
Classifier les lésions carieuses revient à répertorier les diffé-
rentes lésions présentes à un instant donné dans la bouche d’un
patient atteint par la carie selon un ensemble de critères
prédéfinis. Une classification pertinente devrait avoir deux
objectifs : celui d’identifier la lésion située au niveau des
couronnes cliniques dentaires par son site topographique, mais
aussi de la caractériser par ses attributs pathologiques, et ce dès
le stade le plus précoce de développement des lésions. Le
premier objectif a essentiellement un intérêt épidémiologique
ou de codification des actes ; toutefois, à lui seul, il est de peu
d’intérêt pour la pratique clinique, car il ne constitue pas une
aide à la prise de décision. La prise en considération des
caractéristiques pathologiques des lésions permet d’envisager les
différentes options de traitement requis de façon à aboutir à la
guérison des lésions ainsi répertoriées, soit par des procédures de
prévention, soit par des interventions chirurgicales d’intercep-
tion suivies d’une restauration. C’est la raison pour laquelle,
après avoir constaté l’inadéquation de la classification des caries
de Black avec les nouveaux concepts cariologiques en vigueur,
nous avions proposé, dès 1999, une nouvelle classification des
lésions carieuses à visée thérapeutique qui soit en quelque sorte
un guide clinique permettant d’assister le praticien dans sa prise
de décision.
[4, 5]
D’autres propositions de classifications des
caries ont également été formulées avant et pendant cette
période, en particulier le système de classification proposé par
Mount et Hume basé sur le site et la taille des lésions.
[6, 7]
La
révision de la classification de Black est un des éléments
constitutifs du concept actuel de dentisterie moins invasive ou
«minimally invasive dentistry », basé sur des soins préventifs non
invasifs et, lorsqu’une restauration est indiquée, des prépara-
tions cavitaires peu invasives dites a minima.
[8]
Malheureuse-
ment à ce jour, les efforts entrepris pour obtenir un consensus
sur une classification universelle n’ont toujours pas abouti, et de
ce fait la classification de Black,
[9]
bien que jugée de nos jours
obsolète, demeure encore la référence internationale à laquelle
les praticiens du monde entier se réfèrent dans leur pratique
quotidienne.
L’objectif de ce travail est de décrire et discuter les différentes
classifications des lésions carieuses actuellement disponibles,
dont le concept « SI/STA », qui associe une classification des
lésions carieuses par site de cariosusceptibilité et stade d’évolu-
tion aux principes modernes de traitement de la carie.
■Différentes classifications
des lésions carieuses
Classification de Black
Au tout début du XX
e
siècle, Black a publié une classification
des lésions carieuses en relation avec la situation de la carie sur
la dent :
• classe I : carie au niveau des défauts de structure dans les
puits et sillons ;
• classe II : carie proximale des prémolaires et des molaires ;
• classe III : carie proximale des incisives et canines sans
atteinte des bords incisifs ;
• classe IV : carie proximale des incisives et canines avec
atteinte des bords incisifs ;
• classe V : carie des collets dentaires ;
• classe VI : carie des bords incisifs et pointes cuspidiennes
(classe rajoutée ultérieurement).
Cette classification strictement topographique a été logique-
ment utilisée par extension pour désigner le lieu où la prépara-
tion cavitaire devait être débutée puis réalisée en fonction de la
classe de carie considérée. À tel point que dans l’esprit des
praticiens, cette classification initialement lésionnelle devint un
système codifiant les cavités d’obturation en relation avec les
matériaux disponibles à l’époque, l’or et l’amalgame. Dans la
classification de Black, le degré d’altération tissulaire, c’est-à-
dire la taille ou le stade atteint par la lésion, n’est pas pris en
compte car à l’époque on ignorait la relation étroite existant
entre les bactéries cariogènes et le processus de déminéralisation
ainsi que les possibilités de reminéralisation des structures
dentaires. L’élimination chirurgicale des tissus lésés était
considérée comme nécessaire et suffisante pour traiter la
maladie. Le système de Black, simple à mémoriser et extrême-
ment logique car fondé sur l’approche chirurgicale du traite-
ment, fut universellement adopté par les dentistes.
D’autre part, le système de Black suppose l’utilisation de
l’amalgame, un matériau d’obturation coronaire non adhésif,
régi par des principes de réalisation de cavités stéréotypées,
imposant une forme de contour préconçue, centrée sur la
résistance de l’obturation plutôt que sur celle de la dent et
conduisant de ce fait à des sacrifices tissulaires inutiles. Un de
ces principes en particulier, l’extension préventive postulait que
les limites extrêmes des cavités devaient être placées de telle
sorte que les bords de l’obturation soient soumis à l’autonet-
toyage lors de la mastication de façon à prévenir les lésions
récurrentes. On sait aujourd’hui que l’allongement excessif du
périmètre cavosuperficiel ne diminue pas la probabilité de carie
secondaire ; au contraire la longévité de la restauration aug-
mente lorsque les cavités sont de faible volume. Les principes
d’extension préventive et de préparation standardisée ne sont
plus que de vieux adages légués par les pionniers de la dentis-
terie. L’approche contemporaine plus conservatrice est basée sur
la préservation tissulaire : elle consiste à n’éliminer que la
quantité nécessaire et suffisante de tissus déminéralisés, et à
privilégier le recours aux matériaux de restauration adhésifs.
L’objectif de la restauration exclusivement mécanique se double
aujourd’hui d’un objectif biologique : un scellement étanche de
la cavité de façon à protéger le complexe dentinopulpaire.
Cependant si les principes de Black sont aujourd’hui abandon-
nés, sa classification semble devoir défier le temps et reste une
référence commode, alors qu’elle n’est plus conforme ni aux
données cariologiques scientifiquement établies ni aux concepts
d’intervention minimale et de restauration adhésive qui préva-
lent aujourd’hui.
[10]
Le besoin d’une nouvelle classification prenant en considéra-
tion les concepts modernes d’économie tissulaire est bien réel.
Classification par degré de Lubetzki
Cette classification
[11]
a été très longuement utilisée en
France, constituant le fondement des pratiques traditionnelles
de la dentisterie opératoire préconisé par Marmasse à partir de
1946. Elle comprend quatre degrés :
• premier degré : carie de l’émail ;
• second degré : carie de l’émail et de la dentine ;
• troisième degré : carie avec complications pulpaires (pulpites
irréversibles) ;
• quatrième degré : carie avec complications pulpaires et
parodontales (nécrose pulpaire et ses complications).
On notera que sur les quatre catégories mentionnées, les deux
premières concernent des lésions amélodentinaires pour les-
quelles le traitement est compatible avec le maintien de la
pulpe, les deux suivantes concernent les complications pulpaire
et parodontale des lésions carieuses impliquant des traitements
endodontiques. Cette approche relativement tranchée s’explique
par le contexte de forte prévalence carieuse de l’époque, les
lésions étant à évolution rapide et diagnostiquées tardivement
à un stade cavitaire.
Classification de l’Organisation mondiale
de la santé (OMS)
[12]
La classification internationale des maladies différencie, au
chapitre des maladies de la cavité buccale, les caries dentaires
(chapitre XI, K02) en fonction du tissu atteint :
• carie limitée à l’émail (carie initiale, taches blanches) ;
• carie de la dentine ;
• carie du cément.
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Classifications des lésions carieuses. De Black au concept actuel par sites et stades
2Odontologie