occipitale (2480).
- en sous-corticale, on note trois foyers de necrose laminaire au niveau
des fibres en U: dans la circonvolution frontale moyenne; dans la circon­
volution du pli courbe (Figure 3: M 2480); dans la partie posterieure de la
circonvolution temporale moyenne (Figure 3: N 2480 ).
Nous aurions tendance a retenir ces foyers de demyelinisation comme
secondaires a des phenomenes de necrose ischemique survenus dans les suites
de }'accident initial; cette hypothese est renforcee par l'aspect grele et spasme
des vaisseaux sylviens lors de l'arteriographie.
(3) L'examen des colorations cytologiques par le Cresyl Violet sous mi­
croscope.
L' etude sous microscope a permis de preciser:
- d'une part des lesions corticales discretes non visibles
loupe binoculaire;
a la
simple
Lesions bilaterales de la convexite temporale
165
- et d'autre part les zones de degenerescence cellulaire retrograde.
Pour les premieres, l'etude analytique de leur localisation precise ne
presente pas un gros interet; il existe un nombre limite d'infarcissements
tres localises du ruban cortical des regions parieto-temporales et parieto­
occipitales de !'hemisphere gauche. Ces lesions correspondent vraisemblable­
ment a des arrachements de petits vaisseaux d'origine piale a distribution
intracorticale, lors du traumatisme. Elles sont assez limitees pour ne pas
donner naissance a des faisceaux de demyelinisation au niveau de la subs­
tance blanche, mais interviennent dans la paleur globale de celle-d.
Les zones de degenerescence cellulaire retrograde interessent essentielle­
ment deux formations:
- le corps genouille lateral gauche qui presente une perte cellulaire
importante dans sa moitie la plus laterale; il s'agit la de la degenerescence
retrograde des neurones qui donnent naissance aux fibres visuelles cons­
tituant la partie des radiations optiques interessees dans la boucle de Meyer;
- le noyau externe du pulvinar gauche ou la perte cellulaire est rela­
tivement moderee, mais certaine par examen comparatif avec le noyau lateral
du pulvinar du cote droit.
De plus, il faut souligner que le secteur de Sommer est intact des deux
cotes, que les coupes du tronc cerebral ne revelent pas de lesion (mais
cette partie du cerveau n'a pas ete techniquee en coupes seriees et la region
du noyau du VI n'a pu etre etudiee), qu'aucune lesion precise ne peut etre
retenue pour rendre compte de la dysarthrie paralytique.
CoMMENTAIRES
L'interet de ce cas nous a paru resider dans le contraste entre les lesions,
relativement limitees, et le tableau clinique, que plusieurs observateurs n'a­
vaient pas hesite a qualifier les uns de demence, les autres de psychose. Ce
contraste pose la question du role de quelques secteurs-cles du cortex cerebral
des deux hemispheres dans le fonctionnement des capacites fondatrices des
comportements les plus specifiquement humains. Le caractere localise des
lesions engage a discuter la nature des symptomes observes.
Cliniquement le cas AMI... se singularise par la conservation de capacites
de memoire, qui se manifestent malgre les troubles du langage (pas de recit),
de l'activite pratique (pas de technique), de Ia structuration sociale (peu
ou pas de difference entre les personnes ). Mais il demeure une familiarite
qui s'acquiert vis-a-vis de !'entourage et qui se maintient avec les annees;
il y a des taches et des habitudes quotidiennes qui s'installent; il y a surtout
une reconnaissance du deja-vu, du deja-fait, du deja-vecu.
A !'oppose l'atteinte du langage est totale, massive, inaccessible a toute
166
0. Sabouraud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
recuperation, situation rare chez les aphasiques, et particulierement chez
les traumatiques et les jeunes. Fait remarquable, la reception du langage
est globalement atteinte et jamais le patient n'a retrouve la>possibilite d'iden­
tifier un objet nomme par l'examinateur.
Or elle ne correspond pas a des lesions specialement etendues des zones
du langage. Les connexion de la zone de Wernicke sont atteintes, !'insula
presente des lesions peu etendues et ce bilan explique insuffisamment !'abo­
lition irreversible du langage.
Le deficit observe n'est pas seulement aphasique et nous voudrions mettre
!'accent sur le trouble considerable qui interesse la manipulation des objets.
Pour le decrire, il parait essentiel de separer, a la suite de Denny-Brown
(1963, 1965), la dexterite de la technique. Notre patient (qui fut apprenti
menuisier) n'a jamais ete capable de differencier le maniement des outils dans
un atelier; il est teste limite a des activites immediates telles que taper
(avec n'importe quoi), frotter, laver, badigeonner grossierement; aucune ini­
tiative de dessin personnel n'est jamais reparue. Ceci contraste avec la pre­
cision dans la copie servile, dans !'execution "en echo" des gestes imites
(gestes rapportes au corps, gestes a deux mains ... ), precision qui le diffe­
rencie des apraxies dites ideo-matrices.
A titre d'hypothese, nous proposons de considerer que les capacites at­
teintes sur ce plan concernent le recours a un systeme d'outils, systeme
structure capable de decouper l'activite pratique et d'en organiser le derou­
lement. Cette notion opposerait !'instrument, immediat, utilisant ce qui
tombe sous la main, et l'outil participant a un systeme de mediatisation au
meme titre que la langue mediatise la representation. Cette opposition peut
donner un nouveau contenu a la distinction classique entre l'apraxie ideo­
motrice et l'apraxie ideatoire, que Morlaas (1928) designait comme une
"agnosie d'utilisation."
En introduisant l'idee d'une atteinte des capacites indispensables au fonc­
tionnement d'un systeme d'outils, on peut suggerer que cette atteinte s'ajoute
a l'aphasie pour compromettre la possibilite d'analyse, et que l'incapacite
plus large et plus profonde ainsi creee n'est pas etrangere au trouble majeur
d'identification des objets comme a l'impossibilite de recuperer un langage.
En confrontant une telle interpretation avec les donnees anatomiques on peut
retenir deux points:
- l'atteinte de la convexite temporale gauche dont les rapports avec la
mediatisation technique sont suggeres par diverses observations recueillies
chez les aphasiques (De Renzi, Pieczuro and Vignola, 1968 );
- l'atteinte bilaterale de la convexite temporale qui pourrait expliquer
la gravite et le caractere irreversible de la reduction de capacites.
Apres cette analyse des deficits peut s'amorcer une discussion des phe­
nomenes d'echo - echographie, echopraxie - si frappants chez notre
malade. L'echolalie et l'echographie ont fait l'objet d'importantes contribu­
Lesions bilaterales de la convexite temporale
167
tions avec Pick (1924), Stengel (1947), Denny-Brown (1963, 1965), dont
nous pouvons retenir que les phenomenes d'echo ne surviennent que sur la
ruine complete du langage, et ceci chez des sujets qui ont, avant leur lesion
cerebrale, maitrise le langage. Tout se passe comme si le developpement
du systeme de mediation linguistique avait suscite le developpement de perfor­
mances physiologiques perfectionnees, capables de fonctionner en un court­
circuit sensori-moteur lorsque et uniquement lorsque - les capacites
d'analyse, qui constituent la langue comme systeme, sont abolies. 2
La meme approche est transposable a l'echopraxie: sous reserve d'une
conservation de la dexterite, l'echopraxie peut etre representee comme un
court-circuit sensori-moteur, chez un sujet ayant anterieurement maitrise un
systeme d'outils et prive des capacites d'analyse technique.
RESUME
Le cas anatomique d'un gar~on de 15 ans ayant installe du fait d'un trauma­
tisme cranio-cerebral des lesions bilaterales de la convexite temporale et decede
apres 5 ans d'evolution stationnaire, est rapporte.
Le tableau clinique n'est correctement decrit ni sous le terme de demence,
ni sous celui d'aphasie. La notion d'une abolition des systemes de mediation cul­
turelle (linguistique, technique) est introduite. La place de l'echolalie et de l'echo­
praxie est discutee.
SuMMARY
The case is reported of a boy aged 15 who suffered a bilateral lesion of
temporal convexity after a brain traumatism; he died 5 years later and the
symptoms during that period are described.
The clinical picture is adequately described neither under the title of dementia,
nor under that of aphasia. The concept of an abolition involving the systems of
cultural mediation (linguistic, technical) is introduced. The stat\J,s of echolalia and
echo-praxia is discussed.
BIBLIOGRAPHIE
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Dynamic Neurology, ed by L. Halpern, Jerusalem.
(1965) Physiological aspects of disturbances of speech, "]. Exp. Bioi. Med. Sci.," 43,
455-474.
2 Pour une discussion serieuse de l'echolalie, il faudrait considerer en detail !'observation
de Geschwind, Quadfasel et Segarra (1968), d'un isolement des "zones du langage." Ce cas,
ou l'echolalie s'associe a Ia conservation de reponses toutes faites, banalites et slogans, avec
abolition de tout enonce et de toute identification des objets nommes, est trop eloigne du
cas que nous rapportons pour que nous puissions l'introduire dans ce commentaire.
168
0. Sabouraud, ]. Gagnepain, M. Chatel et F. Menault
DE RENZI, E., PrECZURO, A., et VrGNOLO, L.A. (1968) Ideational apraxia: a quantitative study,
"Neuropsychologia," 6, 41-52.
GESCHWIND, N., QuADFASEL, F.A., and SEGARRA, J.M. (1968) Isolation of speech area, "Neuro­
psychologia," 6, 327-340.
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PrcK, A. (1924) On the pathology of echographia, "Brain," 47, 417-429.
STENGEL, E. (1947) A clinical and psychological study of echo reactions, "J. Ment. Sci.,"
93, 598-612.
a
Dr. Olivier Sabouraud, Professeur de Neurologie, H6pital de Pontchaillou, rue Henri Le Guilloux, 35011 Rennes
CEDEX, France.
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