LA R E V U E E T L'INNOV INTRODUCTION I - PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE « Jeter un coup d'œil de survol sur l'évolution de l'éducation physique et sportive, et se demander : « qu'est-ce qui change ? ». Le pari est difficile parce qu'on ne « regarde » jamais sans une idée, plus ou moins consciente, sur les causes de cette évolution ». G. Vigarello [ 7 ] — Les h y p o t h è s e s — La m é t h o d o l o g i e II - LES SOURCES INSTITUTIONNELLES DE L'INNOVATION DIDACTIQUE — — — — — Qui écrit ? Du m o n o p o l e aux c o n c u r r e n c e s : la d y n a m i q u e d e l'innovation l'âge d'or d e l'ENSEPS l'amorce du c h a n g e m e n t III-PLACE DES ARTICLES DIDACTIQUES DANS LA REVUE EPS — Les d o n n é e s quantitatives — Les é t a p e s de la didactisation d e s APS IV DES APS A L'EPS : QUEL OBJET D'ENSEIGNEMENT POUR L'EDUCATION PHYSIQUE — L'éducation physique e t sportive — De l'objet culturel à l'objet d'enseignement : — les classifications ou l'illustration par l'exemple — l ' e s p a c e scolaire d e s pratiques d'APS V DE L'OBJET D'ENSEIGNEMENT AUX CONTENUS D'ENSEIGNEMENT — Le t r a i t e m e n t d i d a c t i q u e : — e n s e i g n e r et a p p r e n d r e — les m o d è l e s d i d a c t i q u e s — La didactisation d e l'athlétisme et d e s s p o r t s collectifs — Conclusion g é n é r a l e Nos recherches sur l'histoire de la didactique de l'éducation physique devaient inéluctablement déboucher sur la période contemporaine. De fait, dans notre plan de travail, nous avions prévu, il y a quelques années, d'analyser les contenus des articles d'ordre didactique de la Revue Education physique et sport (Revue EPS) ; n'est-elle pas, sans conteste, le principal témoin de l'évolution des conceptions éducatives en matière d'activités physiques et sportives ? Organe de liaison entre les éducateurs physiques, elle a joué et joue encore un rôle éminent dans leur formation. Entre 1950, date de sa création, et 1982, plusieurs milliers d'articles ont été publiés, gage de la richesse des sujets abordés et du dynamisme novateur de la profession. La formulation initiale de notre recherche était la suivante : inventaire et analyse des articles d'ordre didactique parus dans la Revue EPS entre 1950 et 1982 (1). 30 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé EPS ACTION-DIDACTIQUE 1950-1982 1 - PROBLEMATIQUE ET M E T H O D O L O G I E DE LA RECHERCHE | Les hypothèses Présentée dans son libelle le plus général, notre hypothèse est la suivante : .La didactique de l'éducation n'a de pertinence et de légitimité que dans, par et pour l'école car : l'école impose à l'E.P. de se conformer à des normes et à des usages scolaires : l'E.P. pour se faire reconnaître comme une authentique discipline et matière d'enseignement est contrainte de respecter ces usages et ces normes, donc de se parer des signes distinctifs d'une didactique scolaire (2). On conviendra aisément q u ' u n e didactique porte nécessairement les marques de l'institution dans laquelle elle est mise en œuvre. Parler, par exemple, de « la » didactique des APS. n'a pas de sens si on ne précise pas dans quel secteur d'intervention elle est pratiquée (centre de rééducation, centre de loisir, club sportif, etc.). Il est donc essentiel, dans le cas de l'E.P.. de bien discerner les caractéristiques de l'institution scolaire. Seul point de passage obligé pour toute la jeunesse française jusqu'à 16. ans. l'école a dû, pour assurer son bon fonctionnement, opter pour des solutions originales : — concentration dans l'espace des locaux, des élèves et des personnels. L'école, cité dans la cité, s'est dotée de règles de fonctionnement propres, favorisant une vie autarcique. uniformisation des programmes, des modes de formation et des méthodes d'en- EPS N° 192 M A R S AVRIL 1985 PAR P. A R N A U D / PREMIERE PARTIE seignement et d'évaluation (textes officiels, programmes nationaux, cursus de formation, examens, etc.). L'effort principal étant de minimiser les différences (égalité de tous les élèves en droit), et de nier les particularismes régionaux et locaux. Un élève doit pouvoir suivre le même enseignement, disposer des mêmes compétences professorales, qu'il se trouve à Nice ou à Dunkerque... — maximalisation de la culture scolaire : aux nécessaires apprentissages instrumentaux (lire, écrire, compter), constituant une sorte de savoir minimum garanti, n'ont cessé de se surajouter une multitude de disciplines d'enseignement... — rationalisation des procédures pédagogiques et didactiques par structuration et différenciation des contenus d'enseignements. Un tel découpage aboutit, entre autres, à hiérarchiser les connaissances en fonction des niveaux de la scolarité, à s'appuyer sur une progression dans l'acquisition des savoirs et des savoir-faire, etc. Une didactique scolaire se présente donc comme une théorie construite de l'exercice qui. par un ensemble de situations instrumentales finalisées, définit, pour chaque matière d'enseignement, un contenu structuré, hiérarchisé, différencié afin de guider les apprentissages scolaires des élèves. La didactique (scolaire) sanctionne alors le passage de la discipline à la matière d'enseignement en transformant un ojjet d'enseignement en contenus d'enseignement. Cette définition exige quelques rapides commentaires. Une activité (en tant qu'ensemble de savoirs ou de savoir-faire) ne peut acquérir le statut de discipline d'enseignement que si trois conditions sont remplies : intégration dans les programmes scolaires, représentativité culturelle, utilité supposée. Il y a d o n c lieu de distinguer l'objet culturel (une pratique sociale, une science) de l'objet d'enseignement . c e dernier (que l'on pense aux mathématiques, au français ou... aux APS) ne saurait représenter toute la pratique sociale ou toutes les connaissances scientifiques auxquelles il prétend renvoyer. Dans le c h a m p culturel et scientifique, l'école délimite pour son propre usage les frontières d'une culture scolaire et. par là, caractérise les objets d'enseignement qui seront les supports des apprentissages scolaires. Le passage au statut de matière d'enseignement exige un autre traitement : celui qui consiste à transformer l'objet d'enseignement en contenus d'enseignement. Procédure extrêmement complexe dont le projet est de faciliter et de guider les apprentissages scolaires des élèves... le postulat sous-jacent étant qu'il n'y a d'apprentissage possible que sous l'effet d'un enseignement ! C'est de cette relation enseigner apprendre, enseignant apprenant, que nait cette normalisation de la didactique scolaire de toutes les matières d'enseignement. Les contenus (c'est-à-dire les situations instrumentales ou systèmes tâches-objectifs qui sont les instruments ou les moyens d'un changement attendu ou souhaité de comportement), sont donc distincts de l'activité de l'élève. Or de tels contenus sont, dans toutes les matières d'enseignement, structurés (par mise en évidence de rapports intelligibles entre les connaissances que l'élève doit acquérir), hiérarchisés (en ordonnant les séquences d'apprentissage) et différenciés (par prise en compte des stratégies d'apprentissage propres à chaque élève) (3). Evoquer en ces termes la spécificité d'une didactique scolaire, c'est prendre en 31 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé compte les rapports entre un enseignant et des apprenants scolarisés : c'est mettre l'accent sur la spécificité d'un apprentissage scolaire. C'est dire que, si cette logique scolaire justifie l'enseignement, il resterait à démontrer qu'elle profite aux apprentissages. Comment 11.P. parvient-elle à se conformer à ces normes et à ces usages scolaires ? Tout d'abord, constatons qu'elle est obligatoire à l'école depuis plus de cent ans. Cette situation n'a jamais souffert d'exception en dépit de la mobilité de ses tutelles ministérielles. Remarquons, ensuite, l'obstination d'une revendication d'intégration au Ministère de l'Education qui a su résister aux forces qui voulaient évacuer l'E.P. de l'Ecole. Il y a dans ces deux constats une preuve irréfutable de la capacité de l'E.P. à se conformer à des règles qui. à l'origine, ne la concernaient pas. Il est à gager d'ailleurs que sa nouvelle tutelle ministérielle lui interdise de se réclamer d'une spécificité autre que scolaire... En vertu de ce principe d'homomorphisnie nous posons donc comme hypothèse que l'E.P. doit se faire reconnaître comme une authentique discipline d'enseignement (en satisfaisant aux trois conditions précédemment définies par lesquelles l'E.P. fonde sa légitimité scolaire), puis comme une matière d'enseignement exactement semblable à des consœurs intellectuelles (donc en construisant des contenus, structurés, hiérarchisés et différenciés). Nous sommes là, au cœur des rapports entre Culture et Enseignement, qui nous obligent à envisager les conditions de la didactisation des activités physiques et sportives en milieu scolaire. Plus globalement, nous devons successivement envisager les relations entre l'objet culturel et l'objet d'enseignement de l'E.P. puis les modalités par lesquelles l'objet d'enseignement se transforme en contenus d'enseignement. En quoi les articles didactiques parus dans la Revue EPS sont-ils des indicateurs pertinents de cette normalisation didactique ? Peut-on vérifier, et de quelle manière, ce principe d ' h o m o m o r p h i s m e ? La méthodologie de cette recherche fournira des précisions sur la démarche utilisée ainsi que sur les critères d'analyse retenus à cette fin. La méthodologie | Afin de ne pas alourdir notre exposé, nous ne présenterons, ici, que les éléments indispensables à la compréhension de nos analyses. Délimitation du corpus : Les 179 numéros de la Revue EPS parus entre 1950 et 1982 (n° 1, j u i l l e t / a o û t 1950 au n° 178, novembre décembre 1982) représentent au total 2 955 articles (T.G.A.) *. dont 514 articles didactiques (U.A.D.) **. 32 Qu'est-ce qu'un article d'ordre didactique ? Prenant en compte la définition de la didactique scolaire, énoncée précédemment, nous devons définir les critères d'identification d'une U.A.D. afin d'atteindre l'objectivité et la fidélité. L'article didactique est reconnu lorsqu'il satisfait, simultanément, à ces cinq caractéristiques : • Intervention d'un enseignant en direction des élèves avec l'intention explicite de susciter ou de guider leur apprentissage. • Mise en œuvre de situations instrumentales : — système tâches-objectifs - doté d'un dispositif — et de consignes ayant pour objet de stimuler l'activité de l'élève et de simuler des situations réelles. • Lieu d'intervention : l'enseignement du second degré. • Moment d'intervention : les heures d'éducation physique de l'emploi du temps (partie obligatoire). • Le didacticien (celui qui écrit l'article) : un éducateur français. Nous avons retenu les articles « technicopédagogiques », les progressions d'enseignement, les exemples de séances, de leçons, les répertoires d'exercices, de jeux, les circuits, les parcours, bref, toute contribution donnant à voir (et à lire) le « voici ce que je fais et comment je procède » (4). 2 - SOURCES INSTITUTIONNELLES DE L'INNOVATION DIDACTIQUE Qui écrit ? Dans le premier numéro de la Revue EPS. on peut lire que « si l'Amicale de l ' E N S E P a bien voulu constituer le noyau de départ » de l'équipe rédactionnelle, « elle fera appel aux personnalités les plus qualifiées dans les domaines pédagogiques et techniques et se préoccupera, en outre, de d o n n e r audience aux suggestions des usagers ». Sans opposer nettement les « notables » et les « prolétaires » de l'action éducative, il est fait d'emblée une distinction qui laisse penser que les orientations de la Revue seront définies par un aréopage qui, cependant, ne manquera pas de faire appel aux bonnes volontés. Faut-il voir dans ces propos l'amorce d'une coupure entre les « théoriciens » et les « praticiens », entre les formateurs de formateurs et les professeurs d ' E P S des établissements scolaires ? En tout cas, la Revue ne s'adresse pas seulement aux professeurs d'EPS, ce qui peut justifier la diversité des articles. Mais, * T.G.A. : total général des articles parus dans la Revue BPS à l'exclusion des éditoriaux, des analyses bibliographiques, des informations, des annonces... ** U.A.D. : unité d'article d'ordre didactique, c'est-à-dire un article d'ordre didactique par numéro : par exemple, dans un article « à suivre » se poursuivant sur trois numéros de la Revue, nous compterons trois U.A.D. Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé si les « Notes techniques de l ' E N S E P S » correspondaient aux besoins internes de l'Ecole Normale, la création et la diffusion de la Revue EPS présupposait le désir de c o m m u n i q u e r avec l'ensemble de la profession dans la perspective d'une formation continuée. Or, chacun sait qu'à cette époque, la position institutionnelle de l ' E N S E P S éclipsait les autres centres de formation. Quels sont, en conséquence, les auteurs d'articles didactiques ? On pourrait émettre l'hypothèse que ces articles sont la transcription élaborée et cohérente d'une pratique éducative : non point une théorie de cette pratique, mais une tentative de formalisation et de systématisation de démarches individuelles qui donnent à voir et à connaître. Concrètement, un article didactique devrait présenter le : « Voici ce que je fais » plutôt que le : « Voici ce que pense »... Conséquence logique : ce sont les praticiens - les hommes de terrain - beaucoup plus que les théoriciens qui devraient avoir la fibre didactique. Ce sont les professeurs d'E.P.. au contact direct et quotidien avec les élèves, qui sont, a priori, les mieux placés pour témoigner et com- Tableau A LES AUTEURS D'ARTICLES DIDACTIQUES * Le n o m b r e d ' a u t e u r s e s t s u p é r i e u r au n o m b r e d ' a r t i c l e s , un article é t a n t s o u v e n t r é d i g é par p l u s i e u r s auteurs. muniquer le fruit de leur expérience. Peut-on le vérifier '.' Les données quantitatives que nous avons recueillies sont, de ce point de vue. explicites (cf. tableau A). Entre 1950 et 1960. professeurs d'E.P. d'établissement secondaire (E.S.) et formateurs de formateurs (F.F.) se partagent également les pages de la Revue. On notera, cependant la nette domination de l'ENSEPS sur les autres centres de formation (1REPS, C R E P S ) ; ce qui s'explique sans doute par le fait qu'elle dispose des structures et des personnels qui lui donnent audience et rayonnement : une analyse plus fine montre d'ailleurs que pendant cette période (et également la suivante) nombre de professeurs d'E.P. d'établissements sont devenus professeurs à l ' E N S E P S , ce qui, de toute évidence, était une promotion estimable. La seconde période (1961-1971) consacre l'influence déterminante de l ' E N S E P S et de l'INS : l'introduction du sport à l'école a suscité d e nombreuses innovations didactiques dont la plupart sont à mettre au compte des EPS N° 192 MARS AVRIL 1985 formateurs de formateurs. On assiste dans le même temps à l'éveil des IREPS et des C R E P S . Mais, constatons que pendant cette période, les productions didactiques échappent partiellement aux hommes de terrain. Elles restent l'affaire de ceux-là mêmes qui disposent des connaissances techniques et pédagogiques les plus actualisées, et l ' E N S E P S reste, de ce point de vue. la mieux placée. 33 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé Mais, les événements de 1968 vont bousculer quelque peu cette préséance : la transformation des missions de l'ENSEPS (à partir de 1970), la loi sur la formation professionnelle continue ( 1 6 / 7 / 1 9 7 1 ) et l'intégration universitaire des études en STAPS (1975) vont radicalement transformer le profil des auteurs. L ' E N S E P S perd, progressivement, son monopole dans la formation des professeurs d'E.P. au profit des U.E.R. nouvellement érigées. Mais, surtout, le développement de la formation professionnelle continue (F.P.C.) va donner un dynamisme nouveau à l'innovation : les professeurs d'E.P. des établissements scolaires (E.S.) vont assurer, le plus souvent en liaison avec les U E R E P S . leur propre formation, leur propre recyclage, créant ainsi les conditions de leur entrée en force dans les colonnes de la Revue EPS. Preuve éclatante que la profession a su se dégager de la tutelle de l ' E N S E P S - pendant longtemps véritable maison mère et nourricière. Aussi, dans son éditorial d'octobre 1953 (EPS 17) l'auteur a-t-il raison de souligner que le Comité d'Etudes et d'Informations de la Revue EPS « n'est pas une chapelle ». Il est effectivement largement ouvert à tous ceux qui s'attachent à la promotion de l'E.P. 11 reste que cette position doit être nuancée en fonction des périodes. A la lente érosion de l ' E N S E P S , s'oppose la lente ascension des centres de formation régionaux, mais, surtout, la percée spectaculaire des E.S. depuis 1971. On ne peut, cependant, rester insensible à l'apparition de plus en plus massive d'articles didactiques en provenance du secteur sportif extra scolaire (cf. tableau A). Tendance qui devrait s'accentuer dans les années à venir du fait du rattachement de l'Education Physique au Ministère de l'Education. Les structures traditionnelles. « Jeunesse et Sport-Temps Libre » peuvent, dès lors (et bien souvent avec la contribution des professeurs d'E.P.) envisager une intervention éducative qui, à l'animation, ajoute des cursus de formation qui empruntent largement à l'enseignement des APS (cf. les projets du professorat de sport ainsi que les offres de formation des directions départementales). | Du monopole aux concurrences ] La dynamique de l'innovation Lorsque la Revue naît, en 1950, elle dispose de trois sources pour alimenter ses colonnes : r> l'ENSEPS qui est à cette époque et pour l'essentiel un centre national de formation ; > les IREPS et les C R E P S qui sont des centres régionaux de formation des enseignants d'E.P. ; > les établissements scolaires (E.S.) qui sont les lieux privilégiés où s'appliquent et s'expérimentent plus ou moins empiriquement les actions didactiques. Pour reprendre les analyses de Louis Le- grand (à l'époque Directeur de recherche à l ' I N R D P ) . nous dirons que trois possibilités s'offrent à la Revue EPS pour promouvoir l'innovation didactique en F.P. : t- La revue EPS peut être considérée comme un centre de décision en matière de politique rédactionnelle : sa position institutionnelle ainsi que les conditions de sa création lui permettent d'établir des relations privilégiées avec l ' E N S E P . Dans ces conditions il est probable que cette dernière bénéficiera, au moins dans les premières années, d'un monopole de fait dans la diffusion des articles didactiques : d'autant qu'elle possède les enseignants et les étudiants les plus compétents pour mettre en œuvre et expérimenter les contenus de l'E.P. auprès des classes d'application. La revue j o u e alors un rôle de diffuseur du « centre » à la « périphérie » constitué par les IREPS d'une part (avec les C R E P S ) et les E.S. r~ Peut-on faire l'hypothèse que, cette mise en place étant réalisée, s'opérera un renversement de tendance ? Pour les raisons précédemment évoquées, il est probable que les E.S. ainsi que les centres de formation régionaux joueront progressivement un rôle non négligeable dans l'approvisionnement de la revue EPS en articles didactiques. On devrait alors constater un mouvement inverse, allant de la périphérie (UER, C R E P S , E.S.) au centre (essentiellement la revue EPS). En ce qui concerne l'ENSEPS, ses missions ayant changé, elle ne devrait plus jouer qu'un rôle discret dans l'innovation didactique. > Quant au mouvement réciproque (de la périphérie au centre et du centre à la périphérie) il n'existe que dans la mesure où les professeurs d'E.P. sont abonnés à la revue EPS : mais dans ce cas il ne s'agit nullement d'une action concertée et contrôlée par l'une ou l'autre des parties. La revue ne s'est jamais fixée pour mission d'orienter et de guider la recherche pédagogique : elle ne fait que prendre acte de l'évolution de l'E.P., et, si elle joue inévitablement une fonction dans l'innovation didactique, celle-ci n'a jamais fait l'objet (à notre connaissance) d'une décision explicite (5). Les sources institutionnelles de l'innovation didactique L'âge d'or de l ' E N S E P S Afin d'approfondir cette première analyse, nous avons dénombré les articles didactiques concernant l'athlétisme, la gymnastique et les sports collectifs, la natation, la danse, la G.R.S. et le j u d o (ce choix nous est dicté évidemment, par la réalité des pratiques d'APS en milieu scolaire). (Cf. graphiques 1, 2. 3). L ' E N S E P S monopolise la production d'articles didactiques entre 1950 et 1960. Si elle maintient sa pression pendant la période suivante, elle commence à être sérieusement concurrencée par les centres de formation régionaux et les établissements scolaires. La période 1972 1982 concrétise le déclin de l ' E N S E P S . Globalement, la période 1961/1971 correspond à un effort 34 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé Analyse des graphiques 1, 2 et 3 N e pouvant alourdir notre e x p o s é de considérations de détail, nous laissons le soin au lecteur de poursuiv re une analyse qui, en tout état de cause devrait mettre en évidence l'extrême disparité des sources institutionnelles de l'innovation didactique en fonction des A P S (sorte de division sectorielle de l'innovation). On constatera néanmoins : la progressive baisse d'influence de l'ENSEPS ; l'apparition tardive des U E R E P S et des CREPS ; — la m o n t é e des établissements scolaires ; — la place privilégiée de l'athlétisme et. dans une moindre mesure des sports collectifs dans les établissements scolaires ; le rôle important des U E R E P S et des C R E P S dans l'innovation didactique en gymnastique. Remarque : les graphiques ne prennent pas en c o m p t e les autres sources de l'innovation didactique (extra-scolaires) qui sont importantes pour ces trois groupes de spécialités : 1950-1960 : près de 3 0 % des articles 1961-1971 : environ 2 2 % des articles 1972-1982 : plus de 4 0 % des articles EPS № 192 M A R S AVRIL 1985 C'est un p h é n o m è n e que nous mettons en liaison avec le d é v e l o p p e m e n t des stratégies en faveur du professorat de sport. 35 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé Tableau B sans précédent de didactisation dont les raisons sont sans doute à rechercher dans l'introduction officielle du sport à l'école à partir de 1959/1962. Cependant, un autre phénomène est significatif, voire inquiétant : globalement, le nombre des articles didactiques ne cesse d'augmenter entre 1950 et 1982 (respectivement 28,3 % et 14,2% p o u r chaque période), (cf. tableau B). Mais, cette augmentation ne peut être attribuée aux seules productions didactiques des établissements de formation et d'enseignement. En effet, ceux-ci voient leur contribution progresser entre 1950 et 1971 ( + 42.9 %), mais sensiblement chuter entre 1972 et 1982 ( - 13 %). Au profit de qui ? Essentiellement au profit du secteur extra-scolaire. On assiste à ce paradoxe que les articles didactiques relatifs à la didactique scolaire des APS sont produits par ceux-là mêmes qui exercent des fonctions professionnelles dans les services administratifs ou dans le secteur sportif. Leur apport est d'un peu moins de 30 " o entre 1950 et i960, pour passer à 21 % entre 1961 et 1971 et... plus de 40 % à partir de 1972... 1 Total d e t o u s les articles d i d a c t i q u e s parus d a n s la revue EPS pour c h a q u e période c o n s i d é r é e (athlétisme + g y m n a s t i q u e + s p o r t s collectifs). 5 Il s'agit du total d e s seuls articles d i d a c t i q u e s écrits par [6) 7] [8 L'amorce du changement A ces données globales s'ajoute surtout entre 1950 et 1971 la quasi concentration des compétences didactiques sur un nombre très restreint de personnes (enseignants de l ' E N S E P S . essentiellement). Cette tendance va, au fil des années, se renverser : à la montée des établissements régionaux de formation et des établissements scolaires correspond une diversification des auteurs. Prenons quelques exemples : entre 1950 et 1960 un même auteur peut écrire entre 5 et 10 articles didactiques sur une spécialité (par exemple athlétisme ou gymnastique). Le phénomène tend à s'estomper dans la période suivante (entre 3 et 6 articles). C e monopole semble surtout affecter les activités traditionnelles comme l'athlétisme et la gymnastique. En réalité, ces chiffres doivent être majorés car jusqu'en 1960 environ un même auteur était polyvalent dans sa spécialité. Il traitait souvent de la didactique de l'athlétisme en général et abordait successivement ou simultanément les courses, les sauts, les lancers, ou bien les sports collectifs. A partir de 1970/1971, apparaît un nouveau profil d'auteur : celui du spécialiste qui ne traite didactiquement que d'une seule activité sportive : les haies, le javelot, la perche, le sol, la lutte, le football (cf. tableau C). La notion de groupe de spécialités tend à disparaître... pour réapparaître ces toutes dernières années. Faut-il voir un lien de causalité entre la création des options au C A P E P S et l'étroitesse des compétences didactiques ? Ou bien, est-ce le signe de nouvelles exigences dans l'effort de compréhension de la dynamique enseignement apprentissage ? Tableau C N o m b r e moyen d'articles d i d a c t i q u e s par auteur et par g r o u p e d e spécialités Quelques questions doivent cependant être posées et nous tenterons de proposer une esquisse de réponse : 36 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé • Qui a compétence pour écrire des articles didactiques ? Il est intéressant de constater que les compétences didactiques sont également partagées par les professeurs d ' E . P . des E.S. et ceux des centres de formation national et régionaux (respectivement, pour l'ensemble de la période 39,7 % et 41,5%), On est en droit, cepen- praticiens ? Il reste que, très souvent, ceux qui produisent des articles didactiques sont ceux-là mêmes qui n'enseignent pas ou plus l'éducation physique dans les E.S. Il est vrai que dans notre profession, le même statut correspond à une multiplicité de fonctions... ce qui ne facilite guère le repérage des compétences. dant, de s'interroger sur ce q u e devrait être le profil d ' u n didacticien d'aujourd'hui. En dehors des connaissances théoriques et vécues relatives au fonctionnement du système scolaire et aux caractéristiques de la population enseignée nous avons proposé [3] que, dans le cadre de l'école, un didacticien devait, simultanément maîtriser : Conclusion En 33 ans, 624 auteurs ont fourni des articles didactiques à la Revue EPS : 39,75 % l'ont été par des professeurs d'EPS des établissements scolaires ; 41,50 % l'ont été par des formateurs de formateurs. Il est donc clair que ce sont les professionnels de l'E.P. qui sont les plus enclins à communiquer leur expérience, que celle-ci résulte de la pratique de l'enseignement ou bien qu'elle exprime une réflexion élaborée. La finalité strictement professionnelle des études, alliée à une certaine aisance ou habitude à formaliser l'action didactique a sans doute, dans un premier temps, largement favorisé les formateurs de formateurs. Mais, la transformation des missions de l ' E N S E P S , l'intégration universitaire des U E R E P S et le développement de la formation professionnelle continue ont peu à peu créé les conditions d'un transfert des compétences didactiques aux établissements scolaires. Entre la recherche universitaire et la formation initiale des professeurs d'E.P., la voie de la formation professionnelle continue et de l'innovation pédagogique semble échapper aussi bien à l ' E N S E P S qu'aux U E R E P S . Elle appartient aux professeurs d'E.P. des établissements scolaires qui. isolés ou rassemblés dans des structures affinitaires, ont su créer pour leurs propres besoins les conditions d'une autoformation que les institutions traditionnelles n'avaient pas su mettre en Photos : Archives - Revue EPS — la logique de la matière ou connaissance approfondie des activités supports : les connaissances relatives aux enseignés (donc à l'enfant et à l'adolescent épistémiques) : les processus de l'apprentissage de l'enseigné lorsqu'il est engagé dans la réalisation d'une tache (connaissance d e type praxéologique). Il reste que, historiquement, ces trois aspects de la connaissance didactique ont été le plus souvent isolés. Il apparaît que l ' E N S E P S , l'INS, les UER et les C R E P S ont exercé, pendant longtemps, un monopole qui se justifiait par la présence de spécialistes du sport de haut niveau ou de représentants des sciences humaines et biologiques. Les premiers privilégiant la logique de la matière au travers de démarches technocentrées ; et les seconds référant leurs propositions didactiques à la connaissance formelle de l'enfant, de la fonction motrice ou des processus de production énergétique. • Faut-il voir dans ces épisodes de l'histoire de la didactique scolaire des APS les conséquences de l'ignorance de la réalité quotidienne de l'enseignement ? Ou bien, le passage obligé ou momentané p a r une problématique abstraite ? O u bien l'illustration d ' u n conflit entre théoriciens et EPS № 192 MARS AVRIL 1985 Place Notes (1) Encore devions-nous nous assurer du caractère inédit de notre projet par référence aux travaux de C. Leray [4]. B. Maccario [5] et J. Marsenach [6|. (2) Pour le détail de l'argumentation, se reporter a P. Arnaud et G. Broyer |3| et P. Arnaud [Il et [2|. (3) La différenciation des contenus devrait permettre de mettre en œuvre un enseignement «sur mesure ». c'est-à-dire exactement adapté aux caractéristiques psychologiques. sociologiques... de l'élève ainsi qu'à celles du milieu scolaire. Elle devrait aboutir à multiplier les modes d'entrée dans les apprentissages. |4I L'analyse de contenu des articles s'est effectuée par catégorisation et codage en fonction d'indicateurs pertinents (système de fiches mécanographiques), faute de place, nous ne pouvons en exposer les modalités. (5) C'est un point important. La revueEPSa-t-elle une politique rédactionnelle ou bien n'est-elle que l'expression. « malgré elle ». des lentes transformations de la profession ? Ou bien encore sa survie dépend-elle de son pragmatisme ? Nous posons les questions sans v répondre, tout en constatant que la revue a toujours su s'adapter aux fluctuations des politiques éducatives et aux « changements » comme en témoignent ses orientations successives entre i960 et I9SI. Eclectisme et pragmatisme semblent être d'ailleurs les seules parades efficaces pour conserver un publie de lecteurs hétérogènes. La position de la revue peut paraître plus délicate depuis le 1/1/I982 du fait de la scission de la tutelle ministérielle et de la division professionnelle qu'elle entraine. Bibliographie [I] ARNAUD (P.). - Le corps en mouvement (Toulouse-Privat, I9S2) [2] ARNAUD (P.). - L'E.P. est-elle une science ? - in Bulletin de la Société Binet-Simon n° 568. 1979. [3] ARNAUD (P.) et BROYER (G.). - Psychopèdagogie des activités physiques et sportives. - Privat, Toulouse. I9S5. [4) LERAY (C). - Le rôle de la Revue EPS dans la formation professionnelle continue des éducateurs phvsiques (Thèse de 3 cycle, Université de Paris VIII), 1975. [5] MACCARIO (B.). - L'évaluation, aspects théoriques et pratiques enE.P.(1945 1975). -Mémoire INSEP. 1979. [6] MARSENACH (J.). - Les pratiques d'E.P. dans les établissements scolaires ont-elles changé ? Revue EPS 175. 176. 177 (19X2). [7] VIGARELLO (G.). - Changement et objet de changement en EPS - In: Revue STAPS n° S. octobre 1983. e (A suivre) Pierre Arnaud Centre de Recherche et d'Innovation sur le sport UEREPS Lyon-I 37 Revue EP.S n°192 Mars-Avril 1985 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé