la chine : des traites inegaux a 1911

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LA CHINE : DES TRAITES INEGAUX A 1911
2013
Chap. 8 LA CHINE : DES TRAITES INEGAUX A 1911
-
Définir : «guerres de l’opium1», « traités inégaux », « break up of China », « zones
d’influence », « territoires à bail » ;
Présenter les causes et les manifestations de l’impérialisme européen en Chine ;
Présenter les conséquences (réactions des populations) de l’impérialisme européen en
Chine.
INTRODUCTION
-
Présenter la situation politico-économique et sociodémographique de la Chine avant
son ouverture forcée aux nations occidentales.
La Chine est une monarchie qui est conquise au XVIIe siècle par un peuple venu de Mongolie
orientale (les Jurchen du Jehol) et qui s’est fait appeler les Mandchou et a pris le titre
dynastique de Qing. Cette conquête qui a commencé en 1618 ne s’acheva qu’n 1661. Dès lors
commença une longue période d’expansion de la Chine dans les steppes, en Asie centrale et
au Tibet. C’est ainsi que l’ « Empire du Milieu » atteignit son apogée entre 1736 et 1796,
s’étendant de la mer d’Okhotsk au lac Balkach, englobant non seulement le Tibet et le
Turkestan chinois, mais le territoire de l’Ili, la Mongolie extérieure et l’île de Taiwan. Son
prestige déborde ses frontières et s’affirme sur plus de la moitié du continent : Népal,
Birmanie, Siam, Vietnam, Corée se reconnaissaient les vassaux des empereurs de Pékin. Cette
expansion politique coïncide avec un essor économique et démographique sans précédent. Les
exportations chinoises de thé, de soieries, de cotonnades, de laques, de quincaillerie vers
l’Asie du Sud-Est et jusqu’en Europe progressent rapidement, et le commerce avec l’étranger,
qui ne représente qu’un sixième des trafics intérieurs, est largement bénéficiaire. Son essor est
favorisé pendant tout le XVIIIe siècle par un afflux d’argent en provenance d’Amérique. La
diffusion de nouvelles plantes (sorgho, maïs, patate douce, arachide) qui permet l’exploitation
des sols pauvres, la prospérité générale, la paix intérieure et la douceur des mœurs politiques,
semblent être à l’origine de la plus forte expansion démographique de l’histoire. La
croissance de la population, qui dépassera le chiffre de 300 millions à la fin du XVIIIe siècle,
est d’environ 15% par an au cours de l’ère Qianlong. Elle se ralentira pendant la première
moitié du XIXe siècle et s’arrêtera complètement à partir de 1850. C’est dans ce contexte
1
La première guerre de l'Opium débuta en 1839 lorsque le gouvernement chinois confisqua les entrepôts d'opium
situés à Guangzhou (Canton). Le Royaume-Uni répondit en envoyant des navires de guerre en février 1840. Les
Britanniques remportèrent une rapide victoire et le premier des « traités inégaux », le traité de Nankin, mit fin au
conflit le 29 août 1842. Selon ce traité et un autre signé le 8 octobre 1843, la Chine dut payer une indemnité
importante, ouvrir cinq ports au commerce et à l'occupation britannique, et céder Hong Kong au Royaume-Uni.
Le traité donna également le droit aux citoyens britanniques résidant en Chine d'être jugés par des tribunaux
britanniques. D'autres puissances occidentales exigèrent des avantages semblables, qui leur furent accordés.
En octobre 1856, la police de Guangzhou arraisonna le navire chinois sous licence britannique Arrow et accusa
son équipage de contrebande. Impatients d'obtenir davantage de droits commerciaux, les Britanniques utilisèrent
cet incident pour provoquer la seconde guerre de l'Opium. Les forces britanniques et françaises remportèrent une
autre rapide victoire en 1857. Les hostilités reprirent lorsque le gouvernement chinois refusa de ratifier le traité
de Tianjin (T'ien-tsin), signé en 1858. En 1860, après que les forces françaises et britanniques eurent occupé
Pékin et brûlé le palais d'Été, les Chinois acceptèrent de ratifier le traité. Celui-ci ouvrit d'autres ports de
commerce, permit aux émissaires étrangers de résider à Pékin, autorisa les missionnaires chrétiens à entrer en
Chine et développa la libre circulation dans le pays. Plus tard, la vente de l'opium fut légalisée.
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qu’elle a subi l’intervention européenne et japonaise, l’une des raisons qui ont conduit à
l’avènement de la République.
I- L’OUVERTURE FORCEE DE LA CHINE AUX NATIONS OCCIDENTALES
La Chine avait pendant longtemps vécu dans une sorte d’autarcie économique. Or, à partir de
la fin du XVIIIe siècle, l’Europe connaissait des transformations économiques qui la
poussèrent à nouer notamment des relations commerciales avec l’Asie. Face à l’autarcie
économique chinoise, le choix fut fait de contraindre la Chine à ouvrir son marché aux
produits occidentaux. Cela avait nécessité au moins quatre guerres dont deux « guerres de
l’opium », à l’issue desquelles des traités dits « inégaux » avaient été signés dont certains
entraînant le « break-up of China ».
A- « Les guerres de L’OpIUm » et les « traités inégaux »
Les guerres de l'Opium débutèrent lorsque le gouvernement chinois essaya de stopper les
importations illégales d'opium faites par les négociants britanniques. Deux guerres (18391842, 1856-1860) entre les Européens et la Chine, dans lesquelles les puissances occidentales
obtinrent des avantages commerciaux et territoriaux significatifs.
1- La première « gUERRE DE L’OpIUm »
1.1. Les causes
Depuis la fin des guerres napoléoniennes, le renouveau des activités commerciales
européennes en Extrême-Orient (Singapour est fondée en 1819) se traduisait par une pression
constante en direction de la Chine. Les firmes étrangères acheteuses de thé et de soie
supportaient avec impatience les restrictions imposées au XVIIIe siècle par le gouvernement
mandchou. Seul Canton était ouvert aux marchands européens, et encore ceux-ci devaient-ils
passer par l’intermédiaire d’une société commerciale chinoise, appelée le Co-hong, qui fixait
à son gré les prix et les contingents. Par ailleurs, l’économie chinoise se suffisait à ellemême2 ; pour équilibrer le volume croissant de leurs achats autrement qu’en important en
Chine du métal-argent, les occidentaux s’étaient mis à pratiquer sur une grande échelle dans
les provinces du Sud la contrebande de l’opium3, denrée produite à bon compte par les sujets
bengalis de la compagnie britanniques des Indes orientales.
Les incidents se multiplièrent à Canton, vers 1830-1835, entre marchands anglais et
fonctionnaires chinois. En 1839, Lin Zexu, envoyé extraordinaire de l’empereur, fit saisir
toutes les caisses d’opium se trouvant dans la ville, pour les brûler au cours d’une cérémonie
expiatoire à caractère religieux.
1.2. La défaite chinoise et le traité de Nankin
2
Les Chinois souhaitent mettre fin aux importations illégales d’opium par les négociants britanniques, qui
ruinent les bases fiscales et morales de l’Empire et creusent le déficit extérieur du pays.
3
Mais la Chine, qui vit depuis longtemps en autarcie économique, n’est guère intéressée par le développement
de ses échanges commerciaux. Par ailleurs, les Chinois souhaitent mettre fin aux importations illégales d’opium
par les négociants britanniques, qui ruinent les bases fiscales et morales de l’Empire et creusent le déficit
extérieur du pays.
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La Grande-Bretagne, refusant de mettre un terme à ce négoce lucratif, déclencha les hostilités
à la fin de 1839 avec l’envoi d’un corps expéditionnaire : c’est la « première guerre de
l’opium. » Elle engagea en Chine de sud et vers les bouches du Yangzi une série d’opérations
miliaires qui aboutissent en 1842 à la défaite chinoise. La Chine subît une défaite sévère. Sa
faiblesse militaire, imputable pour partie au ressentiment des Han à l’encontre des
Mandchous, éclata au grand jour. La première guerre de l’Opium s’acheva en 18424 avec la
signature du traité de Nankin qui offrit à la Grande-Bretagne tous les privilèges commerciaux
qu’elle recherchait.
Selon ce traité et un autre signé le 8 octobre 1843, la Chine dut payer une indemnité
importante, accepta de supprimer le système Co-hong, dut ouvrir cinq ports5 au commerce et
à l'occupation britannique, limiter à 5% ses tarifs douaniers et céder Hong Kong au RoyaumeUni. Le traité donna également le droit aux citoyens britanniques résidant en Chine d'être
jugés par des tribunaux britanniques6. De même, ils étaient autorisés à résider dans les ports
ouverts, ce qui fut le point de départ de la création des « concessions7 ».
D'autres puissances occidentales exigèrent des avantages semblables, qui leur furent accordés.
Au cours des deux années suivantes, la France et les États-Unis obtinrent des concessions
identiques. Aussi, la Chine acceptait-elle de tolérer l’activité des missionnaires interdite
depuis le XVIIIe siècle.
2. La « SECONDE gUERRE DE L’OpIUm »
2.1- Les raisons et le déclenchement
Ce règlement était avantageux pour l’Occident, mais ne satisfaisait qu’à demi ses ambitions.
Le commerce dans les ports ouverts ne progresse pas aussi vite qu’on l’espérait, tandis que les
mandarins locaux se retranchaient derrière les ordres impériaux pour laisser trainer en
longueur les affaires qui surgissent dans les ports su Sud ; en effet, conformément à la
tradition chinoise, les relations avec les « barbares » étaient de la compétence, non du
gouvernement central, mais des fonctionnaires locaux, et les Occidentaux s’accommodaient
mal de cette situation peu conforme à leurs habitudes.
En octobre 1856, la police de Guangzhou arraisonna le navire chinois sous licence britannique
Arrow et accusa son équipage de contrebande. Impatients d'obtenir davantage de droits
commerciaux, les Britanniques utilisèrent cet incident pour provoquer la seconde guerre de
l'Opium. L’Angleterre reprit à nouveau l’offensive, en 1856, appuyée cette par la France. Les
alliés opérèrent d’abord autour de Canton, dont le vice-roi Ye Mingchen, poursuivait la
politique intransigeante de Lin Zexu, puis en Chine centrale. De nouveaux traités signés à
T’ien-tsin (Tianjin), en 1858, accrurent les avantages commerciaux consentis aux
Occidentaux. Mais quand Pékin refusa de les ratifier, le conflit reprit. En 1860, un corps
4
29 août 1842
Canton, Shanghai, Ningbo, Amoy, Fuzhou
6
Privilège de l’ « exterritorialité ».
7
Quartiers résidentiels des ports soustraits à l’autorité régulière chinoise et administrés par les communautés
marchandes étrangères sous le contrôle des consuls.
5
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expéditionnaire franco-britannique, sous le commandement de lord Algin et du général
Cousin-Montauban, entra dans Pékin. Le palais d’Été (Yuanmingyuan) fut incendié, en
représailles contre les atrocités commises à l’égard de prisonniers occidentaux. La Chine
signa alors les conventions de Pékin et ratifia les clauses des traités de T’ien-tsin.
2.2. Les clauses des traités de T’ien-tsin
Ces « traités inégaux » furent signés à T’ien-tsin ou Tianjin en juin 1858 entre la Chine et les
quatre puissances impériales occidentales : le Royaume-Uni, la France, la Russie et les ÉtatsUnis. L’application du principe de la nation la plus favorisée rendait leurs termes applicables
à la fois aux pays belligérants et à leurs alliés. Les négociateurs occidentaux cherchaient à
ouvrir la Chine à une plus grande pénétration du commerce occidental et à l’intégrer dans le
système diplomatique international (jusqu’alors, la dynastie Qing insistait pour que les
ambassadeurs étrangers soient traités comme des vassaux barbares). Ils obtinrent l’ouverture
de onze nouveaux ports, dont Tianjin, en tant que ports francs ; la liberté de navigation sur le
Yang-tseu-kiang pour les navires marchands étrangers ; des réductions drastiques des droits
de douane internes ; la légalisation des importations d’opium ; le paiement de lourdes
indemnités de guerre ; le libre exercice de la religion pour les missionnaires chrétiens ; le droit
pour les étrangers détenteurs d’un passeport à voyager librement en Chine ; le droit de
résidence pour les ambassadeurs étrangers8 à Pékin. De son côté la Russie a fait ratifier par le
gouvernement mandchou l’occupation de vastes territoires chinois au Nord et à l’Est de la
Mandchourie.
Ces clauses furent dûment confirmées par un édit impérial, mais les traités restèrent cependant
en instance. Aussi, les alliés reprirent les hostilités — ils occupèrent Tianjin puis Pékin — et,
par les conventions de Pékin (octobre 1860), imposèrent au gouvernement impérial la
ratification des traités. Ceux-ci diminuèrent considérablement la souveraineté chinoise dans
des domaines aussi essentiels que l’administration, la justice ou les finances.
B- Les autres guerres contre la Chine
1. La guerre franco-chinoise de 1884-1885
En 1884-1885, la Chine entra de nouveau en guerre contre la France à la suite de
l’intervention française au Tonkin. Formose fut occupée par l’amiral Courbet, qui fit
également bombarder Fuzhou dont l’arsenal avait été créé vingt ans auparavant par des
officiers de marine français. C’est également à Tianjin que fut signé, en juin 1885, le traité qui
mit fin à la guerre franco-chinoise et par lequel la Chine reconnaissait le protectorat français
sur l’Annam et le Tonkin. La France obtint également des avantages économiques dans le
Chine du Sud-Ouest.
2. La guerre sino-japonaise de 1894 et le « break-up of China9 »
2.1. Le déclenchement de la guerre
8
La Chine accepte d’entretenir avec les pays occidentaux des relations diplomatiques proprement dites ; elle
renonce au terme de « barbare » dans les documents diplomatiques, crée un ministère des affaires étrangères
9
Démembrement
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Les puissances occidentales tentèrent tout d’abord de consolider les avantages commerciaux
acquis par les « traités inégaux » plutôt que de rechercher des privilèges supplémentaires.
Mais, en 1875, elles commencèrent, avec le Japon, à s’attaquer au protectorat chinois sur
l’Asie du Sud-Est. Après 1875, les îles Ryukyu sont placées sous la domination japonaise. La
guerre, qui avait opposé la France à la Chine en 1884 et 1885, fit entrer le Viêt Nam dans
l’Empire colonial français. L’année suivante, la Grande-Bretagne annexait la Birmanie. En
1860, la Russie obtint les provinces du nord de la Mandchourie.
En 1894, les tentatives japonaises pour soustraire la Corée à la suzeraineté chinoise aboutirent
à la guerre sino-japonaise. La Chine subît une défaite rapide, brutale et décisive en 1895. Le
vainqueur annexa Taiwan, les îles Pescadores, la péninsule du Liaodong, s’assura le contrôle
des richesses de Mandchourie.
2.2. Le traité de Shimonoseki et son extension aux puissances occidentales : le démantèlement
de la Chine
Le traité de Shimonoseki mit fin à la guerre sino-japonaise. Signé en 1895, il fit reconnaitre à
la Chine l’indépendance de la Corée, désormais sous influence japonaise, payer une indemnité
de guerre considérable et céder au Japon l’île de Taïwan et la péninsule du Liaodong, au sud
de la Mandchourie.
La Russie, la France et l’Allemagne réagirent immédiatement à la cession du Liaodong,
qu’elles considéraient comme une mainmise du Japon sur l’une des régions les plus riches de
la Chine. Elles intervinrent pour que le Japon rétrocédât cette région en échange d’une
indemnité supplémentaire. Le Japon ayant accepté, les puissances européennes acculèrent la
Chine à de nouvelles concessions.
La victoire du Japon avait ouvert la voie aux ambitions des autres puissances en Chine, par le
jeu de la « clause de la nation la plus favorisée » inscrite depuis 1842 dans tous les traités de
la Chine avec l’Occident. Chacune des grandes puissances industrielles s’efforcent alors, à
l’exemple du Japon, d’obtenir de nouveaux avantages économiques. C’est la « bataille des
concessions », le break-up, version chinoise du mouvement général qui conduisit les groupes
financiers de l’Occident à la recherche de débouchés avantageux pour les capitaux et non
plus seulement pour les marchandises, dans les pays d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine.
Entre 1896 et 1902, les puissances firent accepter à la Chine des prêts financiers importants à
des taux élevés. Elles se firent reconnaitre le droit d’exploiter des mines et d’ouvrir des lignes
de chemin de fer, de fonder aussi des usines dans une région particulière d’où leurs
concurrents sont exclus ; ce sont des « zones d’influence ». En 1898, incapable de résister aux
pressions occidentales, la Chine est morcelée en zones d’influence étrangère. La Russie obtint
une concession pour la construction d’une ligne de chemin de fer transsibérienne reliant
Moscou à Vladivostok, en passant par la Mandchourie, ainsi qu’un chemin de fer sudmandchou jusqu’à l’extrémité de la péninsule du Liaodong. Elle possédait également des
droits économiques exclusifs sur toute la Mandchourie. D’autres droits exclusifs sur le
développement des chemins de fer et des mines furent accordés à l’Allemagne (Shandong), à
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la France (provinces frontalières du Sud), à la Grande-Bretagne (provinces riveraines du
Yang-tseu-kiang) et au Japon (côte sud-orientale).
Ces investissements financiers étaient protégés par des bases militaires permanentes établies
sur le sol chinois, les « territoires à bail » : Port-Arthur pour la Russie, Weihai Wei pour
l’Allemagne, Guangzhou Wan pour la France.
Les États-Unis, qui cherchaient à préserver leurs acquis sans entrer dans des rivalités
territoriales, lancèrent la politique de la Porte ouverte (1899-1900) qui obtint l’assentiment
des autres puissances étrangères. Selon cette politique, les privilèges obtenus en Chine par un
pays ne devaient pas remettre en cause la clause de la nation la plus favorisée. Les États-Unis
entreprirent également de garantir l’intégrité territoriale et administrative de la Chine, même
si, jusqu’en 1941, ils se montrèrent réticents à utiliser la force pour faire respecter cette
garantie.
Ces interventions occidentales, combinées à d’autres facteurs suscitèrent de vives réactions de
la part des populations chinoises.
II- LES SOULEVEMENTS POPULAIRES CONTRE LES INTERVENTIONS ETRANGERES
EN CHINE ET LES ADAPTIONS POLITIQUES DU REGIME
Cette poussée occidentale en Chine provoqua une violente réaction populaire. Il était devenu
évident que la dynastie mandchoue était en train de perdre le « mandat du Ciel10 », qu’elle
était incapable de défendre les intérêts vitaux11 de la Chine. C’est dans ce contexte que se
déclencha vers 1850-1870 une très puissante vague de soulèvements populaires, dont
l’originalité était d’être l’expression conjointe de la crise sociale et politique chinoise, qui
mûrissait depuis la fin du XVIIIe siècle, et de l’intervention occidentale.
A- La révolte des Taiping (1850-1864)
Au cours des années 1850, les fondations de l’Empire sont ébranlées par le mouvement
révolutionnaire Taiping (1851-1864), soulèvement populaire d’origine religieuse12, sociale13,
économique14 et politique15. Son originalité est d’être en même temps influencé par
10
En effet, ces traités, que les Chinois appellent « traités inégaux », régissent les relations de la Chine avec
l’Occident jusqu’en 1943. Ils modifient le cours du développement social et économique du pays et jettent le
discrédit sur la dynastie mandchoue.
11
L’économie chinoise tout entière se retrouve bientôt contrôlée par un réseau d’exploitation économique
étranger. Les droits de douane sur les produits importés en Chine sont plafonnés à 5 p. 100, afin d’empêcher
l’imposition arbitraire de droits excessifs. Cette mesure empêche la Chine d’établir des taxes d’importation
suffisamment élevées pour protéger son industrie et permettre une modernisation de son économie.
12
Plusieurs des chefs Taiping avaient fréquenté les missionnaires anglo-saxons de Canton ; la religion des
Taiping est un curieux mélange des traditions populaires anciennes et d’emprunts chrétiens. Hong se proclamait
second fils de Dieu, égal au Christ en dignité, et la Bible tenait une grande place dans les cérémonies religieuses
Taiping.
13
Les rebelles s’en prirent aux propriétaires fonciers et attaquèrent les bureaux administratifs. Ils promulguèrent
en 1853 une loi agraire et communautaire.
14
s élaborent un projet de reformes à caractère moderniste, qui prévoyait des chemins de fer, une presse de type
occidental, des postes modernes.
15
Ils veulent libérer la Chine des Tartares, et, dès 1851, leur chef Hong Xiuquan proclame l’avènement en sa
personne d’une nouvelle dynastie chinoise, à caractère national.
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l’Occident. Son chef, Hong Xiuquan, qui a échoué aux examens impériaux, puis étudié le
christianisme auprès d’un missionnaire protestant américain, se considère comme le second
fils de Dieu, et donc le frère de Jésus-Christ, chargé de la mission divine de débarrasser la
Chine de la domination mandchoue et de fonder une dynastie chrétienne reposant sur un
partage équitable des richesses et sur l’égalité des sexes. En 1847, il fonde l’Association des
adorateurs de Dieu et réunit de nombreux partisans, souvent pauvres, hostiles aux
Mandchous.
La rébellion éclate dans la province de Guangxi en 1851. En 1853, le mouvement progresse
vers le nord et Hong Xiuquan établit sa capitale à Nankin où il crée le « Royaume céleste de
la Grande Paix » (Taiping Tianguo). Malgré leur échec aux portes de Pékin, les Taiping sont,
en 1860, solidement retranchés dans le bassin du Yang-tseu-kiang et menacent Shanghai.
A partir de 1860, en effet, les avantages obtenus par les Occidentaux à la suite des guerres de
l’opium sont suffisamment appréciables pour qu’ils cherchent à consolider, et non plus à
combattre, un gouvernement qui s’était révélé si conciliant. Les armées impériales reçurent du
matériel militaire moderne, bénéficièrent des conseils d’officiers français et anglais (dont
certains prirent même part au combat, comme le major anglais « chinese » Gordon),
utilisèrent pour le transport des troupes les services des vapeurs occidentaux du Yangzi. C’est
ainsi que les Taiping furent finalement vaincus, et les impériaux réussirent progressivement à
réduire leur zone d’influence, pour les liquider complètement en 1864.
Cette aide étrangère précipita la fin des Taiping et des Nian (1868)16 : plus généralement, elle
modifia au profit des forces conservatrices sociales le jeu « naturel » de la politique chinoise.
B- TENTATIVE DE mODERNISATION à L’OCCIDENTALE : le yangwu (« gestion à
la mode occidentale ») ou le ziqiang (« auto-renforcement ») : la
politique de reformes moderees
L’étendue des périls qu’ils avaient encourus, tant du fait des guerres de l’opium que des
mouvements populaires avait fait prendre conscience aux hommes politiques chinois des
nouveaux problèmes qui se posaient maintenant à la Chine. Au nom des empereurs-enfants
Tongzhi (1861-1875) et Guangxu (1875-1908), le gouvernement de Pékin est alors dirigé par
un groupe d’hommes d’Etat très remarquables (Zeng Guofan, Zuo Zongtang, Li Hongzhang).
Ce sont des hommes nouveaux qui sont arrivés au pouvoir à la faveur de la répression des
grandes insurrections (Taiping, musulmans, ect.). La dynastie mandchoue, représentée en fait
par Cixi, l’impératrice douairière17 et le clan des ultra-conservateurs, a dû leur faire place et
leur confier les postes les plus responsables (diplomatie, armée, politique générale). Ce sont
des confucéens convaincus qui restaurent l’ordre ancien dans les provinces prises aux
rebelles : systèmes des examens, relations familiales et cultes des ancêtres, versement des
impôts et de la rente foncière, corvées publiques, etc.
Les dirigeants du mouvement yangwu suivent avec beaucoup d’intérêt l’expérience des
reformes menées à bien par le Japon du Meiji, qui a su moderniser le pays sans compromettre
les bases de l’Ancien régime politique et social. Leur principe est : zhong xue wei ti, xi xue
16
La révolte des Taiping n’est pas un phénomène isolé. Dans la plupart des régions de Chine, vers cette époque,
d’autres mouvements populaires se sont attaqués à l’ordre établi, aux représentants militaires et civils de l’Etat,
aux classes possédantes. En Chine du Nord, l’insurrection paysanne des Nian affecte huit provinces entre 1853 et
1868 : cavaliers redoutables, les Nian entreprenaient des expéditions lointaines contre les postes impériaux et les
villes, pour se réfugier ensuite dans leurs villages fortifiés.
17
Femme âgée de la noblesse ou de la grande bourgeoisie Exemple : la dignité d'une douairière
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wei yong, « le savoir chinois joue un rôle fondamental, le savoir occidental a un rôle
utilitaire ». C’est pourquoi tout en poursuivant leur politique de restauration confucéenne, ils
organisent des bureaux de traduction d’ouvrages scientifiques et techniques occidentaux,
créèrent des arsenaux modernes, fondèrent les premières usines textiles, les premières mines
modernes et les premières sociétés chinoises de navigation à vapeur.
Cette tentative d’engager la Chine dans la « voie japonaise » est pourtant un échec. Le poids
des forces conservatrices est trop lourd, l’ampleur des problèmes posés par la modernisation
de la Chine trop considérable, le programme des réformateurs trop limité, les réalisations
effectives du yangwu trop marginales et trop dispersées : ce compromis entre conservatisme
et réformisme ne pouvait aboutir à des résultats appréciables.
En outre, le yangwu était fondé sur l’hypothèse d’une coopération amicale avec les
puissances occidentales, sur la base du statu quo, depuis les avantages considérables qu’elles
avaient obtenus en 1842 et 1860. Mais, en 1884-1885, la guerre franco-chinoise indiqua à
l’opinion publique chinoise que les ambitions politiques et économiques de l’Ouest, loin
d’être satisfaites, ne faisaient que croître. « C’est de cette guerre, racontera plus tard Sun Yatsen (il avait alors dix-neuf ans), que je me donnai comme but le renversement des Qing et
l’établissement d’une république. »
C- L’EFFORT DE mODERNISATION DE LA CHINE : reformes radicales
La défaite militaire et diplomatique infligée par la France en 1885, la rupture des liens
antiques de solidarité qui existaient entre la Chine et le Vietnam avaient déjà discrédité la
politique de réformes modérées et de compromis avec l’occident, sur laquelle était fondée le
yangwu. Mais, la victoire rapide et brutale remportée par le Japon en 1894-1895 précipita
l’évolution des esprits en Chine. La guerre mit en évidence le retard que la Chine a pris par
rapport au Japon en matière de modernisation. Pour beaucoup de jeunes intellectuels chinois,
il devint urgent d’envisager des reformes beaucoup plus radicales. Leur porte-parole était
Kang
Youwei
(1885-1927).
Quelques semaines après la signature du traité de Shimonoseki, il profita de l’émotion
générale pour présenter directement à la cour une procédure demandant des réformes
profondes qu’avaient signée plusieurs milliers de lettrés. Au printemps de 1898, alors que
s’aggravaient les pressions étrangères sur la Chine, Kang Youwei fut appelé au pouvoir par le
jeune empereur Guangxu qui s’entourait d’une équipe de brillants intellectuels novateurs.
Kang et ses amis publièrent plus de quarante édits de réforme, instituant des écoles et des
universités modernes, transformant le système judiciaire, développant les mines et le
commerce, modernisant l’armée, la marine et le service des postes, généralisant l’impôt en
argent.
Mais, ils s’attirèrent à la fois l’hostilité des ultra-conservateurs, protégés par l’impératrice
douairière Cixi, et celle des réformateurs modérés. Face à cette double opposition, ils ne
disposaient d’aucun appui populaire. Trois mois seulement après l’arrivée de Kang Youwei
au pouvoir, à l’instigation de la cour, l’armée mit fin à l’expérience des « Cent jours ». Les
réformateurs furent décapités ou s’enfuirent au Japon.
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D- Le mouvement des Yihetuan (« milices de justice et de concorde ») ou
« Boxeurs » et les reformes des mandchous
La poussée occidentale en Chine à la suite du traité de Shimonoseki provoqua à son tour une
violente réaction populaire. C’est le mouvement des Yihetuan ou « Boxeurs18 », dont les
premières victimes sont ceux des Occidentaux avec lesquels les paysans étaient le plus
directement en contact, à savoir les missionnaires. Les boxeurs se recrutaient dans les
villages de Chine du Nord et aussi chez les bateliers ruinés par les progrès de la navigation à
vapeur. Initialement hostiles à la cour et à la dynastie, accusés de céder trop facilement aux
étrangers, ils semblent s’en rapprocher en 1899 par l’intermédiaire de certains hauts
mandarins. Au début de 1900, la cour évacue Pékin qu’assiègent les révoltés. Ceux-ci sont
dispersés par une armée internationale sous commandement allemand. Le gouvernement
impérial, qui s’était solidarisé avec eux au point de déclarer la guerre aux occidentaux, dut
accepter les très dures conditions du « Protocole des Boxeurs » en 1901. La Chine devait
payer en effet une indemnité de 450 millions de taels. Pour la garantir, il était entendu que les
revenus des douanes (perçus par une administration occidentale depuis 1859) seraient
directement versés à un groupe de banques occidentales, de façon à assurer par priorité le
versement des obligations financières de la Chine. La dépendance financière de la Chine à
l’égard de l’Occident continuait à s’aggraver.
La Russie profite de la révolte des Boxers pour étendre son influence sur toute la
Mandchourie. Cette ingérence est à l’origine de la guerre russo-japonaise de 1904-1905, à
l’issue de laquelle la quasi-totalité du chemin de fer sud-mandchou et des privilèges russes en
Mandchourie reviennent au Japon.
Le gouvernement impérial s’efforça de tirer les leçons de la crise. En 1902, le pouvoir reprit à
son compte le programme de ses adversaires réformes et élabore un projet de régime
constitutionnel sur le modèle japonais. En 1905, l’ancien système des examens impériaux est
abandonné et remplacé par un système moderne d’écoles et d’universités qui faisaient large
place aux matières scientifiques et aux sciences politiques et sociales d’Occident. L’armée fut
réorganisée avec l’aide des instructeurs japonais et grâce à l’achat de matériel militaire en
Europe. Des bureaux responsables de l’agriculture, du commerce, de l’industrie furent établis
dans les provinces et on autorisa la formation des chambres de commerce. Enfin, enfin, en
1907, les Mandchous annoncèrent une évolution constitutionnelle de type japonais, en
commençant par des assemblées provinciales élues au suffrage restreint, et dont les délégués
auraient formé une assemblée nationale à titre consultatif. Ces assemblées provinciales furent
mises en place en 1909. Mais toutes ces mesures venaient trop tard. Loin de désamorcer le
mouvement révolutionnaire, elles offraient aux adversaires du régime de nouveaux terrains
d’activité. Ceux-ci interprétaient lesdites réformes comme une preuve de faiblesse. C’est ainsi
que jaillît le mouvement républicain de Sun Yat-sen.
E- Les prémices de la République
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Cette secte, sans doute liée au Lotus blanc, pratiquait une boxe sacrée.
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LA CHINE : DES TRAITES INEGAUX A 1911
2013
La mort de l’impératrice Cixi en 1908 accélère la chute de la dynastie Qing. Peu après la
guerre sino-japonaise (1894-1895), un médecin éduqué à l’occidentale, Sun Yat-sen, lance le
Tongmenghui (« société de la conjuration »), mouvement destiné à établir un gouvernement
républicain. Dans la première décennie du xxe siècle, les révolutionnaires forment une vaste
coalition réunissant les étudiants et les commerçants d’outre-mer, ainsi que les Chinois de
l’intérieur mécontents du régime. Au milieu de l’année 1911, des soulèvements se produisent,
en protestation contre un programme de nationalisation des chemins de fer. En octobre, la
révolte éclate à Hankou, en Chine centrale. Elle s’étend rapidement à d’autres provinces et
Sun Yat-sen prend le pouvoir. Les armées mandchoues, réorganisées par le général Yuan
Shikai, sont alors nettement supérieures aux forces rebelles. Mais, négligeant le combat, Yuan
préfère négocier avec les rebelles le poste de président du nouveau gouvernement républicain.
Le 12 février 1912, Sun Yat-sen démissionne en faveur de Yuan, et les Mandchous se retirent.
Le 14 février, une assemblée révolutionnaire réunie à Nankin élit Yuan Shikai premier
président de la république de Chine. La même année, Puyi, dernier empereur de Chine,
abdique à l’âge de 6 ans.
CONCLUSION
La concurrence des puissances européennes et la politique de la porte ouverte prônée par les
Etats-Unis permirent à la Chine d’échapper à la conquête d’une seule nation. Il aura fallu
cependant les réactions d’exaspération des populations face à la faiblesse de la dynastie des
Qing et à l’intervention des nations occidentales pour mettre fin à la domination étrangère.
BIBLIOGRAPHIE
1) Chine (L’Empire du Milieu)- Histoire jusqu’à 1949
2) Grand Larousse Encyclopédique, tome 3
3) "Chine." Microsoft® Encarta® 2009 [DVD]. Microsoft Corporation, 2008.
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