sabouraud1976

Telechargé par Manal C
UN
CAS
DE LESIONS BILATERALES
DE
LA
CONVEXITE TEMPORALE:
TENTATIVE DE DEFINITION DES SYMPTOMES
0.
Sabouraud,
J.
Gagnepain,
M.
Chatel et F. Menault
(Service de Neurologie, Centre Hospitalier de Rennes)
Le
cas
que nous rapportons n'est peut-etre pas aussi singulier qu'il peut
apparaitre
au
premier abord.
De tels faits de lesions bilaterales de
Ia
convexite temporale doivent
se
rencontrer
avec
une certaine frequence. Leur symptomatologie doit pouvoir
s'individualiser, et trouver place en regard de celle des lesions bilaterales
de
l'hippocampe, des lesions bi-parietales, ou bi-occipitales.
HISTOIRE
CLINIQUE
Un
garc;on
de
15
ans (ne le 13.2.1952), apprenti menuisier sans aucun
antecedent pathologique, est victime le 4 juillet 1967 d'un accident de
Ia
voie publique: il fait une chute de cyclo-moteur. II presente un coma d'em-
blee et est aussitot transporte a l'Hopital; a !'entree, chez
ce
patient en
coma vigil et tres agite, on note une anisocorie
avec
pupille gauche plus
large que
Ia
droite, il n'existe pas de deficit moteur, les reflexes osteo-tendi-
neux sont normaux et symetriques, le reflexe cutane plantaire est en exten-
sion adroite, indifferent agauche. II existe, d'autre part, un hematome
sous-
cutane temporal posterieur gauche, une otorragie gauche
avec
issue dans le
conduit auditif de quelques debris, probablement,
de
matiere cerebrale.
Le
5 juillet, l'etat de conscience du patient est identique, mais appa-
raissent quelques elements nouveaux: une diminution de
Ia
motilite spon-
tanee du membre inferieur droit; un signe de Babinski bilateral evident;
une raideur de
Ia
nuque.
Dans
Ia
nuit du 5 au 6 juillet, l'etat du malade s'aggrave brutalement:
il presente un encombrement broncho-pulmonaire majeur, le pouls s'accelere;
sur le plan neurologique, le deficit moteur droit semble s'accentuer, l'aniso-
corie devenir plus nette. II est transfere dans le service de Neuro-chirurgie.
Sous
traitement anti-oedemateux (A.C.T.H.), son etat reste stationnaire
jusqu'au 7 juillet dans l'apres-midi, ou
il
presente, lors des incitations
Cortex (1976)
12,
154-168.
155
Lesions bilaterales de
la
convexite temporale
nociceptives, une reaction en extension des deux membres superteurs, pre-
dominant a droite, et a plusieurs reprises, spontanement, des clonies de
l'hemi-face gauche.
Le
9 juiliet, on note une discrete amelioration: l'anisocorie a disparu
et les deux membres superieurs reagissent en flexion
au
pincement; les
clonies.
de
Ia
face
se
repetent tantot a droite, tantot a gauche. L'evolution
au
cours
des jours suivants va etre favorable, les phenomenes . cloniques de
Ia
face
vont s'espacer puis disparaitre, avec un retour progressif de
Ia
conscience
a
Ia
normale; cependant le malade ne parle pas.
Parmi les examens complementaires pratiques, les radiographies du
crane montrent un important trait de fracture temporo-parietal gauche; l'ar-
teriographie carotidienne gauche met en evidence: sur
les
cliches de
face
et de profil un important deplacement des vaisseaux sylviens correspondant
a un volumineux foyer de contusion temporal gauche; un deplacement
mo-
dere des vaisseaux medians vers
Ia
droite;
les
branches de
Ia
sylvienne sont
greles, "spasmees."
L'amelioration
se
poursuit et le malade rentre dans
sa
familie le
21
aout 1967. De retour dans
Ia
ferme familiale, son entourage note qu'il
presente de gros troubles du comportement; il n'a aucune activite suivie,
se
promene de droite agauche sans finalite, prend eventuellement
sa
bicyclette
pour faire un tour sur
Ia
route sans but precis
avec
une totale inconscience
du danger.
Ses
troubles du comportement sont juges d'autant plus curieux
qu'il est inaccessible atout contact, qu'il ne semble comprendre aucun ordre,
et que son langage est fait d'une emission sonore incomprehensible. De plus,
il
presente des
acces
de colere clastique, devient parfois
mena~ant
et inquiete
sJ]ffisamment
sa
familie pour que celle-d demande son placement en milieu
psychiatrique.
,
Le
31
aout 196 7, il entre dans le service de psychiatrie pour adolescents
bu
I'
on constate un comportement tres "regressif,"
avec
souvent des attitudes
d'opposition; tout contact verbal est impossible
et
cette difficulte est mise
sur le compte ci'un trouble de comprehension; apres quelques semaines, on
note
Ia
possibilite de repeter de courtes phrases et une discrete amelioration
du comportement: le sujet
se
mele davantage al'activite du pavilion et suit
parfois fidelement l'une ou !'autre des personnes ayant essaye d'etablir un
contact avec lui.
L'amelioration
va
se
poursuivre sur
ce
seul plan de la sociabilite; les
troubles du langage, tant sur le plan de
Ia
comprehension que de l'ernission,
persisteront durant les semaines et
mois
ulterieurs; apres un certain delai
"d'apprivoisement," il pourra
se
livrer aquelques travaux menagers de
ba-
layage ou de mise en place du couvert dans
Ia
salle amanger.
Le
1er aout 1968, apres un an d'evolution,
un
changement de pavilion
est necessaire etant donne l'age du patient. Cette modification de !'entourage
habitue! entraine des manifestations
comparabl~s
au comportement observe
156
0.
Sabouraud, ]. Gagnepain,
M.
Chatel et
F.
Menault
lors de !'admission precedente: attitude regressive, opposition, coleres clasti-
ques.
Ce
tableau regresse en quelques semaines et il reprend une activite
domestique a l'interieur du nouveau pavilion.
Parallelement a cette evolution clinique, depuis le traumatisme cramen,
plusieurs electroencephalogrammes ont ete pratiques, revelant une dysrythmie
lente
avec
quelques images de pointes-ondes et pointes-ondes degradees pre-
dominant dans la region temporale gauche, mais interessant !'ensemble du
scalp; cet aspect de l'electroencephalogramme justifia une therapeutique bar-
biturique (Phenobarbital 10
cg
par jour) assode a la Diphenylhydantoine
(10
cg
par jour). En outre, depuis son entree dans les services psychiatriques,
le patient a
rec;u
un traitement neuroleptique (Levomepromazine 60
mg
par
jour, Haloperidol 1
mg
par jour). Durant le dernier trimestre 1968, le
trace electroencephalographique revele une aggravation de la dysrythmie, et
le 24 janvier 1969 survient une premiere crise d'epilepsie qui justine son
passage dans le service de Neurologie.
A cette epoque, le syndrome neurologique assode des sequelles paralyti-
ques et des troubles des fonctions superieures que nous allons analyser.
(1)
Les sequelles paralytiques rassemblent: une paralysie faciale centrale
droite, avec hemianopsie laterale homonyme droite, diagnostiquee par !'ab-
sence de clignement palpebral a la menace; une paralysie du
ner£
moteur
oculaire externe du cote gauche; une discrete dysarthrie paralytique.
(2)
Les troubles des fonctions superieures portent
ala
fois sur le langage,
les activites pratiques et le comportement social.
Attitudes et activites spontanees du patient
Livre alui-meme, il presente
ce
qui pourrait etre decrit semiologiquement
comme une instabilite psycho-motrice
avec
des phases d'inertie et d'autres
d'activite brouillonne, sans but, changeante;
il
se
promene d'un endroit a
un autre, paraissant observer
dec;i-dela
l'activite en cours, mais sans y
participer. Par moments, il a des
acces
durant lesquels
il
deambule rapide-
ment en proferant une emission sonore inarticulee et ininterpretable. II fume
beaucoup, capable d'allumer lui-meme
ses
cigarettes;
il
mange seul et
cor-
rectement; il s'occupe lui-meme de
sa
toilette et de son habillement;
ses
conduites sphincteriennes sont normales.
Fonctions de communication
Elles sont dominees par des manifestations en "echo" et peuvent s'ana-
lyser sur
les
divers plans de la communication orale, ecrite ou gestuelle.
157
Lesions bilaterales
de
la
convexite temporale
(1) Communication
orale
Son langage est inexistant (quelques jurons). Apres un temps conside-
rable d'entrainement et dans des situations tres
de:finies,
il est devenu
ca-
pable de dire "bonjour"
et
parfois "merci."
Le
reste de son emission sonore
spontanee est fait d'une suite de sons trop peu differencies pour etre indivi-
dualisables comme des phonemes modifies par une dysarthrie paralytique
qui existe mais demeure moderee.
Sur commande orale, il n'est pas capable de comprendre quelque ordre
que
ce
soit, aussi simple soit-il; les consignes qu'il execute ne peuvent etre
simplement verbales, mais doivent s'inserer dans un contexte pratique: le
balai pour balayer, le couvert pour mettre la table (d'autres patients
effec-
tuant souvent simultanement le meme travail).
Si
une consigne lui est don-
nee hors de propos, il ebauche !'execution d'un ordre anterieur donne dans
des circonstances identiques: par exemple,
si
au
cours de l'examen on lui
demande d'effectuer un ordre quelconque, il semble comprendre qu'il est
question d'une consigne, qu'il doit faire quelque chose
et
il prend even-
tuellement un crayon et un papier etant donne la frequence
avec
laquelle
il
lui est demande de dessiner lors des visites du personnel medical; la situa-
tion generale semble done saisie mais le contenu linguistique de la
com-
mande absolument meconnu. Des images et des objets etant devant lui,
il
ne peut les identifier sur commande en
les
montrant du doigt,
et
les indique
les uns apres les autres jusqu'a un acquiescement de la part de l'examinateur.
La
repetition par contre est parfaite,
les
ordres memes sont repetes dans
leur entier plutot qu'executes; la phonation est discretement
modi:fiee
par la
dysatthrie paralytique, mais on obtient une repetition servile pour une lon-
gueur de phrase ne depassant pas 6 a 8 mots; les erreurs grammaticales
ne
1sont
pas corrigees; les mots imperatifs d'une consigne sont repetes.
I II est demeure definitivement impossible d'utiliser cette repetition pour
une reeducation
au
niveau le plus elementaire;
avec
un stock d'objets limite,
toujours
les
memes, il n'a jamais ete possible, malgre un entrainement patient
et prolonge, d'obtenir que le malade, soit montre du doigt l'objet nomme
par l'examinateur, soit nomme l'objet montre par l'examinateur. La seule
performance est toujours restee
la
repetition en echo.
Lors d'un essai de langage etranger (anglais), les phonemes eux-memes
ne sont pas repetes, mais !'ensemble melodique de la phrase a ete
imi-
te. II en est de meme
si
une phrase
fran«;:aise
depasse 8 mots, le reste etant
melodiquement imite sur un ton soit interrogatif, soit reprobatif, soit chan-
tonnant, selon la version utilisee par l'interlocuteur. Cette tendance a la
repetition en echo est constante dans la relation duelle d'un entretien,
dis-
paraissant des que l'on ne s'adresse plus
au
malade lui-meme. Le patient ne
continue pas un texte connu anterieurement, tel que celui d'une fable simple
qu'il avait apprise a !'ecole, mais s'arrete
la
ou l'examinateur s'est arrete,
158
0.
Sabouraud,
].
Gagnepain,
M.
Chatel et
F.
Menault
de meme pour la serie des chiffres et la serie des lettres; !'incitation acon-
tinuer est simplement repetee comme telle.
(2)
Au
niveau du
langage
ecrit, le meme type de semiologie est constate:
aucune comprehension d'un ordre, si simple soit-il;
aucune identification, il ne pose pas les etiquettes sur les images;
une remarquable copie servile dans le graphisme: les fantaisies volon-
tairement introduites par l'examinateur aussi bien dans le graphisme que
dans l'orthographe, sont servilement et rapidement reproduites.
Les
mots
approchant de son propre nom de famille sont copies sans hesitation.
Ce
phenomene de la copie intervient des que le langage ecrit est utilise
au
meme titre que la repetition orale au niveau de la communication verbale.
Les formes graphiques aleatoires (courbes, spirales, ... ) sont egalement
servilement reproduites au meme titre que les dessins plus elabores faisant
intervenir des notions spatiales (cubes, maison) (Figure 1
).
Le langage ecrit ne donne lieu a aucune verbalisation mais le fait de
lire devant lui un texte, de lui confier le texte ensuite entraine un mime-
tisme de l'acte de lire avec une emission sonore, inqualifiable, mais modulee
par le ton general de la phrase anterieurement lue par l'examinateur. II n'uti-
lise jamais l'ecriture de
fac;on
spontanee comme moyen de communication.
(3) Un autre type de manifestation "en echo" apparait lors des entre-
tiens, a
savoir un mimetisme gestuel, exceptionnel dans
sa
rapidite, dans son
exactitude, et constituant un reel handicap dans toute consigne invigoree
a
l'aide de gestes: le patient
se
contente d'imiter, et les gestes,
et
la mimique,
sans passer
a
!'execution. II faut noter qu'aussi bien
au
niveau de la face,
qu'au niveau des membres, le geste fait par l'examinateur est reproduit par
le patient sans phenomene de miroir.
Fonctions praxiques
Etant donnee !'importance du mimetisme, l'etude des fonctions praxiques
ne peut etre deduite que de !'observation lors de l'activite spontanee ou
lors de l'activite en atelier d'ergotherapie.
Dans les activites de la vie quotidiennes, le patient peut
se
vetir,
se
servir normalement d'instruments simples necessaires au repas,
se
servir
d'un briquet ou d'allumettes pour allumer
ses
cigarettes,
se
servir d'un
balai, etc ... Cependant en atelier, on assiste a un trouble dans l'usage des
outils: pour enfoncer une pointe, il tape correctement d'abord, puis n'im-
porte comment et surtout n'importe ou, les gestes desordonnes pouvant
devenir dangereux: pour taper il peut utiliser n'importe quel objet
et
pas
seulement le marteau; il "barbouille" avec un pinceau, mais doit etre double
par un autre peintre qui reprend et ameliore le badigeon; il reproduit hors
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