NS – Vol. XV 2010 La sécurité juridique des transactions internationales dans un monde global Alessandra Zanobetti Tiré à part / Offprint UNIDROIT La sécurité juridique des transactions internationales dans un monde global Alessandra Zanobetti * INTRODUCTION La sécurité juridique, qui peut être définie comme la prévisibilité des conséquences que le droit rattache à un fait ou à un acte, est une des fonctions inhérentes à l’essence même du droit 1. Elle est indispensable au déroulement ordonné de la vie des individus. S’il est vrai que parmi les éléments qui peuvent mettre en péril la sécurité juridique il y a, en premier lieu, la question fondamentale relative au respect des principes de l’État du droit, même dans les pays où ces principes sont respectés, la sécurité juridique trouve des obstacles dans la difficulté de connaître les normes juridiques, dans leur variabilité, les incertitudes liées à leur interprétation ou même à leur validité, dans les difficultés, les coûts, les longueurs des procédures judiciaires. Or, il est bien évident que lorsqu’on envisage d’entrer en contact avec un pays étranger, ces difficultés ne peuvent qu’être exacerbées et multipliées. Dans le contexte des transactions internationales la sécurité juridique pose des problèmes spécifiques, et en partie différents de ceux qui pourraient se poser lorsque les faits ou les rapports ne se rattachent qu’à une seule juridiction, qui ont même conduit à envisager le commerce international comme une activité à risque, dont les risques sont d’abord juridiques 2. * Secrétaire général adjoint de l’Institut international pour l’unification du droit privé (UNIDROIT). Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et ne reflètent pas nécessairement celles de l’Institut. Cet article est inclus dans l’ouvrage collectif : N.W. Vermeys, K. Benyekhlef, éd.), Le droit à la sécurité, la sécurité par le droit, Editions Thémis, Montréal (2011). 1 La sécurité juridique constitue un des résultats de l’exercice du pouvoir législatif ; v. sur ce point K. BENYEKHLEF, Une possible histoire de la norme, Les normativités émergentes de la mondialisation, Montréal (2008), 551 ss., qui souligne la contribution à une plus grande sécurité juridique exercée par la rédaction des coutumes et leur homologation par le pouvoir royal, en particulier en France au cours de la première moitié du XVIe siècle. 2 Pour cette affirmation voir E. LOQUIN, “Sécurité juridique et relations commerciales internationales”, Sécurité juridique et droit économique (sous la coord. de L. Boy / J.-B. Racine / F. Siiriainen), Bruxelles (2007), 476. Rev. dr. unif. 2010 905 Alessandra Zanobetti C’est ainsi que dans un article consacré à l’avant-projet d’Acte uniforme OHADA 3 sur le droit des contrats, l’auteur cite les préoccupations liées à l’insécurité juridique et judiciaire d’un opérateur économique étranger qui seraient à l’origine de l’absence d’investissements dans les États africains de la zone franc 4. La création de l’OHADA vise justement à porter remède à l’insécurité juridique, et à “établir un courant de confiance en faveur des économies de [ces] pays en vue de créer un nouveau pôle de développement en Afrique” 5. Au sein de l’Union européenne, la Commission a créé le “groupe sécurité juridique”, plus connu sous son appellation anglaise “Legal Certainty Group”, chargé d’étudier les questions de sécurité juridique liées à la compensation et au règlement-livraison des instruments financiers, dans le but d’éliminer les problèmes juridiques qui constituent “un des obstacles fondamentaux à la mise en place de systèmes transfrontaliers de compensation et de règlement-livraison aussi efficaces, sûrs et rentables qu’au niveau national” 6. 3 L’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a été créée par le Traité relatif à l’harmonisation du droit des affaires en Afrique signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice), entré en vigueur en 1995. L’OHADA regroupe (au 30 janvier 2011) seize pays (les quatorze pays de la Zone franc CFA, plus les Comores et la Guinée Conakry) ; elle est ouverte à tout État du continent africain (République démocratique du Congo en cours d’adhésion). 4 Les propos sont rapportés par G. KENFACK DOUJANI, “Arbitrage forcé et règlement en droit camerounais des litiges entre associés”, Penant (1997), 335. 5 Cet objectif est réaffirmé par le Traité portant révision du Traité OHADA, fait à Québec, le 17 octobre 2008, dont le préambule rappelle la détermination des Parties contractantes “à accomplir de nouveaux progrès sur la voie de l’unité africaine et leur volonté de renforcer la sécurité juridique et judiciaire dans l’espace de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), de nature à garantir un climat de confiance concourant à faire de l’Afrique un pôle de développement”. V. G. KENFACK DOUJANI, “Les conditions de création dans l’espace OHADA d’un environnement juridique favorable au développement”, Revue juridique et politique (1998), 11 ; P. MEYER, “La sécurité juridique et judiciaire dans l’espace OHADA”, Penant (2006), 151 ; L. BENKEMOUN, “Sécurité juridique et investissements internationaux”, ibidem, 193. 6 Communiqué de presse du 1er février 2005 annonçant la création du Groupe ; le même communiqué explique que : “Le groupe d’experts européen constitué par la Commission européenne et chargé par elle des questions de sécurité juridique liées à la compensation et au règlement-livraison a tenu sa première réunion à Bruxelles le 31 janvier 2004. Le groupe analysera ces questions dans la perspective de l’intégration des systèmes européens de compensation et de règlement-livraison de titres et conseillera la Commission en conséquence. Présidé par la Commission, il est composé d’une trentaine d’experts juridiques issus du monde universitaire et des secteurs public et privé, avec une participation fondée sur la personnalité propre de chacun, plutôt que sur sa représentativité. De fait, la composition du groupe a été essentiellement déterminée par le désir de réunir des compétences et, partant, de sélectionner les candidats sans souci de leurs appartenances”. 906 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global Ces préoccupations, exprimées dans des contextes très différents, sont liées au phénomène de la globalisation, caractérisé par une libéralisation des échanges de plus en plus poussée où les biens et les services sont produits et négociés dans un marché mondial et qui, en provoquant des modifications importantes au contexte juridique dans lequel se déroulent les transactions, remet en cause le rôle de la sécurité juridique. En effet, les rapports se déroulant dans un milieu international présentent le problème de la soumission, du moins en puissance, à plusieurs ordres juridiques. Ces questions font l’objet de règles juridiques multiples qui ont justement pour but, sinon pour effet, de réduire cette insécurité ; le propos de cette contribution est celui de présenter un aperçu de ces règles et d’en vérifier l’efficacité, en soulignant en particulier le rôle qu’ont joué en la matière d’une part les États et les organisations internationales, sujets classiques du droit international, et d’autre part les opérateurs économiques. La mondialisation qui caractérise l’époque actuelle est un phénomène qui s’est développé progressivement et qui intéresse tous les secteurs de la vie sociale, politique, économique. Comme l’a indiqué une étude très approfondie sur la dynamique de la mondialisation, ses trois dimensions les plus importantes consistent dans les échanges internationaux de biens et de services, dans les flux d’investissements directs à l’étranger et dans la circulation des capitaux 7. Sur la base de la prééminence de l’importance de chacune de ces dimensions, l’auteur propose une distinction en phases du processus de mondialisation, qui se sont déroulées successivement sans que, cependant, l’essor d’une de ces dimensions n’ait effacé les autres. S’il est vrai que les échanges de biens et de services, caractéristiques de l’extension de l’économie sur un plan international, correspondent encore aujourd’hui à une très large partie du volume global des transactions internationales, une autre dimension, celle des investissements directs à l’étranger et de la mobilité des activités productives, a subi un développement remarquable, surtout à partir des années soixante, avec l’essor des entreprises multinationales. Quant à la circulation des capitaux, elle a acquis progressivement, dans un pourcentage toujours grandissant, une logique purement financière ; on calcule qu’aujourd’hui le montant des flux de capitaux correspond à trois fois la valeur du commerce mondial de biens et services. Le développement de ces phases a pu se réaliser grâce à l’émergence de règles qui l’ont accompagné et qui ont évolué par des méthodes différentes et 7 Ch.-A. MICHALET, “Les métamorphoses de la mondialisation, une approche économique”, La mondialisation du droit (sous la dir. de E. Loquin et K. Kessedjan), Paris (2000), 17. Rev. dr. unif. 2010 907 Alessandra Zanobetti dans des contextes hétérogènes 8. Dans cet aperçu, les règles en question seront présentées en les groupant sous deux aspects de la réglementation juridique d’une transaction internationale. Le premier est constitué par le fait de l’insécurité due à l’environnement juridique dans lequel la transaction doit se dérouler (I). Le deuxième tient à la discipline de la transaction elle-même (II). I. – L’ENVIRONNEMENT JURIDIQUE DES TRANSACTIONS INTERNATIONALES Les transactions internationales font l’objet d’une série de règles couvrant des aspects différents été élaborées généralement avec l’intervention, plus ou moins efficace et directe, d’organisations internationales. Un des premiers domaines que l’on peut mentionner est celui des accords financiers et monétaires de Bretton Woods qui, comme il est bien connu, ont créé le système de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international et posé les bases du système des paiements internationaux. L’intérêt pour la sécurité des transactions est évident, tant du point de vue monétaire, que du système des paiements et des garanties 9. Contribue aussi à la sécurité juridique le réseau très étendu de conventions bilatérales – on en compte plus de 2000 – tendant à éviter la double imposition. Dans ce domaine, la tentative de créer des règles multilatérales a toujours échoué ; en revanche, des règles bilatérales se sont multipliées. En grande partie, ces accords se basent sur le modèle OCDE ; ils présentent des spécificités mais répondent en général de manière satisfaisante à la question d’éviter les doubles impositions ainsi que de fournir un cadre fiable de la matière. Les Nations Unies ont rédigé un modèle d’accord spécialement conçu pour les rapports entre pays en voie de développement et pays développés. Il est intéressant de souligner que l’approche bilatérale au problème permet des adaptations aux situations différentes qui peuvent se créer dans les rapports entre les pays ; même dans des cadres d’intégration, tels qu’au sein de l’Union européenne, ce réseau constitue la solution qui a été considérée, du moins jusqu’à présent, comme la plus efficace et appropriée. 8 V. pour une analyse approfondie de la naissance et de l’affirmation du droit du commerce international BENYEKHLEF, supra note 1, 252 ss., qui en souligne la nature composite, “en ce qu’il se constitue à partir non seulement de règles d’origine nationale, mais aussi interétatique et même de règles d’origine spontanée”. 9 V., pour un bilan et des perspectives du système institué par les accords de Bretton Woods, l’ouvrage collectif récent Orderly Change: International Monetary Relations since Bretton Woods (sous la dir. de D.M. Andrews), Ithaca (2008). 908 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global Après la seconde guerre mondiale, la Conférence des Nations Unies pour le commerce et l’emploi, réunie à Cuba de novembre 1947 à mars 1948, a débattu de la création d’une organisation internationale ayant pour mission de constituer un forum en matière de commerce international et a adopté à cet effet la Charte de La Havane en avril 1948. La Conférence avait négocié des concessions tarifaires, résultat qu’il était urgent de mettre en œuvre et à l’abri, sans attendre le délai – d’ailleurs tout à fait incertain – d’entrée en vigueur de la Charte de La Havane. C’est ainsi qu’il a été décidé d’extraire de la Charte le chapitre sur la politique commerciale et d’y faire quelques ajouts, en le transformant dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui est entré en vigueur sur la base d’un Protocole d’application provisoire. Cette application provisoire s’est prolongée dans le temps 10; en effet la Charte de La Havane n’a pas reçu de ratifications et l’Organisation internationale du commerce qu’elle aurait dû instituer n’a jamais vu le jour. Ce n’est qu’en 1994 que le GATT, qui avait subi des modifications et des intégrations par l’effet de rounds de négociations qui s’étaient succédé au fil des ans, a été intégré dans les Accords de Marrakech du 15 avril 1994, qui ont également institué l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Là encore, on peut constater que même en l’absence d’un cadre institutionnel stable à cause de l’échec de la Charte de La Havane, les États ont ressenti la nécessité d’établir des règles susceptibles de constituer une référence pour les échanges de marchandises. Le résultat le plus éclatant est celui qui concerne les droits de douane : grâce à la clause de la nation la plus favorisée contenue dans l’accord provisoire, ainsi qu’aux rounds de négociations, le taux tarifaire moyen est diminué de façon impressionnante, en passant d’une moyenne de 45% entre les pays participant au GATT en 1947, à une moyenne de 3% entre ces mêmes pays en 1994, au moment de l’adoption des Accords de Marrakech. Sous forme de codes, d’autres règles ont été intégrées au GATT. Ces règles ont été relativement tôt accompagnées par un système de règlement des différends, qui a sans doute contribué au développement du système et à sa fiabilité, en permettant de conjuguer les exigences de sécurité juridique et de certitude dans l’application des règles avec les exigences de flexibilité qui caractérisent le droit du commerce international, qui est appelé à s’adapter à des situations qui peuvent varier en fonction de plusieurs circonstances, de 10 Voir l’ouvrage de P. PICONE, L’applicazione in via provvisoria degli accordi internazionali, Napoli (1973). Rev. dr. unif. 2010 909 Alessandra Zanobetti nature économique, politique et sociale 11. S’il est vrai que les règles formées au sein de l’OMC régissent les rapports entre les États, elles ont aussi une influence directe sur les individus, bien qu’ils n’en soient pas formellement les destinataires 12. Les règles du commerce mondial présentent encore plusieurs marges d’incertitude, liées notamment à des questions qui n’ont pu être résolues et qui ont conduit à une certaine fragmentation et à l’absence de mécanismes de coordination et d’harmonisation 13 ; cependant, la mise en place d’un système de règlement des différends contribue sans aucun doute à une sécurité juridique accrue, grâce aussi à une jurisprudence qui est en train de se former 14. Sans doute l’OMC constitue la preuve qu’une juridictionnalisation du commerce mondial était ressentie comme une exigence 15. Son succès est remarquable dans l’histoire des organisations internationales ; à seulement peu plus de quinze ans de sa création, elle compte 153 membres et 30 autres États y ont le statut d’observateurs – statut qui est lié à l’instauration de négociations en vue de l’adhésion 16. 11 Sur la naissance du système de règlement de différends et sur sa structuration progressive, v. E. CANAL FORGUES, L’institution de la conciliation dans le cadre du GATT : contribution à l’étude de la structuration d’un mécanisme de règlement des différends, Bruxelles (1993) ; du même auteur, sur le fonctionnement actuel du système, qui a déjà donné lieu à plus de 400 procédures, Le règlement des différends à l’OMC, 3ème éd., Bruxelles (2008). Pour un bilan des premières dix années, v. G. SACERDOTI, “The Dispute settlement System of the WTO in Action : A Perspective of the First Ten Years”, The WTO at Ten: The Contribution of the Dispute Settlement System (sous la dir. de G. Sacerdoti, A. Yanovich et J. Bohanes), Cambridge (2006), 35 ss. Sur la sécurité juridique au sein de l’OMC v. en particulier W. WEISS, “Security and Predictability under WTO Law”, World Trade Law (2003), 183. 12 V. sur ce point P. MENGOZZI, “Les droits des citoyens de l’Union européenne et l’applicabilité directe des Accords de Marrakech”, Revue du marché unique européen (1994), 165, et, se référant en particulier à l’effet du système de règlement des différends, E. KESSI, “Enhancing Security and Predictability for Private Business Operations under the Dispute Settlement System of the WTO”, Journal of World Trade (2000), 1. 13 H. RUIZ FABRI, “La contribution de l’Organisation mondiale du commerce à la gestion de l’espace juridique mondial”, La mondialisation du droit, supra note 7, 347, spéc. 368 ss. 14 Le site Internet de l’OMC (<http://www.wto.org>), dans les pages concernant le règlement des différends, consacre une page à chacun des différends, qui peuvent être l’objet de plusieurs recherches – chronologique, par pays ou par sujet. 15 L’OMC contribue à ce qui a été défini comme la “juridicisation” du commerce international ; v. RUIZ FABRI, supra note 12, qui souligne cependant, spéc. 369, la fragmentation qui caractérise le système et l’absence de mécanismes de coordination et d’harmonisation. 16 Avec l’exception du Saint-Siège, tous les gouvernements observateurs doivent commencer les négociations dans un délai de cinq ans. Parmi les grands protagonistes du commerce mondial, on remarque surtout l’absence de la Fédération de Russie et de quelques unes des républiques de la CEI, ainsi que de l’Iran, de la Libye, du Liban et de la Serbie. 910 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global Un autre important secteur qui a contribué à augmenter la sécurité juridique des transactions internationales a également été Réglementé par une approche bilatérale : celui des investissements. L’histoire de cette règlementation juridique est particulièrement intéressante. Bien que précédée par des phénomènes plus anciens 17, c’est surtout après la deuxième guerre mondiale qu’elle a eu son véritable essor, à cause de la conviction que le recours à des apports extérieurs de capitaux et de technologie aurait pu aider le développement économique des nations qui se trouvaient dans une situation moins favorisée. Les problèmes liés à ces interventions économiques sous forme d’investissements tiennent justement à la sécurité juridique. Il faut en premier lieu que ces investissements puissent se dérouler dans des formes juridiques qui permettent au capital et aux biens étrangers d’être admis sur le territoire de l’État objet de l’investissement ; pour cette raison, dans une première phase on a assisté à la conclusion de traités d’établissement. Les pays présentent un risque plus ou moins élevé lié à leur capacité économique, mais aussi aux changements de législation et de stratégies, rendus plus évidents en cas d’instabilité politique. Le risque majeur est celui de la nationalisation des biens appartenant aux opérateurs économiques étrangers ayant investi dans le pays en question, événement qui s’est effectivement vérifié, comme on le sait, dans un certain nombre d’occasions 18. D’où la nécessité de protéger ces investissements. Ce fut en 1959 que l’Allemagne conclut avec le Pakistan le premier traité bilatéral pour la promotion et la protection des investissements. Ce nouveau type d’instrument, destiné à remplacer les vieux traités d’établissement, se développa dans un premier temps avec une grande lenteur ; des tentatives visant à l’adoption de conventions multilatérales ayant cet objet ne purent aboutir à aucun résultat. De ces tentatives, la plus connue est celle entreprise dans le cadre de l’OCDE 19, qui a consisté en un “Projet de convention sur la 17 V. Ph. KAHN, “Les investissements internationaux, nouvelles données : un droit transnational de l’investissement”, Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux (sous la dir. de Ph. Kahn et T-W. Wälde), Leiden (2007), 18, qui cite notamment les contrats de concessions en matière d’exploitation minière et pétrolière. 18 Voir à propos de l’affaire Aminoil les observations de Ph. KAHN, “Contrats d’État et nationalisation. Les apports de la sentence arbitrale du 24 mars 1982”, Journal du droit international (1982), 844 s. 19 Cette organisation met en œuvre un programme d’interventions en faveur de la croissance du commerce international et de la mondialisation des échanges. En effet, bien que ne comptant que vingt États à son origine (trente maintenant), son action vise tant les pays membres que les pays non membres. Selon son acte constitutif, elle se propose de contribuer “au développement Rev. dr. unif. 2010 911 Alessandra Zanobetti protection des biens étrangers” adopté par Résolution du Conseil le 12 octobre 1967. Ce projet visait, comme son nom l’indique, essentiellement la protection des biens et des capitaux investis dans un territoire par une entreprise étrangère ; son article 1 prévoyait que “[c]hacune des Parties s’engage à assurer à tout moment un traitement juste et équitable aux biens des ressortissants des autres Parties. Sur son territoire, chacune des Parties accordera une protection et une sécurité constantes à ces biens et n’entravera en aucune façon leur gestion, leur entretien, leur utilisation, leur jouissance ou leur liquidation par des mesures injustifiées ou discriminatoires”. La définition de biens comprenait “tous les biens, droits et intérêts, détenus directement ou indirectement, y compris les intérêts que le membre d’une société est censé avoir dans les biens de la société” (article 9). Toute saisie de ces biens ne pouvait être prise que pour cause d’utilité publique et par une procédure légale, en donnant lieu “au paiement d’une juste indemnité. Cette indemnité correspondra à la valeur réelle du bien en cause, sera versée sans délai injustifié et sera transférable dans la mesure nécessaire pour la rendre effective pour l’ayant droit” (article 3). Le projet a rencontré des oppositions très fortes et n’a jamais été adopté ; son acceptation se heurtait en effet à la proclamation, faite par la Résolution 1803 de l’Assemblée Générale des Nations Unies le 14 décembre 1962, de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles 20. Néanmoins, les États qui avaient le plus soutenu la Résolution 1803, c’est-à-dire les États du tiers monde, ont peu à peu accepté de conclure des accords bilatéraux de protection et promotion des investissements. C’est surtout au cours des années 80 que l’on peut constater l’essor du phénomène. Les États sont passés, comme on a souligné avec efficacité, de la suspicion et du contrôle à l’attraction des investissements étrangers 21 ; c’est la constatation que économique des pays membres et non membres en voie de développement économique par des moyens appropriés et, en particulier, par l’apport à ces pays de capitaux, en tenant en outre compte de l’importance que présentent pour leur économie la fourniture d’assistance technique et l’élargissement des débouchés offerts à leurs produits d’exportation” (art. 2 d). V. M. SALEM, “Du rôle de l’OCDE dans la mondialisation de l’économie. Aspects juridiques”, La mondialisation du droit, supra note 7, 333. 20 Dont l’article 8 affirme que “Les accords relatifs aux investissements étrangers librement conclus par des États souverains ou entre de tels États seront respectés de bonne foi; les États et les organisations internationales doivent respecter strictement et consciencieusement la souveraineté des peuples et des nations sur leurs richesses et leurs ressources naturelles, conformément à la Charte et aux principes énoncés dans la présente résolution”. 21 CH.-A. MICHALET, “L’évolution de la législation sur les investissements directs étrangers et la dynamique de la mondialisation”, Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 912 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global l’indépendance politique ne comporte pas automatiquement l’indépendance économique. L’échec du projet de convention OCDE ne lui a pas empêché de servir de modèle aux traités bilatéraux, qui ont largement dépassé le nombre de 2500 22. Encouragée par ces données, l’OCDE a entrepris à la fin des années 90 une nouvelle tentative en vue de l’adoption d’un instrument multilatéral. Cependant, le nouveau projet visant à mettre en place un instrument dénommé Accord multilatéral sur l’investissement (AMI, MAI en anglais) a échoué et a été abandonné 23. Même si on s’est demandé si ce réseau de traités bilatéraux qui ne cesse de s’élargir ne serait pas en train de donner naissance à une sorte d’accord multilatéral de facto 24, force est de constater que ce n’est que sur une base bilatérale que les États acceptent de s’engager, du moins pour ce qui concerne les concessions de fond 25, en consentant souvent aussi à l’inclusion d’une clause de stabilisation qui protège les investisseurs des changements législatifs et par conséquent renforce la sécurité juridique de l’opération économique 26. 20ème siècle, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Paris (2000), 434. Dans la vaste bibliographie consacrée au sujet v. G. SACERDOTI, “Bilateral Treaties and Multilateral Instruments on Investment Protection”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 269 (1997), 251 ; F. HORCHANI, “Le droit international des investissements à l’heure de la mondialisation”, Journal du droit international (2004), 367 ; v. aussi R. DOLZER / Ch. SCHREUER, Principles of International Investment Law, Oxford (2008). 22 Source : Institut international de l’investissement durable (IIDD). Ce qui porte à considérer le phénomène comme une véritable prolifération de traités, ainsi que le définit G. SACERDOTI, “The Proliferation of BITs : Conflicts of Treaties, Proceedings and Awards”, Appeals Mechanisms in International Investment Disputes (sous la dir. de K.P. Sauvant, avec M. ChiswickPatterson), New York (2008), 127. 23 Les négociations entre les 29 pays membres ont été conduites de 1995 à 1998 ; une mobilisation de secteurs s’opposant à une libéralisation trop poussée, appartenant à des organisations non gouvernementales ainsi qu’à des associations contraires au projet, a cependant manifesté contre son adoption. C’est la France qui a décidé qu’il valait mieux abandonner le projet, dont on a pu dire qu’il marquait le passage “du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes au droit des investisseurs à disposer des peuples” (l’affirmation est contenue dans un Communiqué de la Société des réalisateurs de films, de l’Union des producteurs de films et du syndicat CGT des artistes-interprètes du 2 février 1998, cité par CH. DE BRIE, Monde Diplomatique, archives, décembre 1998). Les discussions sur l’AMI ont été reprises au sein de l’OMC et pour le moment à nouveau abandonnées. 24 V. l’analyse de E. CHALAMISH, “The Future of Bilateral Investment Treaties: A De Facto Multilateral Agreement?”, Brooklyn Journal of International Law (2009), 303; v. aussi S.W. SCHILL, The Multilateralization of International Investment Law, Cambridge (2009). 25 C’est un moyen très efficace et moins contesté, qui est utilisé même par des États qui ont toujours manifesté leur opposition à s’engager dans cette direction ; v. A. BENCHENEB, “Sur l’évolution de la notion d’investissement”, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, supra note 21, 187 ss. 26 Voir à ce propos Ch. LEBEN, “Quelques réflexions théoriques à propos des contrats d’État”, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, supra note 21, 164 ss. La clause aura pour effet de Rev. dr. unif. 2010 913 Alessandra Zanobetti Cet important réseau de traités s’est développé grâce, et en fonction, du développement parallèle d’un système de règlement des différends dans le même domaine : c’est la Convention de Washington du 18 mars 1965, adoptée sous l’égide de la Banque mondiale, qui a favorisé ce développement remarquable 27. La Convention a mis en place le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États, connu dans son abréviation française comme CIRDI et en anglais comme ICSID 28. Le succès du système, malgré un démarrage lent, est tel qu’on a affirmé qu’il constitue la juridiction internationale de droit commun, et cela grâce au nombre très élevé de ratifications, ainsi qu’à l’interprétation qu’a reçue la référence au Centre contenue dans les traités bilatéraux ou dans d’autres instruments en matière d’investissements 29. La question mérite d’être approfondie. C’est en 1988 qu’une décision arbitrale rendue dans la célèbre affaire des Pyramides affirme qu’un investisseur peut s’adresser unilatéralement à un tribunal CIRDI lorsqu’un État y a fait référence dans une loi nationale en matière d’investissements étrangers 30, et c’est en 1990 qu’une décision arbitrale a fondé sa compétence sur un traité bilatéral d’investissement, en l’absence de toute clause compromissoire ou de compromis 31. On a évoqué à ce propos l’idée de “arbitration without privity” 32. renforcer les espérances légitimes des cocontractants privés. 27 La protection des investissements est en même temps assurée par l’Agence multilatérale de garantie des investissements (AGI, MIGA en anglais), créée par la Banque mondiale et instituée par la Convention de Washington de 1985, qui compte à ce jour (octobre 2007) 171 États parties ; v. I.F.I. SHIHATA, “The Multilateral Investment Guarantee Agency (MIGA) and the Legal Treatment of Foreign Investment”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 203 (1987), 95. 28 Le Centre compte 144 États membres. La bibliographie sur le système de règlement des différends qu’il crée est très abondante ; nous ne citerons que l’ouvrage, issu des travaux du Centre de recherche de l’Académie de La Haye de droit international, Les aspects nouveaux du droit des investissements internationaux, Leiden (2007), publié sous la direction de Ph. Kahn et de Th. W. Wälde (qui ont dirigé les travaux du Centre), qui contient aussi une riche bibliographie, ainsi que l’ouvrage de référence par E. GAILLARD, La jurisprudence du CIRDI, Paris (2004). 29 KAHN, supra note 16, 61. 30 Sentence Southern Pacific Properties Ltd. c. Egypte, 14 avril 1988, Yearbook of Commercial Arbitration (1991), 28. Voir les observations de E. GAILLARD, Journal du droit international (1994), 217 s., ainsi que, pour une analyse du bien fondé de cette décision, Ph. KAHN, “À propos de l’ordre public international : quelques observations”, Mélanges Fritz Sturm, vol. II, Liège, 1539. 31 Sentence Asian Agricultural Products Ltd. c. Sri Lanka, 27 juin 1990, Journal du droit international (1992), 217, avec observations par E. GAILLARD. 32 L’expression est due à J. PAULSSON, “Arbitration Without Privity”, ICSID Review - Foreign Investment Law Journal (1995), 232. 914 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global La possibilité d’admettre l’arbitrage sans fondement contractuel a constitué la base d’un nombre très important d’affaires ; que cette interprétation soit ou non légitime 33, il est certain qu’elle a contribué à conférer au CIRDI le rôle de juridiction générale, de droit commun comme on a indiqué, pour les litiges en matière d’investissements 34. Mais il y a plus. La Convention de Washington s’applique “aux différends d’ordre juridique entre un État contractant (ou telle collectivité publique ou tel organisme dépendant de lui qu’il désigne au Centre) et le ressortissant d’un autre État contractant qui sont en relation directe avec un investissement” 35. Or, cette définition a fait l’objet d’une interprétation qui peut être définie extensive, puisque on y a fait entrer, entre autres, des opérations relatives à des effets de commerce (sentence Fedax) et des contrats de génie civil (affaire Salini c. Maroc). Bien qu’on puisse signaler un certain revirement dans des traités bilatéraux récents 36, c’est un indice du grand attrait que la possibilité de recourir à un arbitrage présente pour les opérateurs économiques ; cela les pousse à soumettre au système de règlement des différends même des questions qui tiennent probablement plus aux autres dimensions des transactions internationales, c’est-à-dire aux échanges de biens ou services ou même à la circulation de capitaux 37, qu’au domaine des investissements stricto sensu. Une dernière remarque tient au droit applicable. D’après l’article 42 de la Convention, le Tribunal arbitral “statue sur le différend conformément aux règles de droit adoptées par les parties. Faute d’accord entre les parties, le 33 V. à ce propos B. STERN, “Le consentement à l’arbitrage CIRDI en matière d’investissement international : que disent les travaux préparatoires ?”, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, supra note 20, 223 ss. Il ne s’agit pas, cependant, d’arbitrage forcé ; en effet, un consentement est toujours demandé, même si les tribunaux considèrent suffisant que le consentement de l’État soit exprimé dans le texte d’un traité ou dans une loi nationale, alors que le consentement de la partie privée s’exprimerait lors de l’introduction de la requête. V. sur ce point HORCHANI, supra note 21, 367, spéc. 408. 34 On a même affirmé que les arbitrages permettent “le contrôle de la légalité économique internationale”; v. à ce propos W. BEN HAMIDA, “L’arbitrage État-investisseur étranger : regards sur les traités et projets récents”, Journal du droit international (2004), 441. 35 Art. 25. 36 BEN HAMIDA, supra note 34, 419, qui illustre deux accords de libre-échange conclus par les États-Unis avec Singapour et le Chili. 37 La Convention de Washington ne contient pas de définition de la notion d’investissement, qui est pourtant essentielle pour établir la compétence du Centre. Il est possible que l’absence soit due à des difficultés d’atteindre un consensus sur ce point au cours des négociations ; mais selon BENCHENEB, supra note 24, 182 ss., on peut y voir un renoncement d’ordre tactique, qui a permis d’interpréter la notion avec une certaine souplesse et qui a constitué un moyen pour étendre le champ d’application de la Convention. V. aussi sur ce point STERN, supra note 33, 223 ss. Rev. dr. unif. 2010 915 Alessandra Zanobetti Tribunal applique le droit de l’État contractant partie au différend – y compris les règles relatives aux conflits de lois – ainsi que les principes de droit international en la matière”. Il s’agit d’une disposition qui semblerait donner primauté au droit national de l’État partie au différend ; en réalité, les arbitres appliquent directement des règles qu’ils considèrent correspondre aux principes du droit international en la matière, sans qu’il y ait lieu de se référer, du moins dans la plupart des cas, au droit national 38. C’est donc d’une manière pragmatique que ces règles ont vu le jour. Elles ont été bâties à partir des nécessités du monde économique ; on a remarqué que l’institutionnalisation des forums de discussion a permis le développement de ces règles, qui cependant paraissent encore relativement peu structurées. C’est en particulier la difficulté de parvenir à des règles contraignantes de nature multilatérale qui peut être soulignée. II. – LA RÈGLEMENTATION DES TRANSACTIONS INTERNATIONALES Les différences entre les ordres juridiques posent évidemment des problèmes relatifs à la règlementation des transactions entre les opérateurs économiques, liés en premier lieu à la nécessité d’identifier le droit applicable lorsque, du moins en principe, plusieurs juridictions peuvent se déclarer compétentes ; et encore, difficultés de connaissance du droit étranger, qui est parfois difficile à appréhender, difficultés de repérer les sources, problèmes de validité et interprétation 39. Les réponses à ces diverses questions sont fournies en premier lieu par le droit international privé et par le droit uniforme 40. Les activités visant à poser 38 Z. CRESPI REGHIZZI, “Diritto internazionale e diritto interno nelle controversie sottoposte ad arbitrato ICSID”, Rivista di diritto internazionale privato e processuale (2009), 5. 39 On a avancé aussi la question des coûts entraînés par ces aspects ; une analyse des coûts des transactions liés, entre autre, aux coûts de nature légale est faite par F.A.G. DEN BUTTER / R.H.G. MOSCH, “Trade, Trust and Transaction Costs”, Tinberger Institute Discussion Paper, 7 octobre 2003, qui peut être consultée sur le site <http://www.tinberger.nl>. C’est une analyse qui est extrêmement difficile à effectuer, parce qu’on ne dispose d’aucune statistique officielle disponible, et que les situations sont tellement différenciées que toute tentative d’étude empirique présente toujours un caractère partiel ; v., par exemple, la recherche empirique effectuée à l’initiative du Zentrum für Europäische Rechtspolitik an der Universität Bremen, Allemagne : V. GESSNER / A. CEM BUDAK, Emerging Legal Certainty : Empirical Studies on the Globalization of Law, Aldershot (1998), qui a examiné plusieurs expériences différentes. 40 Les deux méthodes sont d’ailleurs appelées à s’intégrer ; v. A. MALINTOPPI, “Les rapports entre droit uniforme et droit international privé”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 116 (1965), 1 ; P. MENGOZZI, “Diritto uniforme e diritto internazionale privato”, Il diritto marittimo (1987), 478 ; K. BOELE-WOELKI, “Unifying and harmonizing substantive 916 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global des règles en ces domaines afin de réduire ces incertitudes remontent à des époques lointaines. Comme on le sait, le droit international privé appartient au droit national de chaque État ; il est donc possible que les règles soient différentes d’un pays à l’autre, et que par conséquent les solutions à une question donnée ne puissent être connues avec certitude – la certitude relative qui est liée à la seule indication du droit applicable – que lorsque l’on connaît quelle est l’autorité judiciaire qui est compétente 41. La situation, très incertaine sur le plan théorique, est cependant moins aléatoire dans la pratique du droit, du moins pour ce qui concerne les transactions et plus en général les obligations contractuelles : en effet, la plus grande partie des systèmes juridiques permettent aux parties de désigner la loi applicable 42. Cette règle d’autonomie, qui a une origine ancienne et correspond à l’autonomie qui est laissée aux parties même sur le plan du droit matériel, est universellement reconnue, bien qu’avec une portée, une largeur et des conséquences qui peuvent différer d’une juridiction à l’autre. Il est ainsi possible pour les parties à un contrat d’indiquer la loi à laquelle ils ont décidé de soumettre leurs obligations respectives, avec la très haute probabilité de voir ce choix reconnu et respecté. Cette solution est retenue par la plupart des conventions internationales 43; entre autres, il s’agit du critère de rattachement prévu par la Convention de la Haye sur la vente – qui malgré son nombre très limité de ratifications constitue à l’heure actuelle la seule convention de droit international privé uniforme à tendance universelle en vigueur consacrée au contrat le plus commun – ainsi que, par exemple, par la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles et par le law and the role of conflict of laws“, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 340 (2009), 271 ; A. ZANOBETTI, “Diritto uniforme e diritto internazionale privato : la disciplina degli strumenti finanziari detenuti presso un intermediario”, Pluralità di ordinamenti e diritti degli individui. Studi degli allievi in onore di Paolo Mengozzi, Napoli (2010), 361 41 Il est peut-être intéressant de rappeler que le juriste et homme d’État italien Pasquale Stanislao Mancini avait au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle préconisé l’importance d’une unification internationale des règles de droit international privé ; la correspondance qu’il entreprit à cet effet avec plusieurs gouvernements est publiée au Journal du droit international (1886), 35 s. 42 Avec l’exception notable des États de l’Amérique latine, qui pourtant l’ont insérée dans la Convention interaméricaine sur la loi applicable aux contrats internationaux, adoptée à Mexico le 17 mars 1994, qui n’a jusqu’à présent reçu que deux ratifications et n’est donc en vigueur qu’au Mexique et au Venezuela. 43 V. A. L. DIAMOND, “Harmonization of Private International Law Relating to Contractual Obligations”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 199 (1986), 233. Rev. dr. unif. 2010 917 Alessandra Zanobetti Règlement Rome I qui l’a remplacée 44. Les parties au contrat ont donc la possibilité de choisir eux-mêmes la loi applicable et de donner ainsi un cadre juridique certain et prévisible à leurs droits et obligations réciproques 45. En l’absence d’un tel choix, la solution n’est pas facile et prête à des incertitudes. Les différents systèmes juridiques offrent des solutions disparates, aucune desquelles n’étant vraiment satisfaisante. La Convention de La Haye en matière de vente d’objets mobiliers corporels indique comme applicable la loi de l’acheteur 46 ; la Convention de Rome fait recours à la loi du pays avec lequel le contrat “présente les liens les plus étroits” 47, tandis que le Règlement Rome I indique une série de rattachements pour les types les plus fréquents de contrats 48. Cette formule est inspirée de la conception de la recherche de la 44 Règlement (CE) No 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). 45 Dans un certain nombre de systèmes juridiques, le choix n’est pas totalement libre, mais est limité à la loi d’un pays qui présente avec le contrat un certain facteur de rattachement. Cette solution a été adoptée aussi par la récente Convention de La Haye sur la loi applicable à certains droits sur des titres détenus auprès d’un intermédiaire, adoptée par la Conférence de La Haye de droit international privé le 13 décembre 2002, qui permet aux parties le choix de la loi applicable, mais il est précisé que “La loi désignée conformément à la présente disposition ne s’applique que si l’intermédiaire pertinent a, au moment de la conclusion de la convention, un établissement dans cet État, qui: a) soit seul, soit avec d’autres établissements de l’intermédiaire pertinent ou d’autres personnes agissant pour l’intermédiaire pertinent, dans cet État ou dans un autre État: i) effectue ou assure le suivi des inscriptions en comptes de titres; ii) gère les paiements ou les opérations sur titres relatifs à des titres détenus auprès de l’intermédiaire; ou iii) exerce autrement à titre professionnel ou habituel une activité de tenue de compte de titres; ou b) est identifié comme tenant des comptes de titres dans cet État au moyen d’un numéro de compte, d’un code bancaire ou d’un autre mode d’identification spécifique” (Art. 4(1)). 46 “A défaut de loi déclarée applicable par les parties, dans les conditions prévues à l’article précédent, la vente est régie par la loi interne du pays où le vendeur a sa résidence habituelle au moment où il reçoit la commande. Si la commande est reçue par un établissement du vendeur, la vente est régie par la loi interne du pays où est situé cet établissement” (Art. 3). Il est prévu au même article que pour les contrats de bourse et les vente aux enchères “la vente est régie par la loi interne du pays où se trouve la bourse ou dans lequel sont effectuées les enchères”. 47 Art. 4. 48 Le Règlement Rome I contient des dispositions s’appliquant à des types déterminés de contrats, chacun assorti de son propre critère de rattachement. Par exemple la vente est soumise à la loi où réside habituellement, ou a son siège, le vendeur ; le contrat ayant pour objet un droit réel immobilier est régi par la loi du pays dans lequel l’immeuble est situé ; même solution pour le bail, avec des exceptions toutefois pour les baux de durée inférieure à six mois. Et encore, le contrat de franchise est régi par la loi du pays dans lequel le franchisé a sa résidence habituelle ou son siège ; les contrats des marchés financiers règlementés sont régis par la loi qui règle ces marchés. Rome I élimine ainsi certains doutes que les présomptions de la Convention de Rome, basées sur l’individuation du prestataire caractéristique, ne permettent pas de résoudre facilement. Les contrats 918 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global “proper law of the contract”, c’est-à-dire de la loi qui est appelée de façon pourrait-on dire naturelle à régir le contrat. Il s’agit d’une conception qui peut présenter le risque d’interprétations divergentes sur le plan concret 49. Face à cette situation problématique, le choix de la loi applicable par les parties offre une solution relativement satisfaisante 50, et elle fait l’objet d’un projet auprès de la Conférence de La Haye de droit international privé en vue de l’adoption d’un instrument non contraignant relatif au choix de la loi applicable en matière de contrats internationaux 51. Il faut cependant à ce propos faire deux remarques. La première tient au fait que les parties n’indiquent pas toujours la loi applicable. Il se peut que cette question ne leur vienne pas à l’esprit ; il se peut qu’elles n’arrivent pas à se mettre d’accord à ce propos ; ou encore, il est possible qu’elles ne veuillent pas ajouter, à une négociation déjà complexe, une source ultérieure de discussion. Un exemple de cette difficulté peut être fourni par l’accord concernant la construction du tunnel sous la Manche ; le contrat prévoyait l’application des règles constituant le tronc commun des droits français et anglais. S’il est vrai que tous les systèmes juridiques ont un tronc commun, il est permis de penser que dans le cas d’espèce ce tronc commun ne pouvait certainement pas offrir un système complet de réglementation. autres que ceux qui sont indiqués, ou les contrats qui présentent des éléments de plusieurs des types indiqués, sont régis par la loi du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle (ou son siège) ; si la loi applicable ne peut être déterminée sur la base d’aucune de ces dispositions, ce sera alors la loi du pays qui présente avec le contrat les liens les plus étroits qui sera applicable. 49 Déjà ce problème avait soulevé des analyses approfondies ; v. F. VISCHER, “The Antagonism between Legal Security and the Search for Justice in the Field of Contracts”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 142 (1974), 1. 50 En l’absence d’un tel choix, c’est du reste leurs expectatives qui peuvent guider l’interprète ; v. sur ce point NYGH, “The Reasonable Expectations of the Parties as a Guide to Choice of Law in Contract and Tort”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 251 (1995), 269. 51 La Commission spéciale de 2006 sur les affaires générales et la politique de la Conférence de La Haye a décidé en 2006 d’inscrire le projet concernant l’élaboration d’un instrument relatif au choix de la loi applicable en matière de contrats internationaux dans le programme de travail de la Conférence. En 2009 le Bureau permanent de la Conférence a constitué un Groupe de travail composé d’experts en matière de droit international privé, de droit commercial international et de droit de l’arbitrage international, chargé de l’élaboration d’un projet d’instrument non contraignant au sein de ce Groupe de travail. Ce Groupe a commencé ses travaux en 2010. Voir BUREAU PERMANENT DE LA CONFÉRENCE DE LA HAYE DE DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ, “Choix de la loi applicable aux contrats du commerce international : des principes de La Haye ?”, Revue critique de droit international privé (2010), 83 et, en anglais, Unif. L. Rev. / Rev. dr. unif. (2010), 883. Rev. dr. unif. 2010 919 Alessandra Zanobetti Mais même lorsque les parties se sont accordées sur cet aspect, il faut souligner que le choix de la loi applicable ne garantit pas complètement les parties. En effet, il se peut que le for oppose aux règles de la loi indiquée par les parties la réserve de l’ordre public – réserve prévue par tous les ordres juridiques, ainsi que par les conventions internationales – ou qu’il impose l’application au contrat de ses propres règles impératives, voire de celles d’un État tiers. L’émergence de règles de ce type correspond à une tendance bien connue, qui a eu d’abord ses premières manifestations dans la jurisprudence, et qui a été reconnue sur le plan positif par un certain nombre de législations (par exemple par l’article 17 de la loi italienne de droit international privé) et d’instruments internationaux 52. Il est donc possible que l’application de loi indiquée par les parties se voit opposer ces limites. Certes, les parties ont aussi la possibilité de choisir un for compétent à connaître leurs litiges, et peuvent ainsi localiser de manière plus exacte leur transaction. Cependant, le problème peut se représenter au moment de l’exécution, car la réserve de l’ordre public constitue une limite aussi à la reconnaissance des jugements. Face à cette situation, la pratique des transactions internationales a élaboré des solutions permettant de limiter ces inconvénients, sources d’insécurité juridique. Sur le plan de la solution des litiges, c’est le recours à l’arbitrage qui a permis de délocaliser la transaction de l’empire de toute autorité judiciaire nationale. On a souvent indiqué parmi les avantages du recours à l’arbitrage la plus grande rapidité, du moins en comparaison avec certains États dont le système judiciaire présente des longueurs qui entravent le déroulement de la vie économique, ainsi que la confidentialité et la possibilité d’avoir recours à des 52 Ainsi que par la Convention de Rome de 1980, dont l’art. 7, qui discipline ces dispositions qu’elle qualifie comme “lois de police”, a soulevé beaucoup de commentaires, qui ont conduit l’Union européenne, à l’occasion de la transformation de la Convention en règlement, à amender la disposition. La disposition correspondante du Règlement Rome I, l’art. 9, contient maintenant une définition des règles (qui manquait dans la Convention), selon laquelle une loi de police est “une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement”. S’il est toujours possible de sauvegarder l’application des lois de police du for, Rome I ne permet d’avoir recours aux lois de police d’un pays tiers que lorsqu’il s’agit du pays où le contrat doit être, ou a été, exécuté. V. les analyses très approfondie consacrée à ces règles par G. GOLDSTEIN, De l’exception d’ordre public aux règles d’application nécessaire, Montréal (1996) et par A. BONOMI, Le norme imperative nel diritto internazionale privato, Zürich, 1998 ; v. aussi LOQUIN, supra note 2, 477. 920 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global professionnels du secteur concerné 53. Il y a aussi – nous y reviendrons – la disponibilité qu’ont les arbitres à faire recours aux usages, aux pratiques du secteur concerné, permettant ainsi le développement de règles objectives du droit du commerce international. Il y a cependant un aspect qui doit être souligné parce qu’il représente un facteur important de préférence pour l’arbitrage : il s’agit du régime international de reconnaissance dont jouit l’arbitrage commercial international. Alors que dans tous les États la reconnaissance des décisions étrangères fait l’objet d’un contrôle, plus ou moins complexe, réglé par les normes nationales, et qu’un régime international de circulation des décisions n’a jusqu’ici pas été mis en place, malgré des tentatives qui n’ont fait que confirmer la complexité du problème 54, en matière d’arbitrage la Convention pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères, adoptée à New York en 1958 sous l’égide des Nations Unies, compte 144 États parties. Or, s’il est vrai que le texte de la Convention prévoit pour la reconnaissance des sentences arbitrales une série de contrôles, l’on constate cependant une plus grande marge de tolérance vis-à-vis de ces sentences et la grande coopération que dans presque tous les États les juges nationaux fournissent à l’arbitrage. Il suffit de citer l’ouverture en matière de validité de la clause compromissoire, trait commun à de très nombreux pays et qui a permis l’essor de la juridiction arbitrale. Alors que des conditions souvent très rigides règlent la validité de la clause d’élection du for, la clause compromissoire posant la compétence d’un tribunal arbitral est valable dès lors que le consentement des parties ne peut être mis en doute 55. 53 Comme c’est le cas dans les arbitrages dans des secteurs déterminés; v. sur ce point Ph. FOUCHARD, “Arbitrage et modes alternatifs de règlement des litiges du commerce international”, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, supra note 21, 98. 54 Comme, par exemple, la Convention de La Haye sur la reconnaissance et l’exécution des jugements étrangers en matière civile et commerciale, conclue le 1er février 1971 et qui n’est en vigueur que dans quatre États (Chypre, Pays Bas, Portugal et Koweït). Un projet plus ambitieux entrepris par la Conférence de La Haye a été abandonné. 55 C’est ainsi qu’en Italie une décision de la Cour de cassation a reconnu la validité d’une clause d’arbitrage ajoutée à la plume en marge d’un contrat, portant seulement les mots : “Arbitration : London if necessary”. La Cour a fondé la validité de cette clause d’une part sur les usages des parties appartenant à un secteur professionnel donné (dans ce cas, le commerce du sucre) et d’autre part sur l’exigence que les transactions internationales puissent se dérouler sans entraves provoquées par un excessif formalisme, incompatible avec les conditions de déroulement du commerce international ; affirmation qui a récemment reçu la consécration la plus éminente, celle de la Cour constitutionnelle, qui appelée à vérifier la compatibilité de la différence de traitement entre les questions internes et les questions internationales en matière de validité de la clause compromissoire a affirmé “que, en particulier, le législateur de 1995 – dans le cadre d’une tendance Rev. dr. unif. 2010 921 Alessandra Zanobetti Mais c’est aussi sur le plan du droit applicable qu’une délocalisation a eu lieu. Comme il est bien connu, on a enregistré l’émergence d’une nouvelle loi des marchands 56, décrite par un de ses premiers théoriciens “comme un ‘droit spontané’, créé par les opérateurs du commerce international identifiés comme les entreprises qui concluent des contrats mettant en jeu les intérêts du commerce international, les institutions privées qui participent à l’organisation de ce commerce et les tribunaux arbitraux” 57. Cette loi des marchands – lex mercatoria dans l’appellation la plus connue – est une réalité qui ne peut être mise en doute, malgré les controverses auxquelles elle a donné lieu, mais qui tiennent plus à sa qualification, voire même à sa légitimité, plutôt qu’à son existence 58. Sans entrer dans ces discussions, par ailleurs très intéressantes et qui ont donné lieu à une bibliographie très étendue, on peut se demander si la lex mercatoria est autre par rapport au droit national, s’il s’agit vraiment, ainsi qu’il a été soutenu, d’un droit autonome, transnational, voire anational 59. imposante à la "délocalisation" de la juridiction, qui s’est manifestée (aussi pour des raisons de concurrence commerciale) dans les usages du commerce international, dans les normes des accords internationaux et dans les ordres juridiques supranationaux – a entendu explicitement et légitimement favoriser (comme on a déjà noté) une explication plus libre de l’autonomie privée dans le choix de la juridiction” (C. cost., ord. N. 428/2000 ; notre traduction). 56 Voir Ph. KAHN, La vente commerciale internationale, Paris (1961), qui a posé les bases des développements futurs de la loi des marchands. 57 B. GOLDMAN, “La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalité et perspectives”, Journal du droit international (1979), 478. Il faut d’ailleurs souligner que bien qu’on puisse parler d’une lex mercatoria en général, chaque secteur économique particulier développe des règles propres et adaptées ; à ce propos on a évoqué, par exemple, l’émergence d’une lex electronica propre à l’environnement électronique (v. V. GAUTRAIS / G. LEFEBVRE / K. BENYEKHLEF, “Droit du commerce électronique et normes applicables : l’émergence de la Lex Electronica”, Revue du droit des affaires internationales (1997), 547), et d’une lex sportiva ; voir à ce propos S.M. CARBONE, “Caratteri privatistico-internazionali del diritto sportivo : in particolare, il contributo della lex mercatoria alla precisazione della lex sportiva“, Diritto del commercio internazionale (2004), 619 ; F. LATTY, La "Lex sportiva" : recherche sur le droit transnational, Leiden (2007). 58 Le rapport entre la lex mercatoria et le droit international privé a donné lieu à un débat très vaste qui oppose deux écoles de pensée, nommées respectivement “internationalists” et “conflictualists” par F.K. JUENGER, “The Lex Mercatoria and Private International Law”, Rev. dr. unif. / Unif. L. Rev. (2000), 171. Par ailleurs, l’existence même de la lex mercatoria a été mise en doute ; les mercatoristes se sont ainsi opposés aux antimercatoristes, comme l’indiquent E. GAILLARD, “Trente ans de lex mercatoria. Pour une application sélective de la méthode des principes généraux du droit”, Journal du droit international (1995), 6, et E. LOQUIN, “Où en est la lex mercatoria”, Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, supra note 21, 44. 59 Le mot “transnational” a été utilisé pour la première fois par Ph. C. JESSUP, Transnational Law, New Haven/London (1956) ; F. OSMAN, Les principes généraux de la lex mercatoria, Paris (1992), se réfère à ces règles comme à un droit “anational”. 922 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global Si c’est l’objet du droit que l’on a en considération, alors effectivement on peut constater que ce droit a vocation à s’appliquer à toutes les relations contractuelles du commerce international. Quant à ses sources, il s’agit d’une pluralité de sources : pratiques et usages, contrats-types, principes généraux dégagés par les décisions arbitrales, mais aussi certaines normes des ordres juridiques 60. Quant à leur validité, cependant, il faut bien constater que la lex mercatoria tire sa force coercitive des ordres juridiques étatiques. Le phénomène pourrait donc paraître un simple exemple d’effet de l’autonomie des parties ; il se révèle cependant beaucoup plus intéressant à un examen plus approfondi du contenu de ces règles et de leur acceptation dans les ordres juridiques nationaux. En effet, si la lex mercatoria ne relevait que de la loi d’autonomie, il faudrait admettre qu’elle devrait s’exercer à l’intérieur du cadre des règles impératives de la loi applicable au contrat – qu’il s’agisse de la loi choisie par les parties ou de la loi indiquée comme applicable, en l’absence de choix ou lorsque le choix n’est pas considéré valable. Or, il apparaît au contraire qu’une certaine liberté caractérise les ordres juridiques étatiques face aux pratiques provenant du monde du commerce international. Quelques exemples, tirés de l’expérience italienne, peuvent confirmer cette constatation, qui se répète dans d’autres pays. On citera un exemple classique, le contrat autonome de garantie. Dans le droit italien, la garantie est un accessoire d’un droit ; une autonomie de la garantie ne se conçoit pas, il s’agirait d’un contrat sans cause et donc nul. On constate en revanche que face aux exigences du commerce international les juges italiens en ont reconnu la validité 61. D’autres exemples peuvent être tirés des nouveaux types contractuels nés dans la pratique internationale, et qui ont même gardé un nom étranger. C’est ainsi que les contrats d’engineering ont reçu application en Italie, malgré leur contrariété au principe fondamental de la personnalité de la prestation professionnelle ; le franchising n’a pas été considéré en contradiction avec l’interdiction de contrat de distribution exclusive. Et la liste pourrait continuer 62. C’est la constatation objective du phénomène de la déréglementation, conséquence et, au même temps, élément de facilitation de 60 En particulier, pour ce qui concerne les usages, v. R. GOODE, “Usage and Its Reception in Transnational Commercial Law”, International and Comparative Law Quarterly (1997), 1. 61 La même observation est faite avec référence au droit français: v. LOQUIN, supra note 57, 44. 62 V.S. BOSTANJI, “De la promotion des usages du commerce international par la justice étatique”, Mélanges Hachem, Tunis (2006), 1 ; A. ZANOBETTI, “A propos des usages du commerce international: quelques réflexions sur la pratique italienne”, Journal du droit international (2002), 981. Rev. dr. unif. 2010 923 Alessandra Zanobetti la globalisation. La raison en est que les États acceptent ces pratiques en vue de la nécessité que les opérations économiques se déroulent dans des conditions de sécurité juridique sur le marché globalisé. Face à cette situation, on a enregistré deux tendances. D’une part, les législations nationales se mettent au travail pour s’adapter à ces nouvelles pratiques. Les sources provenant du droit du commerce international peuvent donc devenir occasion de réformes législatives nationales. Ce phénomène par ailleurs s’enrichit continuellement de nouvelles règles. Mais, en même temps, au sein des institutions internationales s’exerce une œuvre d’harmonisation du droit, qui tire son contenu aussi bien des principes communs des droits en présence que des règles qui se sont formées spontanément. Ce travail d’unification ou d’harmonisation du droit remonte au début du siècle dernier, et a été favorisé par l’institution d’organisations mises en place précisément avec cet objectif. Ces organisations sont de deux types. Il y a un certain nombre d’organisations corporatives, qui généralement sont nées pour répondre aux besoins de secteurs particuliers. Appartient à ce même type, mais possède en revanche une compétence générale qui s’étend à de nombreux domaines, la Chambre de commerce internationale, établie en 1919 et qui est à l’origine d’un nombre important de codes d’autodiscipline ; son résultat le plus connu est constitué par les Incoterms, qui, dépourvus de valeur contraignante, sont cependant devenus très diffus dans la pratique, et qui ont reçu l’aval de la CNUDCI 63. Il y a aussi des organisations intergouvernementales, parmi lesquelles il faut citer en ordre historique UNIDROIT, créé en 1926 comme émanation de la Société des Nations, et puis la CNUDCI. S’il est vrai que d’autres institutions peuvent être à l’origine de mouvements d’unification du droit, ce sont sans doute ces deux organismes qui ont comme mission exclusive l’unification et l’harmonisation du droit. Bien qu’UNIDROIT n’ait nullement dans son statut une limitation au droit commercial, et qu’il ait conduit des études même dans d’autres secteurs, c’est surtout dans les domaines liés aux transactions du commerce international que se sont concentrés ses travaux, à partir des conventions de Genève sur le chèque et la lettre de change, jusqu’aux travaux récents sur les règles uniformes applicables aux titres intermédiés, en passant par les transports. Et les travaux en matière de vente internationale avaient débuté très tôt. C’est cependant la CNUDCI qui en a recueilli l’héritage, en reprenant ces travaux et en parvenant à 63 La première édition des Incoterms (acronyme de “International Commercial Terms”) a été adoptée en 1936 ; une nouvelle édition est parue en 2010. 924 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global l’adoption en 1980 de la Convention de Vienne sur la vente internationale, entrée en vigueur en 1988 et qui compte aujourd’hui 76 États parties. En faisant preuve d’un grand pragmatisme, UNIDROIT a constitué le forum d’élaboration des “Principes du droit des contrats du commerce international”, dont la première édition a paru en 1994, la deuxième en 2004 et la troisième en 2010 64. C’est justement lors de l’adoption de la Convention de Vienne que l’Institut romain a décidé d’entreprendre la rédaction des Principes 65. Ces principes sont bien connus. Sans valeur coercitive, ils sont librement choisis par les parties, insérés dans les contrats, appliqués par les tribunaux arbitraux qui y repèrent les principes du droit du commerce international, appliqués aussi par des tribunaux étatiques. Ils ont reçu en 2007 l’aval de la CNUDCI, aval confirmé par l’Assemblée Générale des Nations Unies. Il y a toujours eu des doutes sur l’utilité et l’opportunité de travailler à l’unification et à l’harmonisation du droit. Ceux qui voient ces initiatives avec faveur citent entre autres les exigences de sécurité juridique qui seraient à la base, et constitueraient la raison première, de ces élaborations. Un droit unifié, ou même seulement harmonisé, permettrait en effet de prévoir avec une certitude suffisante les règles juridiques applicables ; de plus, le droit uniforme doit être interprété de manière uniforme, et de cette manière les conceptions devraient trouver la même application dans tous les pays concernés. Ceux qui, au contraire, doutent de leur utilité, soulignent la complexité de cette opération, son coût, ainsi que la longueur de ces travaux. Ils ajoutent que même lorsque un résultat est atteint, son application est loin d’être uniforme d’un pays à l’autre, car, en l’absence d’une autorité supérieure qui en fournirait l’interprétation autoritative, les applications nationales sont basées sur les traditions propres de chaque système juridique, d’autant plus qu’il est extrêmement difficile de pouvoir disposer des décisions rendues dans 64 Le texte des Principes – dispositions et commentaires - est disponible sur le site Internet d’UNIDROIT, en anglais, espagnol, français et italien. D’autres versions linguistiques existent uniquement en version imprimée. La troisième édition contient quatre nouveau chapitres, consacrés aux nouveaux sujets suivants : (a) l’enrichissement sans cause ou la restitution; (b) l’illicéité; (c) la pluralité de débiteurs et de créanciers; (d) les conditions. 65 V. M.J. BONELL, “Towards a Legislative Codification of the UNIDROIT Principles?”, Rev. dr. unif. / Unif. L. Rev. (2007), 234, qui rappelle que “the worldwide adoption of an international uniform sales law such as CISG paved the way for the even more ambitious project of formulating rules for international commercial contracts in general. At the same time, since the negotiations leading up to CISG clearly demonstrated that this Convention was the maximum that could be achieved at the legislative level, UNIDROIT decided to abandon the idea of a binding instrument and instead merely to “restate” (or where appropriate to “pre-state”) international contract law and practice”. Rev. dr. unif. 2010 925 Alessandra Zanobetti d’autres pays. Ils citent à ce propos les résultats relativement peu nombreux de l’œuvre d’unification en cours, et leur succès limité. Le succès le plus remarquable – la Convention des Nations Unies sur la vente – a demandé 50 ans d’élaboration. Elle a reçu 76 ratifications, ce qui est un nombre très important, mais non énorme ; en outre, elle ne s’applique pas à toutes les ventes internationales dans les pays contractants mais seulement à celles qui rentrent dans son champ d’application, et peut être écartée par les parties. N’a-t-on pas là la preuve de la difficulté de l’œuvre d’unification ? De plus, la codification internationale finirait par cristalliser les résultats obtenus, en rendant plus difficile la mise à jour des règles juridiques. On ajoute à ces notations le fait que l’importance des difficultés invoquées pour justifier l’œuvre d’harmonisation est exagérée. Le droit international privé permet – comme on a d’ailleurs vu – de trouver une solution dans la loi applicable choisie par les parties ; les parties à un contrat peuvent préciser leurs droits et obligations respectives dans le texte de leur accord, en insérant des clauses détaillées ou par référence à des usages ou à des modèles. Il ne semble donc pas que le droit uniforme soit indispensable au déroulement des transactions 66. Il est très difficile de prendre parti pour une des positions indiquées en se fondant sur une analyse corroborée de données précises et incontestées 67. Il y a des études empiriques, comme nous l’avons déjà évoqué 68. Mais l’utilité de l’harmonisation se fonde au moins sur une autre raison : il s’agit du fait que, habituellement, les législations nationales posent des règles qui sont destinées à régir en premier lieu les questions internes, et qui ne sont pas spécifiquement destinées à discipliner les mêmes questions quand elles 66 Il convient de noter que la Conférence de La Haye a signalé l’opportunité de compléter l’œuvre d’unification du droit international privé en matière de titres intermédiés par l’élaboration de règles de droit matériel uniforme sur le même sujet. Non seulement, comme il arrive dans d’autres domaines, les deux systèmes peuvent renforcer l’un l’effet de l’autre, mais en particulier cette interaction été jugée opportune surtout à cause du caractère à la fois public et privé de nombreuses règles régissant la matière et donc des doutes liés à l’applicabilité ou non du droit international privé ; v. H. KRONKE, “Capital Markets and Conflict of Laws”, Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, vol. 286 (2000), 245, spéc. 248. 67 H. WAGNER, “Costs of Legal Uncertainty : Is Harmonization of Law a Good Solution ?”, UNCITRAL Congress, Vienna (2007), analyse les coûts de l’insécurité juridique; il indique que les processus d’harmonisation, eux aussi, ont des coûts, et suggère donc que l’harmonisation devrait être la plus légère possible. 68 L’étude de G. WAGNER, “The Economics of Harmonization : The Case of Contract Law”, Common Market Law Review (2002), 995, bien que centrée sur la question de l’harmonisation du droit des contrats en Europe, indique bien que les analyses basées sur les théories économiques du droit (Law & Economics) ne sont pas en mesure d’évaluer avec certitude les coûts de la diversité des législations, même dans un contexte relativement intégré tel que l’Union européenne. 926 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global mettent en cause le commerce international 69. Or, le droit harmonisé peut, lui, être spécialement conçu pour les transactions internationales, et fournir donc un droit plus adapté que celui qui peut être élaboré au sein d’un système juridique interne 70. Il est vrai que, quelque fois, il est impossible de distinguer si une certaine question est interne ou internationale, et que donc l’harmonisation doit s’appliquer à tous les cas visés. C’était le cas des conventions, élaborées sur la base d’études effectuées au sein d’UNIDROIT, qui ont unifié la discipline juridique de la lettre de change et du chèque, dont il est difficile, sinon impossible, de savoir à l’avance s’ils seront destinés ou pas à la circulation internationale. C’est le cas, tout récemment, de la Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles pour les instruments financiers détenus auprès d’intermédiaires 71, en raison du fait que les titres circulent dans les marchés financiers du monde entier et qu’il est donc impossible d’envisager une discipline différente pour les hypothèses dotées d’éléments d’internationalité ou pour celles purement internes. Cependant, dans les deux domaines indiqués, c’est justement l’exigence de circulation internationale qui a dicté l’adoption d’une discipline uniforme. Il y a cependant une autre objection qui est soulevée à l’encontre de l’harmonisation des règles de droit. On affirme que les différences entre les ordres juridiques sont une richesse, et qu’elles répondent à l’expression des différentes cultures et des différents milieux sociaux qu’il serait une erreur de vouloir effacer ; elles permettraient, en outre, de mettre les ordres juridiques en compétition entre eux, en laissant aux opérateurs une possibilité de choix des produits légaux, comme ils ont le choix des produits industriels 72. On cite, à ce propos, l’exemple du droit des sociétés, qui permet aux associés de choisir où constituer la société afin d’en soumettre la constitution au droit qui 69 Voir J.A. ESTRELLA FARIA, “Future Directions of Legal Harmonisation and Law Reform : Stormy Seas or Prosperous Voyage?”, Rev. dr. unif. / Unif. L. Rev. (2009), 5, qui analyse les objectifs et les méthodes de l’harmonisation juridique dans un contexte en transformation. 70 C’est la raison principale du travail d’harmonisation du droit qui est indiquée par M.J. BONELL, “Do We Need a Global Commercial Code ?”, Rev. dr. unif. / Unif. L. Rev. (2000), 469, qui souligne l’utilité d’un corps de règles intégrées concernant les transactions commerciales internationales. 71 Convention d’UNIDROIT sur les règles matérielles relatives aux titres intermédiés (Convention de Genève sur les titres), Genève, 9 octobre 2009. 72 V. L. VOGEL, “Introduction”, dans VOGEL (éd.), Droit global, Global Law. Unifier le droit : le rêve impossible ?, Paris (2001), 7 s., qui souligne les défauts de l’unification du droit et les avantages de la libre concurrence des systèmes juridiques. Rev. dr. unif. 2010 927 Alessandra Zanobetti présente les caractères qui leur paraissent les plus avantageux. L’exemple bien connu est celui du Delaware, petit État des États-Unis d’Amérique qui possède une législation en matière de sociétés particulièrement attrayante et où environ la moitié des sociétés des États-Unis ont leur siège social. S’il est vrai qu’en matière de sociétés plusieurs circonstances sont nécessaires pour que ce choix puisse être exercé de manière valable, dans d’autres secteurs ces circonstances sont en train de se créer et la concurrence entre systèmes juridiques est une réalité 73. Cette concurrence, cependant, ne porte pas toujours à la recherche de la loi la meilleure ; dans certains domaines elle encourage plutôt la recherche de la loi la plus lâche, celle qui laisse le plus de liberté au sujet qui la choisit et, loin de mettre en marche un cercle vertueux, elle conduit plutôt au risque de la race to the bottom 74. Cette course vers le bas est favorisée par la libéralisation et semble, plus souvent que l’on ne croirait, tolérée et même encouragée par les États. De plus en plus, les États paraissent avoir abdiqué à leur fonction de réaliser les principes de l’État de droit, se bornant à fournir un cadre juridique aux relations économiques. C’est l’économie qui prime sur le droit, et le façonne à ses intentions. L’affirmation n’est pas nouvelle. Il faut bien constater qu’elle a acquis aujourd’hui une grande légitimité. Les lois de l’économie sont présentées comme des lois de nature, qui imposeraient certaines conséquences sur le plan de la réglementation des rapports juridiques. Or, il est permis d’en douter. Revenons sur la question du droit des sociétés. Dans le contexte de l’Union européenne, trois arrêts successifs de la Cour de justice ont affirmé la possibilité de concurrence entre les ordres juridiques, fondée sur les principes de la liberté d’établissement et de la reconnaissance mutuelle. Les États qui étaient dotés de règles assez rigides ont dû s’y adapter. C’est la Cour ellemême qui cependant a offert une solution au risque de race to the bottom : elle a dit, en effet, que si les États n’étaient pas satisfaits par cette situation, ils avaient une possibilité pour résoudre la question : créer des normes uniformes en matière de sociétés qui s’imposeraient à tous les États. 73 Une littérature abondante est consacrée au sujet. V. par exemple A. ZOPPINI (éd.), La concorrenza fra ordinamenti giuridici, Roma-Bari (2004) ; voir aussi A. OGUS, “Competition between National Legal Systems: A Contribution of Economic Analysis to Comparative Law”, International and Comparative Law Quarterly (1999), 405. 74 Le terme “race to the bottom” a été utilisé pour la première fois par le juge de la Cour suprême des États-Unis d’Amérique Louis Brandeis, dans une affaire décidée en 1933, Ligget Co. v. Lee (288 U.S. 517, 558-559). Le juge Brandeis a utilisé cette expression en opposition à la “race to efficiency” qui était évoquée à l’époque en matière de libéralisation du droit des sociétés. 928 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global L’harmonisation du droit peut donc contribuer à freiner la course vers le bas. Un travail d’harmonisation est fait en cherchant un compromis entre les différentes solutions offertes par les droits nationaux, enrichi par l’apport de la pratique ; cependant, l’œuvre de reconstruction des droits en présence, le recours au droit comparé, l’analyse des décisions judiciaires et arbitrales qui accompagnent l’élaboration du droit uniforme permet d’offrir des résultats pondérés et de rétablir l’équilibre des intérêts concernés. CONCLUSIONS A la suite de cet aperçu de l’environnement juridique des transactions internationales, il faut maintenant se poser les questions suivantes : est-ce que ces transactions s’effectuent dans un cadre de sécurité juridique ? Et quel est le rôle respectif de l’État et des organisations internationales ? Est-on en train d’assister à la naissance d’un droit tiers, qui assurerait la sécurité juridique des transactions en l’absence de recours à l’État ? La situation que l’on a décrite prouve que les relations économiques internationales se déroulent dans un cadre juridique relativement stable. Les règles qui les disciplinent se sont formées selon les besoins et répondent aux exigences de la globalisation. En particulier, tant sur le plan des relations interétatiques que sur le plan des relations privées, des cadres juridiques à l’application très étendue fournissent une base pour une solution des différends particulièrement adaptées aux besoins du commerce international. On peut citer les succès de la Convention CIRDI, sur le premier plan, et de la Convention de New York sur le deuxième plan. On peut conclure que les États sont plutôt disposés à accepter de se lier par des instruments procéduraux qui peuvent favoriser la poursuite de la sécurité des transactions. De manière moins nette, mais cependant tout aussi remarquable, ils acceptent aussi de s’obliger sur le plan du droit matériel : citons encore le réseau de traités bilatéraux sur la protection et la promotion des investissements sur le plan des rapports entre États. Cependant, sur ce plan, on remarque les échecs des projets de conventions multilatérales promues par l’OCDE d’abord dans les années soixante et puis récemment dans les années quatre-vingt-dix. Les États se montrent donc prêts à accepter sur un plan bilatéral ce qu’ils ne sont pas prêts à accepter sur un plan multilatéral. La raison tient au fait que s’ils veulent attirer les investissements nécessaires à leur développement, ils se voient obligés d’accepter de renoncer à une partie de leur emprise sur leur propre territoire. C’est la reconnaissance du fait, comme on a évoqué, que l’indépendance politique ne s’accompagne pas nécessairement de l’indépen- Rev. dr. unif. 2010 929 Alessandra Zanobetti dance économique. Mais l’acceptation de s’obliger sur un plan multilatéral leur paraît inacceptable. Elle équivaudrait à admettre qu’ils acceptent de renoncer à une partie de leur souveraineté. Ce serait admettre que la proclamation solennelle de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, faite au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies, est dénuée de contenu concret. Ce serait renoncer à toute sécurité juridique à l’intérieur de leur propre territoire. Le terme sécurité juridique ne peut être interprété restrictivement et, si l’on peut dire, banalement comme la simple prévisibilité des conséquences juridiques d’une action ou omission. Peut-on à proprement parler affirmer que la réglementation des transactions internationales a été soustraite aux États, et qu’elle a provoqué la naissance d’un droit tiers, ni national ni international, auquel on pourrait donner l’épithète de transnational, et dont les États ne seraient plus les acteurs ? La réponse nous paraît devoir être négative. On a assisté à un recul des États dans l’élaboration des règles. Mais il faut bien admettre que les États, bien que soumis à des contraintes importantes, qui conditionnent leur comportements, dictées par les exigences de la globalisation – et cela est vrai, bien que dans des proportions et avec des modalités fort différenciées, pour tous les États du monde, même les plus puissants – ont gardé entre leurs mains le pouvoir de les accepter. S’il est vrai que le marché a imposé ses règles, il est vrai aussi que les États les ont approuvées ; ils ont créé des institutions où ces règles ont été mises en place. Cela s’est fait petit à petit, de manière pragmatique, par des concessions souvent bilatérales ; cela s’est accompagné de systèmes de règlement des différends qui ont soustrait aux juridictions nationales l’interprétation et le contrôle de l’application de ces règles, leur laissant uniquement le rôle de faire exécuter les décisions. Il y a donc un recul de l’exercice de la souveraineté ; l’État s’est fait instrument de l’économie marchande 75. Le développement économique, la libéralisation des échanges, la circulation des capitaux, bref, en un mot, la globalisation, ne peuvent se réaliser sans un environnement légal qui en assure le déroulement dans un cadre de sécurité juridique 76. Ce sont les exigences des opérateurs économiques qui ont 75 V. l’analyse de M. SALAH MOHAMED MAHMOUD, “Mondialisation et souveraineté de l’État”, Journal du droit international (1996), 611 ss. ; voir aussi F. OST, “Mondialisation, globalisation, universalisation : s’arracher, encore et toujours, à l’état de nature”, dans Ch.-A. MORAND (éd.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruxelles (2001), 27, qui constate la transformation en normes juridiques des lois de l’économie libériste. 76 C’est aussi la sécurité dans un sens militaire qui change avec le changement des équilibres économiques, politiques et sociaux en conséquence de la globalisation ; v. sur ce point J. 930 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global provoqué l’élaboration et l’adoption de règles aptes à régir et encourager les nouveaux phénomènes. Il serait cependant à notre avis inexact de croire que cela s’est fait par un tiers ordre et par un tiers droit, c’est à dire que l’émergence de ces règles s’est faite indépendamment de la volonté étatique, exprimée sur le plan du droit national ou sur le plan du droit international. Certes, les opérateurs économiques participent à la formation des règles, mais ce sont les États qui les ont acceptées, leur ont fourni leur contribution, par l’adoption de législations nationales allant dans cette direction, par la conclusion de traités ou de règles non contraignantes mais respectées – souvent adoptés, les uns et les autres, sous l’égide d’organisations internationales spécialement mises en place à cet effet – et surtout en fournissant leur bras armé au respect de cette discipline. Il est donc tout à fait correct de dire que la quête de sécurité influence le droit. Est-il par ailleurs correct de penser que ces forces économiques seules conditionnent le droit, d’une telle manière qu’il ne resterait aucune place pour le choix des législateurs ? Est-ce donc un droit tyrannique, non démocratique 77? Nous avons constaté que des forces nouvelles sont en train d’émerger. C’est ce qui a été appelé, à un Colloque consacré à la mondialisation du droit, la “résistance des valeurs humaines”. La protection des droits de l’homme, la protection de l’environnement sont des enjeux qui ne peuvent être sacrifiés à la loi du marché. Il est vrai par ailleurs, comme on a constaté avec amertume, que certains États n’ont d’attractif pour les opérateurs économiques que leur législation qui permet l’exploitation de l’homme et de la nature 78. Le développement a besoin d’investissements et le progrès économique devrait permettre une amélioration du niveau de vie et par conséquent le luxe de l’affirmation des droits fondamentaux ; les progrès dans cette direction sont cependant très inégaux et il ne s’agit pas d’une formule mathématique, parce TOUSCOZ, “Mondialisation et sécurité juridique internationale”, Revue générale de droit international public (1998), 3. 77 Ch.-A. MORAND, “Le droit saisi par la mondialisation : définitions, enjeux et transformations”, dans Le droit saisi par la mondialisation, supra note 75, 88 ss., donne les caractères du droit global suivant : il s’agirait d’un droit totalitaire, parce que les États qui voudraient s’y opposer sont empêchés de le faire en raison de la compétitivité de leurs entreprises, et qu’il trouve sa légitimité dans les théories économiques du droit, parce qu’il serait source de distorsions et de déséquilibres et parce qu’il souffrirait d’un déficit démocratique en tant que droit créé sur un plan technocratique, où le respect des droits humains est limité au minimum standard. 78 MORAND, supra note 77, 100 ss. Rev. dr. unif. 2010 931 Alessandra Zanobetti que les conditions liées à sa réalisation sont complexes et difficiles à prévoir et peuvent être influencées par de nombreuses variables 79. Ce n’est qu’à ces conditions qu’on pourra affirmer que les transactions internationales se déroulent dans un cadre de sécurité juridique. Cette expression en effet ne peut être entendue dans un sens unilatéral, comme correspondant à la sécurité juridique des investisseurs ou des commerçants ; et elle ne peut non plus se limiter à des instruments juridiques plus ou moins perfectionnés qui permettent la stabilité des droits et obligations négociés. Non seulement, en effet, on viserait surtout la sécurité d’une des parties en jeu, mais aussi, on ne mettrait l’accent que sur la notion de sécurité en oubliant l’adjectif juridique. Ce qualificatif possède en soit la notion de jus, de droit. Un auteur italien qui s’est interrogé sur la notion de “certezza del diritto” rappelle la dichotomie entre sécurité juridique et justice, cette dernière étant souvent indiquée comme le but effectif du droit, et rappelle que la réalisation de ces deux objectifs peut paraître inconciliables. Cette dichotomie, qui cependant est souvent évoquée par la conscience générale, reflète cependant une position empirique et fragmentaire. Si cette opposition peut parfois se vérifier au niveau de l’application concrète d’une règle juridique 80, elle se base en réalité sur une erreur quand on se situe sur le plan de l’élaboration du droit. Sur ce plan, en effet, le droit se doit d’être abstrait, certain et objectif ; la sécurité juridique se présente donc comme condition de la réalisation concrète de la justice 81. C’est donc sur cette base que l’on peut affirmer que la sécurité juridique des transactions internationales n’est à l’époque actuelle qu’imparfaite et relative. Les règles dans lesquelles elle se manifeste visent à protéger les intérêts 79 On peut citer, à ce propos, le débat qui s’est déroulé autour de la notion de clause sociale lors de la négociation des Accords de Marrakech constitutifs de l’Organisation mondiale du commerce. La reprise des débats au sein de l’OMC sur ces thèmes a suscité de vives oppositions dans certains secteurs de la société civile, qui se sont manifestées pour la première fois de manière évidente lors du Millennium Round qui a ouvert ses portes à Seattle (USA) en 1999. 80 Voir, en matière de contrats internationaux, l’analyse de VISCHER, supra note 49, 1. 81 Cet auteur cite le dialogue entre deux juges qu’il définit intègres, dont l’un soutient la validité absolue de la loi écrite et l’autre la nécessité de l’équité variable et adaptable à chaque cas d’espèce qu’Anatole France peint dans son récit “Les juges intègres”, qui se trouve dans Crainquebille, Putois, Riquet et plusieurs récits profitables, Paris, 1921, 225 ss. Les deux juges restent radicalement figés dans leurs opinions et se rendent ensuite au tribunal. Leurs chevaux, liés sous un arbre, reprennent la conversation de leurs maîtres avec des contenus tout autant inconciliables. Avec un esprit que l’auteur définit voltairien, Anatole France reproduit l’antinomie qui secoue la conscience commune, et qui paraît opposer la justice à la sécurité du droit. V. F. LOPEZ DE OÑATE, La certezza del diritto, Milano (1968) (nouvelle éd. publiée posthume de la 1e éd. parue à Rome en 1942), 158 ss. 932 Unif. L. Rev. 2010 La sécurité juridique des transactions dans un monde global des opérateurs économiques et ne réalisent l’intérêt général que de manière indirecte et éventuelle. Certes, cela est vrai surtout pour les États qui se trouvent dans une plus grave situation de dépendance économique. Cependant, même dans les États les plus développés l’atteinte à leur souveraineté législative est un fait. Le débat sur la concurrence entre les ordres juridiques montre que, pour être attractifs, les États devraient se plier à considérer le droit comme une marchandise et participer à la race to the bottom. Déjà les effets se font sentir dans plusieurs domaines du droit. D’autre part, on assiste aujourd’hui à une expérimentation en sens inverse. Les pays OHADA, comme on a évoqué au début, sont en train de se doter de règles de droit uniforme qui devraient permettre d’établir dans leurs territoires la sécurité juridique et judiciaire qui, comme on l’a vu dans l’Introduction, est à la base même de la création de l’organisation 82. Pour pouvoir disposer d’un droit de bonne qualité, ils se sont adressés à UNIDROIT, qui les a aidés dans l’élaboration d’un Acte uniforme sur le droit des contrats 83. Est-ce que cette activité sera couronnée de succès ? Pourra-t-elle contribuer à élever le niveau de vie de ces pays qui sont jusqu’à présent un peu à l’écart du processus de globalisation ? Il faut bien constater que l’attractivité d’un pays dépend de toutes une série d’éléments et que le droit en vigueur en est une condition nécessaire mais pas unique. En tout cas, leur initiative mérite d’être signalée. L’harmonisation du droit peut contribuer à rétablir un certain rééquilibre ; dans la négociation multilatérale les États peuvent reprendre leur rôle de médiateurs entre les intérêts concernés. Les mots d’un grand comparatiste paraissent donc encore de grande actualité : face à l’émergence d’un droit forgé par les opérateurs économiques, il affirmait que “states will be abandoning neither sovereignty nor prerogatives, if they open their eyes to reality and lend themselves to the reconstruction of international law” 84. Il serait temps. mim 82 Cet objectif est à la base même de la naissance de cette jeune organisation internationale régionale, constituée par le Traité relatif à l’Harmonisation du Droit des Affaires signé le 17 octobre 1993 à Port Louis (Maurice) et entré vigueur en septembre 1995; elle compte à ce jour 17 pays membres. En effet cet objectif est énoncé dans le préambule du Traité, qui entend “garantir la sécurité juridique des activités économiques”. 83 Voir M. FONTAINE, “Le projet d’acte uniforme OHADA sur les contrats et les principes d’UNIDROIT relatifs aux contrats du commerce international”, Rev. dr. unif. / Unif. L. Rev. (2004), 253, et le numéro spécial de la même Revue paru en 2008, qui contient les Actes du Colloque “L’harmonisation du droit OHADA des contrats” (Ouagadougou (Burkina Faso), 15-17 novembre 2007). 84 R. DAVID, “The International Unification of Private Law”, International Encyclopaedia of Comparative Law, vol. 2, ch. 5, Tubingen/The Hague (1971), 218. Rev. dr. unif. 2010 933