VILLE Isabelle Traitement social des déficiences et expérience du handicap en France

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SANTÉ, SOCIÉTÉ ET SOLIDARITÉ N° 2, 2005
L’article brosse un pano-
rama des évolutions ré-
centes du traitement social des déficiences
en France. La première partie retrace les
étapes qui ont marqué le dernier siècle,
avec l’émergence de la réadaptation et
l’institutionnalisation des personnes handi-
capées puis la contestation de ce modèle
à partir des années 70. En s’appuyant sur
des travaux de recherches réalisées en
France, la seconde partie illustre en quoi
les modalités du traitement social des défi-
ciences s’ancrent dans des représentations
culturelles du handicap largement parta-
gées, y compris par les personnes handica-
pées elles-mêmes. Enfin, la dernière partie
questionne une nouvelle forme de traite-
ment social, parfois qualifiée de « préven-
tion des handicaps à la naissance», liée aux
avancées biotechnologiques dans le domaine
du suivi des grossesses.
The article describes recent
changes in the social treat-
ment of disabilities in France. The first part
relates the stages which marked the last cen-
tury, with the emergence of rehabilitation
and institutionalization of disabled persons,
then the challenge to this model from the
1970s onwards. Based on studies carried
out in France, the second part illustrates
how the modes of social treatment of dis-
abilities are rooted in the cultural represen-
tations of disability that are widely shared,
including by the disabled persons them-
selves. Finally, the last part questions a new
form of social treatment, sometimes charac-
terized as “disability prevention at birth,”
related to biotechnological advances made
in the field of pregnancy monitoring.
AbstractRésumé
Traitement social des déficiences
et expérience du handicap en France
Isabelle Ville – FRANCE
Chargée de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM),
Institut fédératif de recherche sur le handicap, Centre de recherche médecine, sciences,
santé et société (CERMES)
dossier Handicaps et personnes handicapées
EXPÉRIENCE INDIVIDUELLE,
MOBILISATION COLLECTIVE DES
PERSONNES HANDICAPÉES ET
GESTION SOCIALE DU HANDICAP
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dossier Handicaps et personnes handicapées
Évolution du traitement social
des déficiences en France
La façon dont la société française traite ses
membres atteints de déficiences s’inscrit
dans le contexte plus général de la question
sociale et des réponses successives qui y ont
été apportées (Castel, 1995). Une perspec-
tive historique englobant le dernier siècle
éclaire l’analyse de la situation actuelle dans
ce pays et permet d’en comprendre la
spécificité.
Normalisation et institutionnalisation
À l’aube du XXesiècle, l’extension de l’indus-
trialisation s’accompagne d’une prise de con-
science des risques professionnels associés
à ces nouvelles formes de travail. La notion
de responsabilité collective marque une étape
importante de l’évolution du traitement des
déficiences. La réponse à apporter n’est
plus tant l’assistance et la bienfaisance que
l’assurance et la solidarité (Stiker, 1982). Les
nouvelles pratiques qui s’ensuivent reposent
sur le recours à l’État «providence», avec
notamment la mise en place de rentes, et
sur un objectif de normalisation, entendu
comme la réduction des écarts à la norme
statistique qui définit l’homme social moyen.
Atteindre l’idéal d’être dans la moyenne, qui
se résume le plus souvent à pouvoir assurer
sa subsistance en travaillant, suppose géné-
ralement un détour par des pratiques de
corrections, ciblées par type de déficiences,
en vue de réintégrer le milieu social ordi-
naire. Aux termes privatifs en «in» (infirmité,
invalidité, etc.) font suite les termes en «re»
(reclassement, rééducation, réadaptation,
etc.) qui désigne cet objectif de retour à la
vie sociale moyenne (Stiker, 2000).
La Grande Guerre et son million de muti-
lés vont peser fortement dans le renforcement
de cette orientation concrétisée par diffé-
rentes législations: pensions aux mutilés et
victimes de la guerre (1919), emploi obliga-
toire des mutilés de guerre (1924) et son
extension aux mutilés du travail (1930), droit
à la rééducation professionnelle qui ouvre
les centres de rééducation aux accidentés du
travail (1924).
La culpabilité et l’obligation morale à
l’égard des victimes de guerre et du travail
s’accompagne d’une volonté de «normaliser»
pour réintégrer dans la société globale grâce
à la réadaptation, nouvelle forme de traite-
ment social des déficiences. Encore très
prégnantes aujourd’hui, les pratiques réadap-
tatives vont progressivement s’appliquer à
tous les types de déficiences regroupés sous
le terme indifférencié de handicap.
S’engage alors un processus d’institution-
nalisation de ce nouvel objet social autour
des équipements spécialisés nécessaires à
la réadaptation, dont la Loi d’orientation en
faveur des personnes handicapées (1975)
constitue l’aboutissement (Alter, 2000). De
nombreuses associations regroupant des
infirmes civils se mettent en place entre les
deux guerres, avec pour objectif la reprise
d’une activité sociale et professionnelle;
elles seront suivies, dans les années 60, par
des associations regroupant des personnes
concernées par un handicap d’origine intel-
lectuel ou mental. Certaines, comme l’Asso-
ciation des paralysés de France (APF) ou
l’Union nationale des parents d’enfants
inadaptés (UNAPEI), se sont considéra-
blement développées pour devenir des
groupes d’intérêt gestionnaires d’établisse-
ments et de services. Le cadre réglementaire
de 1956, qui fixe les conditions d’agrément
de ce type d’établissements, assure leur
fonctionnement grâce au remboursement
du «prix de journée» par la Sécurité sociale.
Porte-parole des personnes handicapées,
elles sont passées d’un rôle de substitut des
carences de l’État en créant des établisse-
ments dotés de matériel spécialisé, à celui
de partenaires privilégiés dans l’élaboration
des politiques sociales en matière de han-
dicap (Plaisance, 2000; Guyot, 2000). Elles
comptent encore aujourd’hui parmi les plus
puissantes du paysage associatif français,
tant en nombre d’adhérents qu’en volume
budgétaire, nombre d’établissements gérés
et nombre de personnels employés (Barral,
1998; Tchernonog, 2000).
Cette délégation de l’État aux grandes
associations pour la prise en charge institu-
tionnelle des personnes handicapées n’a pas
été sans soulever certaines critiques. Un tel
traitement semble davantage répondre à une
finalité de gestion des populations qu’à celle,
initiale, du retour à la vie ordinaire (Barral,
1998). La logique gestionnaire et le parte-
nariat avec l’État semblent difficilement
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compatibles avec les objectifs initiaux, au
fondement du regroupement associatif, qui
visaient l’insertion sociale et professionnelle
en milieu ordinaire.
Contestation et
mobilisation collective
Différents mouvements contestataires de
personnes handicapées ont vu le jour dans
les années 70. Mettant en cause le modèle
de la réadaptation qui contribue à la ségré-
gation dans les institutions spécialisées,
leurs revendications s’articulent autour de
l’intégration dans le milieu ordinaire et du
droit des personnes à disposer de leur vie
(Galli et Ravaud, 2000). On peut schémati-
quement distinguer trois tendances parmi
ces divers groupes minoritaires:
£
les mouvements radicaux de lutte contre
l’assistance, groupes fortement ancrés
dans la mouvance extrémiste de gauche,
s’associent à d’autres groupes minori-
taires (immigrés, femmes, prisonniers)
pour lutter contre la charité publique, le
lobbying des grandes associations et les
institutions spécialisées, le projet de loi
d’orientation (Turpin, 2000). Ces mouve-
ments, faute de parvenir à nouer des
alliances avec le milieu associatif et le
secteur de la recherche sur le handicap,
disparaissent au début des années 80
(paradoxalement avec l’arrivée de la gau-
che au pouvoir);
£les premières associations d’usagers comme
l’association «Vivre debout» qui inau-
gure, en 1977, le premier foyer de vie
autogéré par des adolescents myopathes,
bientôt suivi par deux autres. Tournés
vers l’action concrète, les fondateurs ne
se préoccupent pas de l’élaboration des
politiques, mais cherchent à utiliser les
services existants pour construire des
lieux de vie où les personnes sont auto-
nomes et responsables;
£
à l’intermédiaire se situent des asso-
ciations proposant des services visant
l’intégration en milieu ordinaire tel le
Groupement pour l’insertion de personnes
handicapées physiques (GIHP), fondé
par des étudiants handicapés au milieu
des années 60, spécialisé dans le trans-
port et l’aide à domicile. Défendant une
position pragmatique, cette association a
participé au débat entourant la prépara-
tion de la loi de 1975, cherchant à obtenir
des mesures correspondant à ses aspira-
tions (Galli et Ravaud, 2000).
Vingt ans après, seul le GIHP reste en
activité. La particularité structurelle du
milieu associatif français, associée au mou-
vement d’institutionnalisation du handicap,
a-t-elle nui au déploiement de ce type
d’initiatives qui ont abouti, dans d’autres
pays, à une spectaculaire mobilisation col-
lective? L’existence d’une forte protection
sociale, instaurée dans les années 70, a pu
constituer un autre frein1.
Quoi qu’il en soit, depuis les années 90,
la mobilisation est ravivée par la voie inter-
nationale. Une branche française de l’Orga-
nisation mondiale des personnes handicapées
(Disabled Peoples’ International) est créée
en 1993. De nouvelles associations d’usagers
se fondent sur les principes défendus par
l’Independent Living Movement: advocacy,
stimulation par les pairs et empowerment
(Simon, 2000). Ces initiatives restent toute-
fois marginales. De leur côté, les grandes
associations ont évolué. Certaines se sont
tournées vers la recherche qu’elles finan-
cent par leurs propres moyens. Ainsi, les
dons que l’Association française contre les
myopathies recueille au cours du téléthon
qu’elle organise chaque année depuis 1987
sont en constante augmentation. D’autres,
comme l’APF, ont pris le tournant de l’inté-
gration et de l’aide à la personne en instau-
rant des services ambulatoires. La plupart
se sont dotés d’un comité d’éthique où sont
débattues les questions soulevées par le trai-
tement social des déficiences. L’ensemble
de ces évolutions trouve une concrétisation
dans l’adoption, en février 2005, de la Loi
pour l’égalité des droits et des chances, la
participation et la citoyenneté des person-
nes handicapées, dont on attend les décrets
d’application et qui instaure notamment un
droit à compensation.
1. Au 1er janvier 2005, une personne avec un taux d’incapacité supérieur ou égal à 80% ayant besoin de l’aide
d’une tierce personne pour la plupart des actes de la vie quotidienne peut bénéficier de l’allocation pour
adultes handicapés et de l’allocation compensatrice pour tierce personne, toutes deux soumises à plafond de
ressources, soit un montant cumulé de 1 370 mensuel non imposable. Le salaire minimum interprofession-
nel garanti s’élève quant à lui à 1 155 mensuel.
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Des représentations culturelles
du handicap à l’identité
des personnes handicapées
Aux différentes réponses qu’une société
apporte à la question du handicap corres-
pondent différentes grilles de lecture de
ce que représente l’expérience de vie avec
des déficiences. Cette seconde partie illus-
tre, à partir de travaux de recherches réali-
sés en France, comment le traitement social
des déficiences et les représentations qui
s’y rattachent affectent les interactions des
personnes concernées, leurs propres repré-
sentations et leur identité même.
Le modèle de la réadaptation vise la nor-
malisation des personnes et leur retour à la
vie ordinaire grâce à diverses modalités de
«correction», «réparation », «rééducation».
Il s’agit alors de «faire comme si» il n’y avait
pas de déficience. L’ensemble des pratiques
de réadaptation trouve leur légitimation et
leur renforcement dans un système de
représentations sociales partagées par tous
les acteurs impliqués. C’est du moins ce
que montrent une série de recherches réali-
sées en France entre 1983 et 1985. À cette
époque, les concepts de personnalité et de
réalisation personnelle trouvent un écho
important dans les discours de sens commun.
Deux modèles idéaux de la personne coha-
bitent, celui de l’individu au «moi fort»,
rationnel, stable et persévérant, symbole de
réussite socioprofessionnelle et celui de la
personne «bien dans sa peau», confiante et
chaleureuse, nouvelle figure issue du mou-
vement de 1968. Ce dernier modèle s’avère
toutefois incompatible avec les représenta-
tions du handicap (Paicheler et al., 1987).
En effet, une étude met en évidence deux
représentations extrêmes d’usagers de fau-
teuil roulant. L’une, majoritairement expri-
mée, coïncide avec le modèle général de
«l’inadaptation sociale» et attribue à ces per-
sonnes anxiété, introversion et dépendance
psychologique; l’autre, au contraire, associe
à la déficience un type de «personnalité»
calme, contrôlée et rationnelle, représenta-
tion associée à la «réussite socioprofes-
sionnelle». Ces deux représentations-types
reflètent également une notion répandue
et fortement valorisée, tant dans la psycho-
logie naïve que chez les professionnels de
la rééducation, celle de «surmonter» son
handicap caractérisée par une insertion
sociale et professionnelle réussie. Le handi-
cap est conçu, dans les représentations
sociales des années 80 en France, comme
une caractéristique personnelle que la per-
sonne doit surmonter pour être valorisée en
restant dans la norme, notamment en tra-
vaillant et fondant une famille (Ravaud et
Ville, 1985). Les professionnels de la réédu-
cation, en plaçant la notion de «surmonter
son handicap» au cœur de leurs pratiques,
contribuent également à la «psychologisa-
tion» de l’expérience du handicap laquelle
est pensée comme le dépassement d’une
série d’obstacles pour réussir la normalisa-
tion attendue. Mais faire «comme tout le
monde» n’aboutit pas à «être comme tout
le monde», comme en témoigne une étude
sur les représentations de soi émanant de
deux groupes de personnes avec des défi-
ciences motrices.
Les premières, qui ont contracté la polio-
myélite dans les années 50, ont été immer-
gées dans le discours et les pratiques de la
réadaptation, souvent depuis leur plus jeune
âge. Engagées dans la voie de la normalisa-
tion, la plupart d’entre elles (70%) assument
(ou ont assumé) une activité professionnelle
normale. Les secondes ont acquis une para-
plégie vingt-cinq ans plus tard en moyenne
et ont pu bénéficier des avancées de la loi
de 1975 et des allocations mises en place.
En outre, à la fin des années 70, le modèle
réadaptatif et les conceptions individualistes
du handicap commencent à être contestées,
les préoccupations se tournent alors davan-
tage sur la participation sociale et la citoyen-
neté que sur l’insertion professionnelle.
Moins de la moitié (40%) des personnes de
ce groupe sont insérés professionnellement.
Les personnes qui ont eu la poliomyélite
fournissent des représentations d’elles-
mêmes uniformes, quels que soient leur âge
et leur sexe, caractérisées par la maîtrise de
soi, le sens du devoir, la prudence et méti-
culosité alors que les représentations de soi
des personnes paraplégiques ne se dis-
tinguent pas de celles de personnes sans
déficiences. Ainsi, le processus de normali-
sation semble mener à un paradoxe: en
appliquant aux personnes handicapées les
normes et attentes communes, en les trai-
tant «comme les autres», il contribue à
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faire émerger des représentations de soi
particulières. C’est que la marche vers la
normalisation est coûteuse (Phillips, 1985);
elle impose de lourds efforts qui illustrent,
dans notre psychologie culturelle, la grande
volonté, la maîtrise d’elles-mêmes et la
capacité à «faire face» des personnes han-
dicapées qui ont «réussi leur réadaptation».
L’individualisme véhiculé dans nos repré-
sentations des personnes aboutit au renver-
sement suivant: termes génériques résumant
certains comportements, les «traits de per-
sonnalité» deviennent explicatifs de ces
mêmes comportements – C’est grâce à ma
volonté, à ma capacité de maîtrise que je suis
parvenu à mener une vie normale. Cette
psychologisation qui néglige les attentes
sociales au profit de la responsabilité indivi-
duelle confère une légitimation au traitement
social des déficiences par la réadaptation.
Depuis les années 80, des voix contesta-
taires et la forte mobilisation des personnes
handicapées qui s’en est suivie ont offert
d’autres grilles de lecture de l’expérience de
vie avec des déficiences. Les réflexions
menées dans le cadre de la Classification
internationale du fonctionnement, du han-
dicap et de la santé (OMS, 2001), d’une
part, et des disability studies, d’autre part,
ont permis des théorisations du handicap
dans lesquelles l’environnement joue un
rôle déterminant.
La perspective sociopolitique du modèle
social (Oliver, 1990), opposé au modèle
médical curatif/réadaptatif, conçoit le handi-
cap non plus comme un état de la personne,
mais comme une situation produite par les
barrières tant matérielles que sociocultu-
relles qui entravent la pleine participation
sociale et la pleine citoyenneté des personnes
concernées (Ravaud, 2001). Par ailleurs,
l’allongement de l’espérance de vie et le
nombre croissant de personnes vivant avec
des maladies chroniques conduisent à une
conception universaliste dans laquelle l’état
de «pleine capacité» serait un état transitoire
(Zola, 1989).
Ainsi, sur le plan symbolique, ces nouvelles
manières de penser le handicap offrent des
alternatives aux personnes concernées pour
donner sens à leur propre expérience. Sur
le plan pratique, les actions collectives
ouvrent de nouveaux espaces d’échanges et
d’entraide où diffusent les nouvelles valeurs
susceptibles de transformer l’expérience de
vie avec des déficiences et de déboucher sur
des logiques collectives ou individuelles
d’identification et d’intégration. S’il est encore
tôt pour analyser les répercussions de ces
évolutions, certains travaux illustrent le reten-
tissement positif du rapprochement commu-
nautaire sur les expériences individuelles.
Ainsi, la pratique sportive peut être uti-
lisée par des personnes stigmatisées en
raison de déficiences pour parachever un
processus d’intégration comportant plu-
sieurs étapes (Marcellini et al., 2000). Le
rapprochement avec des pairs permet la
construction d’un collectif qui se définit
initialement par la remise en cause des
représentations sociales dominantes qui lui
sont associées. En s’appropriant l’espace
sportif, le groupe invente des modalités de
pratique qui lui sont spécifiques, au cours
d’une phase de différenciation caractérisée
par une logique de repli communautaire.
S’engage ensuite une phase de négociation
permise par des rencontres entre la minorité
constituée et le groupe dominant concrétisée
par des ajustements réciproques: ouverture
des activités spécifiques du groupe à des
personnes non-membres et revendication
de la prise en compte des spécificités dans le
mouvement sportif général. Ces ajustements
entre minorité et majorité permettent la par-
ticipation sociale normalisée dans le respect
de la différence (Marcellini et al., 2000).
Le «travail biographique»2qu’accomplis-
sent les personnes après l’acquisition d’une
déficience motrice sévère peut, dans des
conditions favorables, conduire à défendre
de nouvelles valeurs et construire un projet
de vie considéré comme plus positif et plus
satisfaisant, voire une nouvelle identité.
L’accident et ses conséquences sont non
seulement acceptés, mais parfois même
interprétés comme une opportunité de
changement, une «deuxième naissance». Si
le temps est un élément essentiel de ce pro-
cessus de changement, une autre condition
2. Concept emprunté à Corbin et Strauss (1988).
Unending work and care. Managing chronic illness at home
,
San Francisco, Jossey-Bass Publishers.
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