Chapitre V DECOLONISATIONS ET EMERGENCE DU TIERS-MONDE I. LES ORIGINES DECOLONISATION DE LA Comment la Seconde Guerre mondiale ouvre-t-elle la voie à la décolonisation ? A. L'Europe affaiblie par la guerre 1. La mise en cause du prestige européen Les défaites subies par les vieilles puissances coloniales montrent que celles-ci ne sont pas invincibles. L'écrasement par l'Allemagne en 1940 de la Belgique, des Pays-Bas et de la France et la rapidité avec laquelle le Japon s'empare d'une grande partie des possessions européennes en Asie détruisent la croyance en la supériorité de l'homme blanc. Dans les régions qu'ils occupent, les États de l'Axe libèrent les nationalistes emprisonnés et se livrent à une intense propagande contre les puissances coloniales. Les Japonais se présentent en libérateurs des peuples asiatiques. 2. Le développement des mouvements nationalistes Les revendications nationalistes nées avant la guerre se durcissent tant dans les régions occupées par les Japonais (Indochine et Indonésie) que dans des zones restées sous contrôle allié. Ainsi, en Inde, le parti du Congrès déclare dès 1939 que l'Inde ne peut participer à la guerre «aussi longtemps que la liberté véritable lui sera refusée». En 1942, Gandhi somme les Britanniques de partir («Quit India»). En Algérie, Ferhat Abbas lance, en 1943, un manifeste du peuple algérien pour réclamer un État autonome. Au Maroc, en 1944, les nationalistes s'unissent dans le parti de l'Istiqlal («Indépendance»). En Tunisie, l'audience du Néo-Destour progresse. 3. Une soif de justice Pendant la guerre, les puissances européennes ont fait largement appel à leurs possessions. Dans les colonies françaises et britanniques, la mobilisation a été forte; beaucoup d'hommes ont trouvé la mort au combat. Dans tous les empires, les métropoles ont eu recours à une ponction économique importante : pour accroître les productions les métropoles ont développé les cultures «forcées» et les réquisitions de main-d'œuvre, accroissant les déséquilibres économiques et suscitant des mécontentements. À la fin de la guerre, les colonies demandent le prix de leur aide. B. Des forces hostiles au colonialisme 1. L'anticolonialisme de l'URSS et des Etats-Unis Les deux Grands s'opposent à la colonisation pour des raisons différentes. Les Soviétiques se référent aux thèses antiimpérialistes de Lénine. Les Américains sont animés à la fois par leur attachement au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et par des intérêts économiques. Pendant la guerre, le président Roosevelt et son entourage ont multiplié les déclarations en faveur de la «libération de tous les peuples». Dans les années qui suivent, la guerre froide amène les États-Unis à nuancer leur position ; le principe de l'émancipation des peuples colonisés n'est cependant pas remis en question. 2. La création de l'ONU La création de l'ONU fait espérer le triomphe des Droits de l'homme pour lesquels les Alliés se sont battus. En août 1941, la charte de l'Atlantique a affirmé «le droit de tous les peuples de choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre». Les valeurs de liberté et de justice défendues par les Alliés paraissent contradictoires avec le fait colonial. La charte de San Francisco pose en principe «l'égalité des droits des peuples et leur droit à disposer d'eux-mêmes». Un groupe hostile à la domination coloniale, conduit par les pays latino-américains et arabo-asiatiques et soutenu par l'URSS, se constitue à l'Assemblée de l'ONU. Au fil des années, il se renforce avec les États qui accèdent à l'indépendance. 3. La résistance des colonisateurs Les métropoles sont davantage prêtes à des concessions qu'à l'abandon de leurs empires. Durant la guerre, la reine des PaysBas a promis à l'Indonésie la « liberté d'action en ce qui concerne les affaires intérieures». En 1944, la conférence de Brazzaville, réunie par le général de Gaulle, a préconisé des mesures pour améliorer le sort des peuples colonisés d'Afrique noire française. Mais, pour les Néerlandais comme pour les Français, toute idée d'indépendance est exclue. Seuls les Britanniques admettent un processus graduel d'émancipation qui préserverait leurs intérêts; ce que résume la formule du ministre Bevin: « Give and keep». II. L'EMANCIPATION D'ASIE DES PEUPLES Pourquoi la décolonisation commence-t-elle en Asie ? A. La décolonisation britannique et néerlandaise 1. Dans les Indes anglaises, un nationalisme précoce En Inde, la force des sentiments nationalistes dans l'entredeux-guerres et l'agitation pendant la guerre ont contraint les Britanniques à faire des promesses d'émancipation. La tension est telle qu'en juin 1945, le gouvernement de Londres entame des négociations. Il est confronté à l'opposition entre le parti du Congrès, animé par Gandhi et Nehru, et la Ligue musulmane de Jinnah. Les premiers souhaitent la formation d'un seul État englobant tous les peuples de l'Inde, le second réclame un État musulman distinct. Tous les plans de médiation échouent ; des heurts sanglants éclatent entre les communautés religieuses. La partition de l'Inde est inévitable : deux États naissent le 15 août 1947, l'Union indienne, à majorité hindoue, et le Pakistan, à majorité musulmane, composé de deux territoires distants de 1 700 km. Les transferts massifs de population qui accompagnent la délimitation des frontières s'effectuent dans un bain de sang. L'accession à l'indépendance crée des déchirements durables dans la région. Deux autres territoires britanniques accèdent à l'indépendance en 1948 : l'île de Ceylan et la Birmanie. La Malaisie et Singapour doivent attendre 1957. Les Britanniques se retirent au terme d'une longue lutte contre un puissant parti communiste prochinois. Néanmoins, ils parviennent à préserver leurs intérêts, puisque les nouveaux États restent dans le Commonwealth. 2. En Indonésie, le poids de la pression internationale En août 1945, le chef nationaliste Sukarno proclame l'indépendance de la République indonésienne avant même le départ des Japonais. Faute de moyens de reconquête suffisants, les Néerlandais sont contraints à un compromis : la création d'une Union hollando-indonésienne unissant les Pays-Bas à des ÉtatsUnis d'Indonésie autonomes. Pourtant, simultanément, ils 1 s'efforcent de provoquer des divisions entre Indonésiens et de rétablir leurs pouvoirs par des interventions armées. Les Néerlandais doivent céder en 1949 : la résistance des populations, les pressions de l'URSS et des Etats-Unis, les condamnations de l'ONU les obligent à signer les accords de La Haye qui reconnaissent l'indépendance de l'Indonésie. B. La guerre d'Indochine 1. L'impossible accord avec le Viêt-minh En Indochine, la fin de la Seconde Guerre mondiale met face à face le Viêt~minh, qui proclame l'indépendance, et la France qui reconquiert le pays. La force du sentiment national vietnamien incite le gouvernement français à négocier : il reconnaît la République du Vietnam comme «un État libre» à l'intérieur de l'Union française. Mais le désaccord est profond : Hô Chi Minh souhaite l'indépendance réelle d'un Vietnam unifié où triompherait l'idéologie communiste ; le haut-commissaire français, Thierry d'Argenlieu, refuse la «politique d'abandon». Les incidents se multiplient. Le bombardement d'Haiphong par les Français puis le massacre des Européens d'Hanoi débouchent sur la guerre en décembre 1946. 2. L'intrusion de la guerre froide À partir de 1949, le conflit s'internationalise. L'armée Vietnamienne reçoit l'aide de l'URSS et de la Chine. Les États-Unis apportent un appui financier à la France. À la guérilla qui avait caractérisé les débuts de la lutte menée par le Viêt-minh se superposent des opérations de grande envergure conduites par des unités régulières. En octobre 1950, la France subit plusieurs graves défaites. L'année suivante, le général de Lattre remporte plusieurs victoires, mais les régions contrôlées par le Viêt-minh s'étendent. En 1954, la défaite de Diên Biên Phu contraint la France au retrait. Au terme d'une vive résistance, 10 000 soldats français survivants sont faits prisonniers par les hommes du général Giap le 7 mai 1954. En juillet, par les accords de Genève, la France reconnaît l'indépendance du Laos, du Cambodge et du Vietnam. Ce dernier est partagé en deux, de part et d'autre du 17e parallèle. III. LA DECOLONISATION L'AFRIQUE NOIRE DE Pourquoi la décolonisation s'y fait-elle le plus souvent sans violence ? A. Le retrait rapide des Britanniques 1. Le Ghana, premier État indépendant Les Britanniques montrent la voie de l'émancipation graduelle en Gold Coast (Ghana) où un mouvement en faveur de l'indépendance animé par Nkrumah se constitue dès 1945. Le succès de son parti aux élections législatives de 1951 lui vaut d'être nommé par les Britanniques chef du gouvernement puis Premier ministre. Le transfert progressif des compétences à l'élite locale débouche sur le self-government en 1954 puis sur l'indépendance en 1957. 2. L'émancipation des autres colonies Le Nigeria, la Sierra Leone et la Gambie en Afrique occidentale, le Tanganyika et l'Ouganda en Afrique orientale deviennent indépendants entre 1960 et 1965. Cependant, l'émancipation est parfois ralentie par les antagonismes entre populations que la colonisation a réunies artificiellement à l'intérieur des mêmes frontières. Au Nigeria, des rivalités opposent les Yorubas et les Ibos aux Haoussas; en Sierra Leone et en Gambie, les habitants anglicisés de la côte aux populations de l'intérieur. Les structures élaborées pour faire coexister ces peuples vont se révéler fragiles. B. Le retrait par étapes des Français 1. L'accession à la citoyenneté Au lendemain de la guerre, les revendications sont limitées en Afrique noire française, sauf à Madagascar où une insurrection est violemment réprimée en 1947. La France abolit le travail forcé et attribue la citoyenneté à tous les habitants de l'Union française qui acquièrent ainsi le droit d'élire des représentants au Parlement. Des hommes comme le Sénégalais L. S. Senghor et l'Ivoirien E Houphouët-Boigny y font l'apprentissage de la vie politique. 2. De l'autonomie à l'indépendance Trois dates rythment le retrait de la France. En 1956, une loi-cadre, préparée par G. Defferre et F. Houphouët-Boigny, accorde un début d'autonomie interne aux territoires d'outre-mer. Les assemblées locales, élues au suffrage universel par un collège électoral unique, sont dotées en certaines matières d'un véritable pouvoir législatif. En 1958, le général de Gaulle donne aux colonies le choix entre l'indépendance immédiate et une autonomie élargie dans le cadre d'une Communauté qui les associe à la France. Lors du référendum du 28 septembre 1958, tous les territoires d'Afrique noire, à l'exception de la Guinée, choisissent l'association. En 1960, 14 États souverains voient le jour : soumise aux pressions internationales et intérieures, la France a préféré partir en préservant ses intérêts plutôt que de risquer de s'enliser dans une situation difficile. C. Des difficultés locales 1. La résistance des colons britanniques Dans une partie de l'Afrique orientale britannique, les colons, nombreux, bloquent le processus d'émancipation graduelle. Le Kenya accède à l'indépendance en 1963 après avoir connu de graves troubles (insurrection des Mau-Mau en 1952). En 1964, c'est le tour du Nyassaland (Malawi) et de la Rhodésie du Nord. En Rhodésie du Sud, les colons britanniques répriment l'agitation nationaliste et proclament l'indépendance à leur profit en 1965 malgré l'opposition de Londres. 2. Le Congo belge: une indépendance précipitée Durant la période coloniale, les grandes compagnies minières et forestières ont tenu les populations locales à l'écart de toute forme de participation à la vie publique. Mais, après 1945, l'essor économique et l'urbanisation gonflent les rangs du prolétariat. Celui-ci est d'autant plus sensible aux thèses nationalistes que le reste de l'Afrique donne l'exemple. La timidité des réformes envisagées provoque les graves émeutes de Léopoldville en janvier 1959. La Belgique accorde précipitamment l'indépendance l'année suivante. Le pays, mal préparé et divisé, sombre dans la guerre civile. IV. L'EMANCIPATION DU MAGHREB ET DE L'AFRIQUE AUSTRALE Pourquoi des guerres ensanglantent-elles le nord et le sud du continent ? 2 A. L'émancipation du Maghreb 1. Au Maroc et en Tunisie, l'indépendance arrachée L'opposition des colons à toute évolution plonge les protectorats français dans une spirale de violences. Les actes de terrorisme se multiplient au Maroc après l'arrestation du sultan Mohammed Ben Youssef (1953), et en Tunisie où la France refuse d'accorder l'autonomie interne que réclame Habib Bourguiba. En 1954, Pierre Mendès France, chef du gouvernement français, reconnaît l'autonomie interne de la Tunisie (discours de Carthage). L'éclatement de l'insurrection en Algérie précipite l'évolution en faisant craindre l'embrasement de tout le Maghreb. En 1956, le Maroc et la Tunisie deviennent indépendants. 2. En Algérie, une guerre qui dure sept ans La situation est compliquée. Un million d'Européens, les «pieds~noirs» y vivent, convaincus que l'Algérie, c'est la France». Des manifestations nationalistes ont lieu à Sétif en mai 1945, auxquelles le gouvernement répond par la répression et de timides réformes. Dès lors, l'opposition se radicalise dans la clandestinité. En novembre 1954, une série d'attentats signés du FLN (Front de libération nationale) déclenchent la guerre. Déterminé à s'opposer à l'indépendance que réclame le FLN, le gouvernement français engage le contingent. Les moyens mis en œuvre pour démanteler la direction du Front de libération (bataille d'Alger en 1957) et couper celui-ci de ses bases arrière (construction de la ligne Morice à la frontière algéro-tunisienne) assurent à l'armée française la maîtrise militaire du terrain. Mais les sentiments nationalistes progressent. En France, l'opinion publique s'inquiète de l'enlisement dans un conflit qui semble sans issue, une partie de la presse dénonce le recours à la torture. L'idée progresse aussi que le colonialisme est «souvent une charge plus qu'un profit», selon l'expression du journaliste R. Cartier. 3. Un règlement long et douloureux À partir de 1959, le général de Gaulle engage le processus qui conduit à l'indépendance de l'Algérie. Le 16 septembre, il reconnaît le droit à l'autodétermination des Algériens. Il se heurte à la résistance d'une partie des pieds-noirs et de certains éléments de l'armée qui tentent un putsch en avril 1961 puis, ayant échoué, constituent l'Organisation armée secrète (OAS) pour s'opposer par la violence aux négociations. Le 18 mars 1962, par les accords d'Evian, la France reconnaît l'indépendance de l'Algérie. Le bilan est lourd : de 200 000 à 300 000 morts, le retour dramatique en France des pieds-noirs, les représailles du FLN contre les musulmans qui se sont rangés aux côtés des Français (les harkis), les luttes pour le pouvoir à l'intérieur du FLN. B. L'émancipation australe de l'Afrique 1. En Afrique portugaise, des nationalismes longtemps étouffés En Angola et au Mozambique, les revendications nationalistes des années 1960 ont été étouffées par le gouvernement portugais au prix d'un énorme effort militaire et financier. Ce n'est qu'en 1975, après l'effondrement de la dictature à Lisbonne, que les Portugais se retirent. Ils laissent ces régions en proie à de violents affrontements entre mouvements marxistes et non marxistes. Les premiers s'emparent du pouvoir avec l'aide de l'URSS. La région entre dans la guerre froide. 2. En Afrique anglophone, la résistance des Blancs Les populations noires n'acquièrent l'égalité des droits qu'après de longues luttes. En Rhodésie, les colons qui avaient proclamé l'indépendance à leur profit capitulent : en 1980, le pays devient le Zimbabwe, doté d'un gouvernement à majorité noire. En République sud-africaine, la radicalisation des oppositions et la pression internationale obligent le gouvernement de Pretoria à abroger la totalité des lois d'apartheid en 1991. Trois ans plus tard, Nelson Mandela, chef du principal mouvement d'opposition l'ANC -, libéré après 27 ans de prison, devient président d'Afrique du Sud. Entre-temps, son pays a renoncé à la tutelle qu'il exerçait sur la Namibie voisine. V. L'EMERGENCE DU TIERS-MONDE Comment les Etats issus de la décolonisation s'organisent-ils ? A. Des États issus de la décolonisation 1. Des États fragiles De 1945 à 1975, plus de 70 nouveaux Etats se constituent en Asie et en Afrique. Le sentiment de former une nation, forgé dans la lutte contre l'autorité coloniale est encore souvent fragile, surtout quand les frontières englobent des populations d'origines ethniques différentes, parfois antagonistes. Le manque de cadres et de traditions politiques affaiblit aussi les nouveaux États. 2. Un monde sous-développé Les États issus de la décolonisation sont pauvres. Les puissances coloniales y ont encouragé le développement des cultures commerciales, souvent au détriment des cultures vivrières, et ont limité l'industrialisation. Après l'accession à l'indépendance, le manque de capitaux et de techniciens subordonne le développement à une aide extérieure. Cette aide apparaît d'autant plus urgente que l'explosion démographique crée des besoins croissants. En 1952, le démographe Alfred Sauvy met en garde contre les troubles que peut susciter l'émergence de ce "Tiers monde". B. Le refus de s'aligner 1. La conférence de Bandung En avril 1955, à l'initiative de Nehru et de Sukarno, les représentants de 29 États (23 pays d'Asie et 6 pays d'Afrique) se réunissent à Bandung, en Indonésie. Ils appellent à l'émancipation des territoires encore colonisés, affirment le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'égalité de toutes les nations. Ils réclament des mesures pour le développement des nouveaux États et dénoncent les risques que fait courir la bipolarisation Est-Ouest. Bien qu'elle ne débouche pas sur des mesures concrètes, la conférence de Bandung a un retentissement important : c'est la première fois que le Tiers-Monde s'exprime sur la scène internationale. 2. Le mouvement non-aligné L'initiative d'un mouvement groupant durablement les États du Tiers-Monde revient au chef de l'État yougoslave, le maréchal Tito, qui, avec Nehru et Nasser, fonde à Belgrade, en 1961, le mouvement non-aligné. Dans les années suivantes, des «sommets» réunissent un nombre croissant de pays : 25 en 1961, 53 en 1970, 92 en 1979. Les États asiatiques et africains y sont rejoints par ceux d'Amérique latine également pauvres et dépendants des États-Unis. Ces États non-alignés sont majoritaires à l'Assemblée générale de l'ONU. Ils y font prévaloir leurs vues lors du vote de 3 nombreuses résolutions. Cependant, ils n'obtiennent qu'une réforme partielle des organes centraux : l'augmentation du nombre de membres au Conseil économique et social et au Conseil de sécurité. En revanche, ils ne réussissent pas à entamer le droit de veto des grandes puissances. du Tiers-Monde. Coups d'État et révolutions jalonnent l'histoire de très nombreux États nés de la décolonisation où la démocratie ne réussit pas à prendre racine avant les années 1980. Les rivalités politiques, les conflits interethniques, les litiges frontaliers multiplient les luttes et favorisent le surarmement. Le rêve de Bandung s'envole. C. Des combats communs 1. Lutter pour de nouveaux rapports internationaux L'action politique des non-alignés revêt d'abord la forme d'une lutte contre le colonialisme et l'impérialisme. En 1960, ils font voter à l'ONU la Déclaration sur l'octroi de l'Indépendance aux pays et aux peuples coloniaux. Ils dénoncent tour à tour la guerre d'Algérie, le maintien des Portugais en Afrique, l'intervention américaine au Vietnam, la situation des Palestiniens, la politique d'apartheid en Afrique du Sud... Ils refusent d'être des instruments de la politique des blocs et affirment que l'établissement de la paix passe par une démocratisation des relations internationales. 2. Sortir du sous-développement Les non-alignés revendiquent des mesures pour sortir du sous-développement. En 1961, les Nations unies lancent «la première décennie pour le développement». Le président des États-Unis Kennedy signe avec les pays d'Amérique latine une Alliance pour le progrès. En 1963, la CEE conclut avec 18 pays d'Afrique la convention de Yaoundé. En 1964 naît la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Le Tiers-Monde semble en mesure de se faire entendre. VI. LE TIERS-MONDE DIVISE Pourquoi les Etats nés de la décolonisation échouent-ils à se faire entendre ? A. L'échec du non-alignement 1. Pro-Soviétiques et pro-Occidentaux Le refus de la bipolarisation du monde se révèle vite utopique. Les non-alignés se divisent sur l'attitude à adopter vis-àvis des deux Grands. Certains (Cuba, l'Égypte, la Libye...) voient dans l'URSS «l'allié naturel» du Tiers-Monde. Ils condamnent l’impérialisme américain et dénoncent le néocolonialisme auquel se soumettent les pays modérés (Arabie saoudite, Maroc, nombreux États d'Amérique latine et d'Afrique noire...). La guerre du Vietnam accentue ce clivage; en 1966, Fidel Castro appelle à radicaliser la lutte contre les États-Unis en créant, selon l'expression de Che Guevara, «deux, trois, de nombreux Vietnam». B. L'impossibilité de changer l'ordre économique 1. Le Nord mis en accusation par le Sud L'échec des mesures prises dans les années 1960 en faveur du développement entraîne une radicalisation des revendications. En 1973, à la conférence d'Alger puis l'année suivante à l'ONU, les non-alignés accusent les pays riches (le Nord) d'avoir instauré une division Internationale du travail source de sous-développement pour les pays du Sud. Ils dénoncent la dégradation des termes de l’échange et réclament l'instauration d'un Nouvel ordre économique international (NOEI). Au même moment le premier choc pétrolier semble inaugurer un nouveau rapport de force favorable au Tiers-Monde. 2. Des mesures limitées Dans les années 1970-1980, des mesures sont prises à l'instigation de l'ONU et des conférences Nord-Sud (Paris en 1975-1977, Cancun en 1984) réduction des droits de douane perçus dans les pays riches sur les Importations en provenance des pays pauvres; approfondissement de la convention de Yaoundé à Lomé en 1975; décision de créer un fonds commun de stabilisation des cours de 19 matières premières. Mais la mise en œuvre de ces mesures se heurte aux résistances de pays industrialisés, à l'incapacité des pays producteurs de matières premières à s'entendre et à la crise économique génératrice de déséquilibres. 3. Des voies de développement divergentes Le choc pétrolier de 1973 creuse le fossé entre pays. Les pays pétroliers arabes, peu peuplés, s'enrichissent. En revanche, la plupart des pays d'Afrique noire s'enfoncent dans les difficultés; les États qui disposent de ressources pétrolières ou minières comme le Nigeria, le Gabon ou le Zaïre (ex-Congo belge) dilapident leurs revenus en dépenses somptuaires et en détournements. En Amérique latine, la croissance économique est synonyme d'accroissement des écarts sociaux. Partout, l'aide entraîne un endettement croissant. Seule une douzaine de nouveaux pays industrialisés (NPI), surtout en Asie, émergent du sousdéveloppement. 2. L'ingérence des grandes puissances Les pays du Tiers-Monde sont en réalité dépendants du partage du monde en zones d'influence. Nombre d'entre eux sont liés par des accords à leur ancienne puissance colonisatrice qui souvent n'hésite pas à intervenir dans leurs affaires intérieures. Il en est de même des deux Grands quand ils considèrent leurs intérêts en jeu, ainsi les États-Unis interviennent au Chili en 1973 pour s'opposer au régime socialiste de Salvador Allende. Le TiersMonde devient aussi une zone d'affrontement Est-Ouest. La péninsule indochinoise n'est pas un cas isolé; en 1971 par exemple, l'URSS s'allie avec l'Inde qui soutient la sécession du Bangladesh contre le Pakistan allié aux États-Unis. 3. Des luttes internes Ces ingérences sont facilitées par l'instabilité politique et la multiplication des guerres civiles ou des conflits entre États 4