
les Européens de l’Ouest ont dû leur liberté.
T
ant que les États-Unis et la Grande-Bretagne
cédaient à toutes les exigences de Staline, il n’y
avait pas de guerre froide, il n’y avait que la
guerre larvée que Staline menait sournoisement
contre ses alliés occidentaux, parallèlement à sa
lutte contre l’Allemagne hitlérienne. Si les Occi-
dentaux avaient laissé l’Armée rouge atteindre
la Manche, comme Staline l’avait envisagé au
printemps 1945, s’ils avaient abandonné les
Détroits et le nord de l’Iran à Staline, s’ils
avaient évacué l’Allemagne en laissant au
pouvoir le gouvernement communiste « ami »
préparé par Staline, il n’y aurait pas eu de
guerre froide. Ce que l’on taxe aujourd’hui de
« logique de guerre froide » est avant tout la
volonté de résister aux volontés expansionnistes
de la Russie. Et il ne s’agit pas que de l’« étran-
ger proche », mais bien de toute l’Europe.
Mais l’argument de la fin de la guerre froide
prête à une autre critique non moins fonda-
mentale. Il ne suffit pas que les Occidentaux
proclament unilatéralement « la fin de la
guerre froide », en le répétant inlassablement
selon la méthode Coué. Il faut aussi que les
Russes tournent le dos à la vision paranoïaque
« eux contre nous » qui les a marqués bien
plus profondément que les Occidentaux, car
le manichéisme léniniste n’a fait que se greffer
sur le terreau xénophobe accumulé durant des
siècles par l’Église orthodoxe.
Or dans ce domaine nous sommes loin du
compte. Depuis l’arrivée de Poutine au pouvoir
en 2000, les media russes ont rivalisé dans la
propagande de la haine à l’égard des États-Unis
et du mépris à l’égard de l’Europe. Les Russes
ont été soumis à un véritable lavage de cerveau
nationaliste et chauvin depuis une décennie,
endoctrinés jour et nuit dans l’idée que l’Occi-
dent était l’ennemi. Et les évolutions récentes
n’ont rien de rassurant, si l’on ne s’attarde pas
aux rapports très critiques de certains think-
tanks Potemkine censés figurer le débat démo-
cratique en Russie. C’est aux actes qu’il faut
juger le Président Medvedev et non à ses plato-
niques déclarations dénonçant la corruption et
les tares du système existant.
Or que voyons-nous ? Le contre-espionnage
français constate que jamais depuis 1985 le
nombre d’espions russes n’a été aussi élevé en
France (3). La nouvelle doctrine militaire
russe, qui, précisons-le, comporte une partie
rendue publique et une partie secrète, place
l’OTAN au premier rang des « dangers
externes » qui menacent la Russie. Il ne s’agit
pas que d’une posture déclaratoire : au cours
des manœuvres Zapad-2009 de septembre
dernier, auxquelles ont participé 13 000 mili-
taires sur le territoire de la Biélorussie et à
Kaliningrad, Moscou et Minsk ont simulé des
opérations offensives visant la Pologne et
prévoyant une frappe nucléaire, l’assaut des
plages et une attaque du gazoduc. N’oublions
pas non plus que Moscou a suspendu sa parti-
cipation au traité sur les forces convention-
nelles en Europe (FCE). L’ambassadeur de
Russie à l’OTAN, Dmitri Rogozine, s’est
récemment vanté sur Twitter que « l’Ours
russe botterait le train » à la piétaille des pays
de l’OTAN si ceux-ci s’obstinaient à aller
contre les désirs russes en matière de défense
antimissiles (4). Le lendemain de sa visite à
Paris, le Président Medvedev, s’adressant au
Collège du ministère de la Défense russe, a
déclaré que la Géorgie constituait toujours
« une menace potentielle pour les intérêts
nationaux de la Fédération russe » et a
menacé en termes sans équivoque de repren-
dre la guerre contre ce petit pays rebelle en
invoquant le droit de faire intervenir la troupe
que la Constitution lui avait octroyé l’année
précédente (5).
Le régime russe a entrepris une réforme
militaire radicale dont les grandes lignes ont
été définies par le Président Medvedev en
septembre 2008 : amélioration de la capacité
de déploiement des troupes, des systèmes de
commandement et de contrôle, de l’entraîne-
ment, développement d’un armement de
haute technologie, amélioration de la situa-
tion matérielle des militaires, développement
d’une flotte de sous-marins armée de missiles
de croisière, création d’un système de défense
dans l’espace. La loi sur la Défense a été
modifiée en octobre puis décembre 2009.
Désormais, le Président russe a le droit d’en-
gager les forces armées sans l’autorisation du
Conseil de la Fédération (chambre haute du
Parlement). Il peut faire intervenir les troupes
en cas d’« attaque contre les forces armées
russes à l’étranger », pour « défendre les
citoyens russes à l’étranger », « défendre un
FRANÇOISE THOM
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(3) Voir Vincent Jauvert, « Nos amis du Kremlin », Le Nouvel
Observateur, 25 février 2010.
(4) The New York Times, 12 février 2010.
(5) Newsru.com, 5 mars 2010.