La décolonisation

Telechargé par Sébastien Schlegel
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Chapitre V
DECOLONISATIONS ET
EMERGENCE DU TIERS-MONDE
I. LES ORIGINES DE LA
DECOLONISATION
Comment la Seconde Guerre mondiale ouvre-t-elle la voie à la
décolonisation ?
A. L'Europe affaiblie par la guerre
1. La mise en cause du prestige européen
Les défaites subies par les vieilles puissances coloniales
montrent que celles-ci ne sont pas invincibles. L'écrasement par
l'Allemagne en 1940 de la Belgique, des Pays-Bas et de la France et
la rapidité avec laquelle le Japon s'empare d'une grande partie des
possessions européennes en Asie détruisent la croyance en la
supériorité de l'homme blanc. Dans les régions qu'ils occupent, les
États de l'Axe libèrent les nationalistes emprisonnés et se livrent
à une intense propagande contre les puissances coloniales. Les
Japonais se présentent en libérateurs des peuples asiatiques.
2. Le développement des mouvements nationalistes
Les revendications nationalistes nées avant la guerre se
durcissent tant dans les régions occupées par les Japonais
(Indochine et Indonésie) que dans des zones restées sous contrôle
allié. Ainsi, en Inde, le parti du Congrès déclare dès 1939 que l'Inde
ne peut participer à la guerre «aussi longtemps que la liberté
véritable lui sera refusée». En 1942, Gandhi somme les
Britanniques de partir Quit India»). En Algérie, Ferhat Abbas
lance, en 1943, un manifeste du peuple algérien pour réclamer un
État autonome. Au Maroc, en 1944, les nationalistes s'unissent dans
le parti de l'Istiqlal («Indépendance»). En Tunisie, l'audience du
Néo-Destour progresse.
3. Une soif de justice
Pendant la guerre, les puissances européennes ont fait
largement appel à leurs possessions. Dans les colonies françaises et
britanniques, la mobilisation a été forte; beaucoup d'hommes ont
trouvé la mort au combat. Dans tous les empires, les métropoles ont
eu recours à une ponction économique importante : pour accroître
les productions les tropoles ont développé les cultures
«forcées» et les réquisitions de main-d'œuvre, accroissant les
déséquilibres économiques et suscitant des mécontentements. À la
fin de la guerre, les colonies demandent le prix de leur aide.
B. Des forces hostiles au colonialisme
1. L'anticolonialisme de l'URSS et des Etats-Unis
Les deux Grands s'opposent à la colonisation pour des
raisons différentes. Les Soviétiques se référent aux thèses anti-
impérialistes de Lénine. Les Américains sont animés à la fois par
leur attachement au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et
par des intérêts économiques. Pendant la guerre, le président
Roosevelt et son entourage ont multiplié les déclarations en faveur
de la «libération de tous les peuples». Dans les années qui suivent,
la guerre froide amène les États-Unis à nuancer leur position ; le
principe de l'émancipation des peuples colonisés n'est cependant
pas remis en question.
2. La création de l'ONU
La création de l'ONU fait espérer le triomphe des Droits
de l'homme pour lesquels les Alliés se sont battus. En août 1941, la
charte de l'Atlantique a affirmé «le droit de tous les peuples de
choisir la forme de gouvernement sous laquelle ils veulent vivre».
Les valeurs de liberté et de justice défendues par les Alliés
paraissent contradictoires avec le fait colonial. La charte de San
Francisco pose en principe «l'égalité des droits des peuples et leur
droit à disposer d'eux-mêmes». Un groupe hostile à la domination
coloniale, conduit par les pays latino-américains et arabo-asiatiques
et soutenu par l'URSS, se constitue à l'Assemblée de l'ONU. Au fil
des années, il se renforce avec les États qui accèdent à
l'indépendance.
3. La résistance des colonisateurs
Les métropoles sont davantage prêtes à des concessions
qu'à l'abandon de leurs empires. Durant la guerre, la reine des Pays-
Bas a promis à l'Indonésie la « liberté d'action en ce qui concerne
les affaires intérieures». En 1944, la conférence de Brazzaville,
réunie par le général de Gaulle, a préconisé des mesures pour
améliorer le sort des peuples colonisés d'Afrique noire française.
Mais, pour les Néerlandais comme pour les Français, toute idée
d'indépendance est exclue. Seuls les Britanniques admettent un
processus graduel d'émancipation qui préserverait leurs intérêts; ce
que résume la formule du ministre Bevin: « Give and keep».
II. L'EMANCIPATION DES PEUPLES
D'ASIE
Pourquoi la décolonisation commence-t-elle en Asie ?
A. La décolonisation britannique et
néerlandaise
1. Dans les Indes anglaises, un nationalisme précoce
En Inde, la force des sentiments nationalistes dans l'entre-
deux-guerres et l'agitation pendant la guerre ont contraint les
Britanniques à faire des promesses d'émancipation. La tension est
telle qu'en juin 1945, le gouvernement de Londres entame des
négociations. Il est confronté à l'opposition entre le parti du
Congrès, animé par Gandhi et Nehru, et la Ligue musulmane de
Jinnah. Les premiers souhaitent la formation d'un seul État
englobant tous les peuples de l'Inde, le second réclame un État
musulman distinct. Tous les plans de médiation échouent ; des
heurts sanglants éclatent entre les communautés religieuses.
La partition de l'Inde est inévitable : deux États naissent
le 15 août 1947, l'Union indienne, à majorité hindoue, et le
Pakistan, à majorité musulmane, composé de deux territoires
distants de 1 700 km. Les transferts massifs de population qui
accompagnent la délimitation des frontières s'effectuent dans un
bain de sang. L'accession à l'indépendance crée des déchirements
durables dans la région.
Deux autres territoires britanniques accèdent à
l'indépendance en 1948 : l'île de Ceylan et la Birmanie. La
Malaisie et Singapour doivent attendre 1957. Les Britanniques se
retirent au terme d'une longue lutte contre un puissant parti
communiste prochinois. Néanmoins, ils parviennent à préserver
leurs intérêts, puisque les nouveaux États restent dans le
Commonwealth.
2. En Indonésie, le poids de la pression
internationale
En août 1945, le chef nationaliste Sukarno proclame
l'indépendance de la République indonésienne avant même le
départ des Japonais. Faute de moyens de reconquête suffisants, les
Néerlandais sont contraints à un compromis : la création d'une
Union hollando-indonésienne unissant les Pays-Bas à des États-
Unis d'Indonésie autonomes. Pourtant, simultanément, ils
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s'efforcent de provoquer des divisions entre Indonésiens et de
rétablir leurs pouvoirs par des interventions armées.
Les Néerlandais doivent céder en 1949 : la résistance
des populations, les pressions de l'URSS et des Etats-Unis, les
condamnations de l'ONU les obligent à signer les accords de La
Haye qui reconnaissent l'indépendance de l'Indonésie.
B. La guerre d'Indochine
1. L'impossible accord avec le Viêt-minh
En Indochine, la fin de la Seconde Guerre mondiale met
face à face le Viêt~minh, qui proclame l'indépendance, et la
France qui reconquiert le pays. La force du sentiment national
vietnamien incite le gouvernement français à négocier : il
reconnaît la République du Vietnam comme «un État libre» à
l'intérieur de l'Union française. Mais le désaccord est profond :
Hô Chi Minh souhaite l'indépendance réelle d'un Vietnam unifié
triompherait l'idéologie communiste ; le haut-commissaire français,
Thierry d'Argenlieu, refuse la «politique d'abandon». Les
incidents se multiplient. Le bombardement d'Haiphong par les
Français puis le massacre des Européens d'Hanoi débouchent sur
la guerre en décembre 1946.
2. L'intrusion de la guerre froide
À partir de 1949, le conflit s'internationalise. L'armée
Vietnamienne reçoit l'aide de l'URSS et de la Chine. Les États-Unis
apportent un appui financier à la France. À la guérilla qui avait
caractérisé les débuts de la lutte menée par le Viêt-minh se
superposent des opérations de grande envergure conduites par
des unités régulières. En octobre 1950, la France subit plusieurs
graves défaites. L'année suivante, le général de Lattre remporte
plusieurs victoires, mais les régions contrôlées par le Viêt-minh
s'étendent.
En 1954, la défaite de Diên Biên Phu contraint la France
au retrait. Au terme d'une vive résistance, 10 000 soldats français
survivants sont faits prisonniers par les hommes du général Giap le
7 mai 1954. En juillet, par les accords de Genève, la France
reconnaît l'indépendance du Laos, du Cambodge et du Vietnam.
Ce dernier est partagé en deux, de part et d'autre du 17e parallèle.
III. LA DECOLONISATION DE
L'AFRIQUE NOIRE
Pourquoi la décolonisation s'y fait-elle le plus souvent sans
violence ?
A. Le retrait rapide des Britanniques
1. Le Ghana, premier État indépendant
Les Britanniques montrent la voie de l'émancipation
graduelle en Gold Coast (Ghana) un mouvement en faveur de
l'indépendance animé par Nkrumah se constitue dès 1945. Le
succès de son parti aux élections législatives de 1951 lui vaut d'être
nommé par les Britanniques chef du gouvernement puis Premier
ministre. Le transfert progressif des compétences à l'élite locale
débouche sur le self-government en 1954 puis sur l'indépendance
en 1957.
2. L'émancipation des autres colonies
Le Nigeria, la Sierra Leone et la Gambie en Afrique
occidentale, le Tanganyika et l'Ouganda en Afrique orientale
deviennent indépendants entre 1960 et 1965. Cependant,
l'émancipation est parfois ralentie par les antagonismes entre
populations que la colonisation a réunies artificiellement à
l'intérieur des mes frontières. Au Nigeria, des rivalités opposent
les Yorubas et les Ibos aux Haoussas; en Sierra Leone et en
Gambie, les habitants anglicisés de la côte aux populations de
l'intérieur. Les structures élaborées pour faire coexister ces peuples
vont se révéler fragiles.
B. Le retrait par étapes des Français
1. L'accession à la citoyenneté
Au lendemain de la guerre, les revendications sont
limitées en Afrique noire française, sauf à Madagascar où une
insurrection est violemment réprimée en 1947. La France abolit
le travail forcé et attribue la citoyenneà tous les habitants de
l'Union française qui acquièrent ainsi le droit d'élire des
représentants au Parlement. Des hommes comme le Sénégalais L. S.
Senghor et l'Ivoirien E Houphouët-Boigny y font l'apprentissage de
la vie politique.
2. De l'autonomie à l'indépendance
Trois dates rythment le retrait de la France.
En 1956, une loi-cadre, préparée par G. Defferre et F.
Houphouët-Boigny, accorde un début d'autonomie interne aux
territoires d'outre-mer. Les assemblées locales, élues au
suffrage universel par un collège électoral unique, sont dotées
en certaines matières d'un véritable pouvoir législatif.
En 1958, le général de Gaulle donne aux colonies le choix
entre l'indépendance immédiate et une autonomie élargie
dans le cadre d'une Communauté qui les associe à la France.
Lors du référendum du 28 septembre 1958, tous les territoires
d'Afrique noire, à l'exception de la Guinée, choisissent
l'association.
En 1960, 14 États souverains voient le jour : soumise aux
pressions internationales et intérieures, la France a préféré
partir en préservant ses intérêts plutôt que de risquer de
s'enliser dans une situation difficile.
C. Des difficultés locales
1. La résistance des colons britanniques
Dans une partie de l'Afrique orientale britannique, les
colons, nombreux, bloquent le processus d'émancipation graduelle.
Le Kenya accède à l'indépendance en 1963 après avoir connu de
graves troubles (insurrection des Mau-Mau en 1952). En 1964,
c'est le tour du Nyassaland (Malawi) et de la Rhodésie du Nord.
En Rhodésie du Sud, les colons britanniques répriment l'agitation
nationaliste et proclament l'indépendance à leur profit en 1965
malgré l'opposition de Londres.
2. Le Congo belge: une indépendance précipitée
Durant la période coloniale, les grandes compagnies
minières et forestières ont tenu les populations locales à l'écart de
toute forme de participation à la vie publique. Mais, après 1945,
l'essor économique et l'urbanisation gonflent les rangs du
prolétariat. Celui-ci est d'autant plus sensible aux thèses
nationalistes que le reste de l'Afrique donne l'exemple. La timidité
des réformes envisagées provoque les graves émeutes de
Léopoldville en janvier 1959. La Belgique accorde précipitamment
l'indépendance l'année suivante. Le pays, mal préparé et divisé,
sombre dans la guerre civile.
IV. L'EMANCIPATION DU MAGHREB
ET DE L'AFRIQUE AUSTRALE
Pourquoi des guerres ensanglantent-elles le nord et le sud du
continent ?
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A. L'émancipation du Maghreb
1. Au Maroc et en Tunisie, l'indépendance arrachée
L'opposition des colons à toute évolution plonge les
protectorats français dans une spirale de violences. Les actes de
terrorisme se multiplient au Maroc après l'arrestation du sultan
Mohammed Ben Youssef (1953), et en Tunisie la France refuse
d'accorder l'autonomie interne que réclame Habib Bourguiba. En
1954, Pierre Mendès France, chef du gouvernement français,
reconnaît l'autonomie interne de la Tunisie (discours de
Carthage). L'éclatement de l'insurrection en Algérie précipite
l'évolution en faisant craindre l'embrasement de tout le Maghreb.
En 1956, le Maroc et la Tunisie deviennent indépendants.
2. En Algérie, une guerre qui dure sept ans
La situation est compliquée. Un million d'Européens, les
«pieds~noirs» y vivent, convaincus que l'Algérie, c'est la France».
Des manifestations nationalistes ont lieu à Sétif en mai 1945,
auxquelles le gouvernement répond par la répression et de timides
réformes. Dès lors, l'opposition se radicalise dans la clandestinité.
En novembre 1954, une série d'attentats signés du FLN (Front
de libération nationale) déclenchent la guerre.
Déterminé à s'opposer à l'indépendance que réclame le
FLN, le gouvernement français engage le contingent. Les moyens
mis en œuvre pour démanteler la direction du Front de libération
(bataille d'Alger en 1957) et couper celui-ci de ses bases arrière
(construction de la ligne Morice à la frontière algéro-tunisienne)
assurent à l'armée française la maîtrise militaire du terrain. Mais
les sentiments nationalistes progressent. En France, l'opinion
publique s'inquiète de l'enlisement dans un conflit qui semble sans
issue, une partie de la presse dénonce le recours à la torture.
L'idée progresse aussi que le colonialisme est «souvent une charge
plus qu'un profit», selon l'expression du journaliste R. Cartier.
3. Un règlement long et douloureux
À partir de 1959, le général de Gaulle engage le
processus qui conduit à l'indépendance de l'Algérie. Le 16
septembre, il reconnaît le droit à l'autodétermination des
Algériens. Il se heurte à la résistance d'une partie des pieds-noirs et
de certains éléments de l'armée qui tentent un putsch en avril 1961
puis, ayant échoué, constituent l'Organisation armée secrète
(OAS) pour s'opposer par la violence aux négociations. Le 18 mars
1962, par les accords d'Evian, la France reconnaît l'indépendance
de l'Algérie. Le bilan est lourd : de 200 000 à 300 000 morts, le
retour dramatique en France des pieds-noirs, les représailles du
FLN contre les musulmans qui se sont rangés aux tés des
Français (les harkis), les luttes pour le pouvoir à l'intérieur du
FLN.
B. L'émancipation de l'Afrique
australe
1. En Afrique portugaise, des nationalismes
longtemps étouffés
En Angola et au Mozambique, les revendications
nationalistes des années 1960 ont été étouffées par le gouvernement
portugais au prix d'un énorme effort militaire et financier. Ce n'est
qu'en 1975, après l'effondrement de la dictature à Lisbonne, que les
Portugais se retirent. Ils laissent ces régions en proie à de violents
affrontements entre mouvements marxistes et non marxistes.
Les premiers s'emparent du pouvoir avec l'aide de l'URSS. La
région entre dans la guerre froide.
2. En Afrique anglophone, la résistance des Blancs
Les populations noires n'acquièrent l'égalité des droits
qu'après de longues luttes. En Rhodésie, les colons qui avaient
proclamé l'indépendance à leur profit capitulent : en 1980, le pays
devient le Zimbabwe, dod'un gouvernement à majorité noire. En
République sud-africaine, la radicalisation des oppositions et la
pression internationale obligent le gouvernement de Pretoria à
abroger la totalité des lois d'apartheid en 1991. Trois ans plus
tard, Nelson Mandela, chef du principal mouvement d'opposition -
l'ANC -, libéré après 27 ans de prison, devient président d'Afrique
du Sud. Entre-temps, son pays a renonà la tutelle qu'il exerçait
sur la Namibie voisine.
V. L'EMERGENCE DU TIERS-MONDE
Comment les Etats issus de la décolonisation s'organisent-ils ?
A. Des États issus de la décolonisation
1. Des États fragiles
De 1945 à 1975, plus de 70 nouveaux Etats se
constituent en Asie et en Afrique. Le sentiment de former une
nation, forgé dans la lutte contre l'autorité coloniale est encore
souvent fragile, surtout quand les frontières englobent des
populations d'origines ethniques différentes, parfois antagonistes.
Le manque de cadres et de traditions politiques affaiblit aussi les
nouveaux États.
2. Un monde sous-développé
Les États issus de la décolonisation sont pauvres. Les
puissances coloniales y ont encouragé le développement des
cultures commerciales, souvent au détriment des cultures vivrières,
et ont limité l'industrialisation. Après l'accession à l'indépendance,
le manque de capitaux et de techniciens subordonne le
développement à une aide extérieure. Cette aide apparaît d'autant
plus urgente que l'explosion démographique crée des besoins
croissants. En 1952, le démographe Alfred Sauvy met en garde
contre les troubles que peut susciter l'émergence de ce "Tiers
monde".
B. Le refus de s'aligner
1. La conférence de Bandung
En avril 1955, à l'initiative de Nehru et de Sukarno, les
représentants de 29 États (23 pays d'Asie et 6 pays d'Afrique) se
réunissent à Bandung, en Indonésie. Ils appellent à
l'émancipation des territoires encore colonisés, affirment le droit
des peuples à disposer d'eux-mêmes et l'égalité de toutes les
nations. Ils réclament des mesures pour le développement des
nouveaux États et dénoncent les risques que fait courir la
bipolarisation Est-Ouest. Bien qu'elle ne débouche pas sur des
mesures concrètes, la conférence de Bandung a un retentissement
important : c'est la première fois que le Tiers-Monde s'exprime
sur la scène internationale.
2. Le mouvement non-aligné
L'initiative d'un mouvement groupant durablement les
États du Tiers-Monde revient au chef de l'État yougoslave, le
maréchal Tito, qui, avec Nehru et Nasser, fonde à Belgrade, en
1961, le mouvement non-aligné. Dans les années suivantes, des
«sommets» réunissent un nombre croissant de pays : 25 en 1961,
53 en 1970, 92 en 1979. Les États asiatiques et africains y sont
rejoints par ceux d'Amérique latine également pauvres et
dépendants des États-Unis.
Ces États non-alignés sont majoritaires à l'Assemblée
générale de l'ONU. Ils y font prévaloir leurs vues lors du vote de
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nombreuses résolutions. Cependant, ils n'obtiennent qu'une
réforme partielle des organes centraux : l'augmentation du
nombre de membres au Conseil économique et social et au Conseil
de sécurité. En revanche, ils ne réussissent pas à entamer le droit de
veto des grandes puissances.
C. Des combats communs
1. Lutter pour de nouveaux rapports internationaux
L'action politique des non-alignés revêt d'abord la forme
d'une lutte contre le colonialisme et l'impérialisme. En 1960, ils
font voter à l'ONU la Déclaration sur l'octroi de l'Indépendance aux
pays et aux peuples coloniaux. Ils dénoncent tour à tour la guerre
d'Algérie, le maintien des Portugais en Afrique, l'intervention
américaine au Vietnam, la situation des Palestiniens, la politique
d'apartheid en Afrique du Sud... Ils refusent d'être des
instruments de la politique des blocs et affirment que
l'établissement de la paix passe par une démocratisation des
relations internationales.
2. Sortir du sous-développement
Les non-alignés revendiquent des mesures pour sortir du
sous-développement. En 1961, les Nations unies lancent «la
première décennie pour le développement». Le président des
États-Unis Kennedy signe avec les pays d'Amérique latine une
Alliance pour le progrès. En 1963, la CEE conclut avec 18 pays
d'Afrique la convention de Yaoundé. En 1964 naît la Conférence
des Nations unies sur le commerce et le développement
(CNUCED). Le Tiers-Monde semble en mesure de se faire
entendre.
VI. LE TIERS-MONDE DIVISE
Pourquoi les Etats nés de la décolonisation échouent-ils à se faire
entendre ?
A. L'échec du non-alignement
1. Pro-Soviétiques et pro-Occidentaux
Le refus de la bipolarisation du monde se révèle vite
utopique. Les non-alignés se divisent sur l'attitude à adopter vis-à-
vis des deux Grands. Certains (Cuba, l'Égypte, la Libye...) voient
dans l'URSS «l'allié naturel» du Tiers-Monde. Ils condamnent
l’impérialisme américain et dénoncent le néocolonialisme auquel
se soumettent les pays modérés (Arabie saoudite, Maroc, nombreux
États d'Amérique latine et d'Afrique noire...). La guerre du Vietnam
accentue ce clivage; en 1966, Fidel Castro appelle à radicaliser la
lutte contre les États-Unis en créant, selon l'expression de Che
Guevara, «deux, trois, de nombreux Vietnam».
2. L'ingérence des grandes puissances
Les pays du Tiers-Monde sont en réalité dépendants du
partage du monde en zones d'influence. Nombre d'entre eux sont
liés par des accords à leur ancienne puissance colonisatrice qui
souvent n'hésite pas à intervenir dans leurs affaires intérieures. Il en
est de même des deux Grands quand ils considèrent leurs intérêts en
jeu, ainsi les États-Unis interviennent au Chili en 1973 pour
s'opposer au régime socialiste de Salvador Allende. Le Tiers-
Monde devient aussi une zone d'affrontement Est-Ouest. La
péninsule indochinoise n'est pas un cas isolé; en 1971 par exemple,
l'URSS s'allie avec l'Inde qui soutient la sécession du Bangladesh
contre le Pakistan allié aux États-Unis.
3. Des luttes internes
Ces ingérences sont facilitées par l'instabilité politique et
la multiplication des guerres civiles ou des conflits entre États
du Tiers-Monde. Coups d'État et révolutions jalonnent l'histoire
de très nombreux États nés de la décolonisation la démocratie ne
réussit pas à prendre racine avant les années 1980. Les rivalités
politiques, les conflits interethniques, les litiges frontaliers
multiplient les luttes et favorisent le surarmement. Le rêve de
Bandung s'envole.
B. L'impossibilité de changer l'ordre
économique
1. Le Nord mis en accusation par le Sud
L'échec des mesures prises dans les années 1960 en
faveur du développement entraîne une radicalisation des
revendications. En 1973, à la conférence d'Alger puis l'année
suivante à l'ONU, les non-alignés accusent les pays riches (le Nord)
d'avoir instauré une division Internationale du travail source de
sous-développement pour les pays du Sud. Ils dénoncent la
dégradation des termes de l’échange et réclament l'instauration
d'un Nouvel ordre économique international (NOEI). Au même
moment le premier choc pétrolier semble inaugurer un nouveau
rapport de force favorable au Tiers-Monde.
2. Des mesures limitées
Dans les années 1970-1980, des mesures sont prises à
l'instigation de l'ONU et des conférences Nord-Sud (Paris en
1975-1977, Cancun en 1984) réduction des droits de douane
perçus dans les pays riches sur les Importations en provenance des
pays pauvres; approfondissement de la convention de Yaoundé à
Lomé en 1975; décision de créer un fonds commun de
stabilisation des cours de 19 matières premières. Mais la mise en
œuvre de ces mesures se heurte aux résistances de pays
industrialisés, à l'incapacité des pays producteurs de matières
premières à s'entendre et à la crise économique génératrice de
déséquilibres.
3. Des voies de développement divergentes
Le choc pétrolier de 1973 creuse le fossé entre pays.
Les pays pétroliers arabes, peu peuplés, s'enrichissent. En revanche,
la plupart des pays d'Afrique noire s'enfoncent dans les difficultés;
les États qui disposent de ressources pétrolières ou minières comme
le Nigeria, le Gabon ou le Zaïre (ex-Congo belge) dilapident leurs
revenus en dépenses somptuaires et en détournements. En
Amérique latine, la croissance économique est synonyme
d'accroissement des écarts sociaux. Partout, l'aide entraîne un
endettement croissant. Seule une douzaine de nouveaux pays
industrialisés (NPI), surtout en Asie, émergent du sous-
développement.
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