Y.EL HASSANI. COMPORTEMENT DU CONSOMMATEUR. DOCUMENTS DE LECTURE.
5
Cette définition rejoint celle de Garabuau-Moussaoui et Desjeux (2000) qui, s’intéressant à la pratique sociale de
la consommation, la définissent comme « le processus d’acquisition, d’échange (dans la sphère marchande et non
marchande) et d’usage des biens, services, espaces » (Garabuau-Moussaoui et Des- jeux, 2000, p. 21).
Différentes phases ont caractérisé l’étude de la consommation dans les sociétés occidentales (Garabuau-
Moussaoui et Desjeux, 2000). Elle se développe pendant la période des Trente Glorieuses. Dans les années
soixante, la consommation, grâce aux travaux du sociologue Jean Baudrillard, est envisagée de plus en plus
comme un système de manipulations de signes et comme un système d’aliénation de l’individu. « Pour devenir
objet de consommation, il faut que l’objet devienne signe, c’est-à-dire extérieur de quelque façon à une relation
qu’il ne fait plus que signifier (..) » (Baudrillard, 1968, p. 276).D’autres travaux, comme ceux de Bourdieu (1979),
approchent la consommation des objets en tant que vecteur de différenciation sociale. Garabuau-Moussaoui et
Desjeux (2000) soulignent que les travaux de Michel de Certeau opèrent un réel changement de perspective,
puisqu’il est le premier à envisager les pratiques que les individus développent à partir des objets, comme un
espace de créativité et donc de liberté et d’expression, en « réaction active à la domination sociale » (Garabuau-
Moussaoui et Desjeux, 2000, p. 13), dans lequel les individus « inventent le quotidien » (De Certeau, 1990 ; De
Certeau et al. , 1994).
Au cours des années 60-70, l’approche utilitariste de la consommation s’estompe, par conséquent, au profit d’une
vision de la consommation comme activité de production de significations (Baudrillard, 1968, 1970 ; Carù et Cova,
2006a). L ’homo consumans ne consomme pas les objets uniquement pour leur valeur d’usage, mais comme
des signes qui produisent du sens (Levy, 1959). Le contexte social valorise de plus en plus la production
symbolique de la consommation au détriment du travail et cette production symbolique devient un vecteur fort
de construction identitaire du consommateur. Cette emprise de la consommation sur la façon d’envisager sa
manière d’être au monde va entraîner une extension du domaine du consommable. Les frontières de ce que
l’individu est susceptible de consommer dépassent, en effet, largement celles de l’objet, pour s’étendre à l’en-
semble des pratiques de la vie sociale. On consomme des services, mais aussi des idées, des causes (Heilbrunn,
2005). Lipovetsky ob- serve que « peu à peu l’esprit de consommation a réussi à s’infiltrer jusque dans le rapport
à la famille et à la religion, à la politique et au syndicalisme, à la culture et au temps disponible. Tout se
passe comme si dorénavant, la consommation fonctionnait comme un empire sans temps mort et dont les
contours sont infinis » (Lipovetsky, 2006).
La consommation comme processus existentiel
Ainsi, la consommation constitue une sorte de vaste « forum vital » des interactions entre sujets et objets, au
travers desquelles l’individu se construit (Holt et Searls, 1994). Simmel (1900), dans son ouvrage La Philosophie de
l’argent, analyse la consommation comme un processus indispensable aux individus pour se socialiser, en se
confrontant à d’autres vues du monde, au travers de multiples interactions avec des objets de consommation. La
proposition que la construction de l’identité de soi résulte d’un processus social et se réalise au contact
avec autrui (Mead, 1934), est à la base de l’approche sociologique dite de l’ « interactionnisme symbolique »,
issue de l’école de Chicago (Chapou- lie, 2001). Selon cette approche, les individus interagissent en permanence
dans un environnement symbolique et attribuent un sens à toute situation ou objet, en interprétant ces symboles
(Le Breton, 2004). Le processus d’extension de soi au travers des possessions matérielles entretient ainsi une
sorte de mythologie personnelle du consommateur (Levy, 1981 ; Belk, 1988 ; Richins, 1994a, 1994b ; Richins,
1999), et l’on comprend qu’un acte de consommation constitue un vecteur de symboles, ayant pour fonction de
satisfaire une quête identitaire de l’individu. On peut retenir que le processus de consommation s’articule
entre l’éventuelle consumation de l’objet consommé (destruction du bien consommé) et un ensemble de