Telechargé par pierrealberthayen

UN SILENCE ÉCLATANT ET PARFAIT - DAVID CARSE

UN SILENCE
ÉCLATANT ET PARFAIT
DAVID CARSE
David Carse, Perfect brilliant stillness
AVERTISSEMENT
Il y a beaucoup de livres sur le marché qui vous aideront à vivre une vie meilleure, à
devenir une meilleure personne, à évoluer et à vous développer pour réaliser votre
potentiel global d’être spirituel.
Ceci n’est pas l’un de ces livres.
Au moment où j’écris ceci, quasiment tous les enseignants spirituels populaires aux
Etats-Unis et en Europe enseignent que l’Illumination spirituelle ultime qui n’était
autrefois obtenue que par certains yogis, gurus et autres êtres extraordinaires peut
maintenant être aussi votre apanage et que lire leurs livres et participer à leurs
séminaires vous aidera à réaliser cet objectif.
Ce livre vous apprendra que ces idées sont absurdes, puisqu’il est clairement évident
que ni ‘’vous’’, ni quoi que ce soit d’autre n’a jamais existé.
En fait, nonobstant le blabla enthousiaste de la couverture, j’encouragerais plutôt
réellement toute personne ‘’raisonnablement normale’’ à NE PAS acheter ce livre. Je
dis ceci parce qu’il est inutile de dépenser vos thunes pour encore un nouveau livre
spirituel qui ne s’avérera être d’aucune utilité pour vous. Le sujet est tel qu’il
n’intéressera que très peu de personnes. Ce dont il est ici question ― réellement
compris ― est si absolument étrange que cela se situe à l’extrême limite de ce qu’un
cerveau humain normal est en mesure de comprendre ou d’accepter. Je ne l’aurais
moi-même pas compris, ni trouvé intéressant avant ce qui s’est passé dans la jungle.
Qui plus est, si vous trouvez que ceci vous intéresse et si vous savez voir au-delà des
mots pour saisir au moins un peu de ce qu’ils suggèrent, il est probable que vous
trouviez cela plutôt dérangeant. Il n’y a que très peu de personnes qui achètent des
livres spirituels pour être profondément dérangées, aussi considérez-vous comme
avertis.
Et finalement, si vous le lisez quand même et si ce qui est suggéré ici résonne en vous
et est suivi jusqu’à son terme par une probabilité infinitésimale, alors il est probable
que cela soit également votre fin. Vous voilà doublement averti ! Avec un peu de
chance, vous ne ressortirez pas de cette lecture avec une vie que vous pourrez
prétendre être la vôtre, ‘’vous’’ n’en reviendrez plus.
Il n’y a aucun moyen de connaître la probabilité exacte d’un tel événement, mais les
Upanishads disent qu’une âme ne s’éveille que tous les x milliers d’années, aussi estil probablement inutile de vous inquiéter. Probablement.
Cela étant dit, profitez bien de votre lecture !
2
REMERCIEMENTS
Depuis le départ, cette vie n’avait jamais paru être sensée.
Pendant quarante-six ans, j’avais expérimenté la vie comme étant arbitraire,
chaotique et pénible.
Il y a eu beaucoup de personnes ―
parents, frères, sœurs, professeurs, condisciples, amis, petites-amies, épouses,
collègues, associés, conseillers, avocats, médecins, thérapeutes, guérisseurs,
chamanes, prêtres, prophètes, et plus que quelques témoins ―
qui chacune à leur manière ont témoigné du réconfort et offert du soutien, de l’aide,
des conseils, des apaisements, ainsi que leur sagesse à une âme morcelée qui se
débattait et luttait encore dans l’obscurité.
Ce livre vous est dédié à toutes et à tous avec une gratitude éternelle.
Désormais, il est si simplement perçu que vous êtes tous mon Soi.
‘’Quand vous êtes absolument tranquille, vous êtes arrivé à la source de toutes
choses. C’est l’état d’un bleu foncé profond dans lequel se trouvent des millions
d’étoiles et de planètes. Quand vous êtes dans cet état, vous n’avez plus conscience
de votre existence.’’1
– Nisargadatta Maharaj
Mes remerciements sincères vont encore à ceux et à celles dont les remarques, les
questions et les corrections ont joué leur rôle dans la réalisation et la naissance de ce
livre : Cindy, Annie, Bill, Jina, Anima, Michael, Kara, Marcey, Diana, Dave, Anna,
Claudine et Koshen.
Et enfin à Ramesh, avec toute mon affection et mon appréciation profonde.
1
Consciousness and the Absolute : The Final Talks of Sri Nisargadatta Maharaj, Jean Dunn, ed., Durham, NC,
Acorn Press, 1994, p. 76.
3
SOMMAIRE
1ÈRE PARTIE
Chapitre 1 : L’épanchement
Chapitre 2 : Sur le fil
Chapitre 3 : Raconter ‘’mon’’ histoire
Chapitre 4 : Prologue
8
10
13
22
2ÈME PARTIE
Chapitre 5 : La jungle (I)
Chapitre 6 : L’abandon de soi et le lâcher-prise
Chapitre 7 : La jungle (II)
Chapitre 8 : Les mots font défaut
Chapitre 9 : La jungle (III)
Chapitre 10 : Parti au-delà
Chapitre 11 : La jungle, post-scriptum
Chapitre 12 : La bouteille du Dr. Bronner’s
Chapitre 13 : La délivrance
Chapitre 14 : Dé(b)layage
29
34
37
40
46
49
53
56
61
66
3ÈME PARTIE
Chapitre 15 : Ni guru, ni méthode, ni maître
Chapitre 16 : Chute libre
Chapitre 17 : L’amour
Chapitre 18 : Les entretiens du matin
Chapitre 19 : L’enseignement de la vérité
Chapitre 20 : Je ne suis pas un chauffeur de taxi…
Chapitre 21 : Je ne sais pas
71
79
82
85
88
92
95
4ÈME PARTIE
Chapitre 22 : Questions/Réponses
Chapitre 23 : Perspective
Chapitre 24 : Incroyablement simple
Chapitre 25 : Ne jamais interférer
Chapitre 26 : La machine à rêves
Chapitre 27 : Amalgames
103
110
116
118
120
127
5ÈME PARTIE
Chapitre 28 : Le renoncement revisité
Chapitre 29 : Trop de mots
Chapitre 30 : Arrêtez-vous !
Chapitre 31 : Dynamiter votre mental
133
136
138
141
4
Chapitre 32 : Un comportement exemplaire ?
Chapitre 33 : Nataraja
Chapitre 34 : Metanoesis
Chapitre 35 : La différence entre la personne ‘’normale’’ et un sage
147
150
158
161
6ÈME PARTIE
Chapitre 36 : Le temps
Chapitre 37 : Sujet/objet
Chapitre 38 : Un poids impossible
Chapitre 39 : Un implant…
Chapitre 40 : Vastitude silencieuse
Chapitre 41 : Vision périphérique
Chapitre 42 : Rêve(s)
Chapitre 43 : Trinité
166
170
173
179
184
185
192
195
7ÈME PARTIE
Chapitre 44 : Comment le dire ?
Chapitre 45 : Le plus singulier
Chapitre 46 : Eternel, non-né
Chapitre 47 : Un monde magique
Chapitre 48 : Tout va bien
Chapitre 49 : Une parabole : Eveillez-vous !
201
205
210
214
216
219
Epilogue : Une ontologie eckhartienne
Bibliographie
230
237
5
‘’LA COMPRÉHENSION ESSENTIELLE, C’EST QU’EN RÉALITÉ,
RIEN N’EST.
C’EST TELLEMENT ÉVIDENT QUE CELA N’EST PAS PERÇU.’’
WEI WU WEI
6
ÈRE
1
PARTIE
LA SPLENDEUR INTÉRIEURE À LAQUELLE
S’OUVRE LE CŒUR ET OÙ IL N’Y A RIEN
7
CHAPITRE 1 : L’ÉPANCHEMENT
‘’Qui m’a amené ici devra me ramener chez moi.’’
Rumi
Et donc,
Il n’y a que l’Un.
Tout le reste n’est qu’illusion, construction mentale.
Rien n’arrive ici.
Il n’y a qu’un seul Etre, une seule Conscience,
Une Quiétude, un Silence, une Perfection
Et dans cette Quiétude,
Peut-être une respiration,
Comme si cet Un respirait.
Et tout ceci est cette respiration
Et tout ceci est Cela.
Nous sommes Cela.
Nous sommes l’Un,
Et néanmoins pas.
Nous ne sommes même pas l’Un,
Puisqu’il n’y a pas de ‘’nous’’.
Seulement l’Un.
Il n’y a rien qui arrive ici.
En dépit des apparences,
Rien n’a de l’importance.
Pourtant,
Cette respiration unique
Est un épanchement
D’une compassion, d’un amour et d’une beauté purs, intenses
Et je découvre que je ne suis pas
Qui je croyais être.
Ce que j’appelais ‘’moi-même’’ n’est rien.
Juste un concept,
Une accumulation de mémoires, d’attributs, de schémas, de pensées, d’hérédité,
d’habitudes et d’idées
Que je puis observer.
Et je puis dire
Que je ne suis pas ceci,
8
Que ce n’est pas moi.
Je ne suis simplement pas ‘’moi-même’’.
Nul moi n’a jamais existé.
Simple illusion, simple fabrication.
Rien n’arrive ici.
Personne ici.
Que la respiration de l’Un
Et c’est ce que Je Suis.
Je suis Cela
Et Cela est la Totalité,
L’éclat qui est tout ceci –
La vie, la mort, l’amour, l’angoisse,
La compassion, la compréhension, la guérison, la lumière,
Et la splendeur intérieure
A laquelle le cœur s’ouvre
Et où il n’y a rien.
Ni moi, ni personne,
Rien qu’une beauté poignante
Et une gratitude débordante.
9
CHAPITRE 2 : SUR LE FIL
‘’Permettez-vous d’être silencieusement attiré par l’attraction plus puissante de ce
que vous aimez vraiment.’’
Rumi
‘’La sagesse peut s’apprendre, mais ne peut être enseignée.’’
Anthony De Mello
Il n’y a que l’Un. Il n’y a jamais de multiplicité, ni même de dualité. Toute perception
de distinction et de séparation, de dualité et par conséquent de ce que l’on connaît
comme la réalité physique est une illusion créée par l’esprit, de la nature du rêve. Ce
que vous croyez être – une entité individuelle séparée – fait partie de cette illusion.
Vous n’êtes l’auteur d’aucune action, ni le penseur d’aucune pensée. Des événements
surviennent, mais il n’y a pas d’auteur. Tout ce qu’il y a, c’est la Conscience. C’est ce
que vous êtes réellement.
Dans l’étude ou dans la pratique de la philosophie, de la religion ou de la spiritualité,
on rencontre un ensemble d’idées et d’affirmations récurrentes de cet ordre, qui
tentent d’indiquer quelle est la véritable nature de la réalité, un fil continu de
compréhension qui parcourt presque toutes les cultures et toute l’histoire et que l’on
a appelé la sagesse éternelle.
En termes purement arithmétiques, il y a relativement peu de personnes qui ont
témoigné de l’intérêt pour l’exploration et l’étude de ce courant visionnaire et encore
moins qui l’ont totalement compris, aussi règne-t-il autour de celui-ci comme une
aura de secret ou de mystère qui, conformément à la nature humaine, a été exploitée
et dont surent bénéficier tout au long de l’histoire des écoles de mystères, des cultes
secrets et tous genres de maîtres qui prétendent avoir des connaissances spéciales et
exclusives concernant la nature de ce qui est.
Mais en réalité, c’est – et cela a toujours été – un secret ouvert qui est transmis, offert
et rendu accessible au sein et en dehors de toutes les grandes traditions spirituelles.
Même s’ils ne sont recherchés et compris que par si peu, ce fil de la compréhension et
cette sagesse éternelle ont perduré, car ils n’offrent pas moins que tout : les réponses
aux questions de la vie, la nature véritable de tout ce qui est, le sens et le dessein
ultime et la fin de la souffrance.
Puisqu’ils offrent autant, il pourrait paraître étrange que la compréhension de ceci et
les éléments de ce à quoi il est simplement fait référence comme à l’enseignement
n’ont été découverts que par si peu. Il y a en réalité une raison essentielle à cela,
inhérente à la compréhension elle-même, mais la raison immédiate et fonctionnelle,
considérée depuis l’expérience et la compréhension humaine est celle-ci :
l’enseignement, la sagesse éternelle ne peut pas être exprimée directement. Les
10
maîtres qui sont arrivés à la comprendre peuvent fournir des indications, broder
autour, suggérer aux autres des moyens d’approche, mais ils ne peuvent pas
directement, ni clairement l’énoncer, ce qui conduit beaucoup de personnes à croire
qu’elle n’est pas réelle ou ne vaut pas la peine d’être recherchée, tandis que pour
beaucoup d’autres qui sont attirés par elle, cette caractéristique de l’enseignement est
la source de beaucoup de frustration et d’exaspération.
Albert Einstein a une fois dit qu’un problème ne peut être résolu par le même esprit
qui l’a créé. De même, toute réponse à des questions concernant l’existence humaine
et qui émane du cadre de cette expérience humaine fera elle-même partie du
problème, car elle est conditionnée et car elle provient de la même situation qu’elle
tente d’expliquer. Il est raisonnable de penser que toute vraie réponse ou
compréhension ultime doit, dans un certain sens, émaner de l’extérieur et différer de
la condition qu’elle comprend.
C’est le cas de la Compréhension qui n’émane pas de cette condition humaine. Elle
émane de ‘’l’extérieur’’. Elle diffère totalement, elle précède la totalité de l’expérience
et de la compréhension humaine, mais bien entendu, comme telle, elle est par essence
incompréhensible. Puisqu’elle survient en dehors de la pensée et de l’expérience
humaine, elle ne peut pas être mise en concepts ou en mots humains, ni limitée, ni
captée par des concepts ou par des mots humains. Même si on peut l’apprendre, on
ne peut pas l’enseigner. Quoiqu’elle puisse être perçue, sentie ou connue
intuitivement en soi, on ne peut l’évoquer directement, ni même y penser en termes
de pensées, d’idées ou de concepts linguistiquement structurés, au demeurant. Cela
existe, mais c’est inexprimable (indicible).
Cela suffit naturellement à décourager la majorité des hommes, à les inciter à
rechercher le moindre sens que l’on pourrait trouver dans quelque chose d’un peu
plus tangible. Et cela suffit à éveiller et à entretenir l’intérêt des quelques-uns qui se
trouvent attirés ou poussés vers cette flamme ineffable. Ce sont ceux que l’on appelle
des ‘’chercheurs spirituels’’. Ils savent et ils sont hantés par la connaissance que la
réponse ultime se situe là, juste au-delà de leur perception et ils passent leur vie à
suivre et à écouter les visionnaires et les sages, les maîtres et les aînés en tentant
d’apprendre ce qui ne peut pas être enseigné.
Et puis, inexplicablement, il y a ceux qui sont surpris par la grâce et en qui la
véritable nature de ce qui est se manifeste. Peut-être après de longues années de
discipulat, d’écoute, d’apprentissage ou peut-être ― beaucoup plus incongrûment ―
à la suite de peu, voire d’aucune recherche apparente. S’il peut paraître étrange que
si peu s’éveillent du rêve de la vie quotidienne pour voir les choses, telles qu’elles
sont, considérez qu’il est encore plus étrange qu’il y ait quelqu’un qui s’éveille, étant
donné les paramètres du rêve.
Et que peut-on dire de ceux chez qui survient la compréhension de ce qui est ? Qu’ils
sont à l’opposé : ils sont éveillés à ce à quoi le monde est endormi et endormis à ce à
quoi le monde est éveillé ! Il y a très peu de choses qui les concernent qui sera sensé
11
pour une personne ‘’normale’’, mêmes celles qui sont très au fait des choses
spirituelles.
‘’L’esprit éveillé est complètement retourné et ne s’accorde même pas avec la sagesse
bouddhiste.’’ (Hui Hai)
Chez ceux-ci, il y en aura quelques-uns par l’entremise desquels se produira tout
aussi inexplicablement une tentative pour communiquer l’incommunicable en
préservant ainsi le fil ininterrompu de la sagesse éternelle.
Celle-ci existe bel et bien, mais elle est indicible…
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CHAPITRE 3 : RACONTER ‘’MON’’ HISTOIRE
‘’Aspirant à connaître des raisons, j’ai vécu au bord de la folie. Je frappais à une
porte. La porte s’est ouverte. Je frappais de l’intérieur !’’
Rumi
I
Récemment, on m’a encore demandé de partager mon histoire, et j’ai encore une fois
refusé. Pour de bonnes raisons, voyez-vous, puisque c’est précisément cette
constante fabrication et préservation, formulation et reformulation, polissage et
vernissage de l’histoire personnelle qui maintient le sentiment d’un soi individuel.
L’ego n’est que l’histoire qu’il brode constamment à propos de lui-même, les
expériences et les difficultés qu’il a connues, la voie qu’il a suivie et les blessures qu’il
porte.
L’invitation que je vous lance ici, c’est de précisément cesser de vous raconter cette
histoire. Quand le sentiment d’un moi individuel disparaît, cette histoire
formidablement importante et profondément chérie qui fait de nous qui nous
pensons être est vue comme la fiction pulpeuse plutôt superficielle et piètrement
vantée qu’elle est, en vérité, et elle est abandonnée sans plus aucun vernissage, ni
plus aucune reformulation pour se volatiliser et retourner d’où elle vient. C’est une
invitation à l’Eveil spirituel : à laisser tomber ce soutien constant et renforcement
permanent de la croyance en vous-même en tant qu’individu distinct et à sortir ainsi
de l’obscurantisme.
Cependant, qu’il s’agisse-là d’une justice divine ou d’une ironie divine, à tout le
moins, les circonstances ont prescrit que l’histoire soit après tout narrée. Ainsi soit-il !
Que cela soit donc fait une fois pour toutes et cela suffira.
Il y a d’autres raisons pour cette réticence ― peut-être moins nobles : une résistance
profonde du corps/mental, imprégnée dans le tissu de son conditionnement. Il fut
jadis question de se départir de la ‘’sainteté’’, en renonçant au sacerdoce catholique
romain ; une profonde méfiance envers tout ce qui pourrait attirer l’attention, qui
pourrait renforcer le sentiment mortel d’être spécial. Cette voie inclut une certaine
destruction et j’ai couru comme un dératé et j’ai continué à courir en évitant
constamment les rôles de leader qui m’étaient constamment proposés jusqu’à ce que
j’apprenne à éviter les situations qui les préconisaient. Travailler comme charpentier,
clouer et scier étaient sans risque…alors que l’esprit soutenu par des thérapies et par
des médicaments vacillait en bordure du chaos. Vingt-cinq années filèrent avec deux
mariages ratés, mais la Conscience n’en n’a rien à cirer du temps !
Et puis, poussé par une force inconnue à l’époque (merde, et moi qui croyais qu’il
s’agissait de ‘’mon’’ idée !), la redécouverte et l’exploration de racines amérindiennes
(je pensais alors que mon histoire personnelle avait de l’importance) m’incitèrent à
13
fréquenter d’anciens autochtones, de souche, des hommes-médecine et des
chamanes.
Une chose mène et conduit à une autre et David Machin Chose, en dépit du fait qu’il
trouvait particulièrement inconfortable et désagréable de voyager et qu’il entretenait
une peur secrète du myopement perçu comme obscur continent sud-américain ― en
plus d’être possédé par une forte allergie envers tout ce qui pourrait impliquer de
faire partie d’un groupe ― se retrouva néanmoins avec quatre autres charmants
personnages à entreprendre plusieurs jours de voyage par bus, petit avion, canoé et à
pied au sud-est de Quito, en descendant d’abord le plateau andin en traversant la
forêt de nuages et plusieurs affluents du bassin supérieur de l’Amazone.
Ce temps passé avec les hommes-médecine et les chamanes shuars au cœur de la
forêt équatoriale humide constitue la substance d’une grandiose histoire remplie
d’un fabuleux drame qui n’a aucune importance et qui ne signifie rien, sinon comme
décor complexe et recherché, élaboré par la Conscience pour les mesures plutôt
sévères qui devraient être prises, si la coquille de David Machin devait être brisée
pour ‘’sa’’ libération. Et pourquoi la Conscience devrait prendre cette peine, alors
qu’il y a là des milliers de fidèles méritants et mûrs qui attendent dépasse la
compréhension.
II
Que s’est-il passé dans la jungle ? Tony Parsons évoque ‘’la traversée du parc’’. Pour
Suzanne Segal, ce fut un ‘’arrêt de bus’’. U.G. Krishnamurti fait référence à un
épisode qu’il qualifie de ‘’calamité’’. En ce qui concerne Douglas Harding, ce fut une
‘’expérience himalayenne’’. Et ici, c’est ‘’ce qui s’est passé dans la jungle.’’ Rien ne
s’est passé dans la jungle. Ce qui s’est passé, c’est tout, la seule chose qui s’est jamais
passée ‘’quelque part’’ pour ‘’quelqu’un’’. Ce qui s’est passé est indicible. Rien ne
s’est passé.
Ce qui s’est passé dans la jungle remplirait d’innombrables conversations, si le
conditionnement ici présent n’était pas si allergique à l’idée de ce à quoi cela pourrait
conduire, aussi est-ce plutôt consigné ici, ‘’clairement’’, ce qui conduira
inéluctablement à la même fichue chose.
Et qu’en sera-t-il, au bout du compte ? Toutes les choses retrouveront leur équilibre.
Les lambeaux et les restes du conditionnement de David qui claquent bruyamment
sous le vent lancent des avertissements désespérés par rapport au piège de l’ego, ici,
et veulent prendre leurs jambes à leur cou, trouver la caverne proverbiale de
l’anachorète pour y vivre ― au moins métaphoriquement.
Mais c’est pure sottise, car il n’y a ni ego, ni piège. C’est aussi une illusion, aussi fine
que la brume matinale estivale sur un champ de foin. L’aversion est présente dans le
conditionnement de ce mécanisme corps-mental, comme l’aversion envers certaines
14
nourritures ou la musique bruyante. Ceci est vu, mais cela n’a plus aucune
importance. La Conscience une se diffuse par l’entremise de ces milliards de formes
et ce qui se produit dans chacune – y compris celle-ci – n’a vraiment aucune
importance. Il n’y a ici aucun choix – juste la pure conscience dénuée de choix de la
Conscience qui se diffuse. Anthony de Mello parlait de ‘’coopération sans réserve
avec l’inéluctable.’’ Alors, voilà.
Une bonne partie de ce qui s’est passé dans la jungle relève d’une expérience, aussi
peut-on y réfléchir, se la remémorer et en discuter. Une expérience profonde,
transformatrice. Un truc sympa. Un truc transcendant. Super ! Une expérience
paroxystique majeure, ce genre de truc. Vous voyez bien ce que je veux dire. Assez
pour faire totalement expi(r)er David Machin Chose. Une expérience préparatoire,
pourrait-on dire maintenant. On pourrait en discuter, même de manière hésitante et
avec beaucoup d’usages abusifs des règles de grammaire et du sens voulu des mots.
Mais alors est arrivé le moment où tout cela s’est arrêté, quand l’expérience a cessé et
ici cela devient délicat, bancal et casse-gueule, parce que David s’est également
arrêté. Mais bien-sûr, c’est idiot, puisque David n’a jamais été.
Si je regarde les notes de mon journal intime, tout de suite après, c’est du patagon,
des galimatias qui tentent d’indiquer l’inexprimable, qui veulent montrer l’infini,
mais à partir de la perspective et avec le sens de l’humour plutôt tordu de la
splendeur dépassant la lumière que nous appelons la Conscience : ‘’Hé là !
Regardez ! Nous avions essayé toutes les autres combinaisons possibles : de
nombreuses années de préparation et puis l’Eveil ; de nombreuses années de
préparation et puis, pas d’Eveil ; et de nombreuses années de préparation et puis…
presque l’Eveil, mais oups, sur ce coup-là, désolé, pas tout à fait.
Mais voici maintenant quelque chose d’assez inédit et d’assez rare : que diriez-vous
de la réalisation totale ou de la conscience totale, mais sans aucune préparation ?
Prenez un pauvre bougre, un renégat à moitié indien, apprenti prêtre, à la psyché
torturée, charpentier dans les collines du Vermont, un pauvre mec qui ignorera
totalement comment le ciel lui sera tombé sur la tête ! Quel divertissement !
Vous devez bien comprendre que je n’y connaissais que dalle à propos de toutes ces
conneries. Je ne savais même pas qu’il existait ce genre d’animal que l’on appelle un
‘’chercheur’’, sans parler de toute la sous-culture y associée. Je n’avais jamais
entendu parler de ce jargon et je ne connaissais aucun des concepts. Je n’avais jamais
entendu parler de sadhana, de moksha, de lîla ou de samadhi et si c’était le cas, j’aurais
sans doute pensé qu’il s’agissait de sauces pour salades. Rien qui ne me permettait
ou qui m’autorisait à réfléchir à cela. Une Grâce absolue, pure, totale et ahurissante
qui n’a absolument aucun sens.
Il y a quelques notes supplémentaires un peu moins confuses après celles-ci et qui
datent de quelques mois plus tard, après que la Conscience se soit montrée
magnanime et n’ait présenté un plateau de concepts advaitins devant ce qui restait
15
de David Machin Chose. Je les partage avec vous dans les pages qui suivent. Cet
instantané en dehors du temps, où il est clair et évident qu’il y a juste une
‘’observation’’ de David Machin Chose, de ce que j’avais cru être ‘’moi’’ ― pas
seulement le corps, mais l’ensemble corps-mental-esprit-personnalité-âme ― et une
réalisation instantanée qu’il n’y a rien de tel, qu’il n’y a là personne. Il n’y a là rien
du tout. Manifestement aucun ‘’moi’’, rien qui soit ‘’moi’’, et ce n’est encore plus
clairement pas ‘’moi’’ qui observe ou qui suis le Témoin (pour reprendre le terme
advaitin approprié, que je ne connaissais pas alors) de quoi que ce soit. Le Témoin
remplit l’univers et il n’y a rien nulle part, ni choses, ni êtres, ni entités. Il n’y a que
Cela, cette Ainséité, la Conscience et c’est ce que ‘’je’’ suis.
Un ‘’changement de perception’’ est la bonne expression, mais douce mère, pas voir
différemment, ni voir des choses différentes, mais bien personne pour voir, la
perception n’émanant plus maintenant du corps-mental, pour le dire ainsi.
Et bien sûr, simultanément, tout ce qui précède n’est qu’un tissu de conneries réfuté
par la réalisation similaire qu’il ne s’est absolument rien passé du tout ! Il y a, pour
ainsi dire, un genre de sens rétroactif à toute cette calamité. Rien ne change, puisqu’il
est vu que cela a toujours été ainsi. Il y a la fin d’une méprise et d’une erreur de
perception. Que s’est-il passé ? Rien ! Il n’y a jamais eu personne ici, cette Ainséité
étant toujours ce que ‘’je’’ suis. C’est marrant qu’il y ait dû y avoir cette petite
incompréhension, qu’à un moment donné, il y ait eu toutes ces idées bizarres sur le
‘’temps’’ et des ‘’choses’’, des ‘’personnes’’, des ‘’êtres’’, ‘’David’’, la ‘’jungle’’, la
‘’Source’’, etc.
Nisargadatta Maharaj appelait cela la Compréhension. C’est une connaissance, mais
qui n’a rien à voir avec un savoir.
Ecoutez-moi bien, car ceci est important. Il y a ici des mots et des concepts utilisés
descriptivement, mais, que ce qui s’est passé dans la jungle corresponde ou pas avec
ce à quoi plusieurs maîtres, sages ou traditions auraient pu faire référence avec leurs
paroles ou leurs concepts, je n’en sais rien et finalement, je m’en fous. Par essence, ce
néant qui s’est produit s’autovalide. Il relativise tout et il n’est relativisé par rien.
D’une part, il y a tout : tout ce qui est connu, ressenti, pensé, cru, qui existe ou qui
n’existe pas, qui est possible et impossible, tout ce qui était, qui est et qui sera ou ne
sera jamais. Et d’autre part, il y a ceci. Et toutes ces choses ne sont rien et ceci est.
Qu’une autre âme dans l’univers connu ou inconnu reconnaisse ceci ou pas a
toujours été hors de propos depuis cet instantané en dehors du temps dans la jungle.
Je ne puis expliquer ceci, parce qu’autrement, je suis assez rationnel. Non seulement,
il n’y a aucun doute. Le concept même du doute n’existe plus.
Le mot qui revient fréquemment, c’est que c’est ‘’évident’’, mais à l’évidence, il s’agit
d’un abus de langage, parce qu’utilisé dans la conversation, il provoque
généralement des blancs. Il n’empêche. Ce qui vous fait face, et plus que cela, ce que
16
vous êtes réellement, ce que tout ceci est, qui ne peut être éludé, qui ne peut être
autrement est évident, même si dans la majorité des cas, on ne le voit apparemment
pas.
Quoi qu’il en soit, cela aurait pu se terminer ici. J’ai tenté d’exprimer tout cela à
quelques personnes, mais elles ont pensé que j’étais fou, aussi ai-je renoncé. J’ai
constaté que David Machin Chose retournait planter ses clous, baignant dans une
splendeur que personne ne pouvait voir. Une gratitude ahurie, époustouflante, avec
des larmes, la plupart du temps, spontanées, incontrôlables. David Machin Chose a
peut-être perdu la boule, mais il a l’air d’un imbécile heureux, alors quid ? Il régnait
toujours partout ce Silence éclatant et parfait, un Néant ineffable (‘’amour’’,
‘’compassion’’ et ‘’félicité’’ n’étant que des ombres pathétiques), et dont
l’épanchement continu était maintenant toujours perçu, et plus à partir de ce corpsmental.
III
Cela aurait pu s’achever là, mais alors, la Conscience se montra à nouveau
magnanime ou brutale ou brutalement magnanime en inscrivant David Machin
Chose à un cours, ce qui ne lui ressemblait guère, et ce qui l’amena à fréquenter un
certain binôme dynamique de soi-disant maîtres de l’advaita autoproclamés.
Finalement, c’était surtout quasiment de l’ego. Ils étaient très loin d’être à niveau ou
à la hauteur comme maîtres spirituels, mais plutôt brillants et avec une bonne
compréhension intellectuelle de l’enseignement et donc, étant donné que je venais
clairement de nulle part à cet égard, j’ai pu beaucoup apprendre là-bas. Ce fut une
expérience étrange, parce que certaines choses que la femme disait résonnaient
comme si elle savait peut-être, mais ensuite, ce n’était clairement et manifestement
pas le cas !
J’ai progressivement appris et compris qu’il existait toute une culture d’aveugles qui
conduisaient des aveugles et qu’il y avait eu au fil des siècles quelques rares
occasions, ici et là, où la Vision s’était produite, et les yeux par l’entremise desquels
opérait cette Vision savaient ne pas être. Il y avait assez d’écrits des Bouddha, Rumi,
Seng Ts’an, Ramana, etc., d’après lesquels d’autres pensaient être autres, alors que ce
n’était pas eux qui pensaient et ne voyaient pas (tout cela n’étant qu’une vaste
blague, ‘’ils’’ étant le ‘’Je’’ qui est l’Essence de toute la Vision), et qui pouvaient lire et
penser comprendre. Dans l’intervalle, entre ces occasions où la Vision se produirait,
on assista au développement de structures et de systèmes entiers autour d’une
théorie de la Vision, et certains en conduiraient beaucoup d’autres à les suivre et à
leur rendre un culte, puisque personne ne connaissait la différence. Personne ne
connaissait vraiment la différence, aussi étaient-ils simples à duper !
Et donc, c’était singulier. Et pendant ce temps-là, bien sûr, il y avait toujours partout
un Silence éclatant et parfait qui s’épanchait continuellement.
17
Il est dit que lorsque vous avez besoin d’un maître, vous en trouverez un. Bien sûr,
ceci suppose que l’on ait besoin de maîtres, ce qui est une affirmation très discutable.
L’univers est ponctuel et la plupart du temps, nous n’avons besoin de rien savoir.
Mais, lorsque dans le grand schéma général des choses, il est nécessaire qu’un
corps/mental sache quelque chose, alors, il l’apprendra et d’une manière qu’il puisse
l’intégrer ― ce qui peut prendre la forme de trouver un maître, ou il se peut qu’une
conversation soit entendue ‘’par hasard’, qu’un chauffeur de taxi fasse un
commentaire ou simplement, qu’une pensée surgisse. Comment pourrait-il en être
autrement, car la Conscience est la totalité.
Dans la jungle, tout s’est arrêté. David s’est arrêté. Le monde s’est arrêté. Pendant
tout un temps, il n’y eut qu’être dans Cela et seulement Cela, sans concepts, ni
pensées pour le concevoir. Puis ensuite, il y eut la rencontre de ces deux personnes et
la découverte que les idées dont elles parlaient correspondaient assez bien avec la
connaissance muette survenue dans la jungle. Il n’y a qu’à suivre la voie naturelle qui
apparaît, et puis voir juste quelle est l’étape suivante, car c’est tout ce que nous
pouvons voir, après tout.
En tout cas, à peu près au moment où j’avais compris qu’un cadre intellectuel de base
était à peu près tout ce que je pourrais jamais apprendre de ces deux-là, un jour, dans
une causerie, elle mentionna le nom ‘’Ramesh’’, qu’elle évoquait comme étant l’un de
ses maîtres.
IV
Pour couper court, je procédai à une recherche sur Internet et tombai sur ‘’The Final
Truth’’ que je me procurai sur Amazon.com et le reste fait partie de l’histoire. J’ai
dévoré tout ce que Ramesh Balsekar avait écrit jusqu’à cette date et je l’ai trouvé plus
utile que tout ce que j’avais pu rencontrer depuis la jungle. Ces anciens ouvrages du
banquier à la retraite de Bombay sont vibrants de clarté. L’écriture est hautement
métaphysique et reflète l’influence de son propre maître, Nisargadatta Maharaj, et
d’un auteur plus ancien connu sous le nom de Wei Wu Wei. Je lus également tout ce
qui était disponible de ces messieurs et ce que je pus trouver de et concernant
Ramana Maharshi, le mystique, sage, maître et saint du sud de l’Inde.
A la suite de ces lectures et de ces réflexions jaillit la réalisation que même si ce néant
survenu dans la jungle ne put ni être reconnu, ni être expliqué par personne dans le
contexte immédiat dans lequel il s’est produit, il existe néanmoins un contexte, une
tradition dans laquelle une telle occurrence est connue et reconnue. Dans le monde
du baratin(age) spirituel et de récits de troisième main tronqués et altérés, il y a
quelques personnes – une poignée – chez lesquelles on trouve une pensée et une
écriture claires concernant ce qui est. A condition, bien sûr, que vous connaissiez déjà
ce dont ils parlent et que vous puissiez (res)sentir ce qu’indiquent leurs paroles. Pris
au pied de la lettre, la plupart de leurs propos sont parfaitement incompréhensibles
et c’est nécessairement le cas, en raison des lacunes du langage.
18
C’est ainsi que je fus relié au fil conducteur intemporel de l’enseignement et de la
sagesse éternelle et à un moment donné, au beau milieu de tout cela, jaillit la pensée
que c’est parfois une bonne idée, lorsqu’on est nouveau quelque part, de peut-être
aller voir et discuter avec ou écouter quelqu’un qui est là-dedans depuis un bout de
temps et des quatre que j’avais pu trouver jusque-là comme sources fiables, Ramesh
était le seul qui était encore en vie et en assez bonne forme pour un résident de
Bombay de toute une vie, largement octogénaire.
Les premières rencontres furent remarquablement utiles. Il me fut demandé quelle
était mon histoire et cette histoire fut racontée. David Machin Chose raconta ce qui
s’était passé dans la jungle de façon hésitante en utilisant des termes et des concepts
qui émanaient spontanément du contexte de cette vie pour tenter de décrire ce qui
était connu comme étant indescriptible et il y eut la reconnaissance, la confirmation
de la part de Ramesh que ce qui s’était passé dans la jungle correspondait bien à ce
qu’il appelle la Compréhension totale (pour reprendre Wei Wu Wei et Maharaj), ce
que dans sa tradition on appelle l’Eveil ou l’Illumination. Au cours de l’une de ces
visites, il concéda que c’était bien un peu bizarre la manière dont cela s’était produit,
sans guru, ni maître, mais bof, il y avait toujours le Maharshi et sa montagne, après
tout…Et il haussa imperceptiblement les épaules et il me fit le plus grand des
sourires. Il était parfaitement sûr de ‘’lui’’ (en tant que Soi).
Il fallut un peu de temps pour me persuader. La première réaction à ceci fut une
reculade instinctive, cette vieille crainte d’être spécial qui se réveillait encore. Et peu
importent les vagues idées préconçues qu’il y aurait pu y avoir par rapport à ce que
pourrait être ‘’l’Illumination’’, elles n’incluaient nullement l’anéantissement de la
nuit dans la jungle, ni le vaste épanchement de la Présence. Cependant,
simultanément, il y avait également le sentiment qu’il en était bien ainsi. Il n’y avait
ici plus ‘’personne’’. Il y eut cette reconnaissance et pourtant, c’était sans
conséquence et cela ne changeait rien. Quoiqu’on puisse en penser et en dire (y
compris des gurus indiens), et même si cela s’avère utile, on ne décerne pas un label
à l’indicible. Il ne peut pas y avoir de propriété, ni d’adoption d’un label, d’un
concept ou d’une tradition.
Au fil des semaines et des années suivantes, il y eut encore d’autres visites et d’autres
discussions. Malhabiles initialement en raison de la grande hésitation du
conditionnement. Des visites au cours desquelles il fut entendu que Ramesh réitéra
que la Compréhension totale était bien là et à la suite de quoi, je fus soit poursuivi
par d’autres personnes du groupe de chercheurs qui venaient prendre part aux
discussions du matin ou à l’inverse, évité, aussi je préférais souvent rester en retrait,
incognito, parmi les chercheurs insatisfaits, toujours heureux dans la plus vaste et
plus profonde splendeur silencieuse qui s’épanche infiniment.
S’il y avait un ‘’but’’ à ces visites, c’est quelque chose que je pourrais seulement
qualifier de ‘’processus inverse’’. Dans la jungle, la réponse fut apportée avant qu’il
n’y ait eu des questions, aussi ce temps était-il consacré à suppléer les questions
19
relatives à la réponse, à fournir le cadre pour comprendre la Compréhension après le
fait.
V
Voilà donc ce qui s’est passé dans la jungle. Et à Bombay. Rien ne s’est passé.
Ce qui est vu ne peut plus jamais ne plus l’être. Tout est si parfaitement simple. Il y a
toujours et partout une tranquillité lumineuse et parfaite. Et un néant sans nom qui
efflue en permanence. C’est maintenant toujours vu, et non à partir d’un corpsmental. Et en parler, lorsque cela se produit, ne peut pas ne pas se faire et écrire à ce
propos ne peut pas ne pas se faire, semble-t-il. Et je suis bien conscient, parfaitement
conscient de la difficulté que cela présente.
C’est Wayne Liquorman, dans sa préface à Consciousness Speaks2, de Ramesh, qui fit le
constat totalement lapidaire que ‘’la simple incidence de l’Illumination ne confère pas
nécessairement la capacité de communiquer la compréhension concomitante’’.
Il a bien compris ! Je ne suis pas un maître. Je n’ai aucun intérêt pour l’enseignement
et le corps-mental ne possède ni les aptitudes, ni les qualifications pour cela. Du
point de vue de quelqu’un qui connaît ces choses, ce que nous avons ici, c’est un
renégat très rustre, en partie indien (mais pas le bon ‘’type’’ d’Indien !), charpentier
dans les collines, notablement et entièrement dépourvu de tout type de ‘’moyens
habiles’’, n’ayant qu’une compréhension intellectuelle limitée du sujet et dépourvu
de la formation ou de la discipline qui aurait pu être instillée par des années de
méditation ou de service. Prétendre que David Machin Chose est sérieusement
lacunaire et pas du tout taillé pour ce qui se passe ici serait vainement charitable.
Sauf que David Machin Chose a précisément été conçu et délibérément taillé et
conditionné pour cela. La Conscience a décidément un bien drôle de sens de
l’humour !
Il n’y a que Cela. Et ce serait une déclaration grotesque et absurde s’il y avait
‘’quelqu’un’’ ici pour l’affirmer, ce qui n’est pas le cas. Il n’y a que Cela et c’est
parfaitement clair. Je ne connais absolument rien concernant quoi que ce soit, sinon
ceci : la Connaissance-Vision-Compréhension. La Connaissance-VisionCompréhension qui dépasse la compréhension humaine s’est produite ici ; elle est ici
présente. C’est maintenant toujours vu, et pas à partir de ce corps-mental, et je ne l’ai
ni acquise, ni cherchée, ni même demandée, à tout le moins explicitement. C’est
indicible, inexprimable. Impensable.
Rumi avait raison :
‘’Tout comme le sel se dissout dans l’océan,
Je fus englouti en Toi,
2
Publié en français sous le titre ‘’L’appel de l’Etre’’, NDT.
20
Au-delà de tout doute ou de toute assurance.
Soudain ici, dans ma poitrine,
Une étoile resplendit tellement
Qu’elle attire à elle toutes les étoiles.’’
Et Ramesh a raison : ce doit être ce qu’il appelle de l’hypnose divine. Comment peuton expliquer cela autrement ? Tous ces corps-esprits ont le nez dessus, ils baignent
dedans, ils sont Cela et ils ne peuvent pas voir Cela ! Comment peut-on montrer à
quelqu’un quelque chose qu’il est déjà, spécialement lorsqu’il s’agit d’un néant et
qu’il n’est personne ? Tout cela est si incroyablement simple ! Il n’y a évidemment
personne ici. Tout ce qu’il y a, c’est l’Amour au-delà de l’amour, la Lumière au-delà
de la lumière, la Paix au-delà de la paix et la Liberté qui dépasse toute notion de
liberté…Mettez des majuscules aux mots, criez-les, murmurez-les ou déplorez-les,
cela ne changera rien !
Et les gens se grattent la tête et disent qu’ils ne pigent pas. ‘’Et bien, c’est plutôt
philosophique…’’, disent-ils. Ou : ‘’Mais moi, j’aime mon histoire ! J’aime mon petit
mélodrame !’’ Ou : ‘’Ma foi, cela a l’air advaitiquement correct…’’ Ils sont tous
empêchés, d’une manière ou d’une autre, de voir ce qui est. Même des chercheurs
zélés, quand ils entendent que ceci est un rêve, disent ‘’C’est cela ! C’est cela !’’, et ils
continuent à discuter. Personne ne s’arrête pour voir, ni être. Pardonnez à ce pauvre
David Machin Chose, s’il fait preuve d’un manque d’intérêt flagrant pour de telles
discussions.
Et Hafiz avait aussi raison :
‘’Mes chers, vous qui tentez d’apprendre le miracle de l’amour par l’entremise de la raison,
j’ai bien peur que vous ne voyiez jamais clair !’’
Ou par l’entremise de l’expérience, de la pensée, de la langue ou de l’émotion,
pourrais-je ajouter. C’est simplement une vision intérieure.
Finalement, il n’y a vraiment rien à dire. Le rêve continue et je rentre dans le rêve
(pas par choix, mais parce qu’apparemment, c’est ce qui doit arriver pour ce
personnage du rêve), avec la connaissance parfaite qu’il s’agit d’un rêve… Mais vous
ne devez juste pas vous attendre à ce que je prenne au sérieux aucune partie de celuici.
Et la grotte de l’ermite a toujours l’air diablement attirante. Je n’ai besoin de rien. Il
est tellement sans importance, insignifiant qu’il arrive quelque chose à la suite de
ceci.
Aucun besoin. Aucune exigence. Aucun mandat. Aucun rôle. C’est simple !
Parfaitement simple.
21
CHAPITRE 4 : PROLOGUE
‘’Je puis vous assurer qu’il n’y a rien de tel que Dieu,
Qu’il n’y a rien de tel que la Création,
Et qu’il n’y a rien de tel que l’univers,
Et donc, il n’y a rien de tel que le monde
Et il n’y a rien de tel que vous,
Et il n’y a rien de tel que moi.
Que reste-t-il ? Le Silence !
-
Robert Adams
I
On pourrait dire que la réalité n’est pas du tout ce qu’elle paraît, ni ce qu’elle semble
être et que presque toute la race humaine agit sous l’emprise d’une hallucination de
masse. On pourrait le dire, mais ce serait largement inexact, parce que l’idée qu’il y a
là une race humaine et l’idée qu’il y a là ‘’quelqu’un’’ pour le dire font en fait toutes
les deux partie intégrante de l’hallucination. Ces choses que nous appelons des
‘’personnes’’ ou des ‘’êtres humains’’, ainsi que tout ce à quoi nous pouvons penser,
songer ou percevoir avec nos sens ne sont en réalité que des apparences illusoires au
sein d’une Conscience infinie qui est tout ce qui est.
Cela ressemble quasiment à une ultime théorie du complot paranoïaque, pas vrai ?
En fait, cela a l’air tellement tiré par les cheveux et cela s’oppose tellement à la
perception journalière et au bon sens commun que la majorité des gens, s’ils devaient
être mis au courant de ceci, seraient enclins à qualifier cela de divagations délirantes,
en rigoleraient ou hausseraient les épaules et retourneraient à leurs vies
quotidiennes.
Et néanmoins, notre histoire, ainsi que nos traditions religieuses et philosophiques
nous disent qu’aussi loin qu’elles puissent remonter, il existe des récits d’un ‘’être
humain’’ occasionnel qui devient convaincu que ce scénario qui a l’air improbable est
en fait la vérité et des récits où ils tentent aussi de transmettre à d’autres leur
conviction. En fait, ces visionnaires et leurs ‘’délires’’ sont à la base de la plupart des
grandes traditions religieuses et philosophiques du monde. Rares sont toutefois les
traditions qui proclament explicitement de telles idées comme faisant partie de leur
enseignements ou de leurs pratiques déclarées, mais une petite recherche révèlera
qu’ils étaient bien là au départ dans les idées, l’expérience ou la vision de la personne
autour de laquelle la tradition s’est constituée ou dans ses écrits fondateurs.
Ce qui ― encore une fois ― est une affirmation inexacte, puisque l’idée d’après
laquelle il y eut une ‘’personne’’, sous la forme d’une entité individuelle dont les
idées personnelles ou l’expérience personnelle furent au départ d’une tradition fait
elle-même partie intégrante de l’illusion et donc, vous pouvez voir qu’il y a quelque
chose qui ressemble à un problème de communication, ici.
22
Considérez-le sous cet angle : si vous deviez admettre pour le moment, de façon
purement hypothétique, qu’il serait possible pour quelqu’un de voir, d’arriver à
savoir et d’être convaincu au-delà de tout doute que tout ce à quoi nous pensons ou
nous songeons comme étant la ‘’réalité’’ n’est en fait qu’une fiction produite par le
mental et que cette illusion comprend toutes les idées, tous les mots, toutes les
expériences, toutes les perceptions, de même que les choses que nous pensons être
des ‘’êtres humains’’ qui ont de telles idées ou de telles perceptions et si l’on admet
également pour le moment qu’une telle personne n’est pas simplement démente,
mais qu’elle pourrait, d’une façon ou d’une autre et juste hypothétiquement voir
quelque chose que les autres ne voient pas, alors dans ce cas, comment une telle
personne pourrait-elle communiquer à d’autres ce qu’elle voit, alors qu’elle sait
qu’elle-même, tous les autres et toutes les idées ou tous les mots qui pourraient être
utilisés pour communiquer font eux-mêmes tous partie intégrante de l’illusion et
sont dès lors parfaitement inefficients ?
Quelles analogies, quelles métaphores ou quels artifices verbaux pourraient-ils alors
être employés pour essayer de communiquer ce qui se situe au-delà de ce qui peut
être communiqué ? Des choses telles que ‘’C’est comme de la lumière sans être de la
lumière, tellement au-delà que cela ne peut être vu’’ ou ‘’C’est partout et nulle part à
la fois’’ ou ‘’C’est la plénitude de tout ce qui est, qui est pure vacuité, et c’est ce que
vous êtes déjà, même si vous ne pouvez pas le voir’’, ou simplement, ‘’Je suis Cela !’’
Et bien entendu, si vous avez un peu creusé les traditions mystiques ou ésotériques
des religions du monde, vous reconnaîtrez que c’est précisément le type de choses
que Gautama Bouddha, Jésus de Nazareth, le rabbin Baal Shem Tov, Jalaluddin
Rumi, Adi Shankara, Maître Eckhart, Seng Ts’an, Ramana Maharshi et d’autres
‘’maîtres spirituels’’ zen, chrétiens, hassidiques, soufis, taoïstes, advaitins et autres
sont censés avoir dites.
Je vous prie maintenant d’écouter attentivement, car ce qui suit est important. C’est
le contraire de ce qui vous a toujours été dit et ce qu’on vous a dit n’est pas la vérité.
Ce dont il est question ici est extrêmement simple. Ce ne sont ni la complexité, ni la
difficulté qui rendent ceci si compliqué à communiquer ou à comprendre. C’est très
simple et très facile. C’est juste que c’est si complètement en contradiction avec ce qui
est cru et la manière dont l’expérience est communément interprétée que le mental ne
peut pas l’appréhender.
Il y a une réalité consensuelle acceptée et que presque toute la race humaine partage.
Le monde est là depuis longtemps et il est ancien. Dans ce monde, vous naissez en
tant qu’individu, vous grandissez, vous apprenez, vous expérimentez la vie, et puis
vous mourez. Il y a bien quelques désaccords concernant ce qui se passe après, mais
pour tous les autres, la vie continue, jusqu’à ce qu’eux aussi meurent. Tout le monde
croit connaître cela, mais en réalité, quand vous êtes ‘’né’’, vous ignoriez ceci. Vous
avez appris ceci et tous les autres l’ont également appris, aussi est-ce une idée qui est
presque universellement partagée, mais le fait que tout le monde croit quelque chose
ne le rend pas vrai.
23
Depuis toute éternité, en dehors du temps, Je Suis, le non-né. Tout comme un rêve
commence à un moment donné pendant le sommeil, similairement, ‘’à un moment
donné’’, Cela que Je Suis apparaît en tant que Conscience ici et ce monde vient à
l’existence. J’ouvre les yeux et il y a l’expérimentation de la vie dans l’apparence de
ce corps-mental et au bout d’une certaine durée d’expérimentation, je referme les
yeux, le monde cesse d’exister, et de toute éternité, Je Suis, le non-né.
Qu’est-ce qui pourrait être plus simple ou plus évident ?
Episodiquement, quelqu’un viendra tenter de le dire aux gens, mais la réalité
consensuelle est dure à briser. Elle se renforce et elle a des moyens bien intégrés pour
traiter les dissonances cognitives. Un moyen, c’est de taxer les contrevenants de
‘’folie’’ et un autre, qui est tout aussi efficace, c’est de les taxer de ‘’mysticisme’’.
Dans les deux cas, l’illusion de la séparation, la réalité consensuelle, est maintenue.
Aussi le maître opère à l’aide d’histoires, de paraboles, de métaphores et d’actions
étranges, et d’affirmations prononcées un jour et directement contredites le
lendemain. Il s’efforce de contourner les défenses. En prenant littéralement ou au
pied de la lettre n’importe quelle affirmation du maître, vous vous éloignerez et
chercherez ce que cette indication paraît indiquer, quelque chose à l’intérieur de la
réalité consensuelle, ce qui n’est pas le dessein souhaité. C’est la raison pour laquelle,
le moyen consacré par le temps pour apprendre auprès de tels personnages, si telle
est votre inclination, c’est de vous asseoir auprès d’eux pendant un certain temps –
des mois et des années à supporter et à endurer leurs contradictions, leurs
revirements, leurs non-sequiturs et leur folie apparente jusqu’à ce que suffisamment
de ces vecteurs divergents aient été absorbés et intégrés pour en faire une moyenne
et regarder au-delà, pour ainsi dire, là où ils pourraient converger, au-delà de tout ce
qui peut être compris ou imaginé.
II
Il y a ceux qui passent leur vie ainsi aux pieds d’un tel maître, mais ce n’est pas ce qui
s’est produit, dans ce cas-ci. Néanmoins, les pages qui suivent sont un récit de ce qui
arrive, quand ‘’Ce qui est’’ ― qui ne peut être enseigné, qui se situe au-delà de la
réalité consensuelle des choses, des idées, des pensées, des expériences et des
perceptions sensorielles ― est soudainement ou spontanément vu ou perçu et lorsque
la totalité de cette soi-disant réalité est vue et clairement comprise comme étant une
illusion de la nature d’un rêve.
Les conventions suggéreraient de faire référence à ce qui suit, comme à un récit ‘’à la
première personne’’, mais vous voyez que l’on se retrouve de nouveau ici avec ce
petit problème de termes, de concepts et de communication. Cette ‘’première
personne’’ qui va relater ce récit est clairement vue comme faisant partie intégrante
de l’illusion, un simple personnage du rêve et nullement un individu réellement
existant à qui tous ces événements auraient pu arriver ou qui aurait pu expérimenter,
24
penser ou relater quoi que ce soit. Après tout, si vous vous endormez, la nuit, et si
vous avez un rêve où vous volez par-dessus des montagnes, diriez-vous au réveil
que quelqu’un a réellement volé par-dessus des montagnes, la nuit précédente ? Peu
importe à quel point le rêve était frappant, les personnages, l’histoire, les événements
et l’action étaient tous fictifs en terme de réalité de veille.
Cette analogie du rêve, de s’éveiller d’un rêve est une analogie à laquelle nous
reviendrons souvent. C’est une image qui est utilisée par beaucoup de personnes,
parmi celles qui essayent d’enseigner, de communiquer ou de simplement parler de
ceci, et c’est l’une des meilleures analogies dont on dispose, mais ce n’est somme
toute qu’une analogie qui n’est utilisée qu’à des fins illustratives. Si vous en arrivez à
la prendre au pied de la lettre, tout se démontera et n’aura plus aucun sens.
A l’instant où se produit la cessation de la perception erronée de l’illusion comme
étant réelle, il y a la vision soudaine, absolue et irréversible qu’il n’y a pas de
personne séparée, mais une simple apparence dans le jeu de la Conscience qui opère
dans ce jeu ou dans ce rêve sous la forme d’un organisme corps-mental humain. Cet
organisme n’est qu’une apparence qui n’existe que sous la forme d’une construction
illusoire semblable à un rêve dans ce qui se situe au-delà et qui est antérieur à cette
illusion.
Dans cette illusion, on peut faire allusion à Ce-qui-est, comme à la Conscience ou à la
Présence ou à la Totalité ou peut-être même à Dieu (avec certaines réserves) et il est
bien compris que cette Présence (pour reprendre l’un de ces termes) est tout ce qu’il y
a, de sorte que tout ce qui est perçu est toujours et seulement la Présence perçue
comme une chose (illusoire). Cette Présence est ce qui se diffuse par l’instrument ou
le mécanisme du corps-mental en l’animant et en le rendant conscient ― tellement
conscient qu’il en arrive à penser, comme la majorité de ses pareils, être une entité
individuelle autonome, un être séparé qui est conscient.
Ce qui n’est pas le cas. Là est l’illusion. Il n’y a pas d’êtres séparés. Il n’y a personne,
ici. Il n’y a toujours que la Présence qui se diffuse par l’intermédiaire de ces formes
apparentes en créant ainsi cette illusion. ‘’Moi’’, ‘’moi-même’’, ‘’David’’ n’existe pas
réellement, sinon comme une fausse perception, une scission malencontreuse,
totalement conceptuelle et jamais ‘’réelle’’ de la Conscience en un moi séparé
illusoire. Et ce qui est réalisé, c’est que cette Conscience, cette Présence, cette Totalité
est ce que je suis vraiment.
III
Tenter d’expliquer Ce-qui-est au sein de ce qui n’est pas (c’est-à-dire tenter
d’expliquer ou de décrire la Vérité avec des termes et des concepts fournis par
l’illusion) est condamné dès le départ à être particulièrement infructueux. Tout ce
qu’il y a, c’est la Vision, la Compréhension dans Ce-qui-est, dans une tranquillité
sans pensées et sans mots. C’est simplement impossible à communiquer.
25
Alors, pourquoi se donner la peine d’essayer ? Bonne question ! Tout ce que je peux
dire, c’est que, comme la Compréhension elle-même et la vie elle-même, ces
tentatives de communication surviennent sans être recherchées, ni sollicitées, ni
voulues, et qu’il n’y a là ni effort, ni action.
Ce qui suit est un conglomérat réalisé pêle-mêle à partir de griffonnages,
d’inscriptions dans mon journal, de courriels, de lettres, de réponses à des questions,
de conversations reconstruites librement de mémoire, et parfois de m’asseoir
simplement devant l’ordinateur et taper. C’est généralement plutôt brut et non poli
(sans aucun vernis). Et le tout est simplement la Conscience qui se diffuse par le biais
d’un mécanisme corps-esprit totalement vide d’un moi individuel qui ne revendique
rien. La même chose vaut pour la Conscience qui se diffuse via le corps-mental
auquel vous pensez comme étant ‘’vous-même’’. Vous pensez sans doute que vous
êtes en train de lire ceci, mais je vous assure que ce n’est pas le cas. La lecture se
produit, mais il n’y a en aucun cas un ‘’vous’’ qui opère et le ‘’vous’’ que vous croyez
être n’existe très certainement pas.
Je suis parfaitement conscient du fait que ce qui suit peut parfois être assez
compliqué à lire et à comprendre. D’ailleurs, les fonctions de correction
d’orthographe et de grammaire du traitement de texte se sont étranglées en avalant
de travers ce document ! Les règles de base du langage, la grammaire, l’utilisation de
la majuscule, la ponctuation et la syntaxe ont toutes été étendues, voire même
distendues, dans cette tentative pour amener les mots à indiquer quelque chose audelà de leur usage courant.
On ne peut pas faire grand-chose par rapport à cela. Il n’y a pas d’intention d’être
cryptique. Les mots sont utilisés spécifiquement pour une bonne raison ― parce que
c’est aussi proche qu’on peut dire quelque chose. Le texte a été relu et corrigé à
plusieurs reprises par de nombreux lecteurs. Si l’orthographe, si la ponctuation ou si
l’usage est curieux, c’est plus que probablement intentionnel et pour communiquer
un sens, sens qui serait (peut-être subtilement) différent, si tout était ‘’correct’’.
Souvent, le texte ne s’écoule pas fluidement. Il est fréquemment haché par des termes
et des expressions peu usuelles, alors qu’un langage plus familier aurait pu être lu
plus facilement. C’est inévitable. Vous pouvez trouver des cas où le langage semble
se contredire ou contredire ce qui a été dit avant. En raison des limites du langage,
c’est aussi nécessaire.
Beaucoup de thèmes sont revisités et donc, certains peuvent paraître répétitifs. Voyez
la répétition comme une invitation à approfondir, à regarder au travers et par-delà.
Rappelez-vous que ces mots sont utilisés pour indiquer quelque chose qui les
dépasse, et ce qui est compris la première fois qu’ils sont lus est rarement la
compréhension la plus profonde, ni la plus parfaite.
Et de grâce, rappelez-vous qu’aucune des images, des idées, aucun des concepts qui
sont présentés ici ne sont eux-mêmes vrais ou indiquent même directement la Vérité,
26
tous et toutes n’étant que des vecteurs qui indiquent vaguement la direction
générale.
La raison pour laquelle tout ce qui est exprimé ici ne peut être la Vérité, c’est que les
concepts, la pensée et le langage sont tous intrinsèquement dualistes, alors que ce
qu’ils tentent d’exprimer ne l’est pas. Dans la dualité, pour chaque objet, il y a un
sujet ; pour chaque mieux, un pire ; pour chaque vérité, une contre-vérité ; autant de
clarté que de confusion ; amour et haine ; immobilité et mouvement ; parfait et
imparfait ; complet et incomplet.
C’est pourquoi les maîtres aimaient et aiment tant faire remarquer ‘’neti, neti’’. Ni
ceci, ni cela. Ni un côté, ni l’autre. Dans la dualité et par conséquent dans le langage,
il y a toujours l’envers, l’opposé qui complète ou contrebalance et qui n’est pas plus
vrai.
Le langage, par nature dualiste, est utilisé ici d’une manière particulière pour
indiquer ce qui transcende la dualité : l’Amour au-delà de l’amour et de la haine,
l’Immobilité qui ne s’oppose pas au mouvement, la Perfection qui n’a rien à voir avec
le parfait par opposition à l’imparfait.
Il est traditionnellement fait référence à cet enseignement comme à un ensemble
d’indications plutôt que de vérités pour cette raison même et pour cette raison, il y a
une préférence pour des repères qui indiquent ce que ‘’Tout ce qui est’’ n’est pas,
plutôt que des repères qui tentent de définir de quoi il s’agit. Neti, neti.
Toutes ces choses et tout ce qui est écrit dans les pages qui suivent sont juste des
concepts, des bulles de pensée ici créées dans cette illusion produite par le mental et
comme telles, elles sont gravement limitées et par nature lacunaires.
En fait, très franchement, ce sont des conneries. Au bout du compte, toutes les idées,
toutes les expériences, tous les mots et tous les enseignements sont à côté de la
plaque. In fine, tout ce qu’il y a, c’est un lâcher-prise total pour aller au-delà. Alors,
tout cessera, tout n’aura jamais été et il n’y aura plus que la Compréhension et la
‘’Paix qui dépasse toute compréhension’’3.
Quand vous apprenez qu’il n’y a rien que vous puissiez faire pour accomplir ceci ou
pour le provoquer, il y aura un moment de frustration, mais celui-ci, comme toute
chose, toute pensée ou toute expérience sera seulement temporaire. Fort
heureusement, cela n’a jamais été de ‘’votre’’ ressort, de toute façon.
3
Expression qui provient des Ecritures chrétiennes, Phlilippiens 4.7
27
ÈME
2
PARTIE
ABRUPTEMENT,
INSTANTANÉMENT,
SANS AUCUN EFFORT,
HORS DU SILENCE.
UN RÊVE.
UN MOUVEMENT.
S’ÉVEILLER AU RÉEL.
28
CHAPITRE 5 : LA JUNGLE (I)
‘’Ouvrez votre œil intérieur et venez,
Retournez à la racine de la racine de votre propre Soi !’’
-
Rumi
I
Un ultime avis de non-responsabilité et qui est nécessaire avant de déjà poursuivre
avec l’histoire. La tâche, ici, est de raconter l’histoire de ce qui s’est passé dans la
jungle. Il n’y a aucune raison de le faire, car l’histoire n’a aucun ‘’sens’’. On ne peut
pas parler de la Compréhension elle-même, on ne peut qu’orienter vers elle et c’est
tout ce que l’on peut faire maintenant et c’est tout ce qui arrive par l’entremise de ce
corps-mental. Parler de l’incidence expérientielle du rêve qui a conduit et entouré le
‘’tilt’’ de la perception, la réalisation et l’éveil en dehors du rêve n’a aucun sens.
Certains ont réclamé que cette histoire soit racontée, peut-être pour pouvoir se faire
une idée par eux-mêmes. C’est assez légitime et voici donc les circonstances qui
entourent cet événement. Au bout du compte, ce n’est que la Compréhension ellemême qui a de la valeur et pas l’histoire du corps-mental, mais cette histoire a été
réclamée et donc, la voici. Voici ce qui est arrivé à ce corps-mental. Qui s’en soucie ?
Quand le livre de Ramesh Balsekar ― Who cares ?4 ― a été publié, je me suis aperçu
qu’en tapant le titre, ces doigts (forgés par l’habitude) l’écriraient inévitablement de
travers en inversant deux lettres et en tapant ‘’Who carse ?’’ Cela me fait sourire à
tous les coups ― un petit cadeau de la Conscience ! Le titre du livre de Ramesh ne se
veut ni dédaigneux, ni rhétorique, mais plutôt être une question à investiguer dans la
tradition du ‘’Qui suis-je ?’’ de Ramana Maharshi. Et donc, qui est ce Carse ?
Effectivement. Personne. Et qu’est-ce que cela peut bien faire ? La norme sociale
acceptée est de mettre l’accent sur l’individu : le caractère, l’effort, l’expérience et
l’histoire individuelle. En réalité, rien ne pourrait être plus loin d’avoir de
l’importance.
Alors, s’il vous plaît, ne commettez pas l’erreur de lire ceci pour découvrir quelque
chose concernant cette vie ― un modèle, une voie ou un lien de causalité. Le parfait
déploiement et l’expression infinie de la Conscience sont effectivement parfaits et
infinis. Il n’y a pas de voie ― sinon rétrospectivement ou alors, les voies sont infinies.
Si vous lisez ce récit et si vous ajoutez ceci à votre collection de récits de voies qui
mènent à l’Illumination et si vous étudiez les similitudes et relevez les différences, ce
récit ne vous sera d’aucune utilité et pourrait même constituer un obstacle majeur.
4
Que l’on pourrait traduire par ‘’Qui s’en soucie ?’’, mais qui a été publié en français sous le titre ‘’Laisser la vie
être’’, NDT.
29
A l’instar de toute pratique, de tout travail, de toute entreprise, de toute réflexion et
de tout livre, la seule aide possible qu’il puisse être, c’est si vous y passez toute votre
vie pour finir par réaliser que c’est sans valeur et que cela ne vous mène nulle part.
Oubliez-le. Le Tao qui peut être énoncé ne peut pas être le Tao.5 L’histoire qui peut être
racontée n’est que du bruit. Restez tranquille. Qui est ce Je dans la tranquillité ? C’est
Cela que vous voulez. Pas ceci. Lisez ceci pour vous divertir dans le rêve, si vous le
devez, mais ne vous laissez pas détourner.
Le récit est totalement saturé d’un langage qui utilise les termes ‘’je’’, ‘’moi’’ et
‘’mon’’. Voyez-vous la sottise d’un tel récit ? C’est une pure fiction. Il n’y a pas de
telle entité. ‘’Je’’ ne suis qu’une idée mythologique. L’histoire est racontée à partir
d’incidents qui arrivent à quelqu’un, mais il n’y a personne ici, personne à qui des
incidents puissent arriver. Les pronoms personnels sont utilisés comme des
conventions de langage nécessaires, mais ils ne font référence qu’à cet organisme
corps-mental qui est vide de tout moi ou entité personnelle auquel ou à laquelle se
référer. Voyez-vous la vacuité de tout cela ? Alors, quoi ? Qui s’en soucie ?
On ne peut pas assez souligner ceci : la première partie de ce qui s’est passé dans la
jungle comportait une série d’expériences et donc, on peut y réfléchir, s’en rappeler
et en parler. Dans ce cas-ci, ce fut ce que l’on pourrait peut-être appeler des
expériences transformatrices, voire dramatiques. Mais on doit se rappeler que cette
partie qui s’est passée dans la jungle, la partie préparatoire, quels que soient sa
profondeur et son caractère exceptionnel, n’était cependant encore qu’une
expérience, une expérience qui s’est produite dans ou par l’entremise de ce corpsmental. Comme telle, elle est fondamentalement sans aucune importance
particulière. Les événements imaginaires de la vie imaginaire d’un personnage
imaginaire n’ont aucune importance durable.
Les maîtres spirituels font parfois observer que vous pouvez vous considérer comme
heureux, si vous n’avez pas eu d’expériences spirituelles ou mystiques dramatiques.
Peut-être que je n’ai pas été aussi chanceux. Il y a eu des expériences, dont certaines
sont relatées ici. Tel est le scénario pour ce personnage imaginaire. Mais avec elles, il
y a la vision claire que l’expérience n’est ni la compréhension, ni la sagesse, mais
uniquement les circonstances par l’entremise desquelles celles-ci peuvent ou non
survenir. Une expérience d’éveil n’est pas l’Eveil.
Et donc, l’histoire concernant ces parties expérientielles de ce qui s’est passé dans la
jungle n’a rien à voir directement avec ce qui est survenu plus tard, avec ce qu’on
appelle l’Eveil ou la Compréhension. Les premières parties relatives à l’expérience,
les parties sans importance (même si bien entendu, comme tout le reste, elles jouent
leur rôle dans la révélation infinie) peuvent être plus ou moins décrites comme elles
se sont produites, mais la dernière partie ― un événement instantané qui se situe en
dehors du temps et de l’expérience ― ne peut qu’être indiquée plus indirectement.
5
Premier verset célèbre du Tao Te King de Lao Tseu
30
II
Nous nous trouvions dans la jungle depuis plusieurs jours. Nous vivions au village
shuar, nous faisions de longues marches dans la forêt et nous travaillions
principalement avec un aîné du village et l’un de leurs vegestalistas, un hommemédecine et herboriste. L’expérience de la traversée de l’Equateur, l’arrivée dans la
forêt tropicale elle-même et la vie et les contacts avec la population de ce petit village,
tout s’était déroulé avec un sentiment de bien-être paisible et tranquille. Même si
bien-entendu, tout était différent et étrange(r), dans un autre sens, la jungle me
paraissait également très familière et accueillante, comme si je revenais dans un foyer
que j’avais oublié.
Mais au bout de quelques jours, ce sentiment de bien-être s’est brutalement dégradé.
Un jour, entre midi et le début de soirée, mon état intérieur est passé d’une
acceptation et d’une confiance ouvertes à un malaise grandissant qui s’est vite mué
en une crainte sérieuse pour aboutir à de la pure panique. Je suis devenu convaincu
que j’allais mourir, si je ne partais pas de là immédiatement.
Contextuellement, il y avait une certaine base rationnelle par rapport à cette peur. Il y
avait eu quelques incidents : un face à face avec une créature de la jungle de petite
taille, mais extrêmement venimeuse, un accident mineur au cours de l’une de ces
longues marches et des incompréhensions avec le chamane à propos de l’ingestion
de certaines plantes. Clairement, de légers faux pas pourraient avoir de graves
conséquences.
Lorsque j’avais informé ma famille et mes amis de mon départ pour ce voyage, la
plupart m’avaient simplement souhaité que cela se passe bien, mais presque aussitôt,
j’avais reçu deux coups de fil avec une teneur différente. Une parente et une relation
qui ne se connaissaient pas et qui m’appelèrent de manière tout à fait indépendante.
Toutes les deux étaient extrêmement préoccupées et s’efforcèrent de me persuader de
ne pas partir. Ces deux femmes avaient toutes les deux de l’intuition, une intuition
que j’avais déjà pu apprécier et respecter dans le passé. L’une d’elles avait eu un rêve
et l’autre simplement une solide intuition qu’elles pouvaient me voir partir en
voyage, mais pas revenir. Elles avaient le sentiment que ce voyage occasionnerait un
péril extrême pour moi et elles tentèrent de me faire revenir sur ma décision. J’avais
leurs préoccupations à cœur, mais au bout du compte, j’avais décidé de faire ce
voyage. A présent, le souvenir de leurs mises en garde ne faisait qu’entretenir la
pensée que je ne partirais pas de là en vie.
Le mental s’empara de tout ceci et dépassa toute base rationnelle, comme le mental
est si apte à le faire. Ce qui avait été une aventure d’exploration paraissait
maintenant être devenu furieusement hors de contrôle, comme cette jungle prolifique
qui m’entourait. J’étais complètement déboussolé, sans aucune possibilité apparente
de pouvoir m’en sortir. J’eus alors une discussion tranquille avec le guide qui
m’assura qu’il n’y aurait aucune possibilité de partir avant au moins plusieurs jours,
puisque les conditions météorologiques ne permettraient pas au Cessna d’atterrir sur
31
la piste herbeuse proche de la rivière. Bien sûr, l’alternative, c’était de me retirer de
toutes les activités et de rester tout seul dans la case en bambou qui m’avait été
attribuée, mais quelque chose m’empêcha de choisir cette option.
Mêlé à la peur qui me prenait aux tripes et à la certitude que j’allais mourir, si les
choses continuaient ainsi, il y avait également le sentiment profond que ce qui était
proposé ici était l’opportunité unique d’une vie pour atteindre ce à quoi je songeais
alors comme étant une complétude ou une plénitude. Il y avait une conscience
vague, plutôt confuse en fait, mais néanmoins très forte, que la force spirituelle qui
m’avait amené ici dans la jungle l’avait fait dans l’optique de m’offrir l’opportunité
d’une transformation et d’une guérison profonde de ce que je voyais alors comme
étant moi-même : un corps, une âme et un esprit. Me retirer dans la sécurité serait
manquer cette opportunité et quitter la jungle, comme j’étais venu, soit comme une
âme conflictuelle, agitée et angoissée. Cette option empestait l’échec et le non-sens :
quel sens aurait cette sécurité obtenue à ce prix ?
Le conflit atteignit son paroxysme en début de soirée. Je sautai le repas du soir. J’étais
assis dans la maison longue commune au toit de chaume et je regardais au-delà du
feu qui se consumait lentement au centre, vers l’extérieur, par l’ouverture du mur en
bambou de l’autre côté. La jungle commençait immédiatement dehors et la pluie
transperçait le feuillage. Son bruit se mêlait à celui des millions d’insectes, tandis que
la forêt équatoriale était rapidement engloutie par l’obscurité du soir. La peur était
physiquement et mentalement intense. Le mental imaginait des scénarii avec toutes
sortes de morts affreuses dans la jungle, le pouls était saccadé et ce n’était pas
uniquement l’obscurité croissante qui limitait et qui confondait ma vision. Je voulais
courir, mais l’unique endroit où courir, c’était de retour à la case (départ) pour une
lamentable défaite, aussi restai-je assis, le regard fixé dans la jungle.
Bientôt, le mental se calma, les scénarii cessèrent de circuler et une nouvelle pensée
surgit : ‘’Eh bien, si je vais mourir (et je vais mourir, et si pas ici, alors ailleurs, et si
pas maintenant, alors plus tard), alors si c’est ce qui est requis, c’est un bon endroit
et c’est un bon moment pour mourir.’’
Un bon endroit, car je m’étais senti comme chez moi dans la jungle. Celle-ci m’était
familière, accueillante et nourrissante. L’évidence même dans son cycle de vie, de
mort et de renaissance. C’était un endroit très approprié pour se dépouiller de son
corps. Et un bon moment. Il y avait moins de choses à régler dans ma vie qu’à
l’accoutumée : les transactions commerciales et les projets avaient été conclus et
comptabilisés et de nouveaux projets n’avaient pas encore démarré. Pas de liaison,
pas de problème personnel non résolu, ni d’obligation non satisfaite. En partie
poussé par l’inquiétude de ma sœur et d’une amie, j’avais même rédigé un testament
que j’avais laissé sur mon bureau en quittant la maison. Si je vais mourir (ce qui est
bien entendu le cas), alors, dans une mesure étonnante, ceci est réellement le bon
moment et le bon endroit pour que cela arrive.
32
Après l’apparition de cette pensée, le corps et le mental se calmèrent complètement.
Il y avait comme le sentiment que quelqu’un de très fort et de très gentil s’était
approché, derrière moi, et avait posé ses mains sur mes épaules. ‘’Bien’’, me dis-je,
‘’très bien.’’ Et je lâchai totalement prise et je me détendis dans cette nouvelle
conscience que c’était une très bonne chose, très appropriée, que ce corps meure ici et
maintenant et que c’était pourquoi j’étais ici. Ceci n’était pas de la résignation vis-àvis de quelque chose que je n’avais pas voulu, mais une acceptation sans réserve et
un renoncement joyeux vis-à-vis de ce qui était reconnu comme adéquat et parfait.
En quelques instants, toutes les pensées, tous les sentiments et tous les symptômes
physiques d’une peur extrême pour ma vie disparurent et cédèrent la place à une
pure acceptation joyeuse que même la certitude de la mort ne pouvait pas supprimer.
Mais ce qu’il y a de plus remarquable concernant cette transformation fut qu’il était
parfaitement clair pour moi que je ne l’avais ni causée, ni méritée. A un moment
donné, la peur était là, intense et vive, et l’instant d’après, il n’y avait plus que son
opposé : la paix, la joie, la clarté et l’appréciation d’être si bien pris en charge par la
force inconnue de l’Esprit que même ma mort serait organisée et menée à bien d’une
manière appropriée et parfaite.
Il était pourtant clair que je n’avais pas ‘’traversé’’ ma peur. Je n’avais rien résolu du
tout. Suggérer ou prétendre que j’avais, d’une façon ou d’une autre, fait face à ma
peur et que je l’avais dépassée via quelque procédé psychologique serait une
invention dans ce contexte.
Ce nouvel état d’esprit et physique, le lâcher-prise et l’acceptation, m’était
simplement tombé dessus sans le moindre accomplissement de ma part. Il paraissait
évident que livré à moi-même, j’aurais pu tout aussi facilement être encore dans ce
pénible état de peur et d’angoisse paralysantes. Que ceci ne fût pas le cas, mais que je
me retrouvai plutôt assis ici dans une pure gratitude et la joie et l’acceptation était
clairement et manifestement un pur cadeau. C’était incroyable !
Ce ne serait que beaucoup plus tard que je réaliserais que ma sœur, mon amie et que
ce sentiment de panique intuitive s’avérèrent avoir eu (leur) raison. En réalité, nul
‘’moi’’ ne sortit de là vivant. Il s’avéra qu’aucun individu appelé ‘’David’’ ne
retourna plus jamais de la jungle.
33
CHAPITRE 6 : L’ABANDON DE SOI ET LE LÂCHERPRISE
‘’Que pouvez-vous emporter d’ici ?
Vous venez au monde les poings fermés,
Et vous en repartez, les mains vides.’’
-
Kabir
L’élément crucial ici, c’est l’idée ou le concept de l’abandon de soi et de la Vérité
indicible qui se situe au-delà, antérieure à cette idée. La plupart des autres traditions
spirituelles, des méthodes de développement personnel ou des voies considèrent ceci
comme un processus, comme quelque chose à quoi vous travaillez : travailler à
lâcher-prise ou à découvrir des trucs qui vous concernent pour qu’ils puissent être
évacués ou être purifié. Mais bien entendu, ici comme toujours, la Vérité est radicale.
Puisque l’Eveil est la réalisation qu’il n’y a personne ici qui s’éveille, alors le
renoncement, c’est celui à toute son existence individuelle.
C’est là où je découvre à quel point la bhakti (la voie spirituelle de la dévotion) coule
dans mes veines, quand Rumi et la voie soufie du renoncement à soi en faveur du
Bien-Aimé résonne si authentiquement, quand il est réalisé que c’est ceci que j’avais
essayé de faire, aveuglément et vainement, bien sûr, pendant toute ma vie. La racine
du nom ‘’David’’ est un mot hébreu qui veut dire le ‘’bien-aimé’’. J’aurais dû le
savoir. Je l’ai toujours su. Eh oui ! Jnana (la voie spirituelle de la connaissance) est
l’autre part de ce qui coule dans mes veines, cet élan vers la compréhension et la
sagesse, mais néanmoins, il semble plus naturel de décrire la Compréhension comme
une vision intuitive essentielle et une connaissance interne. C’est certainement une
compréhension, mais une compréhension qui a peu de chose à voir avec le fait de
comprendre quelque chose.
Ceux qui enseignent la pure non-dualité soulignent fréquemment qu’il n’y a pas de
prérequis, que rien ne doit venir avant que la Compréhension ne survienne. Nous en
avons ici la preuve vivante. Cependant, simultanément, nous avons aussi ici ce
lâcher-prise qui semble essentiel et nécessaire. Là-bas dans la jungle, au moment où
tout ceci est arrivé et quand il ne se passait rien, un lâcher-prise s’est aussi produit. A
l’instar de la Compréhension ultérieure, ce fut un don total que je n’ai ni gagné, ni
mérité, ni cherché. Et je vois maintenant, au moins en ce qui concerne ce corpsmental, que c’était nécessaire pour que le reste arrive.
Comment pourrait-on comprendre que l’on n’est pas sans avoir renoncé à son
existence ?
Finalement, ultimement, le lâcher-prise et la Compréhension reviennent au même,
même s’ils sont apparemment, dans la perception ou l’expérience, séparés
chronologiquement. Le concept même de ‘’Compréhension totale’’ inclut
34
nécessairement le lâcher-prise, puisqu’il débute par ce souhait, ‘’Que Ta Volonté soit
faite !’’, et s’achève en voyant que l’on n’est pas.
Ainsi y a-t-il une justesse bien sentie dans l’idée que l’humilité soit, sous une forme
ou l’autre, la marque d’un vrai sage et le sentiment intuitif que, si l’on a aucun sens
de l’humour par rapport à soi-même et par rapport à ce qui se passe, il est hautement
improbable que l’Eveil soit survenu. Se prendre trop au sérieux peut être un signal
très clair qu’il n’y a pas eu d’abandon, de renoncement à l’idée fausse que l’on existe
réellement. Les doutes par rapport à l’authenticité de certains maîtres se résument
souvent à ceci : alors qu’ils peuvent avoir une excellente compréhension des
enseignements, c’est peut-être le renoncement complet au sentiment d’un moi
individuel qui fait défaut.
Dans cette phénoménalité de la dualité, il y a toujours l’envers, l’opposé
complémentaire : le masculin et le féminin, Shiva et Shakti, jnana et bhakti,
compréhension et lâcher-prise. Dédaignez l’un ou l’autre et vous manquez la Vérité.
Nonobstant des traditions contraires, il ne peut simplement pas y avoir
d’authentique jnana sans authentique bhakti, il ne peut pas y avoir de compréhension
ultime sans un ultime renoncement à soi. Certaines personnalités tenteront d’éviter
l’un ou l’autre sous l’apparence ou le couvert d’une sagesse supérieure, mais
toujours au prix de la complétude.
Il existe une tradition suivant laquelle jnana est la voie supérieure, parce que le bhakta
s’appuie sur une croyance en quelqu’un ou quelque chose envers qui ou quoi il est
dévoué, alors que le jnani sait qu’il n’y a ni l’un, ni l’autre, mais la véritable bhakti est
une dévotion pure et sans objet et le véritable jnani ne sait rien.
Jnana et bhakti, la connaissance et la dévotion, la compréhension et le lâcher-prise, la
vision intérieure et l’épanchement, l’esprit et le cœur ne peuvent être divisés ou
opposés, parce qu’ils sont pareils.
‘’La base essentielle de la réalisation du Soi, c’est le rejet complet de l’individu en
tant qu’entité indépendante, que ceci survienne par l’entremise d’une compréhension
spontanée ou le renoncement complet à son existence individuelle.’’ (Ramesh)
On peut voir que le chemin du bhakta dans la dévotion qui mène au renoncement et
que celui du jnani dans la connaissance qui mène à la compréhension se rejoignent
lorsque chacun franchit le pas ultime. Le renoncement ultime est la Compréhension
globale et la Compréhension globale, c’est le renoncement total jusqu’à la mort du
moi individuel.
D’après Jésus : ‘’Celui seul qui perd sa vie la trouvera.’’6 Et encore : ‘’Pas ma volonté,
mais que Ta Volonté soit faite’’7, car il est compris qu’il n’y a pas de ‘’mien’’, ni de
‘’moi’’ pour vouloir. C’est le renoncement à tous les vestiges du sentiment de la
6
7
Evangile de Matthieu, 10.39
Evangile de Matthieu, 26.39
35
personne individuelle, y compris, aussi ironique que cela puisse paraître, tous ces
espoirs, rêves et prières de jamais devenir une bonne ou une meilleure personne ou
une personne que les autres pourraient aimer ou apprécier ou vers laquelle être
attirés. C’est le lâcher-prise total dans ‘’Ceci est tout ce qu’il y a.’’
Ce renoncement final, cette Compréhension totale est brutale et ne se produit qu’une
fois et cette fois, c’est maintenant, et ce maintenant est éternel…
36
CHAPITRE 7 : LA JUNGLE (II)
‘’La Lumière vous ouvrira un jour, même si votre vie est actuellement une cage…
L’Amour vous fera sûrement voler en éclats en une nouvelle galaxie illimitée et
rayonnante.’’
-
Hafiz
Plus tard, cette nuit-là, je repose dans l’obscurité, allongé sur une natte sur le sol de la
case en bambou, la pluie tombe à verse sur la forêt équatoriale et les insectes
conjuguent des millions de sons et de vibrations. Je gis là, dans la paix tranquille du
lâcher-prise survenu quelques heures auparavant, ignorant et ne me souciant
nullement du moment ni de quelle manière la mort inéluctable surviendrait.
Il y a un déchirement, une douleur physique fulgurante dans la poitrine qui me
donne l’impression que la cage thoracique est brutalement ouverte et simultanément,
des picotements au sommet de la tête et la sensation que la partie supérieure est
dévissée du crâne, comme un bouchon hermétique que l’on ôterait. La paix et le
consentement sont là, et non la peur. Il y a la sensation d’une énorme flambée, d’une
explosion ou d’un essor que le corps ne peut contenir. Quelque chose qui monte en
flèche en tournant pour sortir par la tête vers je ne sais où, vers l’infinité, alors que
mon cœur se dilate en dehors de la poitrine jusqu’à ce qu’il remplisse d’abord la
forêt, puis le monde et finalement la galaxie.
Ce surgissement via le sommet de la tête est constaté, mais non suivi. Ce qui est suivi
avec attention, c’est la dilatation du cœur, parce qu’avec la dilatation du cœur, le
sentiment du ‘’je’’ se dilate aussi. Et je me retrouve dans ce que dans mon ignorance,
sans langage ni catégories, j’appelle la Présence qui se manifeste comme une
Brillance similaire à la lumière, mais plus claire et plus éclatante, au-delà de la
lumière. Ni blanche, ni dorée, simplement une Brillance absolue, brillamment
vivante, qui est radieusement tout ce qui est.
Et il y a la conscience assez amusante que la Présence est consciente de ‘’David’’
depuis toujours et qu’elle ‘’apprécie’’ que ‘’David’’ se soit suffisamment éveillé que
pour la percevoir. Et il y a la réalisation profonde que rien, absolument rien n’a de
l’importance. Ainsi, tout ce que j’ai jamais pu penser ou expérimenter ou que j’aurais
jamais pu penser ou expérimenter n’était rien, un rêve, qui n’avait absolument
aucune importance. Tout cela était vraiment très amusant et j’alternai les rires et les
pleurs pendant des heures, toute la nuit sous la pluie.
Dans cette partie de cette expérience dans la jungle, je sus trois choses concernant
cette Présence, concernant tout ce qui est. Trois choses et plus tard, une quatrième.
Les trois mots que j’employai à l’époque furent :
37
Premièrement, Elle est vivante. Ce n’est pas une nuée inanimée, un champ d’énergie
d’aucune sorte, pas même une chose qui est vivante. C’est la Vie pure, la Vitalité,
l’Existence.
Deuxièmement, la Présence est Intelligence. Elle est alerte, éveillée et consciente. Elle
sait. Ce n’est pas quelque chose qui sait, mais plutôt Ce qui connaît.
Troisièmement, sa nature, son essence est un Amour, une Compassion, une Beauté
pure, abyssale, infinie et inconditionnelle qui s’épanche et dans cette Présence, je me
retrouve dans un état de gratitude, de béatitude, de paix ineffable et d’amour
submergeant.
Quelques mois plus tard, j’appris trois mots sanskrits que l’on utilise
traditionnellement ensemble pour tenter d’exprimer cette Présence brillante et
éclatante qui est tout ce qui est : Sat-Chit-Ananda.
Sat : l’Etre. Pas être quelque chose, ni quelque chose qui est, mais simplement l’Etre pur
en Lui-même, l’Etreté. Je suis qui je suis. Ce que j’ai décrit comme Vie pure, Vitalité,
Existence.
Chit : la Conscience. Pas la conscience de quelque chose. La simple et pure
Conscience, Elle-même, que j’ai appelée Intelligence, Ce qui sait.
Ananda : la Félicité, la Paix qui déborde.
Je restai allongé dans cette Présence pendant de nombreuses heures. Il y eut une
expérience intense que je pourrais qualifier de ‘’traitement’’. J’eus l’impression d’être
comme ramené tout au long de ma vie entière en stoppant aux endroits où il y avait
des problèmes irrésolus ou des tâches inachevées. Des problèmes de l’enfance, des
problèmes relationnels, d’anciennes souffrances, des pertes, des chagrins, dont
beaucoup avaient déjà été intensivement traités au cours de nombreuses années de
thérapie. Ceux-ci furent intensément revécus, réexpérimentés, résolus et évacués.
Quand l’un était terminé, un autre apparaissait. Cette nuit-là, il y eut la résolution
finale et la fermeture de beaucoup d’anciennes blessures qui n’avaient jamais pu
guérir.
La Présence qui fut pour la première fois expérimentée cette nuit-là n’a depuis lors
plus jamais cessé de l’être. Cette vie est toujours vécue dans la Lumière de la
Présence. Elle ne peut plus désormais ne plus l’être. Le sentiment de la Présence
imprègne tout, cette conscience de Sat-Chit-Ananda, cette Splendeur. Au moment où
le cœur a paru se dilater hors de la poitrine pour englober la galaxie, la Présence qui
est la Totalité fut d’abord perçue comme une immense Splendeur, comme une
Lumière au-delà de la lumière.
Mes yeux étaient clos, quand c’est arrivé et l’éclat, infini. Quand j’ai ouvert les yeux,
la jungle était obscure, noire comme seule peut l’être la profonde forêt équatoriale
38
qui est loin de toutes les lumières et qui est même à l’abri de la lumière de la lune et
des étoiles sous l’épaisse canopée des grands arbres. Les yeux ouverts, cette Brillance
passa à l’arrière-plan, tout en demeurant toujours là et toute aussi éclatante à l’arrière
de ma tête, mais autorisant mes yeux à voir l’obscurité devant eux. Quand mes yeux
se fermèrent, ce fut comme si la Splendeur remplissait ma tête ou mieux, comme s’il
n’y avait plus de tête, de case en bambou, de jungle, de Terre, plus rien pour contenir
cette Splendeur qui contient Elle-même la totalité et qui est la totalité.
Les premiers jours et les premières semaines, ceci fut distrayant et un peu déroutant.
Chaque fois que les yeux sont fermés, c’est nettement plus clair que lorsqu’ils sont
ouverts, même à la lumière du jour. Ceci nécessita de l’adaptation pour pouvoir
dormir en baignant dans cette Splendeur. L’obscurité ne vient qu’avec les yeux
ouverts et même alors, la Lumière est toujours là, en arrière-plan. Et cette Splendeur
n’est pas de la lumière inerte. Elle est Sat-Chit-Ananda, Amour, Compassion et
Félicité, qui s’épanche conscient, vivant et qui respire.
Je n’ai pas parlé avec beaucoup de personnes de cette Splendeur. Ceux qui s’y
connaissent là-dedans m’ont suggéré que ceci a à voir avec la libération de l’énergie
de la Kundalini. Je ne connais pas grand-chose à la Kundalini et au-delà de lire assez
pour confirmer que cela semble correspondre à la description, cela n’a réellement
aucune importance. Tout cela, la brusque flambée d’énergie, Sat-Chit-Ananda, la
Splendeur, le traitement et la guérison d’anciennes blessures constituait et constitue
entièrement une expérience. Une expérience merveilleuse, magnifique, mais
néanmoins une expérience et par conséquent, l’expérience de rêve d’un personnage
de rêve qui fait partie intégrante de tout ce qui n’est pas.
Il y a une reconnaissance profonde pour cette expérience et pour cette Splendeur.
C’est un rappel constant et un profond réconfort. Elle a rendu impossible pour le
corps-mental de David de jamais commettre l’erreur conceptuelle de séparer le
monde de l’expérience mystique et de Sat-Chit-Ananda du monde du corps, du
mental, des sens et des objets. La Splendeur ne se situe pas dans un autre royaume
qui n’est accessible que sous certaines conditions. Elle est toujours ici, explosant dans
cette tête et elle affecte le fonctionnement visuel de cet organisme. C’est un don
merveilleux et sidérant et une fois encore, je ne l’ai ni cherché, ni gagné, ni mérité.
Mais tout ceci n’est encore que de la substance du rêve et n’a rien à voir avec la
Compréhension.
39
CHAPITRE 8 : LES MOTS FONT DÉFAUT
‘’Sortez du cercle temporel pour entrer dans celui de l’amour !’’
-
Rumi
Que donneriez-vous pour savoir, pour savoir absolument, sans l’ombre d’un doute,
que tout est réellement parfait et qu’il n’y a aucune raison d’avoir peur. Qu’il n’y a
aucun besoin de ressentir du désespoir, une perte ou de l’incertitude. Que toutes les
peines, les blessures et le mal que nous avons vus ne sont réellement qu’une illusion
et que les plus belles choses que nous avons expérimentées ne sont qu’un aperçu, un
avant-goût de ce qui est vraiment ‘’réel’’ et vraiment nôtre. Que tout est OK, parfait,
comme tel, et que tout va bien. C’est ce que je vois et c’est ce que je sais.
Mais non ! Rien de tout ceci ne le dit assez bien, rien de tout ceci n’est juste. Les mots
sont les esclaves de l’illusion. Ce n’est pas ‘’vraiment nôtre’’, quelque chose que nous
possédons, mais plutôt ce que nous sommes, et pas même cela, puisqu’il n’y a pas de
‘’nous’’. Bien sûr, le ‘’je’’ ne sais rien du tout et il n’y a pas de ‘’moi’’ pour voir
quelque chose et il n’y a rien à voir. Ce qui est connu, c’est pratiquement impossible
de l’exprimer ou de le communiquer et dans l’absolu, ce n’est ni connu, ni vu par un
‘’je’’, c’est ce que le ‘’Je’’ est.
Le langage et les concepts sur lesquels le langage se fonde déçoivent. Par définition,
cette Vérité, cette Beauté se situe au-delà. (Au-delà dans le sens où Elle est
inaccessible à la pensée et à l’expérience humaine, même s’il est bien sûr évident qu’il
n’y a ni ‘’au-delà’’, ni d’ ‘’autre’’, littéralement.) En Elle-même, Elle ne peut pas être
expérimentée. Elle ne peut qu’être ‘’connue’’ et même cette connaissance n’est pas un
savoir intellectuel. Cela n’a rien à voir avec une compréhension intellectuelle.
Les mystiques, les poètes, les saints et les maîtres éveillés qui ont eu cette Vision ou
cette Connaissance s’accordent tous à dire que ce qui est vu et connu est indicible,
ineffable, inexprimable. La verbaliser et la conceptualiser passe complètement à côté.
On la décrit comme ce que ‘’l’œil n’a pas vu, ni l’oreille, entendu, ni le cœur humain,
conçu…’’8 Et néanmoins, le cœur humain ne peut la contenir et déborde alors en
tentatives malhabiles pour exprimer ce qui se situe au-delà de l’expression, et
toujours nuancées par l’avertissement qu’aucune expression de la sorte, aucune
description, peu importe ô combien merveilleuse, ne peut l’englober.
A l’extrémité de la vision humaine se situe la Vérité finale et ultime pour autant
qu’Elle puisse se situer à la portée de notre vision, fût-ce à son extrême limite. On ne
peut ni L’expérimenter, ni La penser, ni en parler, puisqu’Elle ne peut être
conceptualisée. Notre langage, et les pensées et les concepts qui structurent notre
langage sont fondamentalement dualistes et fondés sur la relation sujet/objet. Il n’y a
pas moyen de penser à quelque chose, ni de parler de quelque chose sans en faire
8
1 Corinthiens 2.9
40
l’objet d’un supposé moi individuel qui pense ou qui parle en tant que ‘’sujet’’. Ainsi,
dès qu’il y a une pensée linguistiquement structurée, il y a une déviation par rapport
à la Vérité, une inversion fondamentale de la véritable relation sujet/objet. Aucun
moi individuel n’existe en tant que sujet. Les individus apparents n’existent que sous
la forme d’objets. Et la Vérité ultime n’existe pas du tout comme un objet. Elle est la
pure Subjectivité originelle et s’y référer comme à un objet, comme on doit
nécessairement le faire pour y penser, et s’y référer comme à une chose, comme le fait
cette phrase, est complètement absurde.
Peu importe. La Connaissance ne peut être contenue et déborde. Ce qui se situe à
l’extrémité de la vision humaine est spontanément décrit par de nombreux
visionnaires qui utilisent trois concepts, trois mots. Ce ne sont que des concepts et ce
ne sont que des mots et en tant que tels, ils passent complètement à côté. Peu
importe. Etre-Conscience-Félicité. Sat-Chit-Ananda, en sanskrit. Comme l’ont fait
remarquer Wei Wu Wei : ‘’Nous ne pouvons pas voir plus loin et aucune voie ne
mène au-delà’’ et Nisargadatta Maharaj: ‘’Vous pouvez accepter le fait que Sat-ChitAnanda est la limite par laquelle votre esprit peut décrire cet état indescriptible.’’
C’est le plus près que l’esprit et les concepts peuvent approcher du Soi, de l’Esprit, de
la Subjectivité pure, de la Conscience, Totalité, Présence, Vérité ultime ou Je Suis qui
n’est pas une entité, une personne ou une chose, mais l’Etre pur, la Conscience
absolue, un Amour, une Compassion et une Félicité submergeante qui s’épanche.
Comme Il se situe au-delà de la pensée, des concepts et du langage, Il se situe aussi
au-delà de l’expérience. L’expérience est déterminée par des concepts illusoires, les
concepts de l’espace et du temps. Toute expérience est déterminée par nos
perceptions sensorielles et possède un début, un milieu et une fin. C’est vrai pour
toutes les expériences physiques, mentales et même spirituelles. Toutes les
expériences sont structurées par et contenues dans notre cadre conceptuel de l’espace
et du temps. Le Soi, la Présence, la Vérité ultime se situe au-delà, en-dehors de la
structure de l’espace et du temps et ne peut par conséquent pas être expérimenté.
Toutefois, Il peut être connu et compris d’une manière qui transcende l’espace et le
temps et qui transcende l’expérience.
C’est la raison pour laquelle les maîtres disent que l’Eveil ou l’Illumination,
l’occurrence de cette Connaissance ou de cette Compréhension, est toujours
instantané et non graduel ou par degrés. Graduel ou par degrés suppose la durée
dans le temps. Penser à l’Eveil comme se produisant graduellement, c’est encore y
penser comme arrivant à un individu qui fait une expérience dans le temps. L’Eveil
apporte avec lui la conscience qu’il n’y a pas d’individu, ni de temps. Par sa nature,
la Compréhension se situe en dehors du temps et elle se produit en dehors du temps,
et donc elle paraît toujours, du point de vue de la conscience inféodée au temps,
survenir instantanément, c’est-à-dire sans prendre de temps.
Cependant, le fonctionnement primaire des organismes corps-esprits humains, c’est
l’expérience. C’est le processus opérationnel primaire requis par sa programmation,
41
ce qui se produit naturellement. : expérimenter est ce qui se produit dans ces
organismes corps-esprits. Ainsi, lorsque la Compréhension survient dans un corpsesprit humain, une expérience se produira. Ce corps-esprit semblera ‘’avoir’’ une
expérience. Une expérience s’édifiera autour de cette occurrence. Ainsi, il y aura ce
qu’on peut appeler une ‘’expérience d’éveil’’ ou l’expérience de la compréhension ou
de l’illumination.
Cette expérience d’éveil n’est pas l’Eveil. L’expérience de la compréhension n’est pas
la Compréhension. Ce n’est qu’une expérience humaine qui se crée dans le corpsesprit autour de l’occurrence de l’Eveil, de la Compréhension.
La Compréhension, la Connaissance du Soi, la Présence, la Vérité ultime se situe en
dehors de l’expérience humaine, comme Elle se situe en dehors du temps et de
l’espace. L’expérience de l’occurrence de cette Compréhension, l’expérience d’éveil
n’est pas l’Eveil, n’est pas la Vérité. Ce n’est qu’une expérience créée dans le corpsesprit, pareille à toute autre expérience humaine. C’est pourquoi les maîtres rejettent
même de grandes et merveilleuses expériences spirituelles comme étant
essentiellement sans valeur et comme quelque chose à négliger, puisque la fixation
sur l’expérience ne fera que détourner l’attention de la véritable Compréhension.
Peu importe. La Connaissance ne peut être contenue, Elle déborde. Dans une
tentative pour exprimer cette Connaissance, le langage et des concepts sont utilisés,
quand bien même ce ne sont que des mots et des idées qui passent complètement à
côté. Dans une tentative pour exprimer cette Vision, des aspects de l’expérience sont
décrits, même si l’expérience de cette Vision n’est qu’une expérience. Ce n’est pas la
Vision, ce n’est pas la Vérité. En tant que Soi, Présence, Ce-qui-est est décrit par des
concepts en employant les idées de Sat-Chit-Ananda, Etre-Conscience-Félicité. De
même est-Il également souvent décrit en termes expérientiels en utilisant l’image de
la lumière. L’expérience de la lumière ou de quelque chose de semblable à la lumière
apparaît souvent comme faisant partie intégrante de l’expérience qui se produit
autour de l’Eveil ou de la Compréhension, d’où le terme ‘’Illumination’’.
On dit que le Soi, la Présence, Ce-qui-est est…
‘’…comme le soleil qui resplendit dans le ciel bleu – clair et radieux, inébranlable,
immuable…illuminant tout.’’ (Tsung Kao)
‘’…la radiance aveuglante de la grande Lumière blanche que l’on a appelée Sat-ChitAnanda…’’ (Wei Wu Wei)
‘’Pure est-Elle, la Lumière des lumières. C’est ce que savent ceux qui connaissent le
Soi. Là, ni le soleil, ni la lune, ni les étoiles, ni les éclairs n’y brillent. Alors, où
pourrait être ce feu ? Cette brillance illumine le monde entier.’’ (Mundaka
Upanishad)
‘’Un jour, le soleil admit n’être qu’une ombre : si je pouvais vous montrer
l’incandescence infinie !’’ (Hafiz)
42
‘’Il y eut cette Lumière qui devint de plus en plus brillante, la lumière d’un millier de
soleils…Cette Lumière scintillante, dont j’étais le centre et aussi la circonférence
s’étendait à tout l’univers et…cette Lumière était si éclatante. Néanmoins, Elle était
magnifique, béatifique, ineffable, indescriptible.’’ (Robert Adams)
Ainsi, Elle est comprise, vue et connue comme une Présence qui englobe tout, comme
Lumière au-delà de la lumière, Splendeur au-delà de toute lumière ou brillance
concevable, qui est partout, remplit et imprègne tout, simplement parce qu’Elle est
tout ce qui est. Il n’y a rien qu’Elle ne soit pas. Elle est comprise et Elle est
expérimentée comme Présence, étant la vitalité ultime de l’Etre pur et la conscience
absolue de la pure Conscience et Elle est ici présente.
Sa nature est infinie et incontenable : cet Etre, cette Conscience absolue déborde
toujours dans l’épanchement de son essence, de sa nature qui est un Amour pur et
absolu dépassant toutes nos conceptions de l’amour. C’est ce qu’on appelle la
Béatitude ― non pas un grand plaisir orgasmique, physiologique ou psychologique,
mais un amour, une compassion et une gratitude inconditionnels, infinis. qui
englobent tout et débordent.
Cette Beauté, cet Amour, cette Compassion et cette Béatitude irrésistibles, c’est la
nature et l’essence même de la Splendeur qu’est Sat-Chit-Ananda, et son effluence
constante, c’est ceci : tout ce qui est connu en tant que manifestation, univers créé et
phénomènes. Cette Vérité ultime qui se situe à l’extrémité de la vision humaine n’est
pas quelque chose de lointain, pas quelque chose ‘’au-delà’’ dans le sens d’être
quelque chose d’autre :
‘’En aucun cas, n’établissez une distinction entre l’Absolu et le monde sensible. Ce
qu’est la Conscience, les phénomènes le sont aussi.’’ (Houang-po)
La Conscience, la Présence, la Totalité n’est pas statique : c’est le champ infini de la
potentialité pure, la possibilité de toute chose, qui déborde, qui se déverse dans son
Essence pure, l’Essence de chaque chose, dans un Amour pur, l’Amour qu’est toute
chose.
Les mots font défaut. On doit utiliser des mots et puis extrapoler à partir de ceux-ci.
On doit essayer de les utiliser pour les transcender. L’amour est un mot qui
représente une idée, un concept qui dans le contexte actuel est extrêmement
inadéquat. Dans la culture par laquelle ces corps-esprits sont conditionnés, l’amour
est tenu pour la plus haute valeur, mais nous examinons rarement ce que nous
entendons par-là. A l’instar de la plupart de nos pensées et de nos valeurs, il est
entouré, protégé par une pensée confuse, floue, trouble et vague qui évite la clarté
qui conduit à s’examiner, ce qui peut conduire à l’Eveil, à voir à travers l’illusion du
monde qui recouvre nos yeux et qui nous aveugle à la Vérité.
En fait, nos idées sur l’amour sont beaucoup plus biaisées que nous ne voulons bien
l’admettre avec des concepts et des sentiments d’engagement, d’être spécial, de
propriété, d’exclusivité, de besoin, de prise en charge et de culpabilité. Nous
43
songeons à cela comme à quelque chose d’important, quelque chose qui vient du
cœur, mais cette sollicitude n’est qu’implication, anxiété et attachement à des
résultats. Que nous devons nous attacher et chérir cette existence illusoire, ce rêve, ou
que des choses ont besoin de compter est une fausse perception qui ne génère que
des tracas, de l’anxiété, des troubles et des sentiments de séparation et de culpabilité.
Cela ne fait aucunement du bien à la personne à laquelle nous nous attachons. Cela
ne fait que perpétuer son investissement dans le rêve. Cela n’est pas de l’amour.
Cette prétention d’amour ne fait que nous limiter et ceux que nous essayons d’aimer.
L’Amour n’est pas une base pour s’engager. L’Amour est neutre. C’est une
authentique absence de jugement, de censure, de désir et d’inquiétude. C’est notre
véritable nature, la totalité de la Présence. C’est un rappel que rien n’a spécialement
de l’importance. Lorsqu’il y a la conscience d’être toujours la Présence de cet Amour
parfait, détaché et neutre, il y a la ‘’Paix qui dépasse toute compréhension’’.
Maître Eckhart, le mystique chrétien a dit que :
‘’Vous pouvez appeler Dieu ‘’amour’’, vous pouvez appeler Dieu ‘’bonté’’, mais le
meilleur nom pour Dieu est ‘’compassion’’.
Même le concept de la compassion peut véhiculer la notion de pitié et de sollicitude,
mais la tradition bouddhiste a utilisé ce terme pour signifier une ouverture détachée,
désintéressée pour le meilleur de ‘’toutes les formes sensibles’’ et sans songer à rien
en retour. Lorsqu’il n’y a plus aucune expérience de séparation, l’amour ‘’de l’autre’’
disparaît avec la haine ‘’de l’autre’’. Il n’y a plus que la possibilité de se situer dans
l’Amour, d’être dans l’Amour, le Bien-Aimé. Et s’il est compris que tout ceci se
déroule comme le rêve parfait de la Conscience, l’écoulement de Sat-Chit-Ananda, il
n’y a plus besoin que quelque chose soit autrement qu’il est. L’amour devient alors
quelque chose comme l’acceptation neutre de ce qui est dans la gratitude, dans la
compassion et la Présence.
Le sentiment qui domine est que ‘’tout ceci’’ est, simplement. Ce que nous percevons
comme la manifestation phénoménale et la vie, telle que nous la connaissons, avec
ses hauts et ses bas, le plaisir et la douleur , sa beauté et sa folie, le déroulement
parfait du rêve de la Conscience, l’effulgence constante de la Splendeur de Sat-ChitAnanda ― Beauté-Amour-Compassion-Félicité ― tout ceci est, simplement. Dans
l’Amour.
Vous n’êtes pas ce corps-esprit, comme je ne suis pas ce corps-esprit. Ce qui est (ce
que vous êtes), c’est Sat-Chit-Ananda, la Conscience, dans le rêve de laquelle
apparaissent ces corps-esprits. Lorsque ceci est vu, il y a Eveil en dehors de
l’identification comme un des corps-esprits du rêve. Sans cette identification,
comment peut-il y avoir doute, peur, désespoir, perte et incertitude ? Le rêve se
déroule à la perfection et la beauté et le caractère merveilleux du rêve sont sidérants,
éblouissants et incompréhensibles. Ce qui arrive à ce corps-esprit dans le rêve ne
peut être déterminé par ce corps-esprit, par le personnage du rêve. Ce qui arrive à ce
44
corps-esprit dans le rêve ne peut en aucun cas altérer, ni affecter le Rêveur, ce que Je
Suis, la Présence, la Totalité.
Tout ce qu’il y a, c’est que la vie et le rêve continuent tant qu’ils continuent et
l’acceptation de ce qui est dans une attitude de gratitude énorme et débordante. Se
situer dans l’ouverture compatissante dans Sat-Chit-Ananda. S’extasier avec Rumi,
Hafiz et Eckhart. Etre amoureux du Bien-Aimé. Il n’y a rien d’autre. Que pourrait-il y
avoir d’autre ?
45
CHAPITRE 9 : LA JUNGLE (III)
‘’La grande Voie n‘a pas de porte
Et des milliers de chemins y mènent.
Une fois la barrière franchie,
Vous parcourez seul l’univers.’’
-
Wu Men
Les anciens enseignements de l’Inde, les enseignements qui se rapportent à l’advaita,
à la non-dualité pure, au non deux, sont parfaitement sensés. Ils ont du sens, car au
cours de la nuit, dans la jungle, dans une case en bambou d’un village autochtone
dans la forêt amazonienne, à des centaines de kilomètres d’une route, dans
l’obscurité, sous un déluge torrentiel et tropical, auprès d’enseignements et
d’enseignants très différents, mais exactement similaires, je m’éveille d’un rêve. Nu,
je suis allongé dans la Présence nue et il n’y a rien d’autre. Pas même de moi qui suis
allongé, nu.
Il semble y avoir cette illusion, ce rêve, mais ce n’est qu’une vague qui s’élève
temporairement à la surface de l’océan de l’Un, un rêve qui clignote dans la
Conscience et plus rien n’est pareil. Une fois conscient du rêve, il n’est plus possible
d’être inconscient. Ce n’est pas une expérience paroxystique, qui vient et puis qui
passe et que vous cherchez toujours à retrouver, mais un Eveil, une Vision,
avec un regard différent à partir d’une perspective différente, sans aucun retour
possible. Et simultanément, rien ne s’est passé. Il n’y a pas eu d’ ‘’Eveil’’, parce que le
sommeil faisait juste partie intégrante du rêve.
Le plus amusant, c’est que je n’avais jamais été un chercheur déclaré. Plus jeune,
dans la vingtaine, j’ai passé de nombreuses années au séminaire à étudier la
philosophie et la théologie et tenter de gravir les échelons qui conduisent au clergé
catholique romain, mais alors, j’ai tourné le dos à cela, horrifié par l’usage abusif du
pouvoir et du contrôle. Pendant un moment, j’ai exploré les autres religions du
monde, en consacrant du temps au zen et au taoïsme (mais ironiquement, en évitant
ce qui m’était toujours apparu comme l’excentricité des yogis, des Maharaj, des Sri
ceci et des Ram cela de l’Inde), avant finalement de tout bazarder, de professer
l’agnosticisme et l’hédonisme et d’aller travailler dans la construction de maisons
pendant vingt ans.
Durant quelques années, avant l’épisode de la jungle, la curiosité et la redécouverte
de mes propres racines autochtones me firent fureter dans les cultures indigènes et
apprendre auprès des shamans. C’était amusant de remettre en question certains
postulats concernant la réalité, mais j’ignorais quasiment tout de la quête, de l’Eveil
ou de l’Illumination, si ce n’est un souvenir vague et confus d’avoir lu D.T. Suzuki,
vingt ans auparavant et même cela, c’était de la religion comparative théorique, rien
à quoi m’identifier, ni pour m’attirer personnellement. Aussi, il n’y avait aucune
attente consciente, aucune catégorie, aucun concept avec lesquels formuler ou
46
exprimer ce qui s’est ‘’passé’’ spontanément, quand cela s’est passé, et il ne s’est rien
passé.
Cependant, plus tard, cette nuit-là dans la jungle, vers le matin, allongé là dans la
Présence, il y eut un moment où toute l’expérience s’arrêta. La pensée, la sensation et
le processus en cours stoppèrent complètement. Je n’en n’eus pas conscience, ‘’sur le
moment’’, parce qu’il n’y avait plus ni pensées, ni conscience du temps, ni de quoi
que ce soit, en fait. C’est seulement rétrospectivement que je regarde en arrière et que
je réalise qu’il y eut ‘’une période de temps’’ en dehors du temps, sans pensées, ni
expériences, ni rien du tout, un néant.
Ceci a pu prendre des heures ou un instant. C’était en dehors du temps. Ce n’est que
rétrospectivement que l’on peut parler d’un lieu ou d’une période d’immobilité ou
de vide, parce qu’au moment où cela s’est passé, il n’y avait plus ni temps, ni lieu, ni
sentiment, ni conscience de quoi que ce soit qui se passait. Je n’étais pas endormi.
C’était un état d’immobilité totale et d’une conscience pleinement alerte, mais il n’y
avait là rien dont on pouvait être conscient, pas même le sentiment d’un moi pouvant
être conscient de lui-même. On pourrait parler d’une immobilité et d’une conscience
totalement vides. Je n’ai aucune idée de combien de temps ceci dura.
Pour finir, à un moment donné, dans ce lieu intemporel, sans pensée, ni localisation,
ni moi, la conscience d’une simple observation de quelque chose commença à
s’insinuer graduellement. Alors que cette conscience se condensait à partir de la
vacuité, l’attention se focalisa et la réalisation advint que ce qui était en train d’être
observé et qui faisait l’objet de la conscience, c’était un homme qui était allongé dans
une case en bambou dans la jungle. Cela se poursuivit jusqu’à la conscience et un
genre de reconnaissance de ce que j’avais toujours pensé comme étant moi-même,
‘’David’’, qui était allongé là sur une natte au milieu de la forêt équatoriale. Et il y eut
cette réalisation abrupte : ‘’Mon Dieu ! Il n‘y a personne, là !’’
Cela fit tilt, comme une bulle qui éclatait et il y eut un saut quantique dans la
compréhension. Je ne suis pas ‘’David’’. Il n’y a jamais eu de ‘’David’’. L’idée d’un
‘’David’’ relève d’une pensée, quelque chose de semblable à un rêve et qui n’a
aucune importance. Le ‘’moi’’ individuel, que je croyais résider dans ce corps,
regardant par ces yeux, celui qui s’était suffisamment éveillé, il y a quelques heures
pour percevoir la Présence, comme je le pensais, n’est pas là, n’existe pas et il n’a
jamais existé. Il n’y a personne, là.
Ce n’était pas une expérience extracorporelle. J’en ai eu, où j’ai moi-même fait
l’expérience d’être à l’extérieur du corps, plutôt qu’à l’intérieur, et regardant ce corps
depuis l’extérieur, plutôt que de regarder à l’extérieur avec les yeux du corps. Ce
n’était pas du tout ainsi. Ce qui était observé ici, ce n’était pas uniquement le corps,
mais tout le mécanisme, tous les rouages de ‘’David’’ : son corps, son mental, son
ego, son âme, sa personnalité…et Ce qui observe, c’est la Totalité. Cette observation
― on parlera aussi d’être le ‘’Témoin’’ ― n’est pas distincte du corps ou du mental, ni
de tout ce qui compose David Machin Chose, ni non distincte. Elle ne provient pas
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d’ici, du corps-mental, mais elle n’en n’est pas non plus séparée, puisqu’elle
l’englobe. Cette observation n’est clairement pas faite par un ‘’moi’’, pas même par
un ‘’moi’’ désincarné. Cette observation n’est faite par personne, par aucune entité.
C’est là le point essentiel : il n’y a pas d’entités. Il n’y a personne, ici. Il n’y a là
qu’une observation.
Abruptement et instantanément. Sans le moindre effort, à partir de l’immobilité. Il y
eut un moment, un instant de désorientation radicale et marquée, une discontinuité,
puis un passage à une parfaite clarté, pas du tout dissemblable à l’expérience de
s’éveiller.
D’un rêve apparemment réel qui dure toute la vie apparente de ‘’quelqu’un’’.
Une vibration et le sommeil qui se dissipe sans le moindre effort.
Un instant de désorientation, alors que le rêve est reconnu comme tel et puis l’Eveil
au Réel.
Immédiatement, le rêve s’évanouit et il est su que le rêve n’a jamais été réel, que l’on
n’a jamais été ce dont on rêvait. Il n’y a ‘’pas d’avant, ni d’après’’, aucun moment à
partir duquel je ne fus plus ‘’David’’. C’est le ‘’portail sans porte’’, rien que la vision
que ‘’David’’ n’a jamais été. Pour le dire le moins approximativement possible : la
perception est maintenant qu’il n’y a pas de ‘’moi’’, qu’il n’y a pas de ‘’David’’, aucun
‘’moi’’, aucun ‘’David’’ et que ‘’je’’ suis ce qui n’a jamais cessé d’être la Totalité. Il y a
toujours partout un Silence éclatant et parfait, un Vide ineffable qui déborde
continuellement qui n’est maintenant jamais plus perçu à partir de ce corps-mental.
48
CHAPITRE 10 : PARTI AU-DELÀ
‘’Gate. Gate. Paragate. Parasamgate. Bodhi. Svaha!’’
‘’Parti. Parti. Parti au-delà. Parti complètement au-delà.
Eveil. Svaha !
-
Le Sutra du Cœur
Raconter l’histoire est problématique et particulièrement, comme beaucoup d’autres
choses avec l’enseignement, elle peut devenir victime de ce que j’appelle une erreur
prescriptive et descriptive. La Compréhension, la Vérité, Ce qui est perçu ne peut
être exprimé. ‘’Le Tao qui peut être énoncé n’est pas le Tao.’’ Ce qui est exprimé est
seulement conceptuel, une traduction en des termes qui sont accessibles dans le rêve,
ou le reflet de la lune dans une flaque d’eau, et non la lune elle-même. Et entre la
lune et son reflet, entre la Vérité et sa traduction en concepts et termes imaginaires, il
y a un abîme conceptuel qui ne peut être franchi que par l’occurrence de la
Compréhension elle-même. Beaucoup de personnes s’intéressent au franchissement
de cet abîme. Ce sont les chercheurs spirituels qui poursuivent inlassablement le
moindre élément de preuve, d’orientation, avis ou indice par rapport à cet abîme, son
franchissement et l’autre rive.
Fondamentalement, la vérité, c’est que l’autre rive ne ressemble à rien et que vous ne
pouvez pas l’atteindre à partir d’ici. En fait, c’est déjà ici l’autre rive ! Tout est ‘’ici’’. Il
n’y a pas de ‘’là-bas’’. Fin de l’histoire. C’est la nature réelle des choses et qui est
toujours partout, là, sous votre nez, mais qui peut la voir ? Dès que c’est vu, il est
clair et évident que cet ‘’au-delà’’ est ici, mais dites cela à un bouillant chercheur et
vous récolterez probablement quelques grognements de frustration !
Il y a une image archétypale récurrente qui apparaît souvent dans les rêves et les
mythes, les histoires fantastiques et de science-fiction. Un voyageur arrive devant un
grand mur et après beaucoup de recherches, il trouve une porte, une ouverture dans
ce mur. Une fois la porte ouverte et franchie, il se retrouve dans un monde, dans un
univers qui est différent par rapport à celui d’où il vient, mais qui est quand même
familier. C’est le même univers, mais quand même très différent. Et quand il se
retourne pour regarder à travers l’ouverture vers l’endroit d’où il vient, il s’aperçoit
que non seulement, il n’y a plus de porte, mais il n’y a plus de mur ! Non seulement
il n’y a aucun retour possible, mais il est venu de nulle part. Ainsi en est-il avec
l’Eveil. Il n’y a aucun mur, aucune séparation entre ‘’ici’’ et ‘’là-bas’’. Dans un sens, il
y a bien eu un franchissement, mais dans un au-delà qui n’est pas autrement que déjà
ici présent. C’est ‘’le portail sans porte’’ et le ‘’JE’’ a toujours été ici. Où d’autre ?
Cependant, les chercheurs sont du genre têtu, poussés ou attirés par une force qu’ils
ne comprennent pas, et ceux qu’ils savent, qu’ils croient ou qu’ils suspectent au
moins d’être ‘’partis complètement au-delà’’ sont observés, scrutés et assaillis de
questions et même imités dans l’espoir qu’au moins un peu de ce qu’ils cherchent ne
déteigne sur eux. Néanmoins, en dépit d’une longue tradition, la Compréhension ne
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dépend pas d’un contact supérieur et n’est pas contagieuse. Tout ce que l’on peut
apprendre en observant ou en contactant un sage reconnu ou de réponses directes à
des questions posées n’est que descriptif, une tentative plus ou moins faible ou habile
en apparence pour transmettre ce qui est inexprimable en des termes qui sont
accessibles dans le rêve. L’histoire, la description de la manière dont la
Compréhension est survenue dans un organisme corps-esprit ainsi que les
descriptions de l’expérience en cours dans cet organisme corps-esprit sont
uniquement cela, des descriptions que l’on ne peut prendre pour des prescriptions,
en ce qui concerne la manière dont un autre organisme corps-esprit pourrait arriver
‘’là-bas’’ à partir ‘’d’ici’’. Mais bien entendu, on les prend généralement comme telles
et c’est ainsi que vous obtenez une religion à partir d’une expérience spirituelle, des
enseignements sur une kyrielle de pratiques, des voies diverses et variées, des yogas,
des mantras, des régimes, des recommandations par rapport à différents modes de
pensée et d’action, comme les ‘’quatre applications’’, les ‘’cinq préceptes’’, les ‘’six
pouvoirs’’, les ‘’sept vertus’’, les ‘’huit obstacles’’, les ‘’neuf stades’’ ou les ‘’dix
commandements’’…
Quelqu’un chez qui l’Eveil est survenu est perçu comme n’ayant aucun attachement
au résultat de ses actions et donc, ceci est enseigné comme une prescription : on doit
travailler dur et finir, on ne sait trop comment, par ne plus être attaché aux résultats.
Un autre chez qui la Compréhension s’est manifestée est aperçu, tranquillement assis
dans une immobilité profonde et le silence durant de longues périodes et si on lui
demande ce qu’il pense, il répond qu’il n’a aucune pensée et donc, on enseigne qu’on
devrait essayer de s’asseoir tranquillement sans avoir de pensées ! Le Maître vit seul
une vie de célibataire, aussi les disciples deviennent-ils des renonçants. Le Maître est
marié et alors, ses disciples se marient aussi. Le Maître mange de la viande – ou il
s’en abstient – et donc, ses fidèles font pareil. Nisargadatta Maharaj fumait des
cigarettes et un nombre interpellant de ses disciples s’est mis à fumer...
Mais ce qui se produit chez l’Eveillé se produit spontanément, sans aucun effort, soit
comme une conséquence du programme et du conditionnement naturels de ce corpsesprit, auquel cas cela n’a rien du tout à voir avec l’Eveil, soit comme un résultat
spontané, un effet collatéral naturel dans cet organisme corps-esprit particulier.
Personne ne s’efforce. C’est ce que je veux dire, quand je dis que cela vient
naturellement ‘’depuis l’autre côté’’ et que cela ne peut en aucun cas être accompli en
y travaillant ‘’depuis ce côté-ci’’. Voilà encore une métaphore malheureuse, puisque
ce ‘’côté-ci’’ et ce ‘’côté-là’’ n’existent pas, bien entendu, mais vous pouvez bien sentir
ce que j’essaye de dire. Si l’Eveil ou si la Compréhension doit survenir, il ou elle
surviendra, mais je vous garantis absolument qu’il ou elle ne surviendra pas comme
le résultat d’un personnage imaginaire accomplissant une certaine pratique. Il peut y
avoir une pratique et il peut y avoir un Eveil, mais sans lien causal linéaire entre les
deux.
Disons-le autrement. Si vous dormez et si vous rêvez, que fait le personnage
principal du rêve pour provoquer le réveil ? C’est le rêveur, et pas le personnage
principal du rêve qui se réveille et le réveil arrive, quand il arrive, pour des raisons
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qui se situent au-delà et parfaitement au-delà du contrôle des personnages du rêve, y
compris du personnage principal du rêve que vous pensez être.
Recueillir des histoires sur l’Eveil peut constituer un formidable obstacle qui fera en
sorte que le chercheur tourne en rond. J’ai vu des chercheurs sincères, à l’occasion
des entretiens matinaux chez Ramesh, à Bombay, et lorsqu’ils ont entendu une partie
de mon histoire, ils sont venus me demander comment réserver une expédition dans
la jungle amazonienne et comment avoir accès à la tribu auprès de laquelle je
séjournais. C’est dingue ! Oubliez cela ! Cela ne se produira pas comme cela pour
vous.
Encore deux exemples. Le premier, c’est une parole zen, d’où sa concision :
Lorsqu’un Maître a utilisé une échelle pour monter jusqu’au sommet du mur, cette
échelle est balancée pour toujours et n’est plus jamais utilisée.
Trouvez votre propre putain d’échelle ! Mieux même : sachez que c’est elle qui vous
trouvera, qu’elle vous a déjà trouvé et que vos pieds sont déjà sur les barreaux.
L’autre exemple, c’est une histoire rabbinique, donc un peu plus prolixe.
Une femme vint trouver un rabbin en se plaignant qu’elle ne pouvait pas concevoir
d’enfant et demanda des conseils et l’aide du rabbin. ‘’Ah !’’, dit le rabbin, ‘’c’est
difficile ! Mais vous savez, ce fut la même chose pour ma mère. Pendant de
nombreuses années, elle fut dans l’incapacité de concevoir et donc, elle alla trouver le
grand rabbin, le Baal Shem Tov qui lui demanda seulement ceci : ‘’Qu’êtes-vous
prête à donner ? Qu’êtes-vous prête à faire ?’’ Elle entreprit d’y réfléchir. C’était une
femme pauvre qui n’avait pas grand-chose. Finalement, elle rentra chez elle et elle
emporta ce qu’elle avait de plus précieux, le châle qu’elle portait à l’occasion de son
mariage, un héritage familial qui avait également appartenu à sa mère et à sa grandmère. Puis elle retourna avec auprès du rabbin, mais comme elle était pauvre, elle
devait marcher et quand elle arriva, le rabbin itinérant était déjà reparti pour une
autre ville. Pendant six semaines, elle marcha de ville en ville et elle arrivait toujours
juste après que le Baal Shem Tov ne soit parti ! Finalement, elle put le rattraper. Il
accepta le don et il l’offrit à la synagogue locale. Puis, ma mère rentra chez elle à pied
et un an plus tard, je suis né !’’, conclut le rabbin.
‘’Comme c’est merveilleux !’’, s’écria la femme, vraiment soulagée. ‘’J’ai le châle de
mon mariage à la maison. Je vous l’apporterai et vous pourrez en faire don à la
synagogue et alors, j’aurai sûrement un enfant !’’
‘’Mmmmm’’, fit le rabbin en secouant tristement la tête. ‘’Malheureusement, cela ne
marchera pas. La différence, voyez-vous, c’est que maintenant, vous avez entendu
cette histoire, alors que ma mère n’avait aucune histoire à suivre...’’
Description sans prescription.
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C’est la raison pour laquelle on dit traditionnellement que l’enseignement est un
doigt qui indique la lune. Allez promener votre chien, un soir et dites-lui : ‘’Hé !
Regarde !’’ en indiquant la lune avec insistance avec votre doigt. Il est plus que
probable que votre chien regarde simplement votre doigt en attendant quelque
chose. Il fait montre d’une grande dévotion et il est très attachant, mais il manifeste
essentiellement un manque de compréhension, il n’a aucune capacité de voir au-delà.
Se braquer sur l’histoire, sur des éléments de l’enseignement, sur des pratiques, sur
un guru ou un maître ou sur des expériences spirituelles, c’est regarder le doigt sans
pouvoir réaliser qu’il ne s’agit là que d’indicateurs. Aucune de ces choses n’a aucune
importance en soi. Regardez plus loin, regardez au-delà ce qu’elles indiquent.
Si ceci est compris, les descriptions et les histoires peuvent peut-être être utiles ou au
moins intéressantes, comme éléments indicateurs. Il y a toujours eu des textes, des
sutras et des histoires sur les anciens Maîtres et la manière dont la Compréhension
est survenue dans le cas du Bouddha, de Houei-neng, de Shankara ou de Ramana
Maharshi et il n’y a aucune raison pour que cela s’arrête ici. Ainsi que le dit Suzanne
Segal dans sa propre histoire (Collision with the Infinite : A Life Beyond the Personal
Self) : ‘’L’histoire qui suit est ma contribution à la version moderne des anciens
textes.’’
Mais en fin de compte, comme le résume Ramana Maharshi :
‘’Il n’y a ni création, ni destruction,
Ni destinée, ni libre arbitre,
Ni voie, ni réalisation.
C’est la Vérité ultime.’’
Il n’y a réellement pas d’histoires, puisqu’il ne se passe rien ici. Les histoires sont
seulement ce que des personnages imaginaires n’ont de cesse de se raconter, à euxmêmes et à d’autres, et ainsi, ils perpétuent le rêve. Comme le disait mon ami Koshen
avec beaucoup d’ironie : ‘’C’est quelque chose à faire jusqu’au retour de Jésus !’’
Affabuler, c’est rêver et le rêve, c’est le désir – le désir d’être et plus que cela, le désir
d’être quelqu’un, quelqu’un de distinctif, de spécial, quelqu’un qui a son histoire
propre. Le personnage imaginaire est totalement pris dans la trame de sa toile
personnelle, toujours en train d’édifier et d’entretenir son histoire personnelle,
poussé par ce désir ignoré et non remis en cause d’affirmer et de toujours
reconfirmer le moi individuel.
L’Eveil ne vient pas en prolongeant une histoire, parce que le désir alimente le désir
et les besoins alimentent les besoins, et tout ceci renforce constamment le sentiment
d’un moi séparé inexistant. L’Eveil survient, quand ce désir est définitivement vu
comme étant mal orienté, futile et vain. Alors, l’affabulation s’arrête. Alors, l’histoire
s’arrête. On est parti au-delà.
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CHAPITRE 11 : LA JUNGLE, POST-SCRIPTUM
‘’Ne prétendez pas être ce que vous n’êtes pas,
Ne refusez pas d’être ce que vous êtes.’’
-
Nisargadatta Maharaj
‘’L’œil avec lequel je vois Dieu est le même œil avec lequel Dieu me voit.
Mon œil et celui de Dieu sont identiques :
Une seule Vision, une seule Connaissance, un seul Amour.
-
Maître Eckhart
Etant donné que je n’étais pas un ‘’chercheur’’ et que je n’entretenais aucune idée
préconçue concernant quoi chercher ou ce qui pourrait ‘’advenir’’, ce qui est advenu
fut presque aussi spontané et innocent que se réveiller de son sommeil, se lever et
mener à bien sa journée. Tout était totalement différent, tout en ayant déjà été. Un
certain temps passa, avec un apprentissage avant que la compréhension intellectuelle
ne me rattrape et ne complète les implications du changement de perception qui
avait eu lieu.
Avec Sat-Chit-Ananda (Etre-Conscience-Félicité), il y avait une quatrième chose que je
savais sur cette Présence, sur cette Splendeur. Je le sentais, je le savais alors à un
niveau au-delà du mental, mais mes pensées et mes catégories ne me permettraient
pas de m’y rendre avec une compréhension conceptuelle avant quelque temps plus
tard. En réalité, rétrospectivement, il est assez étrange qu’après avoir réalisé qu’il n’y
avait pas de ‘’David’’, qu’il n’y avait ici ‘’personne’’, que l’implication évidente de
ceci ne fut pas conceptuellement comprise avant quelque temps plus tard, mais, il n’y
avait pas alors exactement beaucoup de bases conceptuelles, ni de préparation. La
Présence était permanente. Ce n’était pas une expérience qui allait et qui venait. Une
fois ici, Elle n’est plus jamais partie, le ‘’Je’’ n’a plus jamais bougé.
Quelques jours plus tard, je quittai la jungle, mais la Présence demeura et je tombai
rapidement sur des personnes, sur des mots et sur des concepts qui me permirent de
comprendre ce que mon cœur savait, mais pour quoi mon esprit n’avait pas encore
de mots ― que c’est la Présence Elle-même qui regarde via les yeux de David et via
tous les yeux et qu’il en a toujours été ainsi. Il n’y a rien d’autre. La Présence est le
‘’Je’’ qui sait que ‘’Je suis’’. La Présence n’est pas quelque chose d’autre, à l’extérieur.
La Présence, Sat-Chit-Ananda, est mon propre cœur qui remplit la galaxie, Elle est
mon propre Soi. Elle a toujours été là et Elle est Ce que Je suis, alors que ce que je
pensais être, soit mon propre moi, n’est pas.
Ce ‘’Je’’, ce Soi est tout ce qui est. Il est tout ce qui existe. L’individu qui croit
L’expérimenter et Le comprendre est à côté de la plaque. Vous pouvez ressasser cela
autant que vous voulez et penser ‘’OK, j’ai pigé’’, mais ce n’est pas vrai. Quand ceci
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pénètre en profondeur, est assimilé, fait mouche et puis explose, plus rien ne peut
plus jamais être pareil. Rien n’a jamais été.
Et néanmoins, dans un autre sens, il n’y a pas eu d’ ‘’Eveil’’, puisqu’il n’y avait
personne à éveiller. ‘’David’’ n’a jamais existé. C’est un personnage fictif qui fait
partie intégrante de cette plaisanterie cosmique. Et qui je suis réellement, c’est la
Totalité qui n’a jamais été endormie et qui n’a nullement besoin de se réveiller de
quelque chose, ni de s’éveiller à quelque chose.
‘’Je suis Cela’’ est l’autre moitié, l’accomplissement de la vision qu’il n’y a ici
personne.
‘L’amour dit que Je suis la Totalité et la sagesse dit que Je ne suis rien et ma vie
s’écoule entre les deux.’’ (Nisargadatta Maharaj)
Ici, la Compréhension sera toujours colorée par le fait que la conscience que ‘’je ne
suis pas’’ est d’abord venue et comme telle, elle est à la base, la pénétration
essentielle, révolutionnaire et décisive dans la conscience de ce qui est. Ainsi, la
Compréhension que la Présence, Conscience, Splendeur universelle infinie est ce que
le ‘’Je’’ est se produit toujours dans le contexte de ce vide total, la connaissance que le
moi distinctif n’existe simplement pas. Qui est la Présence infinie ? Pas ‘’moi’’ ! Ni
‘’personne’’. Seul le ‘’Je’’ qui est la Totalité.
Il existe des cas où la réalisation – ‘’Je suis’’ – ou peut-être, un aperçu de celle-ci, vient
d’abord, sans lâcher-prise, ni vision profonde qu’en tant que tout type d’individu qui
veut être quelque chose, ‘’je ne suis pas’’. Alors, le résultat peut être quelque chose
d’assez différent.
Et donc, certaines pratiques sporadiques, comme la prière, le voyage chamanique et
un peu de méditation qui faisaient partie de la routine conditionnée de ce
personnage imaginaire continuent, quelque temps, mais je vois bien qu’elles font
partie du rêve. Prier qui ? Voyager où ? Il n’y a ni autre, ni deux. Elles deviennent des
portes qui ouvrent sur ce que Je suis déjà : Sat-Chit-Ananda. Je suis Cela. Il n’y a nulle
part où aller, rien à faire. Tout est la Conscience, partout, et par notre intermédiaire et
en tant que ‘’nous’’. Cette vie est vécue dans et par l’entremise de ce corps-esprit,
mais pas par un ‘’moi’’.
Les pratiques et les efforts spirituels qui étaient auparavant motivés par un sentiment
de séparation ou un besoin de reliance et de sens se détachent et cessent,
naturellement, sans aucune intention ni aucun effort pour les interrompre ou les
poursuivre. Ils ne reviennent simplement plus. Ce qui arrive arrive spontanément.
Parfois, assez souvent, il y a juste une assise calme, immobile dans cette Splendeur et
une paix profonde, mais on pourrait difficilement parler de prière ou de méditation.
Ce n’est rien du tout, un vide. C’est l’Etre, la Conscience et la Félicité.
La vie est très soudainement merveilleusement et parfaitement simple.
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L’ego, le sentiment d’un moi individuel et tous ses malentendus, est vu comme étant
lui-même une perception erronée et comme n’ayant jamais existé. Le personnage
imaginaire continue d’être le personnage imaginaire qui se brosse les dents, qui taille
sa barbe, qui aime toujours les mêmes plats, qui a toujours de piètres aptitudes
sociales et trouve que beaucoup de choses dites et faites sont confondantes et
perturbantes, comme à l’ordinaire, mais le personnage a été vidé de sa substance. Il
avait coutume de se prendre au sérieux et de penser qu’il était quelqu’un, mais
maintenant, quand il regarde en lui-même, il sait qu’il n’y a ici personne. Le
personnage est bidon. Seul demeure le sentiment profond, ‘’Je suis’’, et il est bien su
qu’il ne relève pas du personnage, mais de la Présence qui est toujours partout la
Splendeur parfaite.
A l’instar d’un ventilateur électrique qui continue de tourner après que la prise ait été
enlevée, à l’instar d’une roue de bicyclette qui continue de tourner pendant un petit
moment, après que le cycliste en soit descendu et qu’il l’ait laissée choir sur le côté,
quarante-six années de conditionnement avaient tracé un sillon que ce corps-esprit,
créature d’habitudes, pouvait suivre dans son sommeil, ce qu’il avait naturellement
fait précisément en suivant le script du rêve. A présent, il y a un ralentissement. Il a
fallu toute une vie imaginaire pour écrire son histoire, accumuler, développer et
consolider toutes ces pensées, sentiments, souvenirs et expériences au sein de cette
personnalité. A présent, sans intention, ni effort pour stopper ou continuer, cela peut
prendre une vie entière avant qu’il ne s’écroule. Ou un instant. Sous l’observation du
Témoin. Cela n’a aucune importance. Cela n’a aucune espèce d’importance.
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CHAPITRE 12 : LA BOUTEILLE DU DR. BRONNER’S
‘’C’est tout ce que l’esprit peut faire :
Découvrir que l’irréel est irréel.
Le problème est seulement mental.
Laissez tomber les idées fausses, c’est tout.
Les vraies idées sont inutiles.
Il n’y en a aucune.’’
-
Nisargadatta Maharaj
Alors, qu’y a-t-il à dire, après tout ? Pas grand-chose. La communauté des chercheurs
est dingue, toquée de maîtres, d’enseignements, de quête et d’Eveil, mais depuis
cette perspective, il n’y a manifestement rien à chercher et rien à enseigner. Tout ce
grand spectacle continue, et même si ce corps-esprit fait bien partie intégrante du
show, celui-ci est maintenant entièrement contemplé depuis une perspective
totalement différente. Il est clair et évident que ce ne sont pas les corps-esprits qui
‘’voient’’.
Il n’y a aucune finalité. Des personnages imaginaires, de film ou de cinéma, de
roman-feuilleton passent leurs vies dans l’angoisse à tenter de découvrir leur finalité
et se prennent tellement au sérieux ! Il y a la vision et la connaissance que toute cette
souffrance, cette angoisse, cette soif, ces pertes, cette douleur, cette confusion, ces
blessures et ces efforts pénibles ne sont tous que des trucs imaginaires que nous
créons tous dans nos tentatives pour nous sortir de ce dans quoi nous ne nous
trouvons pas.
Le développement personnel, la pratique spirituelle, la recherche et les efforts pour
suivre la voie sont toutes des tentatives pour nous dégager d’un trou que nous
creusons nous-mêmes en essayant. C’est comme des sables mouvants. La lutte est
instinctive. Nous pensons qu’elle aide, mais en fait, elle est elle-même le problème.
La lutte, la recherche est le sens d’un moi individuel qui essaye de continuer de
raconter son histoire. Il n’y a rien à chercher. La séparation constitue l’illusion. Rien
n’est séparé. Rien ! Il n’y a que l’Un, pas de deux, et Cela est ! Tout le reste n’existe
pas. Cela n’est pas duel et est ce que Je suis, ici. Tout ce qui est n’est pas une chose.
Cette Ainséité que Je suis est la Totalité.
Peut-être me suis-je rendu trop obscur ? Ce n’est pas réellement mon intention, mais
vous pouvez saisir pourquoi je préfère vaquer à mon travail et ne pas trop parler de
ceci et comprendre le peu de sens qu’il y a dans tellement de choses qui accaparent
tout le monde et pourquoi il est si compliqué de saisir même des questions et parfois
impossible d’y répondre. Chacun court partout, comme un dératé en pensant
réellement exister (individuellement) ! C’est la chose la plus sotte qui soit ! Et tout ce
que je peux dire ressemble à du patagon et à des élucubrations, à ce qu’on peut lire
sur les étiquettes des bouteilles de savon du Dr. Bronner dans les magasins de
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produits naturels : ‘’La Totalité une et éternellement une ou aucune et sans exception,
aucune !’’ Super ! Mais qui prend cela au sérieux ? L’homme divague à plein tube !
Il y a une très belle expression dans l’appel à la prière de l’islam qui résume et
qui exprime admirablement ceci. ‘’La ‘illaha il’ Allahu.’’ Etant donné que la racine du
nom pour Dieu, ‘’Allah’’, est identique au mot pour ‘’ce qui est’’, cette expression
peut être traduite de multiples façons, toutes correctes : ‘’Il n’y a pas d’autre Dieu
que Dieu’’ ; ‘’Il n’y a pas d’autre Réalité que Dieu’’ ; ‘’Il n’y a rien qui ne soit Dieu’’ ;
‘’Ce qui est est Dieu’’ ; ‘’Tout ce qu’il y a, c’est ce qui est.’’ Super, mais qui comprend
réellement ?
Sans finalité, il est également clair que ‘’vous’’, ‘’moi’’ et ‘’nous tous’’, nous
n’agissons nullement. Néanmoins, le sentiment prévaut qu’il est quelque part juste et
approprié que nous apparaissions ou que nous semblions être ici. Après tout, la
Conscience est en train de rêver ceci, avec toute sa beauté, ses peines et son
émerveillement, alors comment cela pourrait-il être autrement que juste et
merveilleux ? C’est tellement amusant et personne ne comprend ! Si je dis que cela
n’a aucune espèce d’importance et qu’il n’y a aucune finalité, certaines personnes se
mettent en colère : ‘’Eh bien alors, à quoi cela sert-il d’être ici ? Et pourquoi se lever le
matin ?’’ Alors qu’en fait, l’expérience est que c’est d’autant plus beau, plus clair,
plus simple et appréciable, y compris les parties ardues, que cela ne l’a jamais été
avant cette vision. Oui, même le chaos, la violence et la folie de la vie. Les sentiments
d’amour, de compassion, de tristesse, de colère ou de répugnance sont tous
beaucoup plus nettement ressentis et beaucoup plus profondément expérimentés,
sans implication par rapport à ce que cela pourrait signifier ou ce qui pourrait
résulter et cependant, ils passent également plus rapidement, sans sentiment
d’importance ou d’attachement apparent. Cet Eveil…
‘’…ne veut pas dire que vous ne pouvez pas ressentir le désir, le chagrin, la peine, la
joie, le bonheur, la souffrance ou la tristesse. Vous pouvez encore ressentir tout cela,
mais sans être convaincus par eux.’’ (Ken Wilber)
L’idée semble prévaloir parmi certains chercheurs qu’après l’Eveil, la vie vous
présente un ensemble d’expériences différent, en particulier que l’expérience des
émotions s’aplanit ou disparaît, mais cela n’est pas vrai. Le support visuel qui me
vient à l’esprit pour décrire ceci, c’est un graphique avec une échelle de 0 à 10, de bas
en haut. Tout au long de votre vie, votre état émotionnel fluctue et peut se situer
n’importe où dans ce graphique, de la détresse la plus profonde (0), jusqu’au
paroxysme de la joie (10). Ce qui se passe, quand survient la Compréhension, ce n’est
pas que l’amplitude de l’expérience s’aplanit, mais quelque chose de très différent.
On expérimente toujours la gamme émotionnelle de 0 à 10. C’est simplement qu’il y a
maintenant la conscience que cette gamme n’est pas tout ce qu’il y a : ce graphique
de 0 à 10 est perçu par rapport à un immense champ d’une portée infinie qui
supporte et soutient la gamme allant de 0 à 10 de l’émotion et de l’expérience
humaine. Ce registre est toujours ressenti dans son ensemble, mais il est bien vu et
senti que cette somme est insignifiante, juste une fioriture à la surface de l’infinitude
de la Totalité.
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Avec la compréhension que tout ceci est un rêve et qu’il n’existe rien d’autre que la
Totalité, vous rentrez à nouveau dans le rêve. Comme Neo à la fin du film, Matrix,
vous rentrez de nouveau dans le jeu et vous continuez le jeu en sachant parfaitement
que l’individu n’est pas ‘’réel’’. J’avais coutume de penser que nous ‘’oublions’’ afin
de faire l’expérience de la séparation avec l’Un. Nous oublions, OK, mais nous
oublions simplement qu’il n’y a aucune séparation à expérimenter, que non
seulement, tout ce que l’individu expérimente, en apparence(s), mais aussi que
l’individu lui-même est une fiction, une bulle de pensées, une lîla, le jeu de Dieu.
Beaucoup de chercheurs, lorsqu’ils commencent à comprendre à un niveau
intellectuel que tout ceci est un rêve, conçoivent rapidement la question : ‘’Eh bien
alors, comment en sortir ?’’, comme si c’était la prochaine étape logique. Comme si
l’esprit qui pense cela, qui réalise que ceci est un rêve, n’était pas lui-même illusoire,
ne faisait pas partie du rêve. Tout ce qui peut se manifester ici dans le rêve, y compris
des pensées comme celles-ci et des personnages comme celui que vous appelez
‘’vous-même’’, sont nécessairement des pensées et des personnages imaginaires.
‘’L’idée même de transcender le rêve est illusoire. Pourquoi aller quelque part ?
Réalisez simplement que vous rêvez un rêve que vous appelez le monde et arrêtez de
chercher des moyens d’en sortir. Le rêve n’est pas votre problème. Votre problème,
c’est que vous aimez une partie du rêve, et pas l’autre. Si vous voyez le rêve comme
un rêve, vous avez fait tout ce qu’il y a à faire.’’
-
Nisargadatta Maharaj
Mais juste parce que les ‘’esprits’’ du rêve sont conditionnés pour penser en termes
de dualisme ne signifie pas qu’ils ne sont pas capables de penser différemment. C’est
juste que c’est une transition très inhabituelle et parfois maladroite qui nécessite de
repousser ses limites.
Il est intéressant de noter que la majorité de ceux qui enseignent l’advaita ne parlent
pas de l’Un. Le mot a-dvaita signifie ‘’pas deux’’ et c’est l’expression qui est utilisée.
Dire que Dieu et la création, la Source non manifeste et la manifestation ou Ce-qui-est
et le rêve ne sont ‘’pas deux’’ paraît à priori un peu curieux, mais on utilise ainsi cette
expression pour répondre à une certaine confusion contrariante pouvant survenir, où
l’unité peut être prise pour représenter l’opposé duel de la séparation. Dans la
phénoménalité, dans la manifestation, la moitié d’un couple duel ne peut pas exister
sans l’autre. Aussi, dans ce sens, peut-on penser qu’il doit y avoir séparation pour
qu’il y ait unité. Mais au-delà du dualisme, dans la Conscience unitaire, l’unité et la
séparation ne sont ‘’pas deux’’. La Conscience et la manifestation ne sont ‘’pas deux’’.
Il n’y a que l’unité. La séparation n’a jamais existé.
Nos esprits ont aussi été éduqués à penser en termes de causalité : ainsi, la montre
implique un horloger. Cependant, il y a cette constante de l’enseignement pérenne où
ceci est perçu comme une projection inutile et injustifiée. Le rêve n’implique pas
nécessairement un rêveur. Un texte bouddhiste dit qu’aucun auteur n’accomplit
l’action et il y a une parole taoïste qui décrit le Tao comme ‘’la toile qui n’a pas de
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Maître à tisser’’. C’est la clé, en réalité. L’idée qu’il y a une observation, mais sans
aucune entité d’aucune sorte pour être un Témoin est incompréhensible pour nos
esprits, tels qu’ils ont été éduqués. Cela ne signifie pourtant pas que cette
compréhension est impossible. Si ce saut quantique s’opère et s’il est compris au
niveau le plus profond possible qu’il n’y a aucun individu qui fait, qui pense ou qui
expérimente quoi que ce soit, alors plus rien d’autre ne doit être compris, plus rien
d’autre ne doit être fait.
Il y a toujours la réalisation qu’il ne s’agit que de concepts, et pas la Vérité. Les
concepts n’ont aucune importance et les expériences ― même d’Eveil ― n’ont aucune
importance, parce que tous les concepts et toutes les expériences sont de la substance
du rêve. Tout ce qui compte, c’est la Compréhension. Comme l’a dit Nisargadatta : la
Compréhension est tout, parce que la Compréhension est le point unique où Ce-quiest (qui n’est pas le rêve) croise ce qui n’est pas (qui est le rêve.)
Le plus marrant, c’est que vous ne pouvez pas aller là-bas, à partir d’ici. A tout le
moins, ne me le demandez pas. J’ai été pris de court, par surprise et au dépourvu,
détourné et embarqué de force dans la jungle et même alors, je n’ai pas été conduit
‘’là-bas’’, mais amené ‘’ici’’, où ‘’J’’ ‘ai toujours été. Il n’y a pas de ‘’là-bas’’. Il n’y a
qu’ici. Wei Wu Wei écrit qu’il n’y a aucune ‘’voie’’ à suivre, parce que toutes les voies
vont d’ici à là et donc, elles éloignent de tout ce qui est, du seul endroit où il faut être,
de chez soi. Il n’y a aucune voie qui va d’ici à ici. C’est la raison pour laquelle aucune
pratique, aucune étude, aucune dévotion, aucun apprentissage, aucun travail, ni quoi
que ce soit que ‘’vous’’ puissiez ‘’faire’’ sur une ‘’voie’’ ne ‘’vous’’ mènera jamais
‘’là’’. Vous êtes déjà ici !
Dans l’advaita traditionnel, le jnana yoga suit les questions ‘’Qui suis-je ?’’ (ou peutêtre ‘’Qui ne suis-je pas ?’’), ‘’Qui expérimente ?’’, ‘’Qui est le rêveur ?’’…Et plutôt
que de se les poser rhétoriquement, il les poursuit, comme un mantra, avec insistance
et persévérance jusqu’où elles mènent. Beaucoup de maîtres affirment que ce sont
précisément les questions qui peuvent vous conduire là, si elles sont constamment
suivies. C’est possible. Mais ne me le demandez pas.
Dans mon cas, il y a une simplicité pure, limpide et profonde par rapport à tout ceci.
Au cours du satsang, sur la ‘’voie’’ du jnana yoga, l’idée, c’est de vous poser
incessamment des questions et de pousser votre esprit dans un genre de coin où il
sera finalement contraint de se dépasser lui-même. J’ai essayé cela, lorsque
j’apprenais comment penser à ce qui s’était passé dans la jungle et j’ai tenté de
prendre cela au sérieux, mais depuis cette perspective, c’est un non-sens. Il n’y
aucune question à laquelle il n’est pas tout de suite répondu par la réalisation que
cette question et que toutes les questions sont des pensées creuses. Il n’y a pas
d’individu qui comprend ceci ou qui demande cela. La vie paraît survenir : des
pensées, des sentiments, des actions et des expériences. Il n’y a aucun individu qui
fait, qui pense ou qui expérimente quoi que ce soit. Une fois que ceci est vu, les
questions ne tiennent simplement plus.
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Tout ce qu’il y a, c’est la Présence. Et Je suis Cela.
Vous pouvez être accaparé par ceci toute votre vie durant : une voie, pas de voie ; des
questions, pas de questions ; l’Illumination, pas d’Illumination, et cela ne sera
toujours rien, un non-sens. Tout ce qu’il y a maintenant, c’est que la vie, le rêve,
l’illusion continue tant qu’'il, elle continue. Pour l’amusement, l’appréciation et la
gratitude. Etre dans l’ouverture, Sat-Chit-Ananda par rapport à l’Amour, à la
Compassion, à la Gratitude qui affluent. Extravaguer avec le Dr Bronner et avec
Rumi. Savoir profondément que la Totalité est, simplement, et que le ‘’Je’’ qui sait
cela n’est pas le ‘’moi’’ qui n’est pas, qu’Il est la Totalité.
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CHAPITRE 13 : LA DÉLIVRANCE
‘’Celui qui découvre le vrai sens de ces paroles ne mourra jamais :
Que le chercheur ne cesse pas de chercher jusqu’à ce qu’il trouve,
Et quand il aura trouvé, il sera fortement troublé,
Et par la suite, étonné,
Puis il régnera sur la Totalité.’’
-
Jésus de Nazareth (Evangile de Thomas)
Il est terriblement difficile de décrire ou d’expliquer cette non-chosité, c’est pourquoi
on la qualifie d’ineffable, après tout. Fondamentalement, la Vision est là ou non, le
voile est tombé ou non. Simplement être un mystique, un yogi ou un shaman ne
signifie bien sûr pas grand-chose : d’autres rôles imaginaires pour d’autres
personnages imaginaires. Aussi longtemps qu’il y a quelqu’un ici pour comprendre,
il n’y a pas de compréhension. Aussi longtemps qu’il y a quelqu’un ici pour
s’éveiller, il n’y a pas d’Eveil. Le message des sutras et des shamans est le même : la
personne qui comprend est celle qui meurt avant de mourir, qui ne laisse pas de
traces, qui ne suit aucune voie, parce qu’elle sait qu’en tant que personne ou qu’en
tant qu’entité, elle n’est pas. Mais qui peut faire cela ? Quel moi peut cesser d’être ?
Aucun, comme dirait Wei Wu Wei, vu qu’il n’y en a aucun. Cela peut seulement
survenir. Alors, il n’y a personne pour savoir, mais seulement la connaissance, et tout
ce monde est comme dans un rêve ou une vision. Il n’y a plus qu’une Splendeur qui
transcende la lumière, un Amour qui dépasse l’amour, une Connaissance claire, une
pure Beauté qui se répand par l’entremise de ces formes transparentes et il n’y a plus
personne ici.
Après la jungle, l’expérience de la vie possède une qualité très étrange et très belle.
Dans un sens, je puis seulement décrire toute chose, toute expérience, comme
recelant un certain vide, dans le sens où tout ce qui semblait avoir de l’importance,
être vital et important est maintenant vu comme irréel, vide et sans importance,
comme une illusion. Une fois qu’il est perçu que la splendeur incomparable de SatChit-Ananda est tout ce qui est, le rêve continue comme un genre d’ombre.
Cependant, en même temps que tout ce qui apparaît dans le rêve est expérimenté
comme vide, c’est aussi vu comme beaucoup plus profondément beau et parfait que
jamais imaginé, précisément parce que ce n’est pas autre que Sat-Chit-Ananda, que
tout ce qui est. Tout ce qui n’a pas d’importance, qui est de l’illusion vide est
simultanément la Splendeur incomparable, la Beauté parfaite. Quelque part, il y a un
équilibre : ces deux aspects qui sont apparemment opposés ne s’annulent pas, mais
ils se complètent. Cela n’a pas de ‘’sens’’, mais c’est ainsi.
Dans l’advaita, il y a une tradition qui dit que maya, la manifestation de l’univers
physique est superposée à Sat-Chit-Ananda. Je ne suis pas un expert en ces choses-là
et je puis juste tenter de décrire ce qui est vu ici et la Compréhension ici est qu’il n’est
pas question qu’une chose soit superposée à une autre. Maya, la manifestation,
l’univers physique est précisément Sat-Chit-Ananda, n’est pas autre que Sat-Chit61
Ananda. Elle n’existe pas toute seule comme quelque chose de séparé, superposée à
autre chose. C’est le point essentiel ! Il n’y a pas de maya ! La seule raison pour
laquelle elle paraît avoir sa propre réalité et pour laquelle elle est couramment prise
comme étant réelle en elle-même, c’est à cause d’une perception erronée, fausse qui
voit l’apparence et pas ce qui est. C’est le sens du commentaire de Houang-po
suivant lequel ‘’aucune distinction ne devrait être faite entre l’Absolu et le monde
sensible’’. Aucune distinction ! Il n’y a que l’Un. Dans n’importe quel sens, il n’y a
jamais deux. Toute perception de distinction et de séparation, toute perception
duelle, toute perception de ce qui est connu comme étant la réalité physique est une
illusion créée par le mental. Quand un maître indique le monde physique et dit
‘’Tout ceci est maya !’’, ce qui est dit est que ce que vous voyez est une illusion. Ce que
tout ceci est, c’est la Totalité, une effluence du pur Sat-Chit-Ananda. C’est votre
perception de cela comme un monde physique qui constitue maya, l’illusion.
Bien sûr, en vérité, il n’y a aucun portail qui s’ouvre sur la Totalité et aucune voie n’y
mène. Il ne peut y avoir qu’un changement de perception pour voir Maya, l’irréelle,
comme irréelle. Néanmoins, pour ce personnage du rêve, la Compréhension est
survenue dans le contexte de la spiritualité autochtone et donc, ce que l’on connaît
dans le rêve comme le chamanisme s’avère être, dans ce cas-ci, ce qui a été la voie
sans chemin vers le portail sans porte qui s’est ouvert pour révéler ce qui n’avait
jamais été caché et jamais ‘’de l’autre côté’’ ! A l’instar de toute autre forme de
religion ou de toute pratique spirituelle sur la planète, le chamanisme est surtout une
aberration, quelque chose à faire pour les personnages du rêve pour tenter d’en
trouver le sens et de se réconforter, tant que dure le rêve. Toutes les tentatives et les
oripeaux de la pratique shamanique volèrent en éclat et se désintégrèrent dans la
lumière de la Présence, de la Totalité.
Cependant, il y en a quelques-uns, même dans le chamanisme, qui savent aussi et qui
ont vu que ceci n’est qu’un rêve, que rien n’a de l’importance, que tout ce qu’il y a,
c’est la Conscience, qu’ils ne sont pas. Et qui continuent de suivre le mouvement
pour les autres ou peut-être qu’avec le passage du temps dans le rêve, le font-ils de
moins en moins, jusqu’à plus du tout et qu’on les considère comme des insensés ou
des fous. Qui s’en soucie ? Car alors qu’il est su sans l’ombre d’un doute, qu’en tant
que personne, qu’en tant qu’individu, qu’en tant qu’entité, qu’en tant que ‘’David’’ et
même qu’en tant qu’âme, je ne suis pas, je n’existe pas, pas plus qu’un autre, il est
cependant tout aussi clair et évident qu’en tant que Totalité, Je suis.
La Vision qui s’est produite dans la jungle s’auto-validait et s’auto-valide d’ellemême dans le sens où elle est absolue et ne requiert aucune confirmation. Tout est vu
dans sa lumière. Elle relativise tout et elle-même n’est relativisée par rien.
Néanmoins dans le rêve, le personnage du rêve continue de fonctionner en tant que
tel et ce personnage du rêve, cet instrument, corps-esprit, sera touché par
l’occurrence de la Compréhension.
Il appert que dans la plupart des cas, la Compréhension survient au bout d’une
période de recherche et après être arrivé à une compréhension intellectuelle des
62
enseignements de la sagesse éternelle et que dans ce cas, il y aurait
vraisemblablement au moins une certaine reconnaissance, quand cela se produit,
mais dans mon cas précis, il n’y eut que très peu de préparation, si tant est qu’il y en
eut une, en termes d’exposition aux principes de base. D’une certaine façon, ce fut
une belle grâce et une bénédiction profonde, puisque je me suis aperçu que la
compréhension intellectuelle des concepts en cause peut elle-même constituer un
blocage énorme pour pas mal de chercheurs spirituels et par rapport à cela, j’ai été
épargné, la Compréhension survenant naturellement, spontanément et
innocemment.
Mais dans un autre sens, l’impact en fut accru et sans aucune préparation, le corpsesprit fut projeté dans une sorte de chaos. Pour cette raison, je trouve le récit de
Suzanne Segal assez poignant, avec son appréciation profonde de ce qu’elle a
traversé. Même si dans un certain sens, elle avait eu plus de préparation que dans
mon cas, puisqu’elle s’était formée à la Méditation Transcendantale avec Maharishi
Mahesh Yogi, il semblerait néanmoins que ceci ne lui ait pas apporté tous les
paramètres requis pour comprendre l’Eveil, lorsque celui-ci s’est produit. Peut-être
même que plus significativement, elle ne reçut aucun soutien efficace après son
occurrence et passa les douze années qui suivirent avec des psychothérapeutes
engagés dans ‘’un effort total pour catégoriser comme pathologique la vacuité d’un
moi personnel dans un effort pour s’en défaire’’.
Dans mon cas, le contexte shamanique ne pouvait fournir lui-même un système
adéquat d’idées et d’expériences dans lequel fonder, comprendre et exprimer ce qui
s’était passé. Je savais qu’il n’y avait ici plus personne, qu’il n’y avait plus et qu’il n’y
avait jamais eu de ‘’David’’, que ce que j’avais toujours pensé comme étant moimême était une fiction. Je savais également que la Présence éclatante était tout, la
Totalité. C’était merveilleux et parfait, mais simultanément, cela produisait ce que
j’appelai alors une sévère ‘’déconnexion’’ ― un sentiment de discontinuité par
rapport à tout sentiment d’un passé personnel, à une histoire, à des convictions ou à
des buts, mais aussi une déconnexion totale par rapport à ce qui apparemment était
l’expérience de chaque autre être sur la planète, pour autant que je sache. Dans notre
contexte social et culturel, la possibilité qu’un genre de rupture dissociative
psychotique se soit produite et que David Machin Chose ait totalement perdu la
boule paraissait être une explication très plausible.
Et donc, de nouveau, ce qui suivit fut une Grâce miraculeuse, imméritée. A la suite
de la manière non conventionnelle via laquelle la Compréhension s’était produite
dans ce cas précis ― il n’y avait pas eu la découverte de la relation avec un guru
suivant le mode traditionnel ― et cependant, il y a quelque chose qui est peut-être
semblable dans le déploiement ou dans le déroulement de ceci : simplement être,
reposer dans cette Splendeur, permettre à cette Grâce immense de prendre effet par
un éclaircissement, une ouverture dans cette Paix qui dépasse toute compréhension.
Presque tous ceux dont j’ai entendu parler et chez qui cette chose indicible semble
avoir été authentique paraissent être passés par une longue période de gestation,
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qu’il s’agisse de Robert Adams, Tony Parsons, Suzanne Segal, Douglas Harding et
d’autres, même Ramana Maharshi. Soit dix, douze ou vingt ans avant d’effectuer leur
‘’coming out’’ ! Dans la tradition du zen, quand un étudiant moine atteint l’Eveil, il
reste encore dans le rôle d’un étudiant pour dix années de ‘’stabilisation’’
supplémentaires. Même Houei-neng, le sixième patriarche du zen alla se cacher dans
les montagnes pendant quinze ans, après que l’Eveil se soit produit.
Ce qui a parfaitement son sens. Jed McKenna appelle cela ‘’dix années fichtrement
singulières !’’, et je dois être d’accord. Il faut simplement du temps – un certain temps
– pour que l’organisme corps-esprit s’adapte. Tout ce que les gens pensent être
important et qui paraît sensé est vu comme tout à fait absurde et dépourvu de sens et
ce que les gens ne voient même pas est parfait, merveilleux, complet et ne nécessite
aucune parole. Il y a une inclination vers le silence et la solitude qui est encore plus
grande qu’auparavant, bien qu’il n’y ait clairement pas une telle chose.
Houei-neng dit qu’alors que la Compréhension est soudaine, ce qu’il appelle la
‘’délivrance’’ est progressive. Effectivement. Pour autant que je puisse le décrire, le
corps-esprit est impacté par l’occurrence de la Compréhension, ce qui peut nécessiter
un ajustement. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans certains cas, il est
possible que la transition soit plus harmonieuse : si par exemple, vous vivez dans
une culture et à une époque où vous êtes immergé dans les éléments fondamentaux
de l’enseignement pendant toute votre vie, la période d’ajustement de l’organisme
corps-esprit pourrait être très modérée.
Dans mon cas, ce fut clairement différent, presque totalement l’inverse. Après avoir
expérimenté la vie comme presque insupportablement confondante et pénible, lutté
contre elle et tout ce qu’elle apportait, des modèles, des modes de pensée et des
habitudes très différentes se fixèrent dans le conditionnement. Il n’y avait pas
l’arrière-plan de l’enseignement sur lequel retomber, ni auquel se référer. Et il n’y
avait aucune communauté, ni d’autres ressources pour un soutien immédiat après
l’événement.
Dans le bouddhisme existe la tradition de quelque chose que l’on appelle ‘’pratyeka
bodhi’’, la réalisation solitaire. Celle-ci fait référence à l’Eveil, quand il survient en
dehors de la transmission habituelle de l’enseignement de maître à disciple et sans
l’arrière-plan, la préparation et le soutien habituels. Dans pareil cas, la voie qui mène
à la délivrance pourrait être encore plus ‘’fichtrement singulière’’ qu’autrement.
Peut-être Ramesh songeait-il à quelque chose dans le genre, quand il m’a dit :
‘’Il peut y avoir différents types d’Eveil, certes. L’expérience que vous avez vécue fut
‘’qu’il n’y avait plus personne ici’’, comme vous dites, qu’il n’y a réellement pas de
‘’David’’. Et c’est réellement le cas, lorsqu’il n’y a plus aucune identification. Et cela
s’étant produit dans votre cas, vous aviez un problème pour vivre votre vie…Par
conséquent, le vôtre est un cas unique...’’
Quand je suis tombé sur le commentaire de Jésus au début de l’Evangile de Thomas,
c’était la première fois que j’avais trouvé un maître disant qu’après avoir ‘’trouvé’’
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l’Eveil, on peut être fortement perturbé, grandement troublé. En fonction du
conditionnement du corps-esprit, il se peut que cela ne soit pas toujours le cas, mais
c’était le cas ici. Cette période perturbante constitue elle-même la ‘’délivrance’’,
réarrangement de la modélisation et du conditionnement de la vie du corps-esprit à
la lumière du nouveau conditionnement fourni par la Compréhension. Et sous-jacent
à tout cela, il y a l’éblouissement constant et total de la Conscience, en tant que
Totalité qui ne meurt jamais.
Mais tout ceci a à voir avec la façon dont l’organisme corps-esprit répond et s’ajuste
aux différentes manières dont la Compréhension survient. Il a toujours été
parfaitement clair que la Compréhension elle-même est absolument simple, totale,
globale. Ceux qui soutiennent qu’il y a un Eveil graduel ou par stades ou par degrés
ou même un processus d’approfondissement de l’Eveil me semblent louper quelque
chose de véritablement essentiel et intégral à la Compréhension elle-même : ce n’est
pas quelque chose qui relève de l’espace-temps. Cela ne peut pas prendre du temps,
ni de l’espace. Ce n’est pas une expérience. Ce n’est pas un processus. C’est
transcender l’espace-temps via la perception intuitive cruciale que tout le temps,
l’espace, les choses et les entités, y compris celle en qui la perception intuitive se
produit, ne sont pas. Comment ceci peut-il être autrement qu’instantané, immédiat ?
Cela ne peut pas être partiel. C’est l’un ou l’autre.
Et tout ceci n’est qu’apparent. Il est bien vu qu’il n’y a rien ici, que les mots, les idées
et les pensées sont tous insignifiants, ‘’un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de
fureur, qui ne signifie rien’’.9 Ce qui est, c’est la grande Beauté, le grand Amour, le
grand Silence qui sont réellement tout. Et c’est intraduisible, incommunicable,
indicible.
9
William Shakespeare, Macbeth
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CHAPITRE 14 : DÉ(B)LAYAGE
‘’Il y avait une porte pour laquelle je ne trouvai pas de clé.
Il y avait un voile au-delà duquel je ne pouvais pas voir.
Un peu de bavardage me concernant et Te concernant, semble-t-il.
Et puis, plus de Toi, ni de moi.’’
-
Omar Khayyam
‘’Tout est la même putain de chose, mec !’’
-
Janis Joplin
Qui suis-je ? La question immémoriale. Certainement pas ce corps : des molécules
physiques, des atomes et des particules temporaires, changeants qui, d’après les
physiciens eux-mêmes n’existent pas comme tels, au bout du compte. Certainement
pas ce mental, ces pensées qui viennent de je ne sais où et que je ne peux pas
contrôler. Finalement, cela revient à ceci : la seule chose dont nous pouvons être sûrs,
c’est la Conscience profonde à l’intérieur, derrière et au-delà de la personnalité, avant
toutes les variations de qui ou de ce que j’ai pensé être ― le sentiment, la
connaissance, ‘’Je suis’’. Le Soi irréductible perçu intuitivement, la Force de vie qui
existe et qui sait qu’Elle existe. C’est tout, l’unique constante. Tout le reste est une
construction, une fabrication.
En dessous de toutes les couches, chacun de nous a cette même expérience de
l’existence du ’’Je suis’’. La même expérience du Soi. Inexplicablement, cette
expérience commune est attribuée à des sois multiples, chacun ayant exactement la
même expérience du Soi. Ce Soi impersonnel est considéré comme étant personnel,
un soi ‘’individuel’’ qui habite chaque corps-esprit individuel. Après tout, c’est ce qui
semble apparent, mais on ne doit pas creuser bien loin avant que ceci ne paraisse
insensé. L’idée qu’il y a des sois individuels séparés n’est possible que parce que
dans chaque soi individuel apparent, il y a l’expérience du Soi. Cette expérience a été
mal interprétée comme une expérience personnelle qui émane d’un corps-esprit
personnel. La Force de Vie, le Soi qui anime un corps et un esprit est considéré(e)
comme étant différent(e) de celle/celui qui anime une autre, parce que l’expression
de ce Soi est différente dans chacun. Nous nous focalisons sur l’expression
inconstante et variable et nous manquons la constante sous-jacente.
La constante, c’est qu’il n’y a que l’Un. Il n’y a qu’un seul Soi, une seule Conscience
qui trouve à s’exprimer dans les multiples corps-esprits apparents. Ma connaissance
du ‘’Je suis’’, c’est le même Soi qui connaît votre connaissance du ‘’Je suis’’. La Réalité
est ce qui est sous-jacent aux apparences : le Soi, le ‘’Je suis’’, la Conscience, l’Absolu.
Ce que nous appelons des individus ne sont que constructions apparentes, relatives.
En fait, tout ce qu’on appelle la ‘’réalité’’ physique et mentale n’est qu’apparence,
relativité. C’est pourquoi, en vérité, rien ne se passe ici, malgré ce qui paraît. Malgré
les apparences, rien dans la ‘’réalité’’ physique manifestée n’est réel, rien ne se passe,
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et ‘’David’’, comme tout le reste, est un concept, une idée, une bulle de pensée qui
n’existe pas dans l’absolu.
Aussi la vie se passe-t-elle avec beaucoup plus de neutralité. Nul besoin de s’efforcer,
de lutter, ni de devenir : ‘’nous’’ sommes tous déjà l’Un, le Soi, la Conscience. Ce qui
paraît se passer ici dans la ‘’réalité’’ apparente n’est pas réel et n’a aucun effet sur qui
Je suis, le Soi, la Conscience. La vague s’élève hors de l’océan pour un temps, d’après
l’analogie, mais sans jamais différer de l’océan et elle retourne à l’océan et la nature
de l’océan demeure inchangée. Il ne s’est rien passé. Les expériences sont sans
importance : en fait, rien n’a plus d’importance qu’autre chose, puisque rien ne se
passe ici. Et si cela n’a aucune importance, l’attachement aux résultats retombe
graduellement.
Et quand je regarde les ‘’autres’’, il y a une intimité choquante et nue : je vois le
même Soi que Je suis qui s’exprime sous une apparence différente.
Nisargadatta ne cessait de répéter à ses auditeurs : ‘’Faites marche arrière !
Retournez !’’ Quel que soit le niveau où vous êtes, le lieu que vous pensez
expérimenter, prenez du recul par rapport à cela, trouvez le lieu ou le niveau
antérieur. Une orientation similaire est contenue dans l’injonction de Jed McKenna d’
‘’Allez plus loin !’’ Peu importe où vous êtes et d’où vous venez, aussi longtemps que
‘’vous’’ existez, il y a un niveau sous-jacent, antérieur, au-delà, et c’est là où vous
voulez être. Tout le reste n’est que matière à rêve(s), des couches de masque. Faites
marche arrière, retournez au ‘’Je suis’’ antérieur à tout. Rumi :
‘’Parfois, vous entendez une voix à travers la porte qui vous appelle,
Comme un poisson sorti de l’eau entend l’onde qui lui dit de revenir.
Ce retour(nement) vers ce que vous aimez profondément,
C’est ce qui vous sauve.’’
Pendant tout un temps après l’occurrence, après la jungle, il y eut la conscience aiguë
d’une transition, d’une Compréhension qui s’était produite comme un saut
quantique, avec le sentiment que cet esprit et que ce corps devaient encore la
rattraper. Il paraissait y avoir le poids et la dynamique, non seulement de la vie et de
l’histoire de ce corps-esprit, mais aussi de celui d’une culture et d’une race croyant
que les choses sont autres que ce qui était maintenant vu à la lumière de la
Compréhension. Dans la vie quotidienne, l’esprit ou le corps répondait par une
pensée ou une action par laquelle il avait coutume de répondre. En fait, c’était plutôt
drôle et cela m’a diverti pendant tout ce temps-là, car il n’y avait plus ni ‘’contenu’’,
ni émotion, ni conviction à l’appui ou en renfort, qui avaient été là auparavant et qui
initialement avaient donné naissance à ces pensées et à ces actions. Elles étaient
‘’vides’’.
Je tombai quelque part sur cette analogie du ventilateur électrique qui continue
encore à tourner pendant un moment, après que la prise ait été enlevée. Sans leur
support primitif, il semblerait que ces pensées et que ces actions habituelles
déclineraient ou qu’elles disparaîtraient, ce qui s’est avéré exact dans une certaine
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mesure. Une bonne partie de cette dynamique s’est épuisée. Par ailleurs, et c’est assez
amusant, David Machin Chose continue de se comporter plus ou moins comme
David. L’organisme répondra comme il répond, selon sa programmation et son
conditionnement. Cela n’a aucune importance.
Après que la Réalisation se soit produite, il pourrait sembler de l’extérieur que rien
n’a changé, et il apparaît de l’intérieur que rien n’est le même. C’est aussi une
approximation et ce n’est pas exact, mais c’est l’idée générale. C’est le sens de la
parole zen ‘’Avant l’Eveil, couper du bois, transporter de l’eau ; après l’Eveil, couper
du bois, transporter de l’eau.’’ Couper du bois et transporter de l’eau étaient les
occupations quotidiennes normales, élémentaires et nécessaires dans la société
agraire simple où cette parole trouve son origine. L’idée, c’est simplement que les
choses paraissent continuer pratiquement comme avant. La vie continue.
Intérieurement, il y a la Compréhension de Ce-qui-est, alors qu’auparavant, il y avait
un état imaginaire, mais extérieurement, l’organisme continue ses routines fixes.
Pourquoi pas ?
Il se peut qu’il y ait quelques changements dans le train-train de l’organisme que des
proches pourraient constater : une plus grande attirance pour le silence et pour la
solitude, peut-être, et un peu moins d’intérêt pour les activités et pour les
conversations. En fonction de la culture qui prévaut ou qui prédomine, l’impression
générale peut être que celui qui est ainsi touché est juste un peu plus étrange ou
bizarre, mais le fonctionnement naturel de l’organisme continue à peu près dans la
même veine qu’auparavant.
Je sais que ce corps est inanimé, qu’il ne s’agit pas d’un individu, que ce n’est qu’une
apparence qui est animée par le Soi, par l’Un, par la Conscience. Il ne possède aucune
vie, de lui-même. Il est plutôt vécu. Il y a une conscience aiguë que cet organisme
corps-esprit est vécu, plutôt qu’ayant une vie autonome. Ce que j’appelais autrefois
‘’mon esprit’’ est un flux de pensées, pensées qui n’émanent pas d’un ‘’moi’’, mais de
la Conscience unique. Il n’y a pas d’individu, pas de David. Tout ce qui semble
apparaître ici, y compris les pensées et les actions qui proviennent de cet esprit et de
ce corps, proviennent spontanément de la Conscience, en dépit de ‘’mes’’
délibérations apparentes.
Puisqu’il est évident qu’il n’y a personne ici qui contrôle ‘’mes’’ pensées, ni le cours
des événements dans cette ‘’réalité’’ apparente, les concepts de culpabilité, de fierté,
de responsabilité et d’obligation deviennent tous caduques. Naturellement, nos
sociétés trouveraient difficile d’exister et de fonctionner sans favoriser la croyance en
ces concepts pour contrôler les individus et les populations, mais aucun de ces
concepts n’existe dans le ‘’Ce-qui-est’’ de la Conscience. Tout jaillit spontanément
dans la Conscience. Il n’y a besoin que rien n’arrive ou pas. Il n’y a pas d’objectif, de
but, ni de pourquoi.
Les questions ‘’pourquoi ?’’ sont essentiellement sans réponse. La plupart des gens
parcourent la vie en demandant tout le temps ‘’pourquoi ?’’, et sans le réaliser, en
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acceptant des réponses qui ne sont pas des réponses à cette question. Si nous
demandons pourquoi le ciel est bleu, la réponse – que celle-ci soit scientifique,
mythique ou poétique – ne dit pas pourquoi le ciel est bleu, mais plutôt comment il se
fait que le ciel est bleu. Si nous demandons pourquoi nous nous sentons déprimés ou
heureux, la réponse pourra être une explication par rapport à comment il se fait que
nous nous sentions ainsi, mais la question demeure soulevée. Nous brodons autour
du ‘’pourquoi ?’’, en donnant des raisons par rapport au comment il se fait que
quelque chose est ainsi et sans réaliser qu’il n’est pas répondu ‘’pourquoi ?’’. Il n’y a
pas de réponse, pas de ‘’pourquoi ?’’. Tout jaillit spontanément dans la Conscience.
Demander tout le temps ‘’pourquoi ?’’ n'est que la tentative de l’esprit pour
contrôler.
Il est intéressant de noter que chez un jeune enfant, le fait de demander tout le temps
‘’pourquoi ?’’ survient plus ou moins en même temps et au même âge que le
sentiment naissant de la séparation en tant que moi individuel. L’esprit pense : si
seulement je pouvais saisir la raison ‘’pourquoi ?’’ tout ceci arrive, je pourrais le
contrôler et régler tout cela. Et donc, l’esprit se contente de non-réponses et il
préserve son illusion de contrôle, plutôt que de reconnaître qu’il n’y a pas de réponse
et d’admettre qu’il n’a aucun contrôle. Il n’y a ni finalité, ni but, ni sens. Par
conséquent, aucune importance. Par conséquent, aucun investissement. Rien ne doit
être différent.
Pour quelqu’un qui a été éduqué avec des convictions religieuses, il y a là un
changement fondamental. Même si ces convictions religieuses étaient depuis
longtemps comprises comme des échafaudages aveugles et mal conçus, il restait
toujours au fond le sentiment de l’Autre. Le ‘’Je et Tu’’ de Martin Buber, le sentiment
numineux du ‘’Sacré’’ de Rudolph Otto. Même si la croyance en un Dieu, comme
Personne, s’était dissipée, néanmoins, cette idée de l’Autre avait été conservée. Un
Autre sur lequel diriger le sentiment humain d’émerveillement. Quelqu’Un envers
qui ressentir de la gratitude. La Source. L’Esprit.
La tendance, sans en être conscient, quand on entend parler de ceci à un niveau
intellectuel, c’est de faire de la ‘’Présence’’ ou de la ‘’Conscience’’ cet Autre, cet
Esprit, de simplement changer le nom. Vous pouvez entendre beaucoup de
personnes qui parlent de la Conscience, exactement comme elles parlaient de Dieu
ou de l’Esprit. Dans l’Absolu, il n’y a pas d’Autre, puisqu’il n’y a pas d’individu. Il
n’y a pas de ‘’Tu’’, puisqu’il n’y a pas de ‘’je’’. Il n’y a pas d’Esprit, puisqu’il n’y a
rien qui ne soit pas l’Esprit. La division du dualisme n’existe pas : Il n‘y a que l’Un et
je ne suis pas autre chose que cet Un.
Piégé dans le monde des concepts et de la dualité, l’esprit perd pied et cesse enfin de
tourner.
La pensée vient : ‘’Il n’y a rien à penser.’’
Puis l’immobilité et la Conscience.
69
ÈME
3
PARTIE
PLUS INTIME QUE N’IMPORTE QUELLE IMAGINATION :
‘’JE’’ NE SUIS PAS PRÉSENT ;
CE QU’EST LA PRÉSENCE,
JE SUIS
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CHAPITRE 15 : NI GURU, NI MÉTHODE, NI
MAÎTRE
‘’Pas de maîtres, seulement Vous.
Le maître, c’est Vous !
Merveilleux, non ?’’
-
Ikkyu
‘’Si vous ne suivez pas quelqu’un, vous vous sentez très seul.
Soyez seul, alors.’’
-
J. Krishnamurti
Il est devenu évident que rien de ceci n’est ce qu’il paraissait autrefois. Nous sommes
tous des phénomènes imaginaires dans un Rêve.
La Source, l’Esprit, Dieu, la Déesse, les dieux…
Mon ‘’vrai Soi’’, mon ‘’Soi supérieur’’…
Les devas, les anges, les esprits-guides, les forces du bien et du mal…
Le guru, le Sadguru, le maître, le précepteur…
Sont tous des concepts, des idées humaines, des constructions mentales et comme
tels, des phénomènes imaginaires qui sont présents avec nous dans le Rêve.
Il n’y a pas de ‘’Dieu’’ distinctif,
Tout comme il n’y a pas de ‘’nous’’ distinctifs.
Ce sont toutes des projections.
Ce qu’il y a, c’est Cela.
Tout ce qui est.
Cela n’est pas juste un autre nom pour Dieu.
Cela n’est pas un Etre appelé ‘’Dieu’’ ou la ‘’Source’’ ou quoi que ce soit d’autre à
l’extérieur et autre que Ce-qui-Est.
Dans toute la réalité, il n’y a pas deux.
Il y a seulement tout ce qui est.
Cela.
Vous, qui vous êtes réellement, quand vous dites ‘’je suis’’,
Et moi, qui je suis réellement quand je dis ‘’je suis’’,
Nous sommes le même ‘’Je suis’’,
Tout ce qui est.
‘’Vous’’, ‘’moi’’, ‘’nous’’ – les individus apparents –
Nous sommes des personnages imaginaires du Rêve
Que le ‘’Je’’, la Totalité rêve.
Il n’y a pas de ‘’nous’’, de ‘’moi’’, de ‘’vous’’.
71
Même le Rêve est à l’intérieur de la Totalité.
C’est Ce que vous êtes réellement,
Et pas le ‘’vous’’ que vous pensez être.
Dans ce que j’ai commencé à lire après la jungle et parmi les gens que j’ai rencontrés,
une grande importance était accordée à ce que l’on appelle l’Eveil ou l’Illumination.
Même si j’ai utilisé le mot ‘’s’éveiller’’ pour exprimer l’instant du changement de
perception survenu dans la jungle, il semble parfois qu’il s’agit d’un terme impropre
et que ce terme, dans ce contexte, ait très peu de sens.
Dans un certain sens, il n’y a pas ‘’d’Eveil’’, pas ‘’d’Illumination’’, puisqu’il n’y a
‘’personne’’ qui s’éveille. Qui serait-ce, donc ? Qui est éveillé ?
‘’Moi’’, ‘’David’’ ? Bien sûr que non : David est un personnage imaginaire, une idée,
une fiction, pas le Rêveur, et donc, il ne peut clairement pas s’éveiller. Il n’y a pas de
‘’David’’ qui fasse quoi que ce soit, y compris s’éveiller.
Ou bien est-ce ‘’Qui Je suis réellement’’ qui s’est ‘’éveillé’’ : la Présence, la
Conscience, la Totalité ?
Mais bien entendu, la Conscience n’a jamais été endormie ! Elle n’a aucun besoin de
s’éveiller à quoi que ce soit. La Conscience est déjà tout ce qui est !
Ainsi, il n’y a clairement personne qui doit s’éveiller. L’ ‘’Eveil’’ n’est qu’une
analogie, un concept, une indication. La communauté des chercheurs a tendance à
prendre cela au pied de la lettre, mais comme la plupart des analogies, elle ne vous
accompagne que jusqu’à un certain point.
Ce qui s’est passé ressemble plutôt à ceci : dans le Rêve, dans le cas du personnage
imaginaire appelé ‘’David’’, la Totalité cesse de prétendre qu’Elle est endormie. Ce
qui a toujours été éveillé permet à la méprise suivant laquelle ‘’quelqu’un’’ est
endormi et doit s’éveiller, de se dissiper.
C’est tout. Et le Rêve se poursuit, comme avant. La méprise s’est dissipée, mais la
méprise n’était pas réelle, de toute façon. Alors, qu’est-il arrivé ? Rien ! Le
personnage du Rêve, ‘’David’’, sait maintenant qu’il n’est qu’un rêve, pas ‘’réel’’, il
sait que tout cela est un Rêve. Mais même la ‘’connaissance’’ de ce personnage du
Rêve fait partie du Rêve, du déroulement du scénario du Rêve pour ce personnage
du Rêve, et rien n’est arrivé. Le personnage du Rêve continue d’être le personnage
du Rêve.
Pendant ce temps-là, certains personnages du Rêve avec lesquels j’avais été mis en
contact dans les mois qui ont suivi mon retour de la jungle font manifestement
carrière à partie de cet ‘’Eveil’’, de cette ‘’Illumination’’. J’en vins progressivement à
réaliser que j’étais tombé sur un phénomène extrêmement étrange dont je n’avais
aucunement conscience : une subculture complète de chercheurs d’Illumination
72
peuplée de toutes sortes de maîtres et d’enseignements qui vont du plus profond au
complètement aberrant. Cela n’est pas un problème, bien entendu. En fait, c’est
même merveilleux ! Cela fait partie du Rêve. Et à l’extrémité grotesque du spectre,
cela engendre pas mal d’idioties : certains personnages du Rêve qui professent
publiquement s’être ‘’éveillés à la Conscience divine’’ et qui peuvent à présent –
moyennant certains honoraires ou contre paiement – montrer à d’autres personnages
du Rêve comment eux aussi peuvent également s’éveiller ! Au mieux, c’est plus que
douteux et au pire, c’est du mercantilisme caractérisé. Avec toutes sortes
d’élucubrations par rapport au niveau d’Eveil qu’ils ont atteint ou par rapport au
niveau où personne n’est encore actuellement sur la planète, mais où ils seront
bientôt.
C’est juste une complexité artificielle, tarabiscotée et de l’arrogance insensée et
absurde. La Vérité possède une simplicité radicale et rayonnante qui réfute la
possibilité qu’on puisse la revendiquer. On peut revendiquer certaines expériences.
On peut revendiquer certaines connaissances. On peut revendiquer une autorité, une
lignée, une transmission, mais une fois que votre cœur et que votre cerveau sont
totalement ouverts et que ce qui reste de vous est découvert comme étant la Vérité
qui tient toute seule, toute idée de la revendiquer vous fera éclater ou pleurer de rire.
Il n’y a rien à revendiquer, ni à accomplir. Comme le maître zen du 8ème siècle, Hui
Hai le dit sans ambages :
‘’Si vous comprenez la signification de tout ceci, cela implique que vous savez qu’il
n’y a rien à accomplir. Celui qui suppose qu’il peut l’accomplir en s’emparant de
quelque chose ou en ayant la mainmise sur quelque chose est plein d’autosuffisance.
C’est quelqu’un d’arrogant aux vues perverties.’’
Mais bien entendu, si vous êtes un personnage imaginaire dont le rôle dans le Rêve
est de faire une carrière de l’Eveil, la simplicité ne marchera pas. Il vous faut une
organisation et développer un enseignement distinct(if). Il vous faut rassembler tout
un éventail de disciples et très publiquement œuvrer (avec une grande emphase)
pour essayer d’atteindre, vous et vos disciples de choix, ces nombreux niveaux
d’Illumination avancés. S’il y avait réellement la compréhension qu’il n’y a pas de
‘’vous’’ et que ‘’vous’’ ne faites rien, il n’y aurait pas de souci, puisqu’il y aurait la
connaissance que ces choses n’existent pas. Ce sont juste des constructions mentales
dans le Rêve. Mais alors, bien sûr, vous ne seriez pas en mesure de gagner du
prestige ou de l’importance, ni beaucoup d’argent en proposant des séminaires pour
persuader les gens que la matrice initiale de leur personnalité doit être modifiée.
L’argent est nécessaire pour vivre dans le monde moderne et il y a une tradition
honorable de donner de l’argent ou son équivalent pour soutenir les maîtres, les
moines, les ashrams et les monastères, mais il y a ici une limite claire car,
fondamentalement, l’argent et l’enseignement spirituel ne se mélangent pas. On tente
de justifier de faire payer des frais pour entendre l’enseignement en faisant appel à la
théorie de ‘’l’échange d’énergie’’ d’après laquelle chaque fois que vous recevez
73
quelque chose de précieux, vous devriez payer pour cela. Il ne faut pas beaucoup
réfléchir pour voir que c’est du grand n’importe quoi.
La théorie du juste échange est compréhensible par rapport aux choses du Rêve, mais
si on parle de Ce-qui-est, de ne voir aucune individualité, ni aucune séparation, de la
réalisation de ce que vous êtes toujours, alors tout le concept de quelqu’un qui fait
payer de l’argent à quelqu’un d’autre pour cela est parfaitement et manifestement
insensé. La Vérité est un don. Elle ne fait que passer à travers ‘’nous’’. Elle ne peut
pas être achetée, ni vendue.
Ce jeu d’argent pour la spiritualité, c’est du blanchiment ― largement pratiqué et
largement accepté, mais c’est le petit secret honteux de la communauté spirituelle.
Personne n’est réellement à l’aise avec cela, parce que chacun sait au fond de son
cœur que faire payer de l’argent pour accéder à l’enseignement spirituel, même
indirectement, est inauthentique et n’est pas fondamentalement cohérent avec
l’enseignement lui-même.
Même si on dit que l’argent sert à gérer l’ashram, financer l’organisation ou les
programmes de déplacement ou diffuser ce ‘’message d’une importance vitale’’ à
autant de monde que possible, même alors, cet argumentaire de vente est encore un
appel à l’ego, au désir de tout ego de faire partie de quelque chose de grand et
d’important.
Parler de ‘’don’’ par euphémisme, quand c’est mis en scène ou organisé d’une telle
manière que la culpabilité et la pression sociale rendent difficile de refuser est
malhonnête. Quand vous avez un ashram ou une église, vous devez faire circuler la
corbeille et donner des sermons en sollicitant des contributions, mais à chaque fois
que l’on introduit de l’argent dans le temple, vous courez le risque qu’un charpentier
incendiaire de la campagne ne vienne renverser vos tables.
Le jour où les vieux maîtres zen ou advaitins réalisèrent le Soi, ils retournèrent
couper du bois ou porter de l’eau et si quelqu’un voulait leur parler, ils leur parlaient
et puis, ils retournaient travailler. Où est-il écrit que les maîtres ne peuvent pas
travailler pour subvenir à leurs besoins et qu’ils doivent vivre aux crochets de leurs
disciples ? Qui dit qu’il doit y avoir une organisation ? Qui dit que les maîtres
doivent effectuer des dépenses énormes pour pouvoir voyager dans le monde entier,
donner des conférences, des séminaires ou des satsangs ? Quel ego, quel
individualisme y a-t-il derrière l’idée que le message d’un maître est tellement vital et
précieux qu’il doit être entendu non-stop dans le monde entier ? Les vieux maîtres
chan chinois tiraient leur nom du mont sur lequel ils vivaient et si vous vouliez
entendre l’enseignement, alors vous alliez trouver l’un d’eux ― ce qui avait tendance
à éliminer les ‘’mauvaises herbes’’ dilettantes et à limiter le champ à ceux qui étaient
prêts à donner leur vie pour pouvoir l’entendre.
Soyez tranquille.
74
Qui s’engage dans toute cette activité en se parant de cette importance, en croyant
l’hyper médiatisation suivant laquelle ce qui se produit possède une importance
particulière ? Qui pense qu’il est important que des foules de personnages
imaginaires s’éveillent et que c’est votre job de faire en sorte qu’il en soit ainsi ?
Qu’est-ce que c’est que cette connerie de croisade télévangélique advaitique ?
Derrière les plaisanteries New-Age, l’idée messianique d’être l’oint qui sauve le
monde est insidieuse. Arrêtez. L’enseignement est universel. Il y a de nombreux
maîtres qui sont déjà toujours là où ils ont besoin d’être. Dans la Compréhension, il
est su que le monde ne requiert aucun message particulier d’aucun maître
particulier. Qu’il est pris soin de tout. Le Rêve de la Conscience se déroule
parfaitement et les cultes de la personnalité qui entourent des maîtres spirituels
populaires bien financés font partie intégrante de son déroulement – mais pas dans le
sens où ils ou leurs fidèles pourraient le penser.
Il y a un nombre étonnant de ces choses qui se produisent ici dans le Rêve. Des
aveugles qui guident des aveugles. En observant tout cette absurdité et en réalisant
qu’ils la prennent au sérieux, je ne peux pas m’empêcher de rire, parce que bien sûr,
la question se pose : Qui ? Qui s’en soucie ? Qui pense que c’est important ? Qui
organise quoi ? Le seul qui s’en soucie, qui opère le suivi, qui donne de l’importance
à un rôle, c’est l’esprit pensant, c’est l’ego, c’est l’individu apparent qui pense qu’il
est là pour être éveillé ou pour transmettre un message, et l’incongruité entre ceci et
le sujet considéré est tellement énorme qu’elle constitue simplement un formidable
divertissement.
C’est aussi une grâce extraordinaire que les premiers enseignants de l’advaita que j’ai
rencontrés se sont avérés être de faux maîtres, des personnages qui croient être
éveillés, mais qui se sont égarés et qui restent piégés par l’ego et aussi par l’argent et
par le jeu du prestige spirituel. Une expérience curieuse et plutôt déconcertante à
l’époque, parce que d’une part, ils en connaissaient manifestement beaucoup plus
que moi, pour avoir étudié l’enseignement en profondeur depuis longtemps, mais
d’autre part, ils ignoraient tout de ce qu’ils prétendaient. Ils utilisent le nom de
Ramesh en prétendant que celui-ci est leur maître et en se revendiquant de sa
‘’lignée’’, mais il est instructif d’entendre ce que Ramesh a à dire à ce propos : ‘’Il
n’est pas surprenant que vous avez été un peu déconcerté pendant un moment’’, ditil en riant, ‘’vu qu’ils pensent encore que ce sont ‘’eux’’ qui agissent !’’
Mais je suis très reconnaissant par rapport à la manière dont cette expérience est
survenue, puisqu’elle a conduit à la vision claire de ce que la Compréhension n’est
pas. Un des aspects les plus frappants de l’expérience fut de pouvoir observer dans
quelle mesure des gens – et d’ardents chercheurs – veulent croire que ces instructeurs
sont authentiques, les suivre, obéir à ce qu’ils disent et se soumettre à leurs exigences,
même si c’est dommageable et abusif et si cela n’a rien à voir avec l’enseignement.
J’ai commencé à réaliser que la plupart des gens, la plupart des chercheurs n’ont
aucun moyen de savoir si un maître est authentique ou non.
75
Encore une fois, tout arrive dans le parfait déroulement du Rêve dans la Conscience
et il n’y a rien de ‘’mal’’ qui doit être corrigé. Si un chercheur désespéré qui sort tout
juste d’une expérience douloureuse avec un faux guru dirigé par son ego demande
pourquoi il y a ces faux maîtres, la seule réponse possible est : de manière à ce que
précisément ceci puisse être expérimenté. Ceci fait aussi partie intégrante du
fonctionnement global de la Totalité.
Même ainsi, la compassion m’émeut et j’ai de bonnes nouvelles pour les chercheurs
d’Illumination qui sont ici, car à un degré beaucoup plus grand que vous ne pourriez
ou ne voudriez le croire, ces empereurs (impératrices) sont nu(e)s.
Ainsi, si un ‘’maître’’ veut quelque chose de vous, s’il/elle exige quelque chose de
vous, s’il/elle vous sollicite pour quelque chose ― même si ceci est couché dans les
termes les plus spirituels pour promouvoir votre propre Eveil ― alors il est plus que
probable qu’il/elle n’est pas ‘’éveillé(e)’’ et que la Compréhension est absente.
S’il/elle demande de l’argent sous n’importe quelle forme, s’il/elle exige votre
loyauté, s’il/elle profite bien de votre adulation, s’il/elle suggère qu’avoir des
relations sexuelles avec lui/elle fait partie intégrante de la ‘’transmission’’ ou de l’
‘’initiation’’, s’il/elle désire de votre temps, vos services ou vos biens en échange de
ce que vous ‘’recevez’’, s’il/elle insiste pour que vous viviez d’une certaine manière
ou que vous accomplissiez certaines actions, s’il/elle veut quoi que ce soit de vous,
alors je vous certifie qu’il est hautement improbable qu’il/elle soit ce qu’il/elle dit
être, qu’il/elle possède ce que vous cherchez ou que l’Eveil se soit produit.
Comment peut-on affirmer cela aussi catégoriquement ? C’est simple : si la
Compréhension est là, aucune de ces choses n’aura aucune importance. Si la
Compréhension est là, il est su que ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent, que
ce n’est pas du tout ainsi qu’elles fonctionnent ! Si la Compréhension est là, il n’y
aura aucun souci par rapport à aucune de ces choses, puisque la Compréhension
rend toutes ces choses à jamais hors de propos.
En dépit des traditions qui suggèrent le contraire, on ne s’inquiètera même pas de
savoir si quelqu’un s’éveille ou non ou si quelqu’un veut écouter ou non. Il n’y a plus
personne pour se tracasser, plus personne pour qui aucune de ces choses pourrait
avoir de l’importance.
L’argent, le sexe, la loyauté, les services et les biens constituent des éléments du
Rêve. S’ils sont nécessaires, ils seront fournis. S’ils sont fournis, ils peuvent être
appréciés. Et s’ils ne le sont pas, c’est également parfait.
Une grande levée de fonds pour lancer une croisade spectaculaire pour apporter le
message de l’Illumination personnelle à la planète entière, c’est très emballant, mais
cela n’a rien à voir avec l’Eveil impersonnel à la vraie nature de Ce-qui-est. S’il vous
faut produire pareil spectacle et de l’engouement, restez endormi. Selon les termes de
Wayne Liquorman, une fois que la réalisation se produit, les choses deviennent très
ordinaires.
76
Il y a une simplicité éblouissante dans tout cela. On peut dire que ‘’l’Eveil est la
compréhension qu’il n’y a personne qui s’éveille. Aucun individu ici qui fait quoi
que ce soit. La Conscience est tout ce qui est.’’10 Et vous aurez exprimé la totalité de
l’enseignement. C’est réellement tout ce qu’il y a par rapport à cela. Tout ceci est,
simplement. Il n’y a ni individu, ni chercheur, ni maître, ni but, ni résultat. Tout cela
est, simplement. Tout ce qu’il y a, c’est la Présence. Voilà toute l’affaire. Fini, terminé.
Parasamgate. Et le Rêve se poursuit.
Alors, porteur de cette compréhension, profitez-en. Levez-vous, prenez votre petitdéj et allez travailler. ‘’Faites’’ ce qui semble juste, approprié, tout en sachant qu’il n’y
a pas de ‘’vous’’ et que ‘’vous’’ ne ‘’faites’’ rien.
Comme le dit cette parole zen :
‘’Si vous comprenez, les choses sont simplement comme elles sont.
Si vous ne comprenez pas , les choses sont simplement comme elles sont.’’
Et Rumi :
‘’Rarement entend-on la musique intérieure,
Et pourtant, on danse tous sur son tempo.’’
C’est comme si ‘’vous’’ aviez le choix, voyez-vous. Tout est tel qu’il est. Le
mécanisme, le mode de fonctionnement, si vous voulez, via lequel le Rêve opère, par
l’entremise duquel le fonctionnement à lieu ici dans la Conscience, est identique,
qu’on le réalise ou non. C’est pourquoi il est dit que quand la Compréhension
survient, rien ne se passe. Rien ne change. La Conscience se diffuse, fonctionne et
opère dans un organisme corps-esprit où la Compréhension est survenue de la même
manière qu’Elle opère dans les organismes corps-esprits où il n’y a pas la
Compréhension. L’Eveil ou l’Illumination ne suspend pas automatiquement le
moyen et la méthode normale via lesquels le Rêve se déroule. Il n’y a pas de
transfiguration en super être humain de lumière ou en super être humain avec des
pouvoirs paranormaux, comme dans certains récits fantaisistes. Qui y a-t-il là pour
être transfiguré ? Qui y a-t-il là pour faire quoi que ce soit ?
Les humains semblent possédés par l’idée qu’il y a quelque chose qu’ils peuvent faire
pour obtenir ce qu’ils veulent et on nous a persuadés qu’il y a quelque chose que
nous devons faire ou que nous devrions faire.
Ecoutez. Il n’y a rien que vous devriez faire. Il n’y a rien que vous devriez faire
mieux ou que vous devriez améliorer. Rien à purifier, sanctifier ou consacrer. Rien à
accomplir, rien à prouver. Rien à construire. Rien à déconstruire. Rien sur quoi
travailler ou à apprendre, rien à enseigner, ni personne qui enseigne. Pas même
10
‘’La Conscience est tout ce qui est’’, et autres variantes. Ce concept était un élément de base de
l’enseignement initial de Ramesh, qui sera familier à tous ceux qui ont lu ses livres les plus anciens ou écouté
ses causeries pendant la période précédant ou avoisinant l’an 2000.
77
quelque chose à comprendre ou saisir. Rien à équilibrer, perfectionner ou guérir.
Rien à devenir.
Bien entendu, si c’est dans le Rêve de la Totalité qu’un objet corps-esprit paraisse
‘’faire’’ l’une de ces choses, alors, cela se produira : il s’agira de quelque chose à faire
pour les personnages imaginaires, tant que dure le Rêve. Ceux qui étudient
l’enseignement luttent souvent pour réconcilier l’idée du libre arbitre et celle de la
détermination, l’idée de déjà toujours être la Totalité et qu’il n’y a rien à faire pour
l’atteindre et les avertissements au sérieux en matière d’auto-investigation et de
questionnement. Mais il n’y a là aucun conflit : cet enseignement de déjà toujours être
la Totalité ne signifie pas que vous deviez stopper tout effort. Cet arrêt serait luimême un effort !
Si vous êtes censé comprendre l’enseignement, alors ‘’vous’’, en tant qu’ego, en tant
que ‘’moi’’ identifié, vous serez incité à accomplir ce qu’il faut pour que cette
compréhension se produise. Si étudier, méditer ou travailler doit se produire, cela se
produira. Cela s’inscrira dans la Totalité qui est toujours déjà là. Cela n’a aucune
importance en soi, mais cela se produira, si cela doit se produire.
Il est peu probable que la Compréhension totale survienne en restant avachi, en
évitant les éléments de l’enseignement, en refusant de faire face à vos conceptions
erronées et en ne songeant qu’à tout le reste, mais ce qui apparaît comme de la
motivation et de la délibération, du sérieux et de la détermination, du choix et de
l’action n’est que le fonctionnement du mécanisme via lequel toute la manifestation
se déploie. L’erreur de perception est de le prendre personnellement, comme étant
votre motivation, votre délibération, votre choix et votre action. C’est tout à fait
impersonnel, simplement la Totalité qui se déploie, comme telle, que vous êtes déjà
toujours.
C’est une question de compréhension sous-jacente : des pratiques et des tâches et la
vie entière ne sont pas entreprises ni menée dans un intérêt personnel, ni pour
atteindre un objectif, ni pour devenir une meilleure personne, ni pour sauver le
monde, ni parce que ‘’je devrais’’. Il y a simplement l’observation du corps-esprit, ce
que vous n’êtes pas, qui a des pensées, qui est poussé et qui accomplit des
actions…ou pas. Il y a juste une simplicité parfaite : une ouverture, un consentement
à laisser advenir ce qui va advenir et à laisser tomber les erreurs de perception.
78
CHAPITRE 16 : CHUTE LIBRE
‘’Il n’y a pas de chose telle qu’une entité.
Maintenant, vous savez que vous êtes éveillé,
Parce que vous êtes ici et parce que vous avez cette connaissance.
Il n’y a rien d’autre que cette connaissance,
Aucune entité.’’
-
Nisargadatta Maharaj
On arrive pour la première fois en Inde et on est assailli, submergé, emporté par les
stimuli sensoriels. Les odeurs, les textures, les spectacles, les sons et les goûts : le
corps-esprit réagit avec stupeur. Il y a eu le néant qui s’est produit dans la jungle et la
Splendeur et la Vision sans plus personne, il y a eu l’apprentissage et l’intégration de
concepts advaitiques permettant le décryptage de ce néant, et puis d’une manière
incompréhensible, le corps-esprit se retrouve en train de débouler de l’autre côté de
la planète pour rencontrer un maître à Bombay. C’est tout à fait déroutant, car il n’y a
aucune raison pour cela. L’esprit est entièrement vide. Il n’y a aucune attente et il ne
peut y en avoir aucune. Il n’y a aucun dessein possible, aucun résultat possible. En
fait, David Machin Chose n’a foutrement aucune idée de ce qui se passe. Il est ahuri
de se retrouver vanné et d’encaisser le décalage horaire dans la chaleur tropicale de
la nuit de Bombay, zigzaguant dans les rues bondées dans un vieil ancêtre de taxi
minuscule conduit par un chauffeur hindou quasiment nu et ne parlant pas l’anglais.
Une figurine rose en plastique représentant le dieu à la tête d’éléphant, Ganesha,
oscille sauvagement, pendue au rétroviseur, et je me dirige – je l’espère – vers le
centre de Bombay et vers ma chambre d’hôtel.
Cette première nuit en Inde, il y a un rêve :
Je suis en hauteur, dans un avion peut-être, et je regarde vers le bas. Le sol est
recouvert de grands carrés plats. Cela fait un peu penser à un survol de l’Angleterre
ou de l’Irlande, ce patchwork de champs carrés, mais en étant beaucoup plus simple,
des carrés plats aux couleurs très pâles, la plupart simplement gris. Quelqu’un à côté
de moi dit : ‘’Ces carrés ont l’air plat et ils ne paraissent avoir que deux dimensions,
mais en réalité, ce sont de grands cubes tridimensionnels. Ils ont une hauteur que
l’on ne perçoit pas d’ici !’’
Je la regarde. La personne paraît assez sincère, mais il y a quelque chose de curieux
dans la manière dont elle insiste sur ceci, comme si elle répétait quelque chose qu’elle
avait entendu, mais qu’elle ne savait pas réellement par elle-même. ‘’Je sais ce que
vous voulez dire’’, dis-je. ‘’A cause de la perspective, les choses peuvent sembler
plates à distance, mais ce n’est pas le cas ici. Dans ce cas-ci, ces carrés sont juste plats,
en fait. S’ils comportaient une hauteur, ils auraient l’air différent. Vous devriez
pouvoir le dire.’’
79
D’une manière ou d’une autre, je sais que c’est vrai, que la personne à côté de moi
perçoit subtilement de travers ou qu’elle ajoute des fioritures qui ne sont pas là, mais
en le disant, je sais que ceci ne sera que matière à polémiquer. Même si je le sais avec
certitude, il n’y a aucune manière de le prouver ― à moins que quelqu’un ne
descende, ne s’approche et ne vérifie. On devrait sauter et tomber jusque-là, ce qui
serait bien sûr impossible, stupide et hors de question, puisque tomber depuis cette
altitude voudrait dire une mort certaine. En pensant cela, je réalise que je suis déjà en
train de tomber du ciel.
Il n’y avait là pas la moindre intention, aucune décision, aucune volonté de sauter ou
de passage à l’acte. Cela s’est simplement produit.
Il n’y a pas beaucoup de complications, ici. Les rêves apparaissent dans le cadre du
fonctionnement naturel du corps-esprit, tout comme n’importe quoi d’autre. Dans le
rêve endormi, des sentiments et des sensations surgissent, tout comme dans le rêve
de l’état de veille. Le corps-esprit ne sait pas la différence entre un rêve endormi et le
rêve de l’état de veille et il n’apprécie pas l’idée de sauter en dehors de l’avion.
Il y a d’abord un moment d’horreur : ‘’Mon Dieu ! Qu’est-il arrivé ? Je suis en train
de tomber vers la terre et dans quelques instants, je vais m’écraser et cela sera fini de
toute ma vie. Panique. Angoisse. Puis un moment de déni et d’activité frénétique.
Attendez ! Il y a peut-être quelque chose que j’ai loupé ! Il y a peut-être un parachute
attaché à mon dos, un plan d’eau où je pourrais atterrir et survivre à ceci
miraculeusement !
Et puis, l’acceptation au cours de la chute. Alors, c’est ainsi que cela va se passer. Le
moment est venu. Ce corps va s’écraser et périr. Puisqu’il n’y a pas d’échappatoire
possible, c’est parfait. Ce n’est pas une mauvaise manière de partir, après tout. Je ne
le sentirai sans doute même pas. Les lumières vont juste s’éteindre. Et pendant tout
ce temps, il y a cette dernière expérience formidable de cette chute sur une si longue
distance, sans frein et sans protection, de totale chute libre, qui est incroyablement
belle. Un lâcher-prise total.
Tout ceci s’est passé en à peine plus qu’un instant : le corps-esprit réagit à un saut
non projeté en dehors d’un avion de façon prévisible, conformément à sa
programmation. Il a ses moments de peur, de déni et d’acceptation. Puis, sans
soutien, il se calme. Dans ce rêve aussi, comme dans le rêve de l’état de veille, le
corps-esprit est un personnage imaginaire. Le rêveur rêve et le rêve se poursuit.
L’air déferle autour de moi durant ma chute et détaché et plutôt neutre, je vois les
carrés sur la terre qui fondent sur moi et qui se rapprochent beaucoup maintenant.
C’est très amusant, vu que cela n’a pas la moindre espèce d’importance, mais je ne
puis m’empêcher de constater que ce que j’avais su intuitivement, assis dans l’avion,
était correct. Même de tout près, ce sont juste des carrés plats, sans aucune hauteur,
ni aucune profondeur, et pas des cubes.
80
Puis, au moment même où je heurte le sol, un changement se produit. A l’instant
même où j’arrive au niveau du sol où sont les carrés, ceux-ci se transforment. Ils
étaient incontestablement plats et majoritairement gris, mais à présent, ils se
transforment instantanément en de merveilleux et mystérieux objets
tridimensionnels aux formes et aux nuances subtiles et douces, comme s’ils étaient
abruptement devenus vivants. Et ce ne sont pas juste de gros cubes, comme mon
accompagnante me l’avait certifié avec beaucoup d’insistance dans l’avion. Ils sont
assez simples, rien d’élaboré, ni de grandiose, mais pourtant inimaginablement,
indescriptiblement beaux.
Et avec ceci, précisément à ce qui serait l’instant de l’impact, lorsque j’aurais perdu
conscience, le rêve se termine simplement, sans choc, ni secousse. Puis, il y a un
sommeil profond et sans rêves. Plus tard, le lendemain matin, au réveil, le rêve et sa
fin naturelle abrupte sont bien nets dans ma mémoire.
Et il y a une réalisation : certes, le seul moyen de savoir, c’est de sauter ! Sauter
signifie la mort certaine. Sauter s’est déjà produit.
Et cet ‘’événement’’ n’a pas plus d’importance ou de valeur que se brosser les dents.
Il n’y a aucune façon significative et pertinente d’en parler, pas moyen d’élaborer une
phrase, parce qu’il n’y a pas d’objet, ni de sujet, ni rien de fait, ni aucune
circonstance temporelle. C’est, simplement. Il serait absurde et impossible d’en
parler, comme s’il y avait quoi que ce soit de personnel, de significatif ou de spécial à
ce propos.
Dans le rêve, tout est plat et gris, et l’observateur à distance peut juste dire que c’est
plat ou tenter de prétendre que ce n’est pas le cas. Ou peut-être, comme mon
accompagnante dans l’avion, répéter ce qui a été entendu, que certains ont dit que les
choses ne sont pas ce qu’elles semblent être, mais même alors, cela ne peut être
qu’une approximation. C’est seulement quand on saute et quand on est anéanti que
la véritable profondeur, la beauté et la merveille de Ce-qui-est peuvent être vues,
expérimentées et connues.
Pendant un moment, il y a le sentiment et la conscience que celui qui a sauté est
effectivement mort et qu’au moment de mourir, il a compris ce qui autrement ne
peut pas l’être, mais cela aussi, c’est une plaisanterie, parce qu’il n’y a jamais eu
personne qui a sauté. Personne n’a sauté. Dans le rêve de l’état de veille, comme dans
le rêve endormi, un saut s’est produit. Une danse se produit. Un rêve se produit. Et
la beauté stupéfiante, époustouflante, c’est que la Totalité de ceci – danse, rêve et saut
– est, simplement.
81
CHAPITRE 17 : L’AMOUR
‘’L’amour est un mystère sans fin, car il n’a rien d’autre pour l’expliquer.’’
-
Tagore
‘’Murmure de sages paroles : ainsi soit-il !’’
-
Lennon/McCartney
Au début de son livre, ‘’The final Truth’’, Ramesh écrit :
‘’La Vérité ultime ne peut pas être acceptée, à moins que l’esprit ne soit vide du
‘’moi’’ et que le cœur ne soit rempli d’amour.’’
Et il y a quelques jours, pendant un entretien, il m’a dit :
‘’David, veux-tu savoir comment vivre la vie ? Laisse-la être, laisse-la survenir ! Tout
ce que fait ‘’chacun’’ – laisse cela survenir !
Sois tranquille. Agis comme tu l’entends et ne te tracasse pas à propos du monde.
Sois tranquille. Etre tranquille signifie ne pas penser. Tu vois ? C’est si simple !’’
Ces derniers jours, j’ai écouté les causeries matinales et la plupart du temps, je
n’attache même pas un sens aux paroles. Il y a une écoute intense, mais pas avec
l’intellect.
Juste être ici dans ce que j’appelle la Présence, cette Présence unique que Je suis et qui
se reflète Elle-même en elle-même sans miroir.
Ramesh parle de la ‘’Compréhension’’, mais cela n’a rien à voir avec l’esprit qui
comprend quoi que ce soit. J’apprends des mots différents, des noms différents pour
la Présence, mais la connaissance, la vérité ressentie, c’est qu’Elle est beaucoup plus
intime et beaucoup plus familière que les mots ‘’Conscience’’, ‘’Vérité’’ ou ‘’Source’’
ne peuvent le communiquer. C’est ce qu’il y a de plus intime, sans aucune
séparation, ni aucune distance.
La réalisation, c’est que même pendant les nombreuses années pendant lesquelles j’ai
pensé être ‘’David’’ et pendant lesquelles cette Présence intime était recouverte par la
pensée et le sentiment d’être un ‘’moi’’ individuel, même alors, Elle a toujours été ici.
Nulle part ailleurs. Sous le conditionnement, au-delà des entournures, à peine
perceptible, mais néanmoins ici. Fantomatique. Si je voulais L’apercevoir, en aucune
manière, je ne le pouvais, mais Elle était ici.
82
Maintenant, Elle est clairement présente, toujours ici. Elle a toujours été ici et Elle le
sera toujours. Elle n’est pas autre chose et Elle n’est nullement lointaine ou éloignée.
Cette Présence, je La ressens toujours ici, se réfléchissant. C’est la chose avec laquelle
Je suis le plus intime et qui m’est le plus familière. C’est mon propre cœur, le Cœur
de Dieu, extraordinairement belle, compatissante et aimante.
‘’Tu es en moi,
Amour nu et infini…
Nous nous sommes égarés,
Là où l’esprit ne peut pas nous trouver
Et nous nous sommes complètement perdus.’’ (Ikkyu)
La race humaine n’a aucune idée de ce qu’est l’Amour.
L’autre jour, un des chercheurs ici présents parlait de la prière, du sentiment de vide,
voire même d’un sentiment d’être perdu, qui vient avec une certaine compréhension
intellectuelle que ‘’la Conscience est tout ce qui est’’, lorsqu’on réalise qu’il n’y a
personne que l’on puisse prier.
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire, ni de ressentir : ‘’Alors quoi, tu ne vois pas ?’’
Cette réalisation et le sentiment de la vacuité sont un amour et un don parfaits. Le
sentiment est qu’il y a toujours une immense gratitude, débordante, et qu’il n’y a
plus besoin de personne, ni de quoi que ce soit envers qui ou quoi être reconnaissant.
La Présence est ici. Dans la Présence, il y a le jaillissement de l’amour et la gratitude
se déverse dans la Présence qui se reflète en elle-même sans aucun miroir.
Rien n’est voulu. Tout est absolument parfait. Infiniment. Demain, David retourne
dans le Vermont, mais cela continuera, parce que rien n’est séparé. Même lorsque
David mourra, il n’y aura pas de fin, parce que cette Présence est plus intimement ce
que Je suis que ‘’David’’.
C’est mon propre cœur, le Cœur de la Présence, qui déborde d’une beauté, d’un
amour, d’une compassion et d’une félicité infinis. Le Cœur de la Totalité infinie, de la
Splendeur rayonnante, plus intime que n’importe quelle imagination est l’unique
réalité, l’unique vérité.
‘’Je’’ ne suis pas présent ;
Mais ce qu’est la Présence, Je suis.
‘’Je’’ ne suis pas conscient ;
Mais ce qu’est la Conscience, Je suis.
‘’Je’’ n’aime pas ;
Mais ce qu’est l’Amour, Je suis.
Il n’y a pas d’ ‘’autre’’
Qui puisse être aimé, ni haï.
83
Il n’y a pas d’Autre
Que l’on puisse remercier, ni implorer.
Ainsi, je ne puis dire que ‘’j’aime’’,
Mais plutôt que Je me situe dans l’Amour,
Au sein de l’Amour.
Où d’autre ?
84
CHAPITRE 18 : LES ENTRETIENS DU MATIN
‘’La Connaissance pure n’est pas transmise par quelqu’un d’autre,
Elle vient sans être sollicitée.
C’est Elle qui écoute,
Elle est votre propre et véritable nature.’’
-
Nisargadatta Maharaj
‘’Je montre la Vérité aux êtres vivants,
Qui alors ne seront plus des êtres vivants.’’
-
Tung-shan
Des gens du monde entier viennent assister aux entretiens du matin dans ce petit
salon de Bombay et certains sont en recherche depuis des années et ont déjà rendu
visite à des maîtres zen, à des gurus et à des instructeurs de tous ordres. Ils ont
entendu parler de ce maître de l’advaita pur et ils sont venus, peut-être avec certaines
attentes ou au moins l'espoir d’enfin pouvoir entendre ce qu’ils ont besoin
d’entendre, la chose réelle, l’enseignement qui leur révélera la Compréhension
ultime, la Vérité finale, l’autoréalisation ou l’Eveil total.
Ce qu’ils obtiennent, c’est un petit bonhomme assis dans un coin qui les soûlent
jusqu’à la nausée avec cette idée d’être ou non l’auteur de ce que vous pensez être
vos actions. La plupart des gens qui se présentent ne restent pas longtemps. Ils s’en
vont au bout de quelques séances, ils rentrent chez eux ou ils vont voir un autre
maître qui leur parlera de choses ‘’plus importantes’’. Cette idée d’être l’auteur est
trop anodine, trop simple. Elle paraît si secondaire et si peu pertinente.
Bien sûr, qu’on ne se leurre pas. Du point de vue de la Compréhension globale, cet
enseignement sur le fait d’être l’auteur est en fait superfétatoire. La question ne se
pose même pas. Avec la Compréhension vient l’aperception naturelle et spontanée
qu’il n’y a ici personne, aucun individu pour être l’auteur ou ne pas être l’auteur.
Aussi la question est sans objet. Ce que vous pensez être vous-même – tout le
package comprenant le corps, le mental, la personnalité, l’ego, le sentiment de
l’individualité, l’histoire personnelle… ― rien de tout cela n’existe comme tel, comme
autre chose qu’une idée, une histoire, un concept dans la Conscience. Discuter pour
savoir si, oui ou non, ‘’vous’’ pouvez être un auteur ou pas, c’est, comme écrit Wei
Wu Wei, discuter pour savoir si l’oiseau est prisonnier d’une cage vide ! La cage est
vide ! Il n’y a personne, ici !
Récemment, au cours des entretiens du matin, un musicien jouait de la flûte indienne
traditionnelle pour le groupe après les entretiens. La flûte ne connaît pas la musique,
elle ne distingue pas le sol du si bémol, elle ignore le tempo et elle ne peut pas
produire de la musique toute seule. C’est juste un bâton de bambou creux avec des
trous dedans ! C’est le musicien qui possède la connaissance, la virtuosité, l’intention
85
et le doigté. Son souffle passe à travers l’instrument et ses doigts manipulent les
orifices de façon à ce que de la belle musique en sorte. Quand la musique est
terminée, personne ne félicite le bâton en bambou pour la musique qu’il a produite.
C’est le musicien que l’on applaudit et que l’on remercie pour ce magnifique don de
musique.
Il en va précisément ainsi avec ce que nous pensons être ‘’nous-mêmes’’. Nous
sommes des instruments, des bambous creux via lesquels le Souffle, l’Esprit,
l’Energie qui est la Présence, la Totalité, la Conscience s’écoule. Tout comme ce n’est
pas la flûte qui produit la note, mais le musicien qui produit la note par l’entremise
de l’instrument, de même est-ce le souffle de la Présence qui anime cet esprit et ce
corps et qui sort de cette bouche pour faire en sorte que cette bouche prononce
certaines paroles.
L’incompréhension fondamentale, l’ignorance de base est cette usurpation
involontaire du rôle du Musicien par l’instrument. Cette inversion de la vérité est
spontanément réalisée, quand survient la Compréhension. Il devient évident qu’il n’y
a aucun individu, qu’il n’y a ici personne, aucune entité pour être l’auteur ou non.
Parce que l’Eveil est simplement la Compréhension qu’il n’y a ici personne qui
s’éveille.
Mais cette réalisation se produit spontanément, quand la Compréhension survient.
Du point de vue du chercheur, on ne peut pas en arriver ‘’là’’ à partir d’ ‘’ici’’.
Comme il n’y a pas de ‘’vous’’, il n’est pas question d’y ‘’arriver’’ et il n’y a pas de
‘’là-bas’’ où arriver. Comprendre intellectuellement qu’il ne peut pas y avoir d’entités
individuelles n’aidera en aucune manière le chercheur ou la chercheuse moyen(ne),
parce que dans sa vie quotidienne, la croyance profonde en un moi et son activité
personnelle perdurera. Et avec elle, la galère qui l’accompagne de l’orgueil et de
l’arrogance, de la honte et de la culpabilité, de la peur, de la haine et de la malice qui
émanent tous de la croyance qu’il y a là ‘’quelqu’un’’ pour faire quelque chose.
Toutes les tentatives pour se sortir du dilemme ne font que renforcer le sentiment du
moi individuel de celui ou de celle qui, en apparence, fait ces tentatives. Il n’y a pas
moyen de sortir de l’impasse, du paradoxe, parce que celui ou celle qui pense être
dans cette situation paradoxale est lui-même ou elle-même une hallucination, une
fiction produite par le mental, l’oiseau dans la cage vide. Durant tout le reste de votre
vie, il est possible que vous continuiez comme vous le faites. Il est possible que vous
assistiez à des conférences, que vous participiez à des séminaires et à des retraites
donnés par les maîtres les plus éclairés, que vous entendiez des choses merveilleuses
concernant l’Illumination, la réalisation totale et Sat-Chit-Ananda et que vous ayez
d’intenses expériences spirituelles de toute beauté, mais quand vous rouvrirez les
yeux, vous serez de retour avec les mêmes questions et les mêmes aspirations, parce
que ‘’vous’’ serez toujours là.
Et donc, la Conscience jette de l’huile sur le feu avec ce petit enseignement insidieux
sur le statut d’auteur par le biais de ce petit Indien sans prétention dans un
86
appartement de Bombay. Oui, superficiellement, cela peut paraître anodin peut-être,
comparé à d’autres choses que vous pouvez avoir entendues. Il peut même paraître
difficile de se concentrer là-dessus, alors qu’il doit sûrement y avoir plus que cela, il
doit sûrement y avoir plus à briguer. Ce qui est le cas. Ceci n’est pas en soi le
principal, mais un moyen d’atteindre le centre. Et si vous lui en donnez la latitude en
accomplissant l’investigation suggérée et en la poursuivant et s’il y a une ouverture
permettant à ceci de prendre effet, alors une chose réellement sidérante pourra
effectivement survenir.
Parce que cet enseignement qui paraît relativement insignifiant peut être, si modeste
qu’il soit, la petite clé qui ouvrira toutes grandes les portes, si on la laisse entrer dans
la serrure et si on la laisse tourner. ‘’Je ne suis l’auteur d’aucune action !’’
L’importance de ceci n’est pas que ceci soit une grande, ni une totale réalisation en
soi. L’importance réside dans où ceci mènera. Si vous pigez réellement ceci, si vous
pigez réellement qu’il n’y a personne pour piger, ce sera comme une ligne de code
informatique qui, lorsqu’on l’introduira dans l’ordinateur, réécrira tout le système
d’exploitation, provoquera une faillite en cascade de tous les systèmes que vous
pensez être ‘’vous-même’’, et déclenchera le renoncement et la perception qui sinon
ne peuvent en aucun cas être accomplis par un ‘’vous’’ et qui est la Compréhension
globale de l’Eveil : la connaissance qu’il n’y a ici personne pour comprendre,
s’éveiller ou connaître. Il n’y a que la Paix qui dépasse toute compréhension, le
souffle de la Présence qui traverse ce bâton de bambou.
Et la musique qui est ainsi produite et qui apparaît sous la forme des pensées, des
paroles et des actions quotidiennes, les ‘’vôtres’’ et d’ ‘’autres’’, n’est rien d’autre que
la Présence qui joue de ces instruments et c’est réellement un cadeau absolu, de toute
beauté.
87
CHAPITRE 19 : L’ENSEIGNEMENT DE LA VÉRITÉ
‘’Il y a deux types de vérités : les petites vérités et les grandes vérités. On reconnaît
une petite vérité à son opposé, le mensonge ; l’opposé d’une grande vérité, en
revanche, est une autre grande vérité.’’
-
Niels Bohr
‘’Les choses profondes sont simples. Il n’y a pas de vérité sans simplicité. Mais les
choses simples sont ardues.’’
-
Douglas Harding
I
‘’Ceux qui étaient qualifiés pour enseigner, ces quelques rares personnes, à l’instar du
Maharshi, disaient que le silence était plus efficace, mais dans les premiers stades,
l’enseignement ne peut être donné que par une série de non-vérités diminuant en non-véracité
en proportion avec la compréhension du pupille de la fausseté de ce qu’on lui enseigne. La
vérité ne peut pas se communiquer. Elle ne peut qu’être mise à nu.’’ (Wei Wu Wei)
L’acceptation de la personne ordinaire des illusions du moi individuel, de la ‘’réalité’’
physique, de la naissance, de la mort, de la création, de la destruction, du libre
arbitre, de l’accomplissement personnel (en bref, de maya), comme étant la vérité a
tellement inversé la perception de la vérité et de la fausseté que ce qui est vrai est
généralement perçu comme faux et qu’on accorde généralement à ce qui est faux le
crédit de la vérité. Dans un tel cadre, un maître qui proclame la vérité nue sera perçu
par la personne ordinaire comme disant des mensonges ou peut-être même comme
fou. Sans que cela ne soit sa propre faute, l’auditeur ne se donnera pas la chance de
pouvoir entendre ni de comprendre ce qui est dit à cause de son conditionnement.
C’est donc par compassion pour ses auditeurs et pour initier le processus de la
compréhension que le maître commencera parfois par exprimer des petites doses de
vérité par des images, par des illustrations ou par des catégories de pensées qui sont
connues par le maître comme étant essentiellement inexactes et de leur côté, les
auditeurs percevront cet enseignement comme étant ‘’vrai’’ (c’est-à-dire familier),
pour l’essentiel, avec peut-être un quelconque élément déconcertant pouvant
apparaître comme une non-vérité. Si celui-ci est exploré et si leurs propres
présupposés sont remis en cause, les auditeurs pourront avec une aide comprendre
la vérité de ce qu’ils perçoivent comme étant une petite non-vérité. Il pourra alors
être possible pour le maître d’introduire progressivement dans ses enseignements
plus d’éléments de vérité et de réduire tout aussi progressivement la fausseté utilisée
pour rendre la vérité compréhensible.
A un moment donné, les auditeurs commencent à reconnaître le décalage et
l’incompatibilité de l’imagerie conventionnelle qui est utilisée comme un véhicule
88
avec la vérité qui est communiquée. Lorsque les auditeurs saisissent ainsi la fausseté
de ce qui leur est enseigné, le maître a la liberté de se dispenser du véhicule et
d’exposer la vérité d’une manière que les auditeurs auraient trouvée inacceptable
auparavant.
Puisque la vérité se situe au-delà des concepts et du langage, cette exposition de la
vérité comprendra nécessairement de moins en moins en matière d’affirmations de
ce-qui-est et plus d’indications au travers de ce qu’elle n’est pas (c’est-à-dire la via
negativa) jusqu’à ce qu’en fin de compte peut-être, les auditeurs puissent vraiment
arriver à un point où ils seront capables d’entendre et de comprendre la vérité en
silence, au sujet duquel Ramana Maharshi a dit que c’était la seule expression précise
de la Vérité, mais malheureusement, très peu sont capables de l’entendre. Ce n’est
que dans le silence que la liberté existe par rapport au dualisme qui est inhérent dans
la structure sujet-objet du langage et de la pensée.
II
La Vérité, la Réalisation, le Soi, est Un(e), advaita, pas deux. Mais la façon dont
l’enseignement, qui consiste en indications qui conduisent à la Compréhension
s’exprime via tel ‘’maître’’ ou tel ‘’sage’’ variera beaucoup et cette expression sera
déterminée, dans une mesure significative, par la programmation et par le
conditionnement de l’organisme corps-esprit via lequel elle s’exprime. Tout
particulièrement, le cœur de l’enseignement, la ‘’base’’ ou le noyau irréductible
trouvera une expression unique dans chaque cas où l’aperception se sera produite et
elle sera dans une grande mesure modelée par la manière, le contexte, les modalités
et les circonstances par l’entremise desquels l’événement de l’Eveil aura eu lieu dans
chaque cas.
Ceci pourra peut-être être mieux illustré qu’expliqué.
Dans le cas de Ramana Maharshi, l’Eveil a eu lieu, quand il était encore un jeune
garçon. Ayant le sentiment irrésistible qu’il allait mourir, il s’allongea et laissa
survenir une expérience saisissante de la mort en expérimentant à quoi cela
ressemblerait lorsque les fonctions corporelles et mentales s’arrêteraient à l’instant de
la mort. Après que cela se soit produit, il y eut la réalisation que le ‘’je’’ que l’on
pense être mourait avec le corps et le mental. Néanmoins, même si ce faux ‘’je’’ et
tout le reste disparaissaient, il reste encore le sentiment de pure existence, la
Conscience, Je suis. Cela, réalisa-t-il est ce que le ‘’Je’’ est vraiment. Pas le corps, ni le
mental, ni la personnalité, ni le sentiment d’être un être distinct(if) qui meurent tous,
mais plutôt le ‘’Je’’ éternel. Dans le cas de Ramana Maharshi, ceci est la
compréhension essentielle et donc, son enseignement reflétait cela. Il disait à ses
auditeurs de ‘’simplement être’’, de ‘’suivre le Je suis’’ et de ‘’demeurer dans le Je’’.
Le récit de Nisargadatta Maharaj sur la façon dont la Réalisation s’est produite est
très différent. Il déclare que son guru lui a dit qu’il n’était pas qui il pensait, qu’il
89
n’était pas le corps, mais plutôt, qu’il n’était en vérité rien d’autre que l’Absolu. Il dit
qu’il a cru son guru, qu’il a pris à cœur ses paroles et qu’après trois ans de
concentration et de méditation là-dessus, la Compréhension était complète. Et donc,
ceci est le point sur lequel tout l’enseignement de Maharaj se focalise et il s’adressait
à ses auditeurs sans faire aucun compromis en parlant à la première personne,
comme s’il était l’Absolu, ‘’Je suis Cela’’, et pas comme un individu distinct(if) et il
insistait pour qu’aucune question ne soit posée, basée sur l’identification avec le
corps.
De la part de quelqu’un qui a étudié avec un maître ou un guru avant que l’Eveil n’ait
lieu viendra certainement un enseignement qui dit que le maître ou le guru est la
voie. De la part de quelqu’un chez qui l’Eveil s’est produit spontanément sans maître
pourra suivre l’idée qu’un guru n’est pas nécessaire. Quelqu’un chez qui l’Eveil a
suivi une période intense de méditation et est inextricablement lié à une puissante
expérience mystique pourra enseigner la méditation et le mysticisme.
Vous pouvez lire des anciens maîtres, tels que Houang-Po, Houei-Neng et d’autres
ou des maîtres modernes, comme Tony Parsons ou Adyashanti et encore trouver
d’autres exemples. Ces expressions de l’enseignement fondamental, ce à quoi l’on
revient toujours, comme étant l’essentiel, peuvent sembler varier très fort ou à tout le
moins être très différentes dans ce sur quoi on met l’accent. Et cette différence est
prioritairement due aux antécédents, aux milieux, aux cultures, aux penchants, aux
circonstances et aux événements variables pour chacun des instruments corps-esprits
et particulièrement en rapport avec l’événement de l’Eveil lui-même.
Dans le cas de celui que j’en suis venu à appeler avec une certaine affection David
Machin Chose, le cœur irréductible de la Compréhension s’exprima par la première
pensée qui se forma au moment où il y eut ce changement soudain de perception et
où il fut clairement vu qu’il n’y avait ‘’ici personne’’. Il y a une Présence, un Etre, une
Conscience. Il y a ce corps-esprit apparent, via lequel et sous la forme duquel la
Présence se diffuse, opère et expérimente. Et c‘est tout ! Il n’y a pas de moi individuel
distinct(if), d’entité ou de personne en dehors d’une simple construction de la
pensée.
Et donc, l’expression ici tourne nécessairement autour de cette base et elle revient
toujours à ceci : c’est le sentiment du moi individuel qui est l’illusion, l’esclavage,
l’obscurantisme basique. Quand on voit à travers ce sentiment illusoire d’un moi
individuel et quand il se détache, alors il y a simplement Ce-qui-est et on s’éveille du
rêve d’un moi individuel distinct(if) .
Ce à quoi on s’éveille, ce qui est compris, c’est seulement l’Un. Pourtant, chaque
occurrence dans un instrument corps-esprit est différente, suivant les variables
infinies dans la programmation et le conditionnement de chaque instrument et le
scénario, le rôle ou la destinée que chacun joue dans le déploiement infini de la
Conscience. Chacune a un parfum et un accent différent.
90
Si la Compréhension est un château, certains y pénètrent par la porte d’entrée
principale et d’autres par la porte de derrière. Il y en a qui entrent aussi par la
fenêtre, peut-être en se faufilant subrepticement ou peut-être même en brisant une
vitre en déclenchant toutes les alarmes. Il y en a même qui descendront par la
cheminée ou qui enlèveront les tuiles du toit, une à une. Certains tomberont de haut,
passeront à travers le plafond et se retrouveront par terre dans une pile de débris et
dans la poussière, tandis que d’autres tendront leurs chapeaux au majordome en
franchissant le porche et en entrant dans le salon.
Et ces manières fort différentes via lesquelles celle-ci survient procureront un feeling
particulier, une couleur spéciale, une subtilité distinctive à l’expression et à la
description de cette saveur unique. La manière dont Ramesh parle de la
Compréhension et la manière dont Tony Parsons parle de la Présence sont très
différentes, possèdent une tonalité très particulière. Wayne Liquorman dit que vous
n’avez pas le choix et Gangaji, que tout ce que vous avez, c’est le choix ! Néanmoins,
ils indiquent tous essentiellement la même chose. Tous participent au déploiement
infini de la Totalité. Dans sa forme, comme dans son expression, l’enseignement n’est
jamais deux fois le même, mais la Compréhension, elle, est toujours non-duelle. Tous
les panneaux indicateurs signalent Ce-qui-est.
91
CHAPITRE 20 : JE NE SUIS PAS UN CHAUFFEUR DE
TAXI…
‘’Il y a une Présence indicible, ineffable que la pensée ne peut pas toucher
Et que vous ne possédez pas. C’est ce que vous êtes.’’
-
Adyashanti
‘’Ce que nous appelons ‘’je’’ n’est qu’une simple porte battante
Qui va et qui vient, quand on inspire et quand on expire.
Elle oscille, c’est tout…
Si votre esprit est assez calme et pur pour suivre ce mouvement,
Il n'y a rien ―
Ni ‘’je’’, ni monde, ni esprit, ni corps, rien qu'une porte battante.’’
-
Shunryu Suzuki Roshi
Où que vous alliez à Bombay, il y a les désespérément pauvres et crasseux, ces
mendiants qui tendent la main depuis le trottoir ou le caniveau, là où ils vivent et où
ils dorment et qui tirent sur les jambes de votre pantalon, et les plus valides qui vous
poursuivent en réclamant ou en implorant votre aide pour quelques roupies.
Beaucoup se postent aux carrefours et quand le trafic s’arrête au feu rouge, ils
s’approchent de votre taxi, les pieds nus, en loques déchirées, les mains sales tendues
à travers la fenêtre et le regard suppliant.
Un jour, après un entretien du matin chez Ramesh, un de ces mendiants, plus
pathétique encore que la plupart des autres, s’approcha de la fenêtre arrière du taxi
qui était ouverte, alors que le taxi s’arrêtait dans le trafic. Je jetai un coup d’œil à
l’extérieur et j’aperçus un Indien d’à peine 1,35 m. Ses yeux étaient au même niveau
que les miens dans cette ancienne et modeste Padmini. Il n’avait pas de bras, mais
une main avait poussé à partir de l’épaule, qu’il avait posée sur la portière de la
voiture et il avança la tête à l’intérieur en direction de la mienne. Sa tête, ses épaules
et son visage étaient aussi mal formés. Il était voûté et difforme. Les cicatrices, la
crasse et les abus d’une vie passée dans les rues étaient bien visibles et ses lèvres
remuaient dans une litanie à peine perceptible de supplications et d’adjurations à
laquelle il était rôdé depuis si longtemps…jusqu’à ce que son regard plonge dans le
mien et alors, il s’arrêta net ― tout s’arrêta ― et nous restâmes ainsi, nos visages
séparés d’à peine quelques dizaines de centimètres, le regard contemplant celui de
l’autre.
Il y a de ces moments où ‘’rien ne se passe’’, où il est tout à coup clair que ce qui
semble en train de se passer ne l’est pas et où ce qui arrive ne peut apparaître que
comme un néant. Les rôles cessèrent, sa routine de mendiant cessa complètement et il
n’y eut aucun geste pour lui donner une pièce. Les deux formes étaient totalement
vides, immobiles et les limites disparurent.
92
Il est difficile de décrire le sentiment que l’on expérimente dans ces moments-là. Tout
sentiment qui aurait pu se mettre à germer cessa et il n’y avait ni pitié, ni angoisse, ni
répulsion, ni gêne, ni inconfort, à peine de la compassion. Alors que je le regardais, il
était clair et évident que je me contemplais moi-même et que je contemplais Dieu. La
silhouette difforme du mendiant paraissait si transparente et éthérée dans la chaleur
de la ville tropicale et la radiance qui ruisselait à travers lui et autour de lui était
tellement visible qu’il était impossible de ne pas le voir, ainsi que la scène de rue
derrière lui, comme les formes d’un rêve et la lumière radieuse, comme la réalité
sous-jacente manifeste, impossible à occulter. Pendant cet instant, il y eut un
sentiment de quiétude, intense et neutre : alors que notre regard plongeait dans celui
de l’autre, il n’y avait rien à faire, rien à dire, rien à éprouver et rien à penser.
Pendant que le taxi s’éloignait, je me tournai vers l’amie qui était assise à côté de moi,
peut-être pour évoquer quelque chose qui s’était produit ou lui demander ce qu’elle
avait vu, mais il n’y avait toujours aucune pensée cohérente, aucun mot, et quand
nous nous retournâmes pour jeter un coup d’œil en arrière, il n’y avait plus la
moindre trace, nulle part, de la petite forme humaine difforme.
Quelques jours plus tard, au cours des entretiens du matin, il me fut demandé à peu
près ceci : ‘’Qu’arriverait-il à la Compréhension, si David n’était pas si bien nanti ?’’
Mes pensées se portèrent tout de suite sur le mendiant sans bras et tous les autres
que j’avais rencontrés et qui vivaient, dormaient et erraient dans les rues de Bombay
et sur le sentiment d’intense sérénité qui s’était manifesté dans ces moments-là. Je ne
l’avais pas exprimé en pensées, ni en mots. Je les avais cherchés une ou deux fois,
comme dans le taxi, cette fois-là, quand je m’étais tourné vers mon amie, mais rien
n’avait été articulé. Alors vint la réalisation que cette question ou que ce problème ne
se pose que si l’on s’identifie à un organisme corps-esprit.
S’il y a identification avec un corps-esprit, alors tout le processus de la pensée se met
en branle : ‘’Oh mon Dieu, ‘’j’’ ’ai tellement de chance ! ‘’Je’’ suis tellement riche,
tellement aisé et ce pauvre type là est vraiment à la ramasse ! Là, ‘’je’’ me sens mal,
‘’je’’ me sens horriblement mal. ‘’Je’’ dois agir, ‘’je’’ dois faire quelque chose.’’ Ou
inversement, si l’on retourne la situation : ‘’Là, ‘’j’’ en bave, là, ‘’je’’ n’ai pas ce qu’il
me faut, pas du tout ce dont ‘’j’’ ai besoin, ‘’ils’’ ont tous plus que ‘’moi’’, là, ‘’je’’ dois
m’employer ou mieux, l’un d’ ‘’eux’’ ou même ‘’eux’’ tous doivent faire quelque
chose pour ‘’m’’ ‘aider !’’ Tout s’active par le sentiment d’un moi individuel et par la
comparaison avec d’autres mois individuels apparents.
Mais s’il n’y a aucune identification comme l’un de ces individus apparents, alors
tout ceci arrive simplement : dans un corps-esprit, le bonheur se manifeste. Dans un
autre, la pauvreté sévit. Dans celui-ci, la colère. Dans celui-là, la richesse et la haine.
Dans tel autre, la maladie et la paix et dans ce dernier, la santé parfaite couplée à un
ennui mortel ! Il y a une infinité de combinaisons d’attributs et d’expériences dans
ces milliards de corps-esprits. L’un d’eux est celui-ci, mais cela n’a réellement aucune
espèce d’importance.
93
Intellectuellement ou émotionnellement, ceci peut sembler être un sujet difficile ou
délicat. ‘’Cela n’a réellement aucune espèce d’importance’’ a l’air aussi politiquement
incorrect que possible. Cela semble facile à dire, assis confortablement ici. La même
pensée jaillirait-elle dans ce corps-esprit, si celui-ci vivait dans les rues de Bombay ?
Et la seule réponse est que quelle que soit la pensée qui jaillit, c’est la pensée qui
s’élève dans la Conscience de chaque corps-esprit, à chaque instant. Cela ne peut être
approché ni intellectuellement, ni émotionnellement, ce sont là deux réponses de
l’individu et ces limites n’existent pas, sinon comme des accessoires illusoires et
temporaires. Dans la Compréhension, les limites se dissolvent, simplement. L’Eveil
s’est produit chez des mendiants, comme chez des rois. Beaucoup de mendiants et de
rois ne trouveront pas l’Illumination dans le rêve. Cela n’a réellement aucune espèce
d’importance.
Cette fois, en retournant à l’hôtel, le chauffeur de taxi voulut mettre en pratique son
anglais. Je ne faisais pas très attention, puisque j’étais en train de lire quelque chose
que l’on m’avait donné, jusqu’au moment où il se tut un instant et je levai les yeux et
je vis qu’il était en train de me regarder dans son rétroviseur. En me fixant
intensément, il me dit alors, distinctement : ‘’I not taxi. I driv-ing !’’, en insistant sur
le participe présent. Une affirmation purement non-duelle, digne d’un maître,
comme quelque chose sorti en droite ligne de chez Wei-Wu-Wei. Pas l’entité
apparente que vous pensez voir, mais le fonctionnement opérationnel. Effectivement,
bien vu, l’ami !
‘’Quand votre individualité sera dissoute, vous ne verrez plus nulle part des
individus. Juste un fonctionnement de la Conscience.’’
‘’Si ça fait tilt pour vous, c’est très facile à comprendre. Autrement, c’est très
compliqué. C’est très profond et très simple, si c’est bien compris.’’
‘’Ce dont je parle n’est pas le courant général de la connaissance spirituelle
ordinaire.’’ (Nisargadatta Maharaj)
94
CHAPITRE 21 : JE NE SAIS PAS
‘’La Conscience authentique ne voit qu’une infinité radieuse dans le cœur de toutes
les âmes et Elle ne respire que l’atmosphère d’une éternité qui est trop simple à
croire.’’
-
Ken Wilber
‘’Les sages ne savent rien du tout – sinon peut-être un chant.’’
-
Ikkyu
Cette période de contact direct avec Ramesh dure un peu plus de deux ans, avec des
visites, des lettres et des entretiens. Au cours de cette période, la clarté augmente par
rapport au connu et le rayonnement de la Splendeur s’élargit et s’approfondit.
Quand il y a une vision et une compréhension communes et partagées de Cela que
nul autre ne peut voir, ni comprendre, c’est quelque chose de très difficile à
exprimer.
L’expérience de rendre régulièrement visite à Ramesh au cours de ces années est
profondément rassurante. Initialement particulièrement, sa pensée est très précise, ce
qui est incommensurablement utile pour distinguer conceptuellement les éléments
intrinsèques à la Compréhension de ceux qui font partie du conditionnement du
corps-esprit et cela par rapport à la tour de Babel des idées et des opinions étrangères
sur la question.
‘’L’organisme corps-esprit’’, ‘’le conditionnement et la programmation’’, ‘’la
Conscience’’ (en tant que concept fondamental de la Totalité) et ‘’la Compréhension’’
(comme terme qui définit la Connaissance et la Vision intérieure), bien qu’ils ne
soient pas à l’origine ou exclusivement des concepts de Ramesh, ils sont reçus de lui
et ils deviennent partie intégrante du cadre sous-jacent émergeant à cette époque
pour faciliter la compréhension et ainsi un genre d’insertion dans le néant ici présent
depuis la jungle.
Néanmoins, il est également vrai que depuis le moment où je suis arrivé pour la
première fois au 10, Sindula House, il y a une certaine dissonance. Même s’il y a une
reconnaissance quasi immédiate de sa part, à cette époque, Ramesh n’utilise plus le
langage non-duel sans compromission de ses premiers livres, avec lesquels il y avait
eu une telle résonnance que j’avais traversé la planète pour venir le voir. Il passe nos
premiers entretiens sans arrêter de parler de la manière dont ‘’vous n’êtes pas
l’auteur’’ de n’importe quelle action et il dit que ce que chacun veut, c’est simplement
être à l’aise avec lui-même et avec les autres.
Avec lui-même et les autres ? Je suis perplexe et il faut un certain temps avant que je
ne puisse articuler et lui dire que ce dont il parle n’a aucun sens dans ce contexte-ci. Il
n’y a clairement ‘’personne’’, ici, personne qui soit l’auteur ou pas. La question ne se
95
pose même pas. Comment pourrait-elle ? Cela n’a rien à voir avec le fait d’être à
l’aise, comme il l’écrivait lui-même dans ses premiers livres.
‘’…L’anéantissement total de l’objet phénoménal avec lequel il y a une identification
en tant qu’entité séparée…’’ Des expressions comme celle-ci sont en quintessence du
Ramesh aussi vintage que vous puissiez trouver. Mais il n’utilise plus ce langage. En
lieu et place, il demande aux visiteurs ‘’ce qu’ils désirent le plus de la vie’’ et passe
son temps à leur donner des conseils concernant les relations avec ‘’autrui’’.
Quelle vie ? Quelles relations ? Quels autres ? Tout est la Présence qui se diffuse.
Tout ‘’autre’’ qui est perçu est le Je ! Il n’y a que Cela qui peut supprimer la
souffrance. Tout le reste est servitude. Si ceci est connu, comment peut-on enseigner
autre chose ?
Voyez-vous, quand le changement de perspective s’est produit, cette nuit-là dans la
jungle, sans formation, contexte, terminologie ou concepts, quand cette
Compréhension s’est pour la première fois exprimée via la pensée, le concept ‘’mon
Dieu, il n’y a personne ici !’’, à cet instant, le centre de l’expérience, du
fonctionnement et de l’identité s’est déplacé et il fut su, sans étiquette, que le ‘’Je’’ qui
est, qui expérimente et qui opère n’est pas ‘’David’’, mais qu’Il expérimente et qu’Il
opère par l’instrumentalité de ‘’David’’, ainsi que par celle de tous les ‘’autres’’. Voici
le centre, l’essence irréductible de la Compréhension, dans la mesure où on peut
l’exprimer et c’est parfaitement simple.
Tout ce qu’il y a, c’est la Présence, c’est la Conscience, et dans cette Conscience, cet
instrument corps-esprit apparent qui n’existe pas lui-même séparément en tant que
personne, entité ou chose, mais seulement comme une pensée, un rêve dans la
Conscience, et par l’intermédiaire duquel il y a une expérience, mais sans ‘’personne’’
ici qui expérimente ! Il y a certainement ici un fonctionnement mental, physique,
psychologique et émotionnel, sans aucun doute, et ce fonctionnement est unique
dans cet organisme corps-esprit, comme il l’est dans tous, mais c’est un
fonctionnement impersonnel dans, par et de la Présence impersonnelle. Il ne relève
pas d’une entité personnelle distinct(iv)e, puisqu’il n’y en a aucune !
Par ailleurs, Ramesh puise à une immense tradition de pensée et de discussions sur le
sujet et il a consacré toute une vie et beaucoup de livres à développer et à exposer des
idées telles que le noumène et les phénomènes, la réalité, l’agir et le non-agir, l’ego,
l’esprit pensant et l’esprit agissant, la compréhension intellectuelle et la
Compréhension intégrale. Il opère également dans la tradition indienne du guru qui
est responsable de la guidance spirituelle et autre de ceux qui viennent le voir.
Et que sais-je ? Après tout, les gurus sont connus pour leurs manières sibyllines. Qui
peut dire ? Je suis venu ici pour entendre l’enseignement de la bouche de Ramesh et
une bonne partie de cet enseignement est très utile et donc, au début, je travaille avec
lui pour trouver les correspondances entre la Connaissance présente et son sentiment
concernant tout ceci, y compris sa structure conceptuelle. Il y a une immense
96
gratitude pour les grands bénéfices et pour la clarté à laquelle il contribue et une
intensification de ce qu’on ne peut qu’appeler un immense amour pour Ramesh et
c’est la raison pour laquelle je lui accorde aussi le bénéfice du doute considérable,
quand il semble y avoir parfois une divergence significative.
Néanmoins, avec la sortie de chacun de ses nouveaux livres, il y a un certain
désenchantement, puisque ceux-ci s’éloignent davantage de la pure Conscience de
Ce-qui-est et s’orientent plus vers de simples histoires et de simples directives pour
la vie quotidienne et les entretiens avec lui deviennent plus frustrants, puisqu’il
insiste plus rigoureusement sur le fait que l’Eveil ou que la Compréhension consiste
uniquement en la conscience que l’individu n’est l’auteur d’aucune action et sur le
fait que le moi de l’individu demeure toujours. Ce n’est pas ce qui est connu ici.
Cette idée d’après laquelle ‘’vous n’êtes l’auteur d’aucune action’’ est primordiale
dans la pensée de Ramesh. Elle était là depuis le début de son expérience d’Eveil
avec Maharaj. Quelque part, il était tombé sur une parole attribuée au Bouddha :
‘’Des événements surviennent et des actes sont accomplis, mais sans aucun auteur
individuel’’. C’est devenu la base de son enseignement et tous ceux qui l’ont entendu
parler ont entendu mille fois cet aphorisme. (Même si cela reste un peu étrange que,
lorsqu’on le lui demandait, il ne put jamais dire d’où provenait cette citation et en
dépit de toutes mes recherches et de celles d’autres personnes que je connais, on n’a
jamais réussi à en trouver la source et on ne l’a jamais vue mentionnée en dehors des
propres œuvres de Ramesh ou de personnes l’ayant apprise de lui.)
Initialement, quand on le presse, Ramesh concède que l’idée de ne pas être l’auteur et
l’investigation qu’il prône aux chercheurs de façon à pouvoir le découvrir par euxmêmes est un outil pédagogique. Son utilité réside dans le fait qu’une fois que l’on
est persuadé de ne pas être l’agent qui fait quoi que ce soit, le sentiment d’un moi va
lui-même commencer à se désintégrer. Dans ses premiers livres, il est très clair par
rapport au fait que l’Illumination consiste en ‘’une totale désidentification de
l’organisme corps-esprit en tant qu’entité distinct(ive)’’ et que le ‘’sentiment d’être
l’auteur’’ est, si pas assimilé, au moins intimement lié au ‘’sentiment d’être une entité
distinct(ive)’’ de sorte que, quand l’un disparaît, l’autre en fait autant.
Mais à l’époque où je l’ai connu, l’idée de ne pas être l’auteur paraît évoluer d’un
concept utilisé comme outil pédagogique pour devenir elle-même le point central.
Initialement, l’enseignement de Ramesh est que, lorsqu’il est compris que vous n’êtes
pas l’auteur, le flash de l’Eveil peut alors se produire et ce qui reste, c’est l’ombre
d’un ego qui n’interrompt plus qu’occasionnellement ‘’l’esprit agissant’’ détaché et
l’attention impersonnelle. Mais plus tard, ‘’vous n’êtes pas l’auteur’’ devient en soi
l’Eveil et l’ego demeure. Vous existez toujours en tant qu’entité distinct(ive), même si
c’est avec la compréhension que ce n’est pas vous qui faites quoi que ce soit.
Mais en fait, la compréhension de ne pas être l’auteur n’est pas prépondérante. C’est
une étape utile, comme moyen conduisant à votre ‘’absence d’existence’’ et donc, ce
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peut être une étape précieuse et pertinente, mais en soi, elle n’est rien du tout. Si elle
est prépondérante, alors le moi individuel est préservé ― et ce n’est pas le cas.
‘’La réalisation relève du fait que vous n’êtes pas une personne…
Entité personnelle et Illumination ne peuvent pas aller de pair.’’ (Nisargadatta Maharaj)
Après chaque visite à Bombay, j’ai le sentiment que c’est terminé, qu’il n’y a plus
aucune raison, ni aucun besoin d’y retourner. Je n’apprécie pas voyager, je n’apprécie
pas l’Inde et je n’apprécie pas Bombay. Tout cela est inutile et pénible et la santé du
corps est problématique, chaque fois que je fais le voyage. Et pour quoi ? Et pourtant,
à chaque fois, quelques mois passent, puis je repars en voyage ! Que sais-je ? Sans
doute quelque chose d’inachevé.
Ce n’est pas un secret que Ramesh et moi, nous avons eu un genre de différend
public à l’occasion de ma dernière visite. Il enseigne dorénavant sans aucune
restriction que chaque personne existe toujours en tant qu’entité individuelle
distinct(iv)e : soit du pur dualisme ! Et il balaye les témoignages de la perte
d’identification à une entité distinct(iv)e comme inexacts et prêtant à confusion. Si
quelqu’un soulève l’objection que ceci contredit tous les instructeurs et maîtres de la
sagesse éternelle, y compris et spécialement son propre maître, il le conspue : ils
avaient tous tort et ils n’étaient pas qualifiés pour s’exprimer là-dessus et ce qu’ils
disaient prêtait simplement à confusion. 11
On pourrait interpréter ceci de beaucoup de manières et chaque soir dans ma
chambre d’hôtel, celles-ci sont toutes soupesées. Je suis pleinement averti de
l’archétype de l’étudiant qui aime son maître jusqu’à ce que l’étudiant parvienne à un
certain niveau de compréhension et puis par la suite, si le maître n’est pas du même
avis ou tente de le freiner, l’étudiant dit que le maître s’est égaré et il s’en va. Et je
suis aussi bien conscient de l’archétype suivant lequel le maître crée délibérément
cette situation pour chasser l’étudiant du nid. Aucun des deux ne s’applique ici, car il
n’y a simplement jamais eu une telle relation entre ‘’Ramesh’’ et ‘’David’’.
Et le prototype de la ‘’folle sagesse’’ ne cadre pas non plus. Ramesh a déjà joué cette
carte auparavant et il y avait toujours une petite lueur dans son regard qui vous
permettait de savoir (si vous saviez l’interpréter) que quelque chose se préparait et
chaque fois que la plaisanterie était allée suffisamment loin et qu’il avait marqué un
point, il mettait les choses au clair. Plus rien de la sorte ici maintenant. Quoiqu’il
advienne, Ramesh est sérieux comme un pape ― ce qui est en soi inhabituel et qui
soulève quelques inquiétudes.
Certes, tout ceci n’est que concepts et tous les enseignements ne sont que des
indications sans être eux-mêmes la vérité. C’est pourquoi les maîtres utilisent la voie
11
Par rapport à cela, le lecteur trouvera peut-être opportun et utile de consulter l’article de Gautam Sachdeva
intitulé ‘’Conscience et pouvoir du moment présent’’ qui est consacré à la seule et unique rencontre qui eut
lieu entre Ramesh Balsekar et Eckhart Tolle, au domicile de Ramesh. Gautam Sachdeva est l’éditeur indien
d’Eckhart Tolle et de Ramesh et il avait eu l’idée de cette petite rencontre improvisée très instructive…NDT.
98
négative en disant ce que la Conscience n’est pas. La répudiation de ces maîtres de la
part de Ramesh et son insistance agressive sur votre existence en tant qu’individu ou
entité distinct(iv)e s’écartent singulièrement de la via negativa.
Au bout du compte, je ne puis que lui répéter tout ce qui est connu ici, qu’il n’y a rien
ici, uniquement la Présence qui est la Totalité qui se diffuse par l’intermédiaire de
toutes ces formes apparentes et je lui dis que quel que soit le but que son
enseignement puisse avoir, je sais qu’il dit des absurdités ― et je présume qu’il le sait
très bien.
Finalement, après examen pour voir si la clarté intérieure régnait, je ne puis que
sourire et secouer la tête face à cette supercherie, face à la complexité et aux
modalités parfois apparemment curieuses que cette Totalité déploie dans la
Conscience. Et tandis que s’écoulent les journées de cette ultime visite, il y a une
tristesse grandissante et beaucoup d’amour pour l’expression et pour la forme via
laquelle la Présence est perçue en tant que Ramesh.
Avec n’importe quel ami ou n’importe quel maître vis-à-vis duquel il y a de l’amour
et du respect, il peut arriver un moment où il peut devenir inéluctablement clair et
manifeste qu’un changement est en cours. Clair et manifeste que dans un sens subtil
et mystérieux, il y a un genre de ‘’dérapage’’ dans le système corps-esprit. Il peut y
avoir le sentiment que ce n’est pas seulement le discours ou l’enseignement extérieur
qui a changé, mais qu’il n’y a plus non plus l’attention focalisée, ni le sentiment
d’une Présence totale. Les arguments se gonflent d’une lutte apparente pour
s’affirmer, plutôt que de reposer sur ce qui n’a pas besoin d’être affirmé. Ceci peut
parfois être subtil et si l’on avait une raison pour ne pas voir ce genre de choses, ceci
pourrait facilement être ignoré, mais à d’autres moments, c’est plus flagrant et ne
peut pas être justifié, ni négligé.
De la part d’un moindre maître qui partirait dans des digressions, on pourrait
s’attendre à des arguments confus et contradictoires, à une attitude agressive,
abrupte et belliqueuse et à un comportement sur la défensive et de plus en plus
erratique. Des discussions pourraient alors facilement s’empêtrer dans des opinions
et des argumentations vaines et stériles approuvant certaines idées, certaines
expressions et certaines modalités d’expression et en désapprouvant d’autres avec
véhémence, et toujours avec une insistance sur le moi distinct(if) qui manque et qui
répudie même la base essentielle, la vision intérieure de la non-dualité pure, tout ceci
étant imaginaire et très peu tenant la route ou ayant quelque chose à voir avec la
Compréhension de Ce-qui-est.
Dans tous les cas, rien de tout cela n’a réellement de l’importance. Mon temps ici est
terminé. Quelle qu’en soit la ‘’cause’’, c’est nécessairement ici qu’il y a une croisée
des chemins concernant l’essence de l’enseignement. Et qui sait ? Peut-être que cela
est en soi le cadeau de Ramesh et que cela explique suffisamment tout ceci. Peut-être
est-ce simplement ce tournant qui s’est produit et rien d’autre et c’est aussi un don
qui défie tous les raisonnements.
99
La majorité des gens qui viennent voir Ramesh le font en tant que chercheurs et en
tant qu’étudiants et leurs concepts et leur compréhension en arrivent à refléter son
enseignement. Pour eux, il constitue la référence, le mètre-étalon de la vérité et de la
précision. Telle est la relation maître-disciple, comme il se doit. Il y a une sagesse
profonde et pérenne chez Ramesh et beaucoup continueront à trouver que lui et son
enseignement sont d’un grand bénéfice, comme ce fut le cas pour moi.
Mais il y a ici une nouvelle référence : il y a toujours et à jamais cette Compréhension,
cette Vision, perception intérieure de Ce-qui-est, qui pour la première fois a explosé
ici dans ce changement de perspective, dans ce temps en dehors du temps dans la
jungle et qui depuis lors n’a jamais cessé. C’est tout ce qui est connu et qui ne peut
tout simplement pas faire l’objet d’un compromis, ni être dilué ou révisé pour un
souci d’entente ou de concordance.
Tout ceci, quoi que cela puisse être et peu importe le déroulement fait toujours partie
de l’expression infinie de la Présence. C’est ainsi. Tant que c’est perçu comme une
question d’individus distinct(if)s, il y aura un problème. La seule raison, la seule
vérité, la seule explication pour des événements déroutants, c’est que tout ce qu’il y
a, c’est la Présence. Il n’y a pas de Ramesh et pas de David. Ce qu’est Ramesh, je le
suis. Quel évènement se produit chez quel instrument apparent est sans importance.
Que savons-nous ? L’univers opère sur la base du besoin de savoir et les personnages
fictifs, imaginaires n’ont pas besoin de savoir. Ils joueront leurs rôles, quoi qu’il en
soit.
De plus en plus, il y a la conscience grandissante qu’en dehors de la certitude totale
de ce qui est su depuis la jungle, je ne sais rien. En tant que David, je ne suis pas ;
tout ce monde n’est pas. Tout ce qu’il y a, c’est la Présence qui se diffuse ici dans une
effusion parfaite et cette Présence est ce qu’est le ‘’Je’’. Néanmoins, même ceci n’est
pas quelque chose que je sais, c’est ce que Je Suis. En dehors, c’est simplement ‘’je ne
sais pas’’.
Et il y a toujours partout cette Splendeur parfaite et ce profond Silence. Ce n’est pas
une chose, Cela n’a pas de nom et Cela s’épanche continuellement dans une beauté
parfaite à laquelle il ne manque rien. Toujours perçue, mais jamais à partir de ce
corps-esprit. Il n’y a personne ici pour voir.
Rien ne peut contenir, ni détenir ceci. Ni le catholicisme de ma jeunesse, ni les
incursions dans le zen et le Tao des années ultérieures, ni le shamanisme autochtone,
ni l’advaita dogmatique institutionnalisé des premiers enseignants que j’ai rencontrés,
ni même le bien-aimé Ramesh et ses vicissitudes, aucun guru, aucune méthode,
aucun maître.
Encore une fois, je quitte Bombay pour m’en retourner dans le Vermont. Comme s’il
y avait un endroit à quitter ou un endroit où retourner. Comme s’il y avait quelqu’un
pour partir ou retourner. Et rien n’arrive à son terme, puisqu’il n’y a rien de séparé. Il
n’y a que le Cœur de la Présence qui s’épanche, seule réalité, seule vérité.
100
_________
‘’Que voulait-il dire ?
A l’époque, je compris presque de travers l’intention de mon ancien maître.
Je me demande si mon ancien maître était réellement illuminé.
S’il ne l’était pas, comment aurait-il pu savoir répondre ainsi ? S’il l’était, pourquoi at-il pris la peine de répondre ainsi ?
Quel enseignement as-tu reçu, quand tu étais avec lui ?
Bien que je fusse là, je n’ai reçu aucun enseignement.
Puisque tu n’as reçu aucun enseignement de lui, pourquoi te rappelles-tu de lui ainsi ?
Pourquoi devrais-je lui tourner le dos ?
Es-tu d’accord avec lui ou pas ?
Je suis à moitié d’accord.
Pourquoi n’es-tu pas entièrement d’accord ?
Si j’étais entièrement d’accord, alors je serais peu reconnaissant à l’égard de mon
ancien maître.
(The Record of Tung-Shan)
101
ÈME
4
PARTIE
DANS CET ANÉANTISSEMENT,
TOUT DÉSIR,
TOUTE FAIM,
ET TOUTE SOIF
SONT DISSOUS,
RAFFINÉS,
ET GUÉRIS,
ET RENDUS À JAMAIS DÉPOURVUS D’INTÉRÊT.
102
CHAPITRE 22 : QUESTIONS / RÉPONSES
‘’Une voix touche ton âme et dit :
Lève-toi, traverse et entre dans la vacuité
Sans questions ni réponses.’’
-
Rumi
-
Ikkyu
‘’N’aie de cesse de te poser ces questions profondes,
Dors dessus
Et quand tu t’éveilleras,
Même toi, tu auras disparu !
I
On doit continuer à se poser des questions, à poursuivre chaque question qui surgit avec un
grand sérieux…
Il est répondu immédiatement à chaque question qui peut surgir ici et elles ont toutes
la même réponse.
Et c’est ?
Que cette question, cette pensée, comme toutes les pensées, sont vides. Lorsqu’il y a
la méprise, l’idée fausse qu’il y a ici l’esprit individuel d’une entité distinct(iv)e,
duquel surgit la pensée ou la question, alors les questions sont considérées comme
importantes. Lorsque tout est vu dans son ainséité, toutes les pensées, tous les
sentiments et toutes les actions sont vus comme apparaissant comme l’expression
infinie de la Conscience. Tout ce qui apparaît ne peut être que le déploiement parfait
de la Conscience, quoi qu’il semble à l’individu apparent. Ces corps-esprits ne sont
que des instruments, des objets dans la Conscience et par conséquent, ils ne peuvent
pas connaître l’essentiel, le but ou la raison par lequel ou pour lequel ou laquelle la
Conscience opère. Si toute question est posée dans ce contexte, la question se dissout.
Tout est simplement tel quel.
Eh bien, vous êtes là, donc, c’est bien ! (pause) Cela fait combien de temps que vous vous êtes
éveillé à ceci ?
Nous y revoilà ! Vous devriez faire preuve de davantage de discernement. Qui s’est
éveillé ?
Ce que vous appelez ce corps-esprit, l’individu apparent.
103
Vous êtes à côté de la plaque ! Il n’y a ‘’personne’’, ici. Le corps-esprit n’est qu’un
objet. L’individu n’est qu’une apparence, un personnage du Rêve. Le personnage
d’un rêve ne peut pas s’éveiller.
Alors, c’est le rêveur qui s’éveille…
Cette idée d’Eveil n’est qu’une analogie. Prenez bien garde à ne pas la prendre au
pied de la lettre. Toute analogie finit par tomber en rade et c’est le cas de celle-ci, ici.
Le Rêveur, c’est la Conscience qui est la Totalité. Elle n’a jamais été endormie et Elle
n’a aucun besoin d’être éveillée.
Alors, qui s’éveille ?
L’analogie de l’Eveil, tout comme n’importe quelle analogie, peut avoir une certaine
utilité limitée. C’est quelque chose à quoi l’on peut se raccrocher, quand on tente de
décrire l’indescriptible ou de communiquer l’incommunicable. Elle a aussi ses
défauts. Plus spécifiquement, on peut l’utiliser pour établir une démarcation, une
distinction. Une fausse séparation entre des individus qui sont perçus comme étant
éveillés et des individus qui sont perçus comme ne l’étant pas. C’est artificiel, c’est
une construction de l’esprit. Il n’y a que la Conscience qui se diffuse et qui s’exprime
par l’entremise de tous ces corps-esprits. Ce qui arrive à un corps-esprit, par
opposition à un autre, est insignifiant, à moins de penser qu’ils existent en tant que
personnalités individuelles et de s’identifier à l’un d’eux. Comme l’écrivit le
troisième patriarche du zen : ‘’Les distinctions naissent des besoins tenaces des
ignorants…Quel gain peut-on retirer de l’attachement à des distinctions et à des
séparations ?
Il doit sûrement y avoir une différence entre quelqu’un qui est éveillé et quelqu’un qui ne l’est
pas ?
Absolument pas ! Comme l’a dit Houang-Po : ‘’Il y a simplement une compréhension
mystérieuse, implicite.’’
Alors, la différence est que certains d’entre nous possèdent cette compréhension, tandis que la
majorité ne la possède pas !
Vous prenez cela personnellement en instituant des ‘’nous’’ et des ‘’eux’’, ce qui en
fait une aberration. Ce sont les distinctions dont parlait le patriarche zen. Veuillez
comprendre que ce à quoi vous vous référez comme à ‘’nous’’ ou comme à ‘’eux’’
sont des points de référence personnels vus ici comme illusoires, entièrement
mythiques, en dépit du fait que vous et pratiquement tout le monde les preniez très
au sérieux. La Compréhension est. Il n’y a personne ici qui possède la
Compréhension, ni quoi que ce soit, d’ailleurs.
Mais vous utilisez vous-même des mots comme ‘’vous’’ ou comme ‘’chacun’’…
104
Si vous vous rendiez dans un pays étranger, vous trouveriez difficile de
communiquer, à moins d’apprendre et d’utiliser la langue utilisée par les gens du
cru. Notre langue est structurée d’une manière telle qu’il est pratiquement
impossible de parler sans utiliser des pronoms personnels et d’autres termes qui
semblent se référer à des individus. Ceci rend les choses difficiles, mais il faut tout de
même bien utiliser une langue. Le fait d’essayer d’éviter totalement ces termes
résulte simplement dans une langue peu naturelle et étrange qui attire l’attention sur
elle sans parvenir pour autant à communiquer. Par conséquent, on doit continuer à
utiliser les conventions de la langue qui incluent des pronoms personnels pour faire
référence à une expérience et à une compréhension qui sont totalement
impersonnelles.
C’est un peu comme continuer à parler du ‘’lever’’ et du ‘’coucher’’ du soleil, alors
même que vous savez très bien que le soleil ne tourne pas autour de la Terre et donc,
qu’il ne se lève pas et ne se couche pas, mais qu’il paraît seulement le faire à cause de
la propre rotation de la Terre. Quand j’emploie les termes ‘’je’’ ou ‘’moi’’, ils ne font
nullement référence à quelque chose de personnel, puisqu’il est tout à fait évident
depuis cette perspective qu’il n’y a ici aucune personne. Il y a seulement la Totalité
qui se diffuse par l’intermédiaire de toutes ces formes apparentes. D’un autre côté,
quand vous dites quelque chose comme ‘’certains d’entre nous possèdent la
compréhension, mais la plupart ne la possèdent pas’’, il est évident que vous prenez
très au sérieux la distinction entre vous-même, en tant qu’individu et les autres, en
tant qu’individus et que vous êtes occupé à comparer et à juger entre eux.
Pour en revenir à votre commentaire antérieur, se poser sérieusement des questions
ne devrait pas être vu comme un but en soi. Se poser des questions ne conduit en
réalité nulle part. Dans la tradition du jnana yoga, se poser des questions opère un
peu comme le koan zen en poussant progressivement l’esprit dans ses derniers
retranchements ou en l’épuisant, à tel point qu’il réalise qu’alors que les questions
peuvent continuer indéfiniment, la Vérité ne se trouvera jamais là. ‘’Chercher l’Esprit
avec le mental discriminateur est la plus grande des erreurs’’ dit encore le troisième
patriarche zen.
Le problème, voyez-vous, c’est que toutes les questions émanent de leurs réponses.
Vous ne pouvez pas poser de question sur le Soi, la Vérité ou la Compréhension,
dont vous ne connaissez pas déjà la réponse, à un certain niveau. Si vous ne
connaissiez pas la réponse, la question n’aurait jamais pu vous venir à l’esprit.
C’est la raison pour laquelle les grands maîtres du zen et de l’advaita répondaient
rarement à une question : ils la réorientaient. L’idée, lorsqu’on pose une question, ce
n’est pas d’obtenir la réponse que vous possédez déjà, en dépit de ce que vous
pouvez croire. Il n’y a réellement aucun bénéfice à obtenir des réponses. Toutes les
réponses du monde ne conduiront pas à la Compréhension. Toutes les réponses sont
à l’intérieur du Rêve, comme toutes les questions. Ce que vous voulez, c’est une
absence de réponse à laquelle on ne peut parvenir que par une absence de question.
Pour chaque corps-esprit, il n’y a qu’une unique absence de question, ce que j’appelle
105
parfois la question dangereuse et le fait de vous la poser contient la fin de toutes les
questions. Le fait de vous la poser vous arrête, ‘’vous’’ anéantit.
Si une question se présente, posez-la, je vous en prie. Parfois, c’est tout ce qui peut se
produire. Mais il n’y a rien de sacré dans le fait de poser des questions. C’est quand
les questions cessent et que l’esprit est vide qu’il y a une ouverture.
II
Lorsque vous dites qu’il n’y a ‘’personne’’ ici, que voulez-vous dire ? Qui n’est pas ici ?
Le sentiment d’être un moi distinct(if), un individu, une entité indépendante
autonome et distinct(iv)e.
Donc, le moi distinct(if) n’est plus ici.
C’est cela, même si j’ai tendance à dire que c’est le sentiment d’être un moi distinct(if)
qui n’est plus ici, parce que le moi distinct(if), comme tel, n’a jamais existé, n’a jamais
été là, était uniquement une idée – une idée fausse.
L’ego ?
J’ai tendance à assimiler l’ego au sentiment d’être un moi distinct(if), oui. D’autres
personnes peuvent comprendre différentes choses par ‘’ego’’.
Mais certains maîtres disent que l’ego est encore là, mais transformé ou rendu inoffensif…
Vous faites référence à l’analogie de la corde brûlée de Ramana Maharshi. Il disait
que l’ego du sage est comme une corde brûlée inoffensive, en ce sens qu’elle ne peut
plus être utilisée pour ligoter quelqu’un dans la ‘’servitude’’ du samsara. Certains
enseignants reprennent cela et disent que même si la corde est brûlée, elle est
toujours là, mais en réalité, elle n'est plus là, en tant que corde. L’ego n’est plus là, en
tant qu’ego, en tant que sentiment d’un moi distinct(if). Ce qui est encore là, c’est
l’apparence : diverses formes de fonctionnement de l’instrument corps-mental, mais
ce fonctionnement ne constitue pas une entité distinct(iv)e et il n’a jamais constitué
une entité distinct(iv)e.
Avez-vous déjà réellement fait l’expérience d’une corde brûlée ? C’est encore l’une de
ces paraboles champêtres qui pourrait être un peu difficile à comprendre dans le
monde moderne. Ce phénomène de la corde brûlée est une chose assez remarquable.
Quand j’avais 12 ans, la cabane à outils de la ferme a brûlé et alors que je fouillais
dans les décombres calcinés pour récupérer des outils et du matériel avec mon père,
je suis tombé sur ce qui paraissait être la grande corde de manille que nous utilisions
à la ferme pour des travaux comme l’abattage des arbres.
106
J’étais surpris qu’elle ait pu survivre au feu, mais quand mes doigts ont voulu s’en
saisir, ils sont passés à travers une fine cendre poudreuse, sans aucune résistance. Il y
a quelque chose dans la corde en manille naturelle ou en sisal qui fait en sorte qu’elle
brûle entièrement, mais les cendres restent en place en conservant l’apparence de la
corde entière. C’est le sens de l’image du Maharshi. Ce qui reste n’est pas du tout une
corde (‘’l’ego’’), mais ressemble encore à une corde. Il n’y a plus que l’apparence
d’une corde, mais plus de corde.
Mais comme toutes les analogies, celle-ci ne va pas plus loin. Contrairement à la
corde qui brûle et qui alors n’est plus qu’une apparence de corde constituée de
cendres, l’ego n’a jamais réellement existé, initialement. C’était uniquement une
méprise. Et voici où cette autre analogie traditionnelle prend le relais, l’image de la
corde enroulée sur elle-même qui est prise à tort pour un serpent. Initialement, il y a
une réaction de peur et puis, quand on réalise que ce n’est qu’une corde enroulée sur
elle-même et pas du tout un serpent, l’expérience est très différente, mais qu’est-ce
qui a changé ? Rien, parce qu’il n’y avait jamais eu de serpent là, ce n’était qu’une
méprise. Le moi distinct(if), l’ego n’a jamais été là, mais seulement l’idée, le
sentiment d’être un individu qui s’avère faux.
Et pourtant, l’essentiel n’est pas là non plus. Finalement, même lui s’évanouit. Même
l’apparence n’a jamais été. Il n’y a toujours et partout que le Soi immuable. C’est du
moins ce qui est compris ici.
C’est ce que l’on entend, quand on dit que la Compréhension ou que l’Eveil est un
changement de perception. Wei Wu Wei l’a bien dit :
‘’Seul, un réajustement est nécessaire, ce réajustement étant l’abandon de
l’identification avec un moi individuel inexistant.’’
Mais j’ai entendu dire que Wei Wu Wei n’était pas illuminé !
Et ?
Il avait Alzheimer à la fin, donc, il n’était pas illuminé !
Holà, une chose à la fois, ici ! Premièrement, que Terrence Gray soit éveillé ou pas est
une question purement hypothétique. J’ai lu ses livres et il semble y avoir au moins
deux ou trois endroits où il dit lui-même qu’il ne l’est pas. Ce besoin d’étiqueter
quelqu’un comme étant ‘’illuminé’’ ou pas est déplacé. Il se base sur une croyance en
un moi distinct(if). S’il n’y a pas de mois individuels distinct(if)s, qui est éveillé ?
Tout ce qu’il y a, c’est la Présence. Séparer, faire des distinctions et comparer
constitue l’illusion.
Que celui qui est connu sous le nom de Wei Wu Wei soit illuminé ou pas, ses œuvres
font partie des interprétations les plus claires, les plus précises et sans compromis de
l’enseignement que l’on puisse trouver. Le Compréhension totale et la capacité
d’exprimer celle-ci précisément ne vont pas nécessairement de pair. Certains parmi
107
ceux qui sont véritablement et profondément éveillés ne savent pas du tout
l’exprimer, alors que certaines des meilleures expressions sont le fruit de ceux qui ont
une excellente saisie intuitive du sens de l’enseignement au niveau intellectuel,
même s’il se peut qu’elle n’ait pas pénétré assez profondément pour ne plus faire
l’expérience d’un moi distinct(if).
Maintenant, il faut mettre les choses au clair avec ce truc d’Alzheimer. Cela relève de
l’idée fausse suivant laquelle avec l’Eveil, le sage deviendrait un être humain parfait.
La maladie d’Alzheimer est une maladie physique qui affecte l’organisme. Elle
résulte de facteurs génétiques et environnementaux et donc, dans notre terminologie,
c’est une affaire de programmation, de conditionnement de cet organisme corpsesprit. Comme telle, elle ne diffère pas d’une autre maladie. Elle ne diffère pas du
cancer de Ramana Maharshi ou du cancer de Nisargadatta Maharaj. Etant donné
qu’elle affecte les cellules physiques du cerveau, les résultats ne sont pas très jolis,
mais c’est néanmoins une maladie de l’organisme qui survient comme une partie du
fonctionnement organique du corps-esprit.
Le dit sage sait bien que tout ce qui survient est le déploiement parfait de la totalité
de la Conscience et quel incident se produit dans tel ou tel personnage du Rêve est
sans importance. L’organisme corps-esprit du sage n’a pas d’immunité particulière
qui lui est conférée par l’Eveil. La Compréhension n’est pas un vaccin contre la
maladie d’Alzheimer ou contre quoi que ce soit d’autre.
Mais celui qui a la maladie d’Alzheimer ne va pas vraiment paraître sensé…
C’est sûr que cela ne va pas avoir l’air jojo et ce sera plutôt perturbant pour ceux qui
ont besoin de contempler des sages parfaitement illuminés ou qui entretiennent le
fantasme d’une vie illuminée totalement dépourvue de maladies ou qui ont absorbé
certaines idées New Age sur la cause de votre propre maladie.
Mais si l’Eveil s’est réellement produit et s’il n’y avait plus aucun sentiment d’un
moi distinct(if) et que l’organisme corps-esprit succombe ultérieurement à une
maladie organique, vous ne pouvez pas vous rétracter et prétendre rétroactivement
que l’Eveil ne s’est pas produit, après tout. Celui-ci s’est bel et bien produit. Puis, la
maladie est arrivée. La vie est ainsi faite. Elle est compliquée et elle comprend tout.
Il me semble que cela engendre beaucoup de confusion ou de confusion potentielle…
La confusion est déjà là. Qu’y a-t-il de ‘’mal’’ avec la confusion ? Encore une fois,
celle-ci fait partie du fonctionnement global. Dans la dualité, on ne peut pas avoir la
lumière sans l’obscurité, le haut sans le bas, la beauté sans la laideur ou la clarté sans
la confusion. Déclarer la guerre à la confusion et tenter de l’éliminer totalement est
malavisé. Vous souvenez-vous de ce que Maharaj a dit à quelqu’un qui voulait sortir
du Rêve ?
‘’Le Rêve n’est pas votre problème. Votre problème, c’est que vous aimez une partie
du Rêve et pas une autre !’’
108
Vous efforcer d’éliminer les parties du Rêve que vous n’aimez pas continuera à vous
occuper, mais cela continuera de vous frustrer aussi. Cela ne pourra jamais réussir,
parce que la manifestation est intrinsèquement duelle. L’Eveil, c’est voir ce-qui-est et
l’acceptation de la totalité – la totalité bordélique. Vous ne devez pas nécessairement
l’aimer, mais c’est Ce qui est.
Je ne comprends pas ! Simplement parce qu’il y a de la confusion ne veut pas dire que je ne
devrais quand même pas essayer d’être aussi clair que possible.
Alors, soyez-le ! Si vous avez reçu ce type de motivation, il est possible que vous
serviez à contribuer à l’équilibre général, mais soyez bien conscient qu’en dépit de
vos meilleurs efforts, il est toujours possible que les choses que vous dites ou que
vous faites puissent avoir des conséquences inattendues. Même si vous tentez d’être
clair, il se peut que ce que vous dites puisse toujours prêter à confusion pour
certaines personnes et puisse en réalité ajouter à la confusion générale, même si cela
n’était pas votre intention.
Le fait est que cela ne dépend pas de vous. Il est pris soin de la totalité de tout ceci,
de l’équilibre global d’une manière qui ne relève pas des mécanismes corps-esprits et
que ceux-ci ne peuvent même pas commencer à comprendre, avec le niveau de
cognition qui leur est attribué. Le sachant, il n’y a ici aucune intention : un simple
consentement, une coopération avec tout ce qui survient. Et bien sûr, tout ce qui
survient peut inclure une motivation à faire preuve de clarté. Ne soyez simplement
pas surpris si cela n’est pas le résultat, parce que le résultat ne dépend pas de vous.
Et le résultat ultime, dans le long terme, sera de préserver l’équilibre entre la clarté et
la confusion dans la totalité.
109
CHAPITRE 23 : PERSPECTIVE
‘’Nous dansons en rond, pleins de suppositions,
Alors que le Secret siégeant au centre, Lui sait.’’
-
Robert Frost
‘’Si nous comprenons, nous nous situons au centre du cercle où nous siégeons,
Tandis que le oui et le non se poursuivent autour de la circonférence.’’
-
Tchouang-tseu
I
Dans un sens, tout est une question de perception, de perspective. La
Compréhension ultime dont parle la sagesse éternelle peut être vue comme un
formidable et total changement ou modification de la perspective, mais à quel point
il/elle est formidable ou total(e) est difficile à imaginer jusqu’à ce qu’il/elle se
produise.
Quand j’étais dans le cycle secondaire, à la fin des années 60 et au début des années
70, Flatland, d’Edwin Abbott devint populaire parmi les étudiants. A la base, ce petit
livre fut écrit en 1884, mais il suscita un nouvel intérêt et il fit l’objet de plusieurs
réimpressions, car il était en résonnance avec la contreculture et avec l’ambiance des
années Nixon. Flatland est un univers à deux dimensions, habité par des êtres à deux
dimensions ne connaissant que la longueur et la largeur, comme des bonhommes
allumettes que vous pourriez dessiner sur du papier. Comme ils existent sur le plan
plat du papier, ils ne connaissent rien de la hauteur, ni de la profondeur qui
n’existent pas dans leur monde. Par conséquent, ils n’ont jamais réfléchi à ces
directions, ni à ces dimensions ‘’irréelles’’. Ils n’ont pas de mots pour elles. Nos
termes ‘’hauteur’’ et ‘’profondeur’’, ‘’au-dessus’’ et ‘’en-dessous’’ et les idées et les
concepts que ces mots représentent pour nous n’existent pas dans leur monde.
Le livre raconte les expériences de l’un de ces êtres à deux dimensions, un carré,
quand sa vie confortable à deux dimensions est un jour envahie par une créature
incompréhensible issue d’une autre dimension : une sphère. Ce n’est que
graduellement que le carré fut en mesure de comprendre l’expérience initialement
désorientante d’une troisième dimension. Il est inutile de dire qu’un grand problème
apparut, lorsque le carré essaya d’exprimer son expérience à d’autres figures à deux
dimensions, comme lui-même. Comment décrire ‘’au-dessus’’ dans un cadre où il n’y
a qu’ ‘’en avant’’ ou ‘’en arrière’’ et deux directions sur les côtés ? Le carré essaya
d’utiliser des termes existants et il tenta d’utiliser des nouveaux termes qu’il avait
appris de la sphère, mais ‘’au-dessus’’ n’était que des syllabes dépourvues de sens
pour les habitants du plat pays. C’est ainsi que le carré qui avait connu des
expériences réelles de cette troisième dimension fut considéré comme un idiot qui
racontait des inepties.
110
L’expérience du carré du plat pays sera familière à qui aura vécu une expérience
spirituelle ou mystique de ‘’l’au-delà’’ ou d’une autre dimension qui se situe au-delà
de nos trois dimensions physiques familières et qui tenta ensuite de l’exprimer aux
autres dans un langage compréhensible et elle peut s’avérer utile comme métaphore
pour illustrer ou exprimer comment la Compréhension ne peut pas se décrire en des
termes ou des concepts existant ici. Toutefois, le changement de perspective inhérent
à la Compréhension est encore plus radical et total que l’inclusion d’une autre
dimension. Plutôt que la simple addition d’une dimension, c’est un glissement en
dehors de toutes les dimensions, en ce sens que ce n’est pas une question de voir
différemment ou de voir de nouvelles choses ou des choses différentes, mais la
disparition de celui qui voit.
Dans un sens, la Compréhension est à l’opposé de la découverte de la troisième
dimension faite par l’habitant du plat pays à deux dimensions. Dans l’expérience
communément partagée dans le monde de la dualité et de l’évolution, ce que l’on
expérimente, c’est toujours la triade de l’expérimentateur, de ce qui est expérimenté
et de l’expérience elle-même. Il paraît y avoir l’auteur d’une action, ce sur quoi on
agit et l’action ; le penseur, ce à quoi l’on pense et la pensée ; le voyant, ce qui est vu
et la vision ; etc. Même celui qui est, ce que l’on est et être cela.
Toutefois, dans la conscience unitaire de la Compréhension, les dimensions séparées
perçues d’altérité s’effondrent dans l’unité et à la place de la perception de
l’expérimentateur, de l’expérimenté et de l’expérience du mental diviseur, il n’y a
que l’expérience de l’Esprit entier. Pas d’auteur, pas d’objet, pas de chose que l’on
fait. Simplement un fonctionnement. Simplement une vision. Simplement être, pas
dans le sens d’un être, mais d’être. Tout ce qu’il y a, ce n’est pas quelqu’un qui est
conscient de quelque chose, mais plutôt simplement, la Conscience impersonnelle. La
Conscience est tout ce qui est et la Conscience est le fonctionnement, la vision, l’être
et l’expérience ― ce qui est perçu comme quelqu’un qui fait ou qui est quelque chose
par le mental diviseur.
Comment ce changement se produit-il ? Comment passe-t-on de la perception du
mental diviseur à la Compréhension de l’Esprit entier ? Eh bien, personne ne passe
de l’un à l’autre. Personne ne comprend jamais, dans ce sens. Il n’y a qu’une seule
compréhension et la Compréhension, c’est qu’il n’y a personne pour comprendre et
rien à comprendre ! L’essence même de la Compréhension, c’est que, tandis que des
événements paraissent se produire et que des actes semblent être posés, ‘’personne
ne le fait et rien n’est fait. C’est un agir pur.’’ (Wei Wu Wei) Il n’y a pas d’individu
qui fait ou qui comprend quoi que ce soit. Il n’y a rien qui doit être fait ou compris.
En dépit des apparences, il n’y a pas d’individus, ni d’entités distinctes d’aucune
sorte, nulle part. Cette recherche de la compréhension conduit finalement à
l’anéantissement du chercheur, à la réalisation qu’il n’y avait jamais eu de chercheur
pour commencer, que le monde entier qui est perçu par le mental diviseur, y compris
celui qui le perçoit, est une illusion complexe.
Wei Wu Wei :
111
‘’Il est important de comprendre qu’il n’y a rien à acquérir, mais seulement une erreur
à découvrir, car acquérir implique nécessairement d’utiliser et ainsi de consolider ce
faux ‘’je’’ dont la dissolution est requise. Pour cela, seul un réajustement est
nécessaire, ce réajustement étant de renoncer à l’identification à un moi individuel
inexistant, renoncement qui nous laisse dessillé et éveillé dans notre nature éternelle.
Néanmoins, chercher à nous persuader que nous n’existons pas en tant qu’entités
individuelles, c’est comme demander à l’œil de croire que ce qu’il regarde n’est pas là,
mais ce n’est pas uniquement nous qui n’avons aucune existence en tant qu’entités, il
n’y en a aucune, nulle part, dans la réalité du cosmos, il n’y en a jamais eu et il ne
pourrait pas y en avoir. Ce n’est que la Totalité de l’Esprit qui peut révéler cette
Connaissance sous la forme d’une cognition directe qui est évidente, une fois réalisée.
C’est le réajustement total et seul le ‘’Je’’ demeure.’’
Il n’est ni nouveau, ni même inhabituel de penser que tout ce monde et que toute
cette vie sont une illusion ou un rêve. Cette analogie est partout, depuis Shakespeare
(‘’nous sommes de cette substance dont sont faits les rêves’’) jusqu’aux comptines
pour enfants (‘’merrily, merrily, merrily, merrily, life is but a dream’’). Ce que l’on
réalise rarement, c’est que celui qui pourrait penser comprendre ceci est lui-même un
personnage du Rêve qui fait partie de l’illusion, que l’esprit qui pense que ‘’la vie
n’est qu’un rêve’’ n’a lui-même aucune existence en dehors du Rêve et que cette
pensée surgit seulement dans le cadre et comme partie intégrante du Rêve.
Naturellement, cela suffit pour déboussoler la majorité de la race humaine.
II
Deux autres exemples :
Prenez l’avion en Oklahoma et prenez la direction du sud. Que survolez-vous ? Si
vous répondez le Texas, je dois vous dire une chose. Le Texas n’existe pas ! Vous
verrez ce qu’il y a là : du désert aride, des terres agricoles, des montagnes, des
rivières, des routes et des villes. Le Texas n’est qu’un concept. Il n’existe que sur la
base d’une construction conceptuelle à propos de laquelle on s’est mis d’accord. Il
n’y a rien de ‘’réel’’ concernant la limite entre le Texas et l’Oklahoma et vous ne la
verrez pas si vous la survolez. Le tracé, la différentiation et la décision d’appeler ce
petit bout de Terre le ‘’Texas’’ et quelques pas plus loin d’appeler cet autre petit bout
de Terre l’ ‘’Oklahoma’’ n’existent que dans l’esprit, comme une construction de la
pensée. La division en entités distinctes n’est qu’une couche conceptuelle. Une telle
différenciation, une telle dénomination, une telle division et ces ‘’choses’’, en tant
qu’entités distinctives, n’existent pas, sinon en tant que concepts.
‘’Vous’’ et ‘’moi’’, ‘’nous’’ sommes le ‘’Texas’’.
112
La prochaine fois que vous irez au cinéma, arrêtez-vous, lorsque vous aurez quitté la
salle et réfléchissez à ce que vous venez tout juste de voir et quand vous vous mettrez
à raconter le film, je vous demanderai de vous interrompre. Vous aurez peut-être vu
un film, mais ce n’est pas ce qu’il y avait là. Vous serez resté dans le cinéma pendant
à peu près deux heures et pendant quasiment tout ce temps-là, vous regardiez
fixement un écran et pourtant, si je vous demandais de me décrire cet écran, vous
pourriez bien me regarder avec des yeux qui clignotent. A cause des rayons de
lumière colorée qui étaient tout le temps projetés sur l’écran, vous n’avez pas vu
l’écran, même s’il était là et même si vous le regardiez. Il n’y avait pas de personnes,
pas de paysages, pas d’événements ‘’réels’’ sur l’écran, même si vous avez
probablement été pris par l’histoire et par l’émotion du film, comme si celui-ci était
réel. C’est la raison pour laquelle vous allez au cinéma et si vous aviez passé du
temps pendant le film à penser que ce n’est pas réel, c’est que ce n’était
probablement pas un très bon film. La projection de lumière sur l’écran a provoqué
l’apparition de personnes, de lieux et d’événements qui paraissaient réels et qui
suscitaient en vous des réactions mentales et émotionnelles, mais pendant tout ce
temps-là, vous n’avez jamais vu l’écran qui est ce que vous contempliez réellement
pendant deux heures et sans lequel la lumière projetée ne serait tombée sur rien du
tout et vous n’auriez pas pu non plus voir le film.
‘’Vous’’ et ‘’moi’’, ‘’nous’’ sommes le film.
III
Tout est aussi une question de perspective d’une manière encore plus simple, plus
subtile. La façon dont nous percevons les choses et par conséquent, ce que nous
appelons ‘’réel’’, ‘’vrai’’ ou ‘’correct’’ a quelque chose à voir avec notre perspective,
où nous nous situons dans le continuum global. C’est élémentaire, mais c’est souvent
complètement négligé, oublié ou ignoré. La tendance est d’absolutiser sa propre
perspective, de tout rapporter à cela, alors qu’en réalité, notre perspective est ce qui
est relatif. Toute l’histoire de l’humanité, y compris le présent, est saturée et gorgée
de toutes formes d’exploitation, d’assujettissement, d’injustice et d’intolérance, tout
ceci étant rendu possible par le fait que, depuis une certaine perspective et d’un
certain point de vue, cela semble justifié. Il est clair et évident que les présomptions
ou hypothèses de base par rapport à la manière dont sont les choses sont en fait très
relatives et qu’elles dépendent de la perspective et de la position relative de la
personne dans le spectre global.
La Compréhension entraîne avec elle un vaste changement de perspective. Pour les
personnages du Rêve, les choses de la vie comptent et elles sont importantes. Qu’il
soit question de la dernière guerre en cours, de l’environnement, de ce que vos
enfants apprennent à l’école ou de la manière dont cet homme dans la rue vient juste
de vous regarder, vous jugez que les choses et que les événements ont un sens et
qu’ils ont de l’importance. C’est ce qui paraît faire en sorte que la vie vaille la peine
d’être vécue : penser que les choses sont importantes et qu’elles possèdent de la
113
valeur, des causes, des croisades, des principes, des valeurs, de l’engagement dans ce
que l’on pense être juste, lutter contre ce que l’on pense être mauvais, rendre le
monde meilleur…
Mais dans la Compréhension, il est vu que tout ceci ne fait que prolonger l’illusion et
perpétuer la souffrance. Des valeurs que l’on considère comme absolues dans le Rêve
s’avèrent être arbitraires, après examen. Les valeurs épousées par un corps-esprit
dépendent de la programmation et du conditionnement d’une époque, d’un pays,
d’une culture, d’une race et d’une famille et elles s’opposent à des valeurs qui sont
toutes aussi chères pour un autre corps-esprit.
Correct, incorrect, bon, mauvais, important ou non, mais selon qui ? A partir de
quelle perspective ? C’est ainsi que partout sur la Terre, la plupart des gens
ressentent que les choses qui sont les plus proches d’eux sont ce qu’il y a de plus
important. Depuis votre perspective, il est probable que vous vous sentirez plus
bouleversé par la mort d’un membre de votre famille que par la mort de milliers de
personnes dans un pays étranger que vous n’avez jamais vu. Suivant une
perspective, un acte de terrorisme est l’évidence du mal et suivant une autre
perspective, c’est la preuve que Dieu est grand. Ce n’est ni l’un, ni l’autre. Tout ceci
apparaît simplement dans la globalité de la Conscience qui est totalement
impersonnelle et parfaitement neutre. Bon ou mauvais, important ou pas ne sont que
vos projections à partir de votre perspective.
Mais la perspective, pour ainsi dire, de la Conscience impersonnelle est
incompréhensiblement vaste ― un nombre incalculable de formes de vie dans
d’innombrables systèmes solaires, de la matière, de la vie et de l’énergie dans des
formes que nous ne pouvons pas imaginer et sur une échelle qui rend toute la vie que
nous connaissons, toute cette planète elle-même, tout l’univers que nous connaissons
ou que nous pouvons imaginer à peine remarquables. La beauté est qu’en réalité,
tout ce que nous connaissons est plus que remarqué et n’est rien d’autre que la
Conscience, la Conscience Elle-même qui est perçue par nous comme étant ces
choses. Mais que quoi que ce soit que nous puissions penser être ou que nous
pensons connaître ou que nous croyons vouloir ou que nous croyons être juste revêt
une importance particulière relève simplement de notre perspective extrêmement
limitée.
Celui qui écrit ou parle à propos de ce sujet sera à un moment ou l’autre envahi de
questions qui tournent autour de cette matière de l’importance et de la valeur, du
juste ou de l’injuste, du bien et du mal. Comment peut-il y avoir du mal dans le
monde ? Comment peut-il y avoir des catastrophes naturelles ? Comment peut-il y
avoir des guerres ? Comment un Dieu peut-Il permettre la pauvreté ou la violence ?
Comment un Dieu ou la Présence ou la Conscience peut-Il/Elle permettre que des
enfants souffrent ?
Nous avons tous fait l’expérience d’une forme ou l’autre de tragédie, d’une forme ou
l’autre de violence, de perte, d’infortune ou de peine, et certains plus que d’autres, ou
114
nous avons au moins été proches de quelqu’un ayant fait une telle expérience. Il est
impossible d’y échapper. Il est de la nature de cette ‘’réalité’’ imaginaire qu’elle
contienne ce qui est expérimenté comme le plaisir et la douleur, les bonnes et les
mauvaises choses et personne ne sait ce que l’instant suivant va lui apporter, ni
quel(le) sera la combinaison ou le dosage intégral pour chacun des corps-esprits. Il
n’y a pas de réponse, ni de raison depuis l’intérieur, le sein du Rêve.
‘’La souffrance est un appel à l’investigation. Toute peine ou toute douleur nécessite
une investigation.’’ (Nisargadatta Maharaj)
La souffrance, la peine et la douleur soulèvent des questions comme rien d’autre ne
le fait. Investiguez-les ! Investiguez la souffrance. Qui est-ce qui souffre ? Depuis
quelle perspective est-ce inacceptable ?
Le Bouddha a déclaré que le samsara est dukkha. Prendre le Rêve pour la Réalité n’est
pas ce qui cause la souffrance, c’est la souffrance. La seule solution possible à la
question du mal et de la souffrance, c’est de voir à travers l’illusion. Sous toutes ses
formes, la souffrance est la plus grande invitation à s’éveiller, et elle n’est jamais bien
loin…
115
CHAPITRE 24 : INCROYABLEMENT SIMPLE
‘’S’il vous plaît, veuillez comprendre qu’il n’y a qu’une seule chose à comprendre et
c’est que vous êtes le non-né, sans forme et intemporel.’’
-
Nisargadatta Maharaj
‘’Il n’y a que la vacuité, ici. Pas question de mettre de côté mon ego et tout çà. Il y a
juste la vision brillant de tout son éclat et de toute sa clarté.’’
-
Douglas Harding
Voyez-vous, tout cela est si incroyablement simple. Il n’y a personne, ici. Ce n’est pas
qu’une façon de parler. J’entends bien qu’il n’y a réellement personne, ici, aucun
individu qui s’adresse à vous. Vous me regardez et pensez qu’il y a une personne ici
qui vous parle et qui tente de vous dire quelque chose. Je vous assure que ce n’est
pas le cas. Regardez-moi. S’il n’y avait pas la Conscience qui se diffuse par
l’entremise de ce corps, qu’y aurait-il ici ? Que serait ce corps, si la Conscience n’était
pas ici ? Un cadavre, naturellement ! De la matière morte. Il n’y a rien d’autre ici. Il
n’y a que l’apparence d’un corps et la Conscience qui l’anime. Vous, comme le reste
du monde, vous avez présumé qu’il y a ici un individu distinctif : que la Conscience
qui est la force qui anime est une conscience individuelle qui est unique à ce corps et
qui est distincte de la conscience dans les autres corps.
Ce n’est basé que sur les apparences. Il semble y avoir des corps séparés et donc,
l’hypothèse, c’est qu’il y a des consciences séparées. Croire à cette supposition vous
empêche de voir ce qui est et c’est également la raison pour laquelle vous
expérimentez cette vie comme étant inquiétante, troublante, confondante et
globalement remplie d’appréhension et de souffrance. Mais ce n’est pas le cas. Il n’y a
absolument aucun individu qui s’adresse à vous ici. Ce corps n’est rien. Ce n’est
qu’une simple apparence dans le Rêve. Tout ce qu’il y a, c’est la Conscience et la
Conscience se diffuse par l’intermédiaire de cette apparence.
Rien ici n’existe par lui-même, ni de lui-même. Ce que nous appelons un être humain
n’est pas un être indépendant. C’est une station relais, un mécanisme par lequel
passe la Conscience, la Conscience unique, la Totalité. C’est ce que je suis et ce qui
vous parle. Et c’est cette même Conscience unique qui écoute ceci et qui me regarde
par l’entremise de ces yeux que vous dites vôtres. Ce que je suis, quand je dis ‘’je
suis’’, est exactement le même que ce que vous êtes, quand vous dites ‘’je suis’’.
Une fois que c’est vu, l’ironie de la situation est stupéfiante. Regardez : ce que vous
pensez être ‘’vous-même’’, ce que vous percevez comme étant un individu, cette idée
d’être une entité distinctive, corps-mental-personnalité-âme-intelligence, n’est qu’un
produit dérivé postérieur, un objet fabriqué, un effet secondaire quasiment accidentel
de cette diffusion ou de ce flux de la Conscience. C’est la diffusion de la Conscience
116
dans cet organisme que l’organisme perçoit improprement comme étant un ‘’esprit’’
qu’il pense être le sien propre. C’est la Conscience même qui se diffuse dans cet
organisme qui permet cette perception, qui fait en sorte qu’il soit possible pour cet
organisme de penser être autre que cette même Conscience. Une simple et innocente
perception erronée et comique parce que, Celle-là même qui semble penser ceci, qui
semble ne pas voir et ne pas comprendre qu’Elle n’est pas un individu séparé et
qu’Elle n’est que la Totalité est Elle-même l’essence même et la seule essence de toute
la vision et de toute la compréhension.
Regardez ce qu’il y a derrière cette perception. Examinez ce que vous pensez être
‘’vous-même’’. C’est le but, le sens de toute la spiritualité, de toute la recherche, de
votre existence même : comprendre ce jeu incroyablement complexe de la Conscience
en voyant ce qu’est cette illusion, cette perception erronée et ce qu’est sa source qui la
rend possible. Ce que vous êtes, vous l’avez toujours été. C’est en voyant ce que vous
n’êtes pas que vous vous en écartez.
Si vous quittez ce que vous n’êtes pas, ce qui reste, ce n’est pas quelque chose que
vous devez devenir, mais ce que vous avez toujours été. C’est pourquoi il n’y a rien à
faire, rien à devenir, rien à apprendre, rien à pratiquer, rien sur quoi travailler et rien
à purifier. Etre dans votre état naturel est complètement dénué d’effort. Ce qui est
plein d’efforts constants et pénibles, c’est d’entretenir cette idée fausse et artificielle
d’être ‘’quelqu’un’’, d’être un individu, quelque chose de distinctif. Vous n’êtes pas
une entité. Lâchez prise ! A ce moment-là, vous reposez dans l’état sans effort de la
Totalité, dans ce que l’on pourrait appeler l’état naturel.
L’état sans effort est quelque chose que l’on ne peut pas atteindre par l’effort. Le nonmental n’est pas un état qui peut s’atteindre par le mental. Et la paix ne peut pas
s’obtenir par la lutte. S’efforcer d’être conscient d’être simplement dans l’instant
présent est en soi une contradiction. S’efforcer d’être conscient de ‘’Je suis’’ est une
contradiction similaire et pour la même raison. Vous ne pouvez pas plus vous
efforcer d’être heureux que vous ne pouvez vous efforcer de vous endormir ou d’agir
avec naturel. Vous n’agissez avec naturel, que si vous ne vous y efforcez pas, que si
vous ne pensez pas, que si vous vaquez simplement à votre vie. On venait de toute
l’Inde et du monde entier pour voir Ramana Maharshi et pour lui demander conseil
sur la voie spirituelle et son conseil était ‘’Soyez simplement vous-même !’’
Voici ce que disait Nisargadatta Maharaj de votre état naturel, de ce que vous êtes
naturellement et spontanément, sans effort :
‘’Cet état se situe avant l’apparition de l’existence.
Il se situe avant ou au-delà de l’existence et de la non-existence.
Je Suis dans cet état qui existe avant l’arrivée de l’existence et de la non-existence.
Avec l’arrivée de l’état de veille, le monde entier se manifeste.
A cause de mon existence, mon monde se manifeste.
C’est aussi ce qui est observé par cet état qui est antérieur à l’existence,
Et vous êtes Cela !’’
117
CHAPITRE 25 : NE JAMAIS INTERFÉRER
‘’Libérer les gens de l’idée qu’ils souffrent est la plus grande compassion.’’
-
Tony Parsons
‘’Supérieur au plus grand bien dans la vie, c’est savoir qui nous sommes.’’
-
Nisargadatta Maharaj
A des questions telles que pourquoi il ne sortait pas aider le monde ou pourquoi il ne
travaillait pas à réduire la souffrance ou au moins à tenter d’atteindre plus de gens
avec l’enseignement, Ramana Maharshi répondait : ‘’D’abord, comment savez-vous
que je ne le fais pas ? (Vos jugements ne se fondent que sur des apparences
physiques.) Et puis ensuite, pourquoi présumez-vous que quelque chose doit être
fait, que le monde a besoin d’aide ou que les gens ont besoin d’entendre un
enseignement ?
D’un certain point de vue, il semble y avoir pas mal d’ironie par rapport à tout cet
Eveil. Une telle ironie patente concerne la raison pour laquelle il y en a si peu parmi
ceux qui sont réellement éveillés qui s’engagent dans l’action sociale. Ces
instruments corps-esprits qui connaissent par expérience et sans l’ombre d’un doute
la nature imaginaire et illusoire de ce que les autres appellent le monde ‘’réel’’, pour
qui ce monde apparaît vraiment, pour utiliser les termes du Bouddha, ‘’comme une
étoile à l’aurore, une bulle qui flotte à la surface de l’eau, une loupiote qui clignote,
un éclair dans un nuage d’été, un écho, un arc-en-ciel, un fantôme et un rêve’’ (Sutra
du diamant) – sembleraient donc dans une position unique pour opérer un
changement, chasser le mal, propager la paix et la beauté, guérir la souffrance et la
maladie et améliorer globalement les conditions, partout et pourtant, ce sont
précisément ceux-là même qui le plus souvent ont le moins d’inclination à agir ainsi.
Il y a bien entendu des exceptions, de rares exemples historiques et actuels de
guérisseurs, d’activistes et de thaumaturges éveillés. Des techniques spirituelles et
mentales existent pour infléchir et étirer les lois apparentes du temps et de la nature,
mais la voie du yogi, l’adepte spécialisé dans de tels moyens et celle du jnani, le sage
qui se renonce dans l’anéantissement de l’autoréalisation sont des voies très
divergentes, sinon des voies qui s’excluent totalement mutuellement.
Essentiellement,
‘’Celui qui s’est entièrement analysé, celui qui est parvenu à la compréhension ne
tentera jamais d’interférer avec le jeu de la Conscience.’’ (Nisargadatta Maharaj)
La conscience profonde, c’est que tout est parfait, tel quel :
‘’Cela est parfait et ceci est aussi parfait. Du parfait émane le parfait. Si le parfait
est issu du parfait, le parfait demeure.’’ (Isha Upanishad)
118
Et par ‘’parfait’’, je n’entends pas toute sorte de jugement à propos du bon ou du
mauvais ou être meilleur que quelque chose d’autre. Je l’entends dans le sens que :
‘’La Compréhension est parfaite, comme le vaste espace est parfait, là où rien ne
manque et où rien n’est en excès.’’ (Seng Ts’an)
Pour employer de nouveau les termes de Nisargadatta :
‘’Ce rêve que vous appelez le monde n’est pas le problème. Votre problème, c’est que
vous aimez certaines parties du rêve et pas les autres. Une fois que vous avez vu que
le rêve est un rêve, vous avez fait tout ce qu’il y a à faire.’’
Il pourrait être utile de laisser tomber l’idée que Dieu ait merdé, d’une façon ou
d’une autre, et qu’Il a besoin de votre aide et de votre engagement ou de celui d’un
sage pour rétablir les choses. Ce qui est ne peut pas ne pas être le déploiement parfait
de/dans la Conscience et si quelque ajustement est nécessaire pour préserver
l’équilibre cosmique, ‘’quelqu’un’’ – peut-être ‘’vous’’ – sera irrésistiblement motivé
pour accomplir une action qui servira ce but et ceci sera aussi le déploiement parfait.
N’en faites simplement pas une affaire personnelle.
Il n’est guère surprenant que pour ces instruments corps-esprits qui ont une
perspective limitée depuis ce petit coin de l’univers, certains événements peuvent ne
pas paraître très attrayants. En réalité, étant donné le programme, la programmation,
le conditionnement et la situation globale, beaucoup d’aspects de ce que nous
appelons la vie ici peuvent paraître extrêmement déplaisants, horribles et
franchement inacceptables.
La perspective de l’Eveil n’est pas qu’ils n’existent pas, mais que d’une façon ou
d’une autre qui n’est pas compréhensible pour des esprits humains, ils font partie
intégrantes de l’équilibre global et de ce parfait déploiement et ils sont acceptés
comme tels. C’est ‘’l’acceptation de ce qui est’’, dont parlent les sages. Ce n’est pas
qu’après l’Eveil, on trouve les choses horribles et pénibles qui se produisent dans la
vie moins horribles ou moins pénibles. En réalité, cette conscience est souvent
beaucoup plus aiguë, mais l’ensemble est considéré depuis une perspective
différente qui rend le problème sans objet. Cette idée qu’il y a quelque chose qui ne
va pas, qu’il faut faire quelque chose pour régler ou pour arranger cela et que
‘’quelqu’un’’ doit faire quelque chose à ce propos fait partie intégrante de l’hypnose
divine du samsara.
Comme le dit si concisément Adyashanti : ‘’L’idée qu’il y a un problème…est le poil
rebelle dans le derrière de l’humanité !’’ En ce qui concerne toutes les questions et
tous les problèmes, à l’instant de l’Eveil, les problèmes et les questions ne sont pas
résolus, ils se dissolvent, tout simplement.
‘’S’il y a la croyance en une entité, en un auteur/acteur individuel, les problèmes ne
s’arrêtent jamais. Mais quand la nature illusoire de l’individu est perçue, les
problèmes ne surgissent plus jamais.’’ (Ramesh)
119
CHAPITRE 26 : LA MACHINE À RÊVES
‘’Celui qui sait ne parle pas.
Celui qui parle ne sait pas.’’
-
Lao Tseu
‘’Une autorité de tout ordre –
Particulièrement dans le domaine de la compréhension –
Est la chose la plus destructrice.
Ceux qui dirigent détruisent ceux qui les suivent
Et ceux qui suivent détruisent ceux qui les dirigent.’’
-
J. Krishnamurti
Occasionnellement, quelqu’un demandera sans détour ‘’êtes-vous éveillé ?’’ ou ‘’êtesvous illuminé ?’’ Apparemment, ceci semble être une question parfaitement
raisonnable et directe qui mérite une réponse toute aussi franche. Récemment, je suis
tombé sur un site internet qui était dédié à ‘’la découverte de votre maître spirituel’’.
Il s’agissait de faire un tri parmi tous les maîtres et tous les gurus qui s’y trouvaient,
puis de décider lequel était authentique et serait pour vous le meilleur maître. Ce site
incluait une checklist d’indicateurs et de tests et l’un de ceux-ci était que vous
devriez pouvoir demander à un instructeur potentiel si celui-ci était ‘’illuminé’’ et
il/elle devrait pouvoir clairement et sans la moindre hésitation vous donner une
réponse directe – oui ou non – sinon vous devriez immédiatement aller voir ailleurs.
Tout individu réellement ‘’illuminé’’ devrait pouvoir vous le dire d’une manière
directe et toute dérobade ou esquive de la question est un signe que l’individu en
question est un charlatan.
Même si ceci est sans doute bien intentionné, la difficulté réside dans le fait que
l’esprit non éveillé du personnage fictif tente avec son conditionnement et ses limites
de se mettre dans la position de fixer les critères par lesquels l’Eveil doit être évalué,
que par définition, il ne comprend pas et ne peut pas comprendre. Ce n’est pas qu’on
élude quelque chose, ici, c’est juste que depuis la perspective de l’Eveil, la question
‘’êtes-vous éveillé ?’’ n’a tout simplement aucun sens. C’est comme demander : ‘’De
quelle couleur est un kilomètre ?’’ Ou, comme l’a suggéré Nisargadatta, c’est comme
demander des nouvelles de l’enfant d’une femme stérile. Le questionneur est
sincèrement sérieux et le souhait de répondre d’une manière qui sera utile existe,
mais une fois encore, les questions qui sont si pressantes avant l’Eveil se dissolvent
dans une absence de sens et de pertinence, quand il se produit. Depuis la perspective
d’un Eveillé, la question d'être éveillé est une méprise fondamentale. N’importe
quelle réponse est une mauvaise réponse, la prémisse de la question étant erronée.
Cela ressemble à un koan zen en ce sens qu’il est intrinsèquement impossible de
répondre à cette question.
120
On appelle aussi l’Eveil ou l’Illumination ‘’Réalisation du Soi’’, parce que c’est une
question de réaliser qui ou ce qu’est réellement le Soi. C’est réaliser qui est le ‘’Je’’ et
ce que n’est pas le ‘’Je’’. L’essence même de l’Eveil est la réalisation qu’il n’y a ici
personne qui s’éveille, qu’il n’y a pas d’individu(s). Le Soi est la Totalité. Il n’y a rien
qu’Il n’est pas. La Conscience est la Totalité. L’apparence d’un moi individuel, en
tant qu’entité distinct(iv)e et en tant qu’origine et auteur/acteur de quoi que ce soit
est l’illusion primaire, l’obscurantisme de base depuis lequel toute illumination se
produit.
‘’A partir de la perspective de l’infini, il est clair que le moi individuel n’existe
absolument pas. L’idée que nous avons un moi qui contrôle, qui tranche ou qui est
l’auteur de nos actions est absurde. Le moi individuel n’est rien qu’une idée de qui
nous sommes. Les idées sont des idées – et rien de plus.’’ (Suzanne Segal)
Des questions par rapport à la nature ou par rapport aux activités de cet animal
purement mythique appelé ‘’moi’’ se révèlent par conséquent comme n’ayant aucun
sens. Par exemple, il ne peut être répondu à la simple question ‘’que faites-vous ?’’,
qu’en riant ou en secouant simplement la tête, à moins qu’il ne soit perçu que le
questionneur puisse être ouvert à entendre la vraie réponse : ‘’Qu’est-ce que je fais,
moi ? Il n’y a aucun ‘’moi’’ qui fais quoi que ce soit et il n’y en a jamais eu ! Pas plus
qu’il n’y a un ‘’vous’’ qui puissiez faire quoi que ce soit, si vous pouviez seulement
vous en rendre compte, ni des choses que ‘’nous’’ puissions faire !’’ La Conscience est
tout ce qu’il y a. Elle s’écoule, elle se diffuse par l’intermédiaire de ces instruments
d’une manière qui, en phase avec le déroulement parfait de la Totalité, est perçue
comme des entités individuelles distinct(iv)es qui accomplissent des actions d’une
manière autonome, mais en réalité, ce n’est pas le cas. Il n’y a aucun individu, aucune
entité, aucun moi distinct(if) ici pour faire ou être quoi que ce soit, y compris éveillé
ou illuminé.
Il peut y avoir des moments au cours d’un satsang ou d’un entretien privé où un
authentique jnani pourra trouver nécessaire d’admettre que la Compréhension totale
est survenue. Toutefois, en dépit de ce que peut dire l’auteur bien-intentionné du site
web, généralement, il est très peu probable que celui ou celle qui proclame à tous
ceux qui veulent bien l’entendre qu’il ou elle est ‘’illuminé(e)’’ le soit, car s’il ou elle
l’était, il ou elle comprendrait qu’une telle déclaration est en soi intrinsèquement
contradictoire. Qui ? Qui est illuminé(e), sot(te) ? Si vous étiez ce que vous prétendez
être, vous seriez plus avisé(e).
C’est un peu comme ce slogan New Age que l’on retrouve partout : ‘’Nous sommes
tous un.’’ Cela part sûrement d’une bonne intention, mais c’est clairement en soi
contradictoire. Ne peut-on pas voir que s’il y a ‘’nous’’, alors il n’y a pas d’ ‘’un’’,
(mais beaucoup) et si réellement tout ce qui est est ‘’un’’, il ne peut absolument pas y
avoir de ‘’nous’’ ? Similairement, se distinguer comme ‘’quelqu’un’’ d’illuminé, en
tant qu’entité individuelle distincte par rapport à d’autres qui ne le sont pas, n’est
que faire la démonstration de la profondeur de l’imaginaire. Si la Compréhension est
là, il ne peut en aucun cas y avoir un moi pour la revendiquer.
121
Il existe une grande préoccupation parmi les chercheurs spirituels concernant ce sujet
de l’Eveil ou de l’Illumination. Beaucoup de réflexions et de conversations tournent
autour de la question de savoir quel maître ou quel auteur est illuminé et quel maitre
ou quel auteur ne l’est pas, si tel étudiant avancé a déjà ‘’trouvé’’ l’Illumination ou
encore à quel point on est soi-même proche de l’Eveil. Toute cette préoccupation et
cette affaire devient en fait hors de propos et sans objet dans cet événement : tout ce
qu’il y a, c’est la Conscience qui opère dans et par l’intermédiaire de ces formes
apparentes. Comment pourrait-il être question que des formes apparentes fassent,
trouvent ou deviennent quoi que ce soit ? Tout ceci est un événement dans la
Conscience. Ce qui advient, advient. Dans quelle forme apparente, quel événement
imaginaire se produit n’a aucune importance. Qui est là pour s’en soucier ?
Tout ceci relève du secret intemporel de l’Illumination, mais il n’y a pas de souci.
C’est et cela a toujours été un secret de Polichinelle, la vérité nue pour que chacun
puisse la voir. Comme l’a maintes fois souligné le sage, Houang-Po : ‘’Cela crève les
yeux !’’ Le fait est que la véritable Conscience, la véritable Compréhension ne peut
absolument pas être simulée. La lumière de la Compréhension ultime, même si elle
luit dans et se diffuse par le biais d’un organisme corps-mental quasiment illettré et
sans éducation fait ressembler la compréhension intellectuelle des enseignements la
plus érudite et la plus raffinée à un simple bafouillage ignorant. Les sages en ont fait
la démonstration au fil des siècles, depuis Houei-Neng, au septième siècle en Chine
jusqu’à Nisargadatta Maharaj, au vingtième siècle, à Bombay.
Par ailleurs, il y a aussi ceux-là qui peuvent avoir connu des expériences mystiques
transformatrices de l’unité et qui possèdent aussi une compréhension intellectuelle
des enseignements qui impressionne, en plus d’une personnalité charismatique et
d’une propension à enseigner aux autres. Ils rassembleront beaucoup d’adeptes et de
disciples et réussiront très bien dans le guru bizness. Quand un aveugle guide des
aveugles, aucun des suiveurs ne peut voir que le guide lui-même s’appuie sur une
canne blanche, mais pour celui qui est réellement éveillé, un tel maître se trahit à
chaque fois qu’il ouvre la bouche.
L’Eveil n’est pas une expérience et ce n’est pas une connaissance. Une connaissance
n’est qu’un voile sur ce qui est connu et un voile très confondant, qui plus est.
L’authentique Eveil est une Connaissance et une Vision qui dépasse toute
connaissance et toute expérience. Ce-qui-est est et ne peut être contredit, alors que
ceux qui sont toujours dans l’imaginaire ne peuvent que faire des suppositions et être
approximatifs.
A l’instar de tant de choses qui sont arrivées avant et comme beaucoup d’autres
modes qui sont encore à venir, l’advaita et les enseignements sur la non-dualité qui
ont existé tout au long de l’histoire humaine ont il y a peu été avidement engloutis
par la machine à rêves américaine pour en ressortir sous une forme plus appétissante
pour les sensibilités des personnages du rêve moderne occidental, mais à peine
reconnaissable pour les quelques rares à travers les siècles chez qui cette chose
ineffable s’est produite, pour qui le ‘’tilt’’ du changement de focalisation, du
122
changement de perception est si définitif qu’il y a la Compréhension, qu’il y a la
connaissance qu’il n’y a là personne pour évoluer, qu’il n’y a là personne pour savoir
qu’il n’y a là personne pour évoluer, pour s’éveiller.
Dans la Bhagavad Gita, Krishna dit à Arjuna que parmi tous les habitants de la Terre,
‘’il n’y en a qu’un seul sur des milliers qui Me cherche et que parmi ceux qui
cherchent, il y en a à peine un seul sur des milliers qui réalise Ma véritable nature.’’
Prendre au pied de la lettre ce passage des Ecriture et tenter de calculer combien d’
‘’Illuminés’’ il y a dans le monde à un moment donné est compliqué. Krishna
soulevait un point important et je doute que ceci avait quelque chose à voir avec un
comptage, mais cela donne un aperçu de la conscience traditionnelle par rapport à la
rareté de l’occurrence de la véritable Illumination.
Ken Wilber signale quelque chose de similaire dans One Taste. Il y relate comment il a
une fois demandé à un maître chan chinois combien de maîtres véritablement
illuminés il y avait eu tout au long de l’Histoire et sa réponse immédiate fut : ‘’En
tout, peut-être mille…’’ Supposons ― de manière purement hypothétique ― que ceci
représentait quelque chose comme aussi peu qu’un milliard de Chinois pour toute
cette période, ce qui nous donne mille sur un milliard, soit 0,0000001 % de la
population. De nouveau, prendre un tel chiffre au pied de la lettre passe à côté de
l’essentiel. Il y a là un sens plus large, quel que soit le pourcentage réel reconnu par
la sagesse éternelle :
Et cela signifie sans aucun risque de se tromper que le reste de la population était (et
est toujours) engagé au mieux dans diverses formes de religion horizontale,
translative, purement légitimiste…des pratiques magiques, des croyances mythiques,
des prières de supplication égotiques, des rituels magiques…des méthodes pour
donner un sens au moi distinct(if)…
Ainsi, sans nullement dénigrer les contributions réellement époustouflantes des
superbes traditions orientales, on ne peut que constater que la spiritualité
transformatrice radicale est extrêmement rare, n’importe où sur la planète et dans
l’Histoire. (Les chiffres pour l’Occident sont encore plus déprimants. Je n’insiste pas.
(Ken Wilber)12
Pour les sensibilités occidentales modernes, ceci n’est pas acceptable : cela paraît
élitiste, exclusif, politiquement totalement incorrect. La Libération, l’Illumination
devrait être accessible à tous ceux qui font l’effort et non arbitrairement comme le
12
Pour en rajouter encore une couche, voici ce que l’Avatar Sathya Sai Baba déclarait à ses auditeurs dans l’un
de ses discours : ’’Vous êtes venus, la plupart, pour obtenir de Moi, du clinquant et de la camelote, des petites
guérisons et des promotions, des joies et du confort. Très peu d’entre vous désirent obtenir de Moi la chose
que Je suis venu donner, à savoir la LIBERATION elle-même ; et même parmi ces quelques rares personnes,
celles qui adhèrent à la voie de la sadhana et qui réussissent sont une poignée.’’ (Sathya Sai Speaks, Vol. II),
NDT.
123
gros lot d’une loterie divine. Qui plus est, cela ne fait pas vendre. Personne
n’achètera un billet, si la probabilité de gagner n’est que d’une chance sur un million.
Et c’est ainsi que dans la machine à rêves américaine (qui soit dit en passant ne se
limite pas aux frontières des Etats-Unis), l’Illumination est redéfinie pour inclure tous
ceux qui ont eu une expérience d’Illumination.13 Nous avons maintenant un Eveil
light par lequel vous pouvez prétendre être éveillé tout en restant parfaitement
endormi et c’est une tendance généralisée.
Le résultat est un genre de mouvement de réveil sous chapiteau de type satsang.
D’après beaucoup d’instructeurs/gurus qui partent en tournées, l’Eveil survient où
qu’ils passent, pour des personnes comme vous et c’est la prochaine grande vague
dans l’évolution de l’humanité jusqu’au niveau de conscience cosmique qui suit. Où
a-t-on déjà entendu cela auparavant ?
Partout et à tout bout de champ. C’est le/la mode de la Terre entière, l’ ‘’hypnose
divine’’, d’être berné(e) et de rester endormi(e) en poursuivant la Libération
individuelle et collective, l’Illumination personnelle et de groupe, alors que la seule
Vérité est totalement impersonnelle et ne peut se trouver que dans l’anéantissement
de l’individu illusoire.
‘’Si un guru prétend être illuminé, cela signifie que l’ego est illuminé, aussi restez à
l’écart. Les ‘’maîtres’’ occidentaux qui prétendent cela sont des prédicateurs et ils
n’écrivent des livres que pour empiler davantage de détritus dans la tête des
chercheurs et mettre plus d’argent dans leurs poches. Ils attireront certes une
pléthore d’étudiants, mais dans ce Kali Yuga (l’âge sombre actuel dans la mythologie
hindoue), c’est la fausseté qui attirera les foules. La Vérité et les authentiques gurus
seront négligés. La Vérité sera préservée par des gens honnêtes et ceux-ci ne seront
pas suivis. Seuls seront suivis les malhonnêtes.’’ (H. W. L. Poonja)
Il y a beaucoup d’instructeurs en tournées et satsangs de réveil sous chapiteau qui
parlent de l’Illumination comme du prochain grand pas dans l’évolution de la race
humaine et tout cela est très excitant, parce que ce pas se franchit maintenant, avec
beaucoup plus de gens qui s’éveillent que cela n’a jamais été le cas à n’importe quelle
autre époque de l’Histoire.
Ce genre de choses, ce sont juste de la confusion et de l’imagination. L’Illumination
n’a rien à voir avec des tournants de l’Histoire, ni avec le fait que beaucoup de gens
s’éveillent. Cela n’a rien à voir avec l’évolution. Ainsi que le remarque Jed McKenna :
‘’A contrario, l’Illumination, c’est plutôt l’évolution qui déraille.’’ L’évolution est un
concept totalement dualiste. Des individus ou la race entière qui grandissent,
évoluent, se développent et deviennent meilleurs au fil du temps. C’est la description
du dualisme, de la façon dont le dualisme opère. L’évolution concerne le changement
13
Par rapport à ceci, Karlfried Graf Dürckheim disait dans ‘’Pratique de la Voie intérieure’’ : ‘’N’oublions pas
qu’une expérience d’éveil ne donne pas encore un être éveillé. La porte est ouverte vers le mystère que vous
êtes en vous-même, vous êtes sur le chemin initiatique, c’est un commencement, non une fin’’, NDT.
124
d’objets relatifs. L’Illumination est à l’opposé. Il s’agit de réaliser la Vérité, la
Subjectivité absolue qui est immuable.
Tout le concept de l’évolution part de l’hypothèse de l’existence d’entités
individuelles distinct(iv)es, d’une espèce collective ou d’une race de telles entités et
de leur existence dans ce que l’on appelle le temps. Cela implique également tout un
ensemble de jugements de valeur par rapport à l’état actuel de la race humaine et par
rapport à la direction qu’elle devrait emprunter.
Cette manière de voir les choses et la façon de voir les choses après que le véritable
Eveil ou que la Compréhension soit survenu(e) s’excluent mutuellement. Quand
l’Eveil se produit, tout le contexte qui comprend les individus, la race, le temps et les
jugements de valeurs est perçu comme étant une illusion, un rêve. L’Eveil ou
l’Illumination signifie quitter soudainement le contexte dans lequel l’évolution a son
sens.
‘’Tout ce qui implique une continuité, un enchaînement, un passage de stade en stade
ne peut pas être le Réel. Il n’y a aucun progrès dans la Réalité. Elle est ultime,
parfaite et sans relation. La Réalité n’est pas le résultat d’un processus, c’est une
explosion.’’ (Nisargadatta Maharaj)
Quelqu’un – il s’agissait peut-être de Robert Adams – a une fois suggéré qu’il devrait
y avoir un grand rassemblement d’Eveillés et que tous ceux qui s’y montreraient
seraient immédiatement disqualifiés ! (Ironiquement, il existe actuellement un tel
rassemblement annuel. Une grande majorité d’instructeurs bien connus qui ont
publié des livres et qui font des tournées mondiales en donnant des satsangs y
participent et y font des présentations. Je reçois des prospectus dans le courrier.)
Honnêtement, j’ai même reçu encore autre chose dans le courrier : une annonce de
pré-parution concernant le nouveau livre d’un instructeur spirituel populaire vendu
avec le slogan qu’à ce moment crucial de notre histoire humaine, les vérités les plus
profondes qui n’étaient jadis accessibles qu’aux ‘’êtres les plus rares’’ vous sont
maintenant accessibles, avec l’exhortation de ne pas en commander un, mais plusieurs
exemplaires ‘’pour encourager l’intérêt des médias’’ !
Je trouve cela étonnant, et le mot est faible, que la communauté des chercheurs
spirituels considère apparemment ce genre de choses comme étant acceptable de la
part d’un instructeur de premier plan et d’une maison d’édition consacrée
exclusivement à des publications spirituelles. La pub pour des SUV et pour des
vacances dans les îles Caraïbes utilise les mêmes ficelles émotionnelles, mais
généralement, en donnant l’impression d’avoir un peu plus d’intégrité. Il s’agit
clairement d’une absurdité manipulatrice, opportuniste et abusive déraisonnable ou
qui se berce d’illusions. Et peut-être même qu’à un certain niveau, l’idée derrière tout
cela partait d’une bonne intention ― un individu qui croit réellement qu’il est éveillé
et qu’il va sauver le monde en éveillant à son tour ‘’plus de gens que jamais
auparavant !’’
125
Rappelez-vous l’estimation de Wilber d’après laquelle un Eveil authentique est
‘’extrêmement rare partout dans l’Histoire et partout dans le monde’’. Il n’y a rien
qui cloche à tenter d’aider les gens, bien entendu, mais attention : dire à des gens
qu’ils sont tellement spéciaux qu’ils ont gagné le gros lot et qu’ils peuvent
maintenant devenir des ‘’Eveillés’’, alors qu’il y a encore quelqu’un, un moi, qui
s’implique là-dedans, c’est finalement ne pas les aider, ni personne. Oui, la
souffrance est là, mais c’est prendre avantage de cette souffrance et au bout du
compte la multiplier et ne pas y mettre un terme. On racontera toujours ce genre de
chose, ceci arrivera toujours, mais des instructeurs spirituels de premier plan
devraient être mieux avisés, à tout le moins.
Ce n’est toutefois pas le cas. Des aveugles guidant des aveugles, aussi personne ne
connaît la différence. Je vous en prie, mes chers, il y a tellement de souffrance qui se
perpétue, quand on croit ces conneries. Ecoutez ! Il n’y a pas d’individus qui sont
éveillés et il n’y en a jamais eu ! L’Eveil ne se produit pas pour des gens comme
vous, ni pour des gens comme moi, parce que l’Eveil ne se produit pour personne. Il
n’y a ici personne. Il n’y a personne à éveiller, ici. Penser que vous êtes un Eveillé ou
qu’il est possible de le devenir, que votre Maître est un Eveillé ou qu’il y a au moins
un Eveillé dans une grotte quelque part dans les Himalayas, c’est être toujours dans
le sommeil. S’éveiller signifie quitter brusquement le contexte dans lequel l’Eveil a un
sens.
126
CHAPITRE 27 : AMALGAMES
‘’Votre vision deviendra claire,
Quand vous regarderez à l’intérieur de votre cœur.
Qui se tourne vers l’extérieur rêve ;
Qui se tourne vers l’intérieur s’éveille.’’
-
Carl Jung
Ce truc d’aveugles qui guident des aveugles serait marrant, s’il n’était pas si tragique
et il serait tragique, s’il n’était pas si comique. Quelqu’un se pointe en prétendant
avoir atteint l’Illumination complète ! Expression drôlement superfétatoire ! Quel
autre type d’Illumination y a-t-il ? Partielle ? Maintenant, Dieu du ciel, comment
99,9999999 % de la population, pour ainsi dire, des personnages qui tournent en rond
ici dans ce Rêve pourraient-ils bien évaluer cette prétention ? Comment le
pourraient-ils ? Mais cette question ne semble interpeller personne et un nombre
remarquable paraît pressé de croire à cette affirmation, en tout cas.
Si, comme les maîtres l’ont déclaré, seul un jnani peut reconnaître un jnani, s’il n’y a
que quand la réalisation s’est produite qu’il peut y avoir la reconnaissance de la
réalisation qui s’est produite, alors quasiment tout le monde peut prétendre à de
telles revendications et en être quitte, en toute impunité – pour autant de pouvoir
éviter le 0,0000001 % qui est plus avisé, ce qui ne devrait pas être compliqué. Et une
fois qu’ils sont en nombre suffisant, tous ceux qui revendiquent cela peuvent se
créditer et se certifier mutuellement et le millionième de pourcent radical chez qui il
y a vraiment la vision de Ce-qui-est est marginalisé comme étant un mec bizarre. On
a alors un système conventionnel et autonome qui s’autoperpétue, totalement
artificiel, qui n’est guère différent de toute autre activité du Rêve et très peu sont en
mesure de dire qu’il est artificiel. Le millionième de % s’en contrefiche. Pourquoi
interférer ? Néanmoins, pour les personnages identifiés qui continuent de galérer
dans le Rêve et qui sont pris dans la souffrance de tenter d’en trouver le sens, c’est
réellement tragique.
Voici la partie amusante. Imaginez une conférence où les meilleurs spécialistes
mondiaux en matière de sexualité humaine seraient réunis. Les uns après les autres,
ces docteurs, spécialistes du comportement humain et psychologues de recherche
grimpent sur le podium pour donner leurs conférences érudites sur le sujet de
l’orgasme. Tandis que la conférence bat son plein, il pourrait devenir évident
qu’aucun des ‘’experts’’ en question n’a en fait connu lui-même l’orgasme, que tout
est intellectualisé. Mais attendez ! Personne dans le public n’a connu l’orgasme non
plus, alors comment pourrait-il bien savoir que ce que racontent ces orateurs, c’est du
pipeau ? Après tout, ces spécialistes sont présentés comme étant des experts et un
autre expert a certifié leur expertise et donc, c’est qu’ils doivent avoir raison ! Alors,
tout le monde pose des questions et prend des notes et puis tout le monde s’inscrit
pour le séminaire avancé qui promet qu’eux aussi (moyennant quelques centaines de
dollars), ils pourront apprendre toutes les techniques qui sont requises pour devenir
127
tout rouge et crier et ils pourront alors rejoindre les rangs de ceux qui sont certifiés
comme ayant atteint l’orgasme complet !
Parmi les milliers de personnes qui assistent à la conférence, il y en a juste deux, tout
au fond de la salle, qui n’ont absolument aucune qualification académique, mais qui
possèdent un tout autre genre de connaissance et qui se regardent, ricanent et
sortent.
Il y a beaucoup d’amalgames dans le bizness de l’Eveil et il serait utile de faire un
distinguo. Beaucoup de chercheurs spirituels et d’instructeurs spirituels parlent
d’avoir vécu une expérience d’éveil. Ils ont vécu une expérience profonde d’unité,
pleine de sens (peut-être même plusieurs) et en résultat, tout, y compris eux-mêmes,
semble différent et neuf. D’une part, il n’y a peut-être pas de meilleure façon
d’exprimer ceci que de dire que cela ressemble à un éveil. Il n’y a aucun droit exclusif
concernant cette analogie, de toute façon. On entend par là ce que chacun fait tous les
matins en s’éveillant du sommeil, alors pourquoi ne pas utiliser cette analogie pour
faire allusion à une expérience de renouveau ?
D’autre part, ce type d’éveil n’a absolument rien à voir avec ce dont on parle ici, en
tant qu’Eveil. Le fait même que l’on parle d’une ‘’expérience d’éveil’’ ou de
‘’plusieurs expériences d’éveil’’ est un indice. C’est une expérience parmi d’autres.
Les effets de ces expériences peuvent être brefs ou ils peuvent durer longtemps,
parfois des années, avant qu’ils ne s’estompent. Ensuite, si vous avez de la chance, il
y en aura une nouvelle. De telles expériences sont profondes et belles et elles
entraînent une évolution et rien n’est plus jamais pareil. Elles sont réellement
merveilleuses. C’est réellement la chose la plus profonde, la plus significative qu’un
être humain puisse expérimenter. C’est ce que l’on appelle une expérience mystique
et elle apporte avec elle une connaissance mystique.
Mais c’est encore une expérience du Rêve d’un personnage du Rêve. Ce à quoi
renvoie ce genre d’éveil, c’est à un personnage du Rêve qui vit une expérience dans
le Rêve, une expérience d’éveil par rapport à son niveau de conscience précédent
dans le Rêve. Mais tout ce qui peut arriver à un personnage du Rêve est toujours
dans le Rêve et est encore un événement du Rêve. Cela fait encore partie intégrante
d’un ensemble qui n’est pas. Ce n’est pas ce dont on parle ici. Ce n’est pas ce que les
sages entendent par Eveil. L’Eveil dont parlent les sages ne fait pas partie de
l’ensemble des choses. C’est la fin de l’ensemble des choses. Ce n’est pas une
expérience et ce n’est pas un savoir. Ce n’est pas n’importe quel éveil, c’est Cela
même. Il n’est pas relatif, mais absolu. Il est la Totalité. Le Rêve qui comprend le
personnage du Rêve dans lequel il survient est devenu transparent et il cesse
d’exister, en tant que tel. Il est vu qu’il n’a jamais existé.
L’Eveil authentique est l’anéantissement total du sentiment d’être un moi distinct(if).
Comment cet anéantissement peut-il être total, s’il ne cesse de se reproduire tous les
quinze jours ou tous les trois ans ? Il semblerait qu’il reste chaque fois quelque chose
à anéantir ! Une fois que l’anéantissement total du sentiment d’être un moi
128
distinct(if) s’est produit, que reste-t-il encore à anéantir ? Il devient manifeste que ce
dont parlent ces instructeurs ne peut pas être la même chose que ce dont on parle ici
et que ce que les Maîtres qualifient d’ultime, de final et de total. ‘’Gate, gate, paragate,
parasamgate, bodhi svaha’’ (Parti, parti, parti au-delà, parti complètement au-delà.)
On pourrait bien dire que cette fin est la fin de tout ce qui n’est pas et c’est pourquoi,
quand l’Eveil se produit, il est dit que rien n’arrive. Il n’y a pas de grande expérience
dans le Rêve, il n’y a pas de grandes connaissances acquises dans le Rêve, il n’y a aucun
événement, parce que tous les événements se produisent dans le Rêve.
Ceux qui vous vendent un éveil light vous diront qu’il arrive quelque chose de
merveilleux, mais le vrai Maître, lui, vous dira que rien ne se passe. On quitte
l’événementiel, on sort de l’idée que quelque chose arrive à quelqu’un. C’est le sens
que l’on peut donner au commentaire de Wayne Liquorman par rapport au fait que
si vous voulez des expériences profondes, spectaculaires et fantastiques, restez dans
le Rêve, car une fois que l’Eveil se produit, les choses deviennent alors très
ordinaires.
Certains Maîtres, comme Ramesh, éludent cette confusion en employant très peu
cette terminologie de l’Eveil, si tant est qu’ils l’utilisent. Ils parleront plutôt de la
Compréhension, ce qui génère bien entendu son propre lot de confusions
potentielles, puisque les gens pensent que celle-ci a à voir avec le fait de comprendre
quelque chose, ce qui n’est pas le cas.
Bien entendu, toute cette confusion fait elle-même partie intégrante du déploiement
parfait de la Totalité dans la Conscience.
Une bonne part de cette incompréhension paraît provenir d’une sous-estimation
innocente. En lisant d’authentiques témoignages d’anéantissement complet de la
personnalité, la plupart des lecteurs penseront assez naturellement que ces histoires
n’ont pas beaucoup de sens. Après tout, il y a là le Maître illuminé qui continue à
vivre et à enseigner et qui ressemble indéniablement à une personnalité distinct(iv)e.
Le sens critique moderne est de se défier de telles histoires comme d’hagiographies
mythologisantes, comme d’embellissements dévotionnels ou comme de quelque
chose d’allégorique. Après tout, personne ne connaît quelqu’un, à l’heure actuelle,
qui paraît correspondre à ces descriptions, d’où la sous-estimation : l’Eveil ne peut
pas être aussi rare, aussi singulier.
En bref, les récits d’Eveil qui sont relatés par les Maîtres ne correspondent
simplement pas à quelque chose que l’on croit réel et vrai ou valable et utile pour
rendre le monde meilleur et plus éclairé et ainsi, les témoignages de ce que c’est que
de réaliser que le Rêve est un rêve sont réinterprétés à la lumière de ce que l’on
connaît dans le Rêve. Penser de la sorte passe bien sûr tout à fait à côté de ce que l’on
tente de communiquer et est en soi encore du rêve.
Dans les cercles spirituels, on accorde beaucoup de valeur au développement
personnel, à l’amélioration personnelle, au fait de devenir une meilleure personne,
129
plus consciente, d’apprendre aux autres comment devenir meilleur et rendre le
monde meilleur et plus lumineux. Espérer un avenir meilleur et croire en une
évolution spirituelle ascendante qui entraîne avec elle toute la race, c’est comme être
convaincu qu’il y a quelque chose qui ne va pas et qui doit être fait. Cela semble
profondément ancré ou inscrit dans les gênes du mécanisme humain, mais c’est en
réalité le moyen par lequel ‘’l’hypnose divine’’ opère en gardant les personnages du
Rêve motivés et occupés dans le Rêve. Cette croyance est une illusion et ce qui crée
la souffrance.
En vérité, dans l’Absolu, dans la Totalité, il n’y a ni évolution, ni progrès, ni
amélioration, ni devenir. Tout est comme il est. Cette idée que le monde va mal et
que ce point actuel de l’Histoire est critique et qu’il faut faire quelque chose est aussi
ancienne que le mental de l’homme. C’est ce qu’il a toujours semblé, à n’importe quel
point de l’Histoire humaine. En réalité, tout est parfaitement en équilibre. Le monde
ne va jamais mieux, ni plus mal, même si pour les instruments individuels apparents,
il peut sembler que cela soit le cas.
Les instructeurs qui puisent dans ces thèmes porteurs du Rêve pour séduire les
espoirs et les rêves de l’ego et pour populariser leur message s’illusionnent euxmêmes et les autres et ne voient pas au-delà du Rêve.
Cette croyance en une évolution continue, ce rêve de devenir une meilleure
personne, cet objectif de s’améliorer soi-même et les autres et la société et de faire du
monde un meilleur endroit où vivre, tout ceci et davantage encore semble
certainement être de nobles croyances et de nobles buts, à tous points de vue. Nos
cultures les estiment et les valorisent en tant qu’idéaux et l’on croit que ce sont ces
buts élevés qui empêchent les individus et la race humaine de plonger ou de
régresser dans le chaos et bien sûr, c’est ‘’l’hypnose divine’’ elle-même qui autorise
ces croyances, car sans elles, le Rêve ne continuerait pas.
Mais, ainsi que le maître bouddhiste, Chögyam Trungpa Rinpoché l’a remarqué :
‘’L’Illumination est la grande déception finale, la dissolution de tous nos fantasmes
égoïstes et de tous nos espoirs grandioses.’’
C’est la vision authentique qui ne sera jamais vendable. Ce qui est dit ici n’est pas un
message politiquement correct, ni même un message spirituellement correct. Il ne
s’agit pas d’un message de consolation et il ne sera jamais populaire dans aucune
culture. Ce n’est que la vérité, dans la mesure où on peut la dire.
L’ego recherche sa satisfaction, et si l’Eveil est commercialisé comme satisfaisant ce
besoin, alors, ce qui est proposé est trompeur. Le véritable Eveil est l’éveil à
l’anéantissement, à la dissolution de ce qui recherche la satisfaction.
‘’La spiritualité transformatrice, la spiritualité authentique est révolutionnaire. Elle
ne légitime pas le monde, elle démonte le monde. Elle ne réconforte pas le monde, elle
l’anéantit. Et elle ne contente pas le moi, elle le réduit à rien.’’ (Ken Wilber)
130
Et bien entendu, comme vous l’avez peut-être deviné, à ce stade, la beauté
merveilleuse et poignante, c’est que dans cet anéantissement, la moindre aspiration,
le moindre désir ou la moindre envie jamais ressenti ou éprouvé par chaque
instrument corps-esprit est résolu, dissout, guéri et rendu pour toujours hors de
propos. L’ego recherche la satisfaction, mais ce qui est compris dans cet
anéantissement est tellement vaste qu’aucun esprit, aucun ego et aucun cœur ne
pourrait jamais le contenir. La race humaine n’a pas la moindre idée de ce qu’est
réellement la plénitude.
131
ÈME
5
PARTIE
L’ACCEPTATION EST INFINIE ET ELLE COMMENCE ICI DANS
VOTRE PROPRE CŒUR. TOUT CE QUI SE MANIFESTE EST
ACCEPTÉ.
132
CHAPITRE 28 : LE RENONCEMENT REVISITÉ
‘’Tout ce qui arrive. Peu importe ce que c’est, c’est cela que je veux. Seulement cela.
Juste cela.’’
– Galway Kinnell
Les choses terrestres doivent être connues pour être aimées et les choses divines
doivent être aimées pour être connues.
-
Blaise Pascal
Que ceci soit clair depuis le départ. C’est une question qui se pose souvent : à un
moment donné, les implications de cet anéantissement, du renoncement total du
sentiment d’individualité commenceront à pénétrer en profondeur et vous
commencerez à suspecter que ce dont on parle ici n’est pas compatible avec la
continuation de la vie familière, telle que vous la connaissez. La question se
posera : est-il réellement nécessaire de ‘’mourir’’ totalement, de renoncer à tout ?
N’y a-t-il pas une manière de s’y prendre plus modérée ou moins radicale, de
trouver une voie médiane, tout en ne rejetant pas cette vie et moi-même, en tant
qu’individu ?
Et il y aura plein d’instructeurs – en réalité, la plupart d’entre eux – qui vous
réconforteront en vous disant : ‘’Si ! Bien sûr que si ! Toute cette histoire
d’anéantissement total est métaphorique : on peut trouver l’Illumination en
continuant sa vie normale. Il importe d’honorer qui on est. Se nier, c’est être
négatif.’’ D’autres instructeurs iront encore plus loin et ils vous diront que ‘’ce
n’est ni mourir, ni renoncer qui importe, mais uniquement votre attachement.
Mourir est bien, ne pas mourir est bien. Mourir et ne pas mourir sont-ils tout
aussi bien pour vous ?’’ Et si vous pouvez dire : ‘’Bien sûr ! Renoncer, ne pas
renoncer, qui s’en soucie ?’’, alors vous ne devez pas renoncer.
Tout ceci semble parfaitement raisonnable depuis la perspective du Rêve, mais
depuis celle de la Compréhension, c’est pure sottise. Tout ceci est prêché sur la
base de l’idée qu’il y a là ‘’quelqu’un’’ qui meurt ou pas, qui renonce ou pas, qui
continue sa vie ou qui est attaché ou libre. Quand la Compréhension est là, il est
clair qu’il n’y a aucune entité telle que ‘’vous’’ pour être libre ou pas, pour
renoncer ou mourir ou pas. C’est l’idée même qu’il existe une telle entité qui est
incompatible avec la Compréhension. Ce mouvement pour protéger ce sentiment
d’individualité, cette aversion à l’égard de l’anéantissement total va jusqu’au
tréfonds du moi illusoire. C’est l’instinct de conservation de l’ego. Lorsqu’il fut
confronté à son propre lâcher-prise et à sa propre mort, Jésus sua du sang et pria
pour que cette coupe s’éloigne de lui sans qu’il ne la boive, mais il reconnut que
ce n’est pas possible : ‘’Toutefois, que Ta Volonté soit faite et non la mienne.’’
133
La Compréhension fondamentale, c’est que vous n’existez pas en tant qu’entité
ou agent indépendant, mais uniquement comme un objet dans le Rêve de la
Conscience. Toute cette affaire qui concerne le renoncement et la mort n’est
qu’une tentative de cet agent illusoire, de cet auteur non-existant, de cet individu
fictif pour prolonger sa vie mythique. Nisargadatta Maharaj appelait le moi
individuel ‘’l’enfant d’une femme stérile’’. Il est difficile pour un tel individu de
prendre ceci au sérieux, d’accepter qu’il n’a pas d’autre existence que celle d’un
mythe, d’une construction mentale, mais sans cette acceptation totale, sans ce
renoncement total, la Compréhension, l’Illumination ou l’Eveil n’est par
définition pas possible.
C’est la rébellion de l’ego, d’un simple objet dans la Conscience, son usurpation
de la Subjectivité, son échafaudage en tant qu’entité distinct(iv)e qui est l’erreur
fondamentale et qui est encodée dans des mythes, comme l’histoire judéochrétienne de la disgrâce, de la déchéance, du péché originel des premiers
humains. C’est le concept erroné de l’individu distinct(if) qui s’autodétermine,
pris à l’extrême, qui aboutit à un comportement arrogant et destructeur à l’égard
des autres, de l’environnement, etc., et qui même dans sa forme la plus basique et
bénigne est la cause de la séparation, de l’angoisse et de la souffrance.
Ce qui est demandé, c’est s’il est possible de s’éveiller, tout en restant
confortablement endormi. C’est ce qui est réclamé par le sentiment d’un moi
individuel, l’ego. Et il y a une pléthore d’instructeurs qui répondront
favorablement à ceci, qui vous apporteront une merveilleuse expérience dans le
Rêve et qui appelleront ceci l’Eveil. Un éveil light. Mais écoutez ou lisez les
véritable Maîtres, tels que Bouddha, Ramana Maharshi, Nisargadatta Maharaj,
Houang-Po, Houei-Neng, Wei Wu Wei, ou même Rumi ou Thérèse d’Avila,
parmi d’autres. Quand ceux-ci parlent de la Compréhension, de l’Eveil, de
l’acceptation, du renoncement, ils utilisent des mots, comme complet, ultime,
total, absolu. La base même de la Compréhension, c’est que ‘’vous’’ n’êtes pas ―
ce qui ne peut pas être accepté sans simultanément renoncer jusqu’au plus petit
vestige de l’idée que l’on est. Entièrement.
Seul celui qui perd sa vie la trouvera.
Vu d’ici, c’est évident. Il n’y a aucune raison, aucune motivation pour édulcorer
cette vérité ou la rendre plus acceptable, plus politiquement ou plus
spirituellement correcte, de façon à ce que davantage de personnages fictifs
puissent croire en elle, tout en restant dans le Rêve. Pourquoi y aurait-il une telle
inclination ? Ce-qui-est est. Si vous entendez ceci et si ceci n’est pas acceptable
pour vous, c’est parfait, c’est magnifique : c’est le déroulement parfait du rôle de
ce personnage fictif. Pourquoi y aurait-il le moindre intérêt à changer cela ? Que
ce renoncement total de soi se produise dans le cas d’un des personnages fictifs
du Rêve, que l’un d’eux s’éveille du Rêve est un grand mystère, dans tous les cas
de figure. Pourquoi devrait-il y avoir la moindre motivation à rendre
l’enseignement plus modéré, plus digeste ou plus largement acceptable ?
134
Acceptable pour qui ? Accommodant pour qui ? Penser qu’il devrait y avoir un
tel ajustement est pure sottise, c’est continuer de prendre au sérieux le Rêve et les
personnages du Rêve, faire des amalgames, prendre l’illusion pour la vérité et ce
qui est vrai pour une simple illusion.
Essentiellement, l’enseignement contenu dans la sagesse éternelle est ce que Ken
Wilber appelle une ‘’injonction instrumentale’’. Une telle injonction est une
invitation qui propose une manière de penser, peut-être même un ensemble de
pratiques ou un genre de recette qui dit : ‘’Si vous voulez connaître ceci, alors
faites ceci.’’ Essayez de penser ainsi, essayez de procéder à cette investigation,
essayez de laisser tomber ces idées que vous chérissez et puis, voyez ce qui se
passe.
Bien sûr, il est possible que même alors, rien ne se passe. Il n’y a aucune garantie.
Il y en a beaucoup qui ont essayé ces idées, qui se sont cassé la figure et qui sont
revenus à leurs anciennes habitudes. C’est qu’il devait en être ainsi. Mais si vous
voulez vous rapprocher du but, il faut bien commencer quelque part.
Absolument personne ne peut directement communiquer ce qu’est Cela, ni à quoi
ressemble Cela, mais si vous prêtez attention à l’enseignement et si vous suivez
l’enseignement et si par une grâce indicible, il pénètre en profondeur et prend
effet, il devient alors possible que l’expérience et la compréhension directe de ce
qui est indiqué et de ce qui est présenté indirectement par l’enseignement
puissent se produire.
Alors, vous serez en position pour discuter, vérifier, remettre en cause ou rejeter
les multiples façons par lesquelles l’enseignement est donné, auriez-‘’vous’’
encore un intérêt à le faire, mais jusque-là, l’idée d’édulcorer l’enseignement pour
qu’il soit plus acceptable pour les personnages fictifs du Rêve, plus compatible
avec ce que les personnages du Rêve croient et chérissent déjà est une stupide
perte de temps.
A l’intérieur du Rêve, la sagesse ordinaire, c’est que vous devez comprendre
quelque chose avant de pouvoir l’accepter, mais ceci ne vous conduira au mieux
qu’à une compréhension et à une acceptation intellectuelle. Les personnages
fictifs du Rêve ne peuvent pas comprendre, évaluer ou juger l’Eveil hors du Rêve
d’une manière sensée, significative. De par sa nature, l’Eveil renverse, inverse ou
bouleverse totalement le Rêve. Plus rien ne s’applique. La Compréhension doit
plutôt être acceptée avant de pouvoir être comprise. L’Eveil doit s’être produit
avant qu’il ne puisse y avoir une évaluation ou une compréhension réelle de
l’Eveil. C’est la raison pour laquelle on parle de renoncement.
Et le renoncement complet et total et la Compréhension globale et ultime sont
identiques.
135
CHAPITRE 29 : TROP DE MOTS
‘’Je suis la Lumière de la lumière.
Si vous le voyez,
Soyez prudent.
Ne dites à personne
Ce que vous avez vu.’’
-
Rumi
-
Ikkyu
‘’Un seul koan compte : vous !’’
Il pourrait sembler regrettable qu’il dût y avoir autant de mots – des volumes et
des volumes, depuis des temps immémoriaux. Tant de verbosité pour tourner
autour de Ce-qui-est ! Bien entendu, il faut qu’il en soit ainsi. ‘’Le Tao qui peut
s’énoncer n’est pas le Tao’’, pour citer la célèbre formule de Lao Tseu, mais cela
ne l’a pas empêché d’écrire ensuite tout le Tao Te King. Seng Ts’an a été plus
succinct, quelque part au 7ème siècle, avec son Sin-Sin-Ming. Tout y est en à peine
huit petites pages. Le Sutra du Cœur a fait mieux avec deux pages, mais il y a eu
d’innombrables traités qui ont été écrits à son sujet, depuis. Ramana Maharshi et
Nisargadatta Maharaj n’ont pas beaucoup écrit, mais d’autres ont consigné ce
qu’ils ont dit, soit des volumes entiers. Wei Wu Wei, l’excentrique Irlandais, a très
bien saisi toute l’affaire, et en a tiré quoi, six ou huit livres ? Quant à Ramesh, il
doit en être à une vingtaine de livres, à présent, et cela continue.
Mais voyez-vous, c’est nécessaire. C’est inexprimable, aussi faut-il broder autour.
Cela existe, même si c’est inexprimable. Ainsi que se lamentait Wei Wu Wei,
même les meilleurs écrits s’efforcent platement de toucher la lune. Il n’est pas
question d’y parvenir. Ce qui ne relève pas du Rêve ne relève pas du Rêve et ne
peut pas être exprimé dans ses termes, mais les termes du Rêve sont tout ce que
nous avons. Dans le langage du plat pays à deux dimensions où il n’existe que la
longueur et la largeur, il n’y a pas de mots pour la hauteur ou pour la profondeur.
Et sans mots, pas de pensées correspondantes. Pas de pensée, pas d’expérience,
parce qu’une telle chose ‘’n’existe pas’’. C’est toujours ici même, devant tout le
monde, sans que nul ne le voit. Comment alors le leur montrer ? S’ils pouvaient le
voir, ils l’auraient déjà vu.
On commence généralement ainsi. On indique ce qui est vu et on dit : ‘’Voyezvous ceci ?’’ Et chacun vous regarde d’un air ahuri. Et donc alors démarrent les
paroles : des paraboles, des petites histoires amusantes, différents angles,
différentes perspectives, des phrases ou des idées esquissées, mais non
terminées…C’est à l’auditeur à suivre et à compléter. Si vous finissez la phrase,
l’auditeur entend bien qu’elle est finie et c’est fini et donc, si vous la laissez
136
inachevée, au moins, il y a là un sentiment d’inachevé qui peut conduire au-delà.
Peut-être. Ou peut-être pas. Peu importe.
En fin de compte, le nihilisme apparemment monstrueux d’U.G. Krishnamurti est
la seule chose qui survit. Il n’y a rien ici pour vous. Je n’ai rien pour vous. Vous
n’avez pas de moi réel et le faux moi que vous pensez être n’a aucune importance.
Allez-vous-en ! Dormez votre vie heureuse imaginaire ! Pour quelle raison
voudriez-vous de ceci, de toute façon ? On ne choisit jamais de se détruire. Les
seuls qui en arrivent à cela sont emportés, à leur corps défendant, avec moult
résistance. Ou bien ils sont piégés et attirés dans la jungle, déchirés, vidés. Ou
accostés à un arrêt de bus, explosés et laissés à la dérive. Si vous devez être
emporté ou piégé ainsi, c’est parfait. Cela n’a rien à voir avec moi, ni avec vous.
En attendant, tous ces mots et tous ces livres sortent, de toute façon, et cela n’a
rien à voir non plus avec ‘’moi’’, ni avec ‘’vous’’. Il ne peut pas ne pas y avoir
d’écrits, de discussions, de lecture, ni d’écoute. Au sein de l’immense
configuration globale des galaxies qui tournent, des planètes qui naissent, des
civilisations qui meurent et des mots qui jaillissent, pas une seule chose n’est mal
placée ou se perd. Et ainsi, ces écrits et ces discussions se produisent et
s’ensuivent alors les résultats pour lesquels ils sont venus à l’existence. Mais dans
le déploiement de l’expression infinie de Ce-qui-est, qui connaît ou qui doit juger
du résultat ? Le grain de poussière posé sur le bras d’une galaxie tournoyante
peut-il savoir pourquoi celle-ci tournoie ?
Oui, il est possible que quelqu’un, quelque part, tire profit de ces mots, pile au
bon moment. A un moment donné, proche ou lointain, peut-être sont-ils ce dont
quelqu’un aura besoin et qu’il lira ou qu’il entendra et s’il n’y a pas d’Eveil, au
moins quelque approfondissement ou une metanoia se produira. Peut-être. Peutêtre que le seul résultat sera ce qui se passera ou qui sera expérimenté, quoi que
ce soit, ‘’ici et maintenant’’. Cette discussion, cette lecture, ce sentiment, cette
nuance dans la Conscience jamais ainsi expérimentée. Ce serait une raison
suffisante.
137
CHAPITRE 30 : ARRÊTEZ-VOUS !
‘’Tout le monde comprend la goutte qui se fond dans l’océan,
Mais un seul sur un million comprend l’océan qui se fond dans la goutte...’’
-
Kabir
‘’L’assise silencieuse est des plus essentielles.
Ne perdez pas votre temps en agissant autrement.’’
-
H. W. L. Poonja
I
Arrêtez-vous, je vous prie. Arrêtez-vous, simplement.
Cessez de parler, cessez d’objecter. Juste un instant, permettez à la quiétude de
survenir.
Remarquez qu’il vous est impossible de le faire. On ne peut pas instaurer cela.
Remarquez les objections, les jugements et les résistances qui continuent de se
manifester, tant qu’ils continuent de se manifester.
Qu’il en soit ainsi. Permettez à la tranquillité, au calme d’être.
Remarquez que presque chaque pensée que vous avez est une pensée qui ‘’me’’
concerne. Presque chaque pensée que vous entretenez commence par ‘’je’’ ou
‘’me’’ concerne. J’ai l’impression…Je pense…Il n’en va pas ainsi pour moi…Selon
mon expérience…Et même si de tels mots ne sont pas utilisés, la pensée est
importante pour vous, parce que vous pensez que c’est votre pensée, votre opinion,
quelque chose que vous ressentez concernant vous-même ou votre ‘’réalité’’. Laissez
tomber tout cela.
‘’Ne recherchez pas la Vérité. Cessez seulement de chérir des opinions…Si vous
voulez connaître la Vérité, n’entretenez aucune opinion pour ou contre quelque
chose. Opposer ce que vous aimez à ce que vous n’aimez pas est la maladie de
l’esprit.’’ (Seng Ts’an)
Si vous recevez cette grâce ineffable et indicible, ce don incroyable et immérité de
pouvoir voir et observer que ce que vous pensez n’est qu’une opinion ou quelque
chose à quoi vous vous identifiez, ou ce don de pouvoir vous écouter, alors,
arrêtez-vous. Honorez ce don en arrêtant et laissez tomber cette opinion. Cette
part d’identité qui est contenue dans chaque déclaration qui vous concerne,
chaque commentaire qui vous concerne, chaque question qui émane de vous ―
laissez tomber cela. Permettez à la grâce de cet instant où vous vous surprenez en
138
train d’entretenir une opinion ou de parler en tant qu’un ‘’je’’, permettez à cette
grâce de vous arrêter.
‘’Voulez-vous savoir comment vivre la vie ? Restez tranquille ! Restez tranquille
signifie ne pas penser. Vous voyez ? C’est si simple !’’ (Ramesh)
Rester tranquille ne veut pas dire cesser de mouvoir son corps. Rester tranquille
ne veut pas dire tenter d’empêcher toutes les pensées et tous les sentiments de
jaillir. Des pensées et des sentiments jailliront toujours. Rester tranquille veut dire
laisser tomber ce niveau secondaire des pensées, des opinions, des jugements et
des commentaires. C’est ce que signifie arrêter.
Aucune pensée que vous avez jamais eue n’est vraie. Aucune opinion à laquelle
vous avez jamais tenu n’est appropriée. Laissez-les tomber. Aucune idée que vous
avez jamais eue vous concernant ou qui ou ce que vous êtes n’a jamais
correspondu à la réalité, ni ne le fera jamais. Laissez-les tomber.
Comparer, passer au crible, déduire, viser, imaginer, pressentir, penser, tout cela,
c’est pourchasser du vent. Il y a plutôt le don grandiose et bouleversant d’arrêter
et de laisser tomber tout cela.
‘’Il vous faut avoir la compréhension claire que toutes choses ne sont qu’une
manifestation du mental lui-même. Chaque chose dans ce monde n’est qu’une
manifestation complexe de nos activités mentales.’’ (Lankavatara Sutra)
Arrêtez. Laissez tomber. Lâchez prise. Arrêtez de prendre tout cela au sérieux.
Cessez de vous accrocher. Restez tranquille. Permettez que la grâce vous arrête.
II
Pour toute action, il y a une réaction égale opposée. Pour toute force appliquée, il
y a une force égale qui s’applique. Le ‘’monde’’, l’univers, maya n’existe qu’en
raison de la résistance à son encontre. Vous exercez une poussée contre lui et il
vous repousse.
La seule manière de vous libérer est de renoncer. Vous cessez de pousser, de vous
affirmer, et l’illusion cesse de vous repousser, de s’affirmer. Cessez de pousser, de
mettre de l’énergie dans le système et il n’y aura plus d’énergie dans le système
pour vous repousser. Cessez de vous raconter une histoire et sans cet apport
constant d’énergie, l’histoire s’écroulera. Je suppose que c’est la loi du karma. La
seule façon de s’en sortir, c’est de cesser de la créer.
C’est l’objectif de l’auto-investigation. Qui se livre à tous ces agissements, à toutes
ces actions, à tout ce remue-ménage ? L’ego, le sentiment d’être un moi distinct(if)
vous a convaincu que la seule manière de survivre, c’est de pousser, d’agir et de
139
faire en sorte que les choses arrivent, parce qu’alors, l’illusion vous repoussera et
paraîtra réelle et c’est l’unique moyen pour que le sentiment du moi qui repose
sur la séparation puisse survivre.
L’auto-investigation vous fait prendre conscience de ceci. Qui fait tout ceci ? Qui
pense : ‘’je’’ dois faire quelque chose ? Qui pense ainsi ? Quand commence cette
investigation, une part de la poussée s’arrête et donc, une partie de la répulsion
s’arrête aussi et les choses se calment un peu. Aussi longtemps que vous êtes
engagé à pousser, à faire en sorte que les choses arrivent, vous paraissez être celui
qui opère. L’individu est convaincu que s’il ne fait rien, rien ne se fera et qu’il ne
pourra pas survivre. Ce qui est vrai. Il ne survivra pas. Mais Vous (le Soi) bien.
Si vous vous arrêtez, quelque chose d’extraordinaire se produit. L’individu cesse
de s’impliquer et d’opérer et chose extraordinaire, tout continue de se faire, sans
que ‘’vous’’ n’agissiez car, surprise, ‘’vous’’ n’avez jamais été celui qui fait
marcher les choses.
Si vous le pouvez, tentez un peu l’expérience. Le sentiment du moi individuel
paniquera, quand vous arriverez au stade où vous cessez de faire quoi que ce soit
et il pourra même vous empêcher de vous arrêter, mais si la grâce de pouvoir
vous arrêter vous touche et s’il y a la constatation que tout continue de se
produire, alors vous ne pourrez plus jamais croire qu’il y avait jamais eu là
quelqu’un qui faisait quoi que ce soit.
140
CHAPITRE 31 : DYNAMITER VOTRE MENTAL
‘’Vous prenez votre imagination pour des faits et mes faits pour de
l’imagination…’’
-
Nisargadatta Maharaj
‘’Ô Dieu, aidez-moi, car quelle différence il y a entre entendre et croire ces paroles
et être ainsi guidée pour réaliser combien celles-ci sont vraies !’’
-
Ste Thérèse d’Avila
Finalement, tout qui a jamais essayé d’écrire à ce sujet ou d’en parler dans l’idée
ou avec l’intention de transmettre un peu de cela s’engage dans une tâche vaine et
dénuée de sens. Il y a là un problème fondamental et par là, je ne veux pas dire
que ce qui est en dehors de la connaissance ou de l’expérience ou des catégories
humaines est inexprimable, ce qui est aussi vrai. Il y a un autre problème
fondamental.
Les êtres humains apprennent par associations. La manière dont le mental
humain se construit, la manière dont il se raccorde, c’est qu’il doit toujours avoir
quelque chose à quoi se référer. Si on rencontre quelque chose de nouveau, le
mental va rechercher quelque chose de semblable dans ses banques de données
pour comparer, aussi approximatif que cela soit. S’il trouve quelque chose qu’il a
rencontré auparavant et qui est quelque peu similaire, il dira, OK, cette nouvelle
chose est comme cette ancienne chose, mais elle diffère de cette manière ou de
cette manière. La nouvelle chose peut ainsi être vue, assimilée, classée et retenue.
Les professionnels de l’éducation parleront de développement schématique.
Mais si rien ne peut être trouvé dans les banques mémorielles qui correspond
d’une façon ou d’une autre à aucun aspect de la nouveauté, alors pour le mental,
elle n’aura aucun sens et cette nouveauté ne sera ni apprise, ni assimilée. Le
mental ne sait pas quoi faire avec. En fait, les scientifiques qui étudient ces choses
nous disent que par exemple nos yeux voient physiquement souvent nettement
plus de choses, chaque jour, à chaque instant, que nos cerveaux pensent que nous
voyons. Le système nerveux filtre la plupart de ce qui est physiquement vu,
puisque cela n’est pas familier et est par conséquent jugé comme n’étant pas
important.
Nous ne pouvons pas nous le reprocher, ni nous résoudre à rectifier cela, ni
suivre un séminaire pour apprendre à le faire différemment. C’est simplement la
manière dont l’organisme fonctionne. Ce mécanisme de filtration opère au niveau
du système nerveux autonome avant que ce que vous pensez être votre moi
conscient ou vos pensées ou votre volonté ou votre intention ne puisse(nt) même
entrer en ligne de compte. On a tous expérimenté le phénomène d’avoir appris
quelque chose de neuf pour le remarquer ensuite partout, alors qu’avant, cela
141
n’avait jamais été remarqué. Cela avait toujours été là, partout, et nos yeux
physiques l’avaient certainement déjà vu, mais jusqu’à ce que le cerveau le
reconnaisse comme étant quelque chose se rapportant à quelque chose qu’il
connaît, cela n’est pas réellement vu.
Avec un tel mécanisme, il est miraculeux de jamais apprendre quoi que ce soit. En
l’état, l’apprentissage ne s’opère que graduellement au moyen de ce qui est
familier, de ce qui est déjà connu, et nous avons tendance à plus apprendre dans
la direction où nous avons commencé. Wei Wu Wei le dit bien au début de ‘’La
Voie Négative’’ :
‘’Peut-être que le plus sérieux handicap est que nous commençons sur la mauvais
pied. Finalement, il est probable que cela soit fatal et je crains que ce ne le soit,
généralement. Nous avons un conditionnement de base, peut être bien sous la
forme de la religion chrétienne, dont très peu demeure aujourd’hui, hormis son
contenu éthique, ou sous la forme de psychologies modernes, celle de Freud,
d’Adler ou de Jung, ou d’une discipline scientifique, lesquelles sont toutes
essentiellement et irréductiblement dualistes. Et puis, le besoin se manifeste et
nous entreprenons de lire.
Chaque fois que nous tombons sur une déclaration ou un sentiment qui
correspond à nos idées conditionnées, nous l’adoptons, peut-être avec
enthousiasme, tout en ignorant simultanément, comme s’ils n’existaient pas, les
déclarations et les sentiments que nous n’aimions pas ou que nous ne
comprenions pas. Et chaque fois que nous relisons les Maîtres ou les sutras, nous
sélectionnons de nouveaux morceaux choisis et notre propre puzzle se construit à
l’intérieur de nous jusqu’à ce que nous ayons un patchwork personnel qui ne
correspond à rien sur terre qui pourrait avoir aucune importance. Pas même dans
un milliard de kalpas un tel processus ne pourrait générer la compréhension
essentielle que l’urgence nous contraint de rechercher.
Nous avons besoin de faire exactement l’inverse de tout cela.’’
L’inverse de tout cela qui est requis pour la Compréhension de Ce-qui-est, c’est ce
qui est connu dans le zen comme l’esprit du débutant, un état de Conscience
ouverte, un état que Stephen Levine appelle inconnaissance. Les maîtres spirituels
utilisent fréquemment l’image de l’innocence du petit enfant pour essayer
d’exprimer le degré d’ouverture béante qui est nécessaire, si l’on doit vraiment
être en mesure d’entendre la Vérité.
Mais qui peut approcher l’enseignement comme ceci ? On entend les paroles du
sage et tout de suite le mental associe ces paroles avec ce qu’il connaît comme
définitions familières et il pense connaître ce qui a été dit. C’est la raison pour
laquelle les maîtres utilisent tellement d’astuces, de koans, de formules absurdes,
d’histoires qui n’aboutissent nulle part, de déclarations qui se contredisent. Carlos
Castaneda qualifiait tout le processus d’enseignement par ces techniques de
tentative de la part du maître pour mettre fin au monde de l’étudiant. Gangaji
142
appelle les chercheurs à simplement ‘’stopper’’, mais qui peut stopper ainsi ?
‘’Oh, excellent !’’, pense le chercheur, ‘’cela trouve réellement un écho en moi. On
devrait tous simplement stopper !’’ L’idée ou la formule suivant laquelle on
devrait stopper s’ajoute simplement au patchwork personnel et le puzzle insensé
qui ne correspond à rien ne cesse de se complexifier et le chercheur qualifie ceci
de vie entière d’une connaissance, voire même d’une sagesse durement gagnée,
mais les maîtres et les sages qualifient ceci d’ignorance, sans aucune équivoque.
J’ai vu ceci en action. Quand je suis allé voir Ramesh, la première fois, il répétait
continuellement aux gens qui venaient le voir que le chemin de la
Compréhension consiste à réaliser qu’il n’y a rien que vous puissiez faire. Vous
n’êtes l’auteur de rien du tout. Les événements se produisent simplement par
votre intermédiaire. C’était la base de son enseignement qu’il répétait
inlassablement. Je voyais des gens qui prenaient des notes, qui consignaient ceci
par écrit. Et puis, une main se levait : ‘’OK, ceci étant dit – et je le comprends
parfaitement – comment mener ma vie à bien ? Quand je partirai d’ici, que
devrais-je faire ?’’
Ramesh témoignait d’une patience infinie. Je voulais les secouer : n’avez-vous
rien entendu de ce que cet homme a dit ? Vous venez juste de recevoir le secret de
la vie, de l’univers et de tout ! Stop ! Réveillez-vous ! Laissez ces paroles
dynamiter votre mental !
‘’Le problème avec les étudiants aujourd’hui, c’est qu’ils s’emparent de certaines
paroles pour établir leur compréhension sur cette base. Ils recopient dans un gros
carnet les déclarations d’un quelconque vieux schnock qu’ils enveloppent dans
plusieurs couches d’étoffe pour pouvoir le trimbaler et ne laissent personne
d’autre le voir, parlant de sens caché et le protégeant comme si c’était quelque
chose de précieux. Quelle erreur ! Des ânes aveugles ! Quelle sorte de jus espèrentils extraire de vieux ossements desséchés ?’’
Ces paroles furent prononcées par le maître chan Lin-tsi au septième siècle.
Qu’est-ce qui a changé ?
Parfois, une personne écoutera attentivement certaines expressions de la
Compréhension – qu’il n’y a aucun auteur de quoi que ce soit, qu’il n’y a pas
d’individus, que tout ce qu’il y a, c’est la Conscience et que vous êtes Cela et elle
dira : ‘’Tout ceci m’a l’air un peu théorique. Comment intégrer ceci dans ma vie
quotidienne ?’’ C’est là où d’habitude un ange passe, parce que la réponse est que
vous ne le pouvez pas. En fait, c’est l’une des questions du type ‘’Etes-vous un
Eveillé ?’’, qui du point de vue du chercheur est sincère et réclame une réponse
décente, mais qui depuis la perspective de la Compréhension n’a aucun sens, la
prémisse étant inversée. C’est un peu comme ce touriste qui se trouvait à côté de
moi, tandis que nous profitions de notre première vue de Cliff Palace (les
anciennes ruines anasazis de Mesa Verde, un village complet en adobe vieux de
plusieurs milliers d’années érigé dans une falaise du désert du Colorado.)
143
‘’Humm’’, fit-il. ‘’On dirait un décor de cinéma !’’
‘’Voyez-vous’’, ne puis-je m’empêcher de lui répondre, ‘’en réalité, si c’est un bon
décor de cinéma, c’est le décor de cinéma qui pourrait peut-être un peu
ressembler à ceci !’’
On rencontre cela tout le temps. Assis sous la véranda, un soir d’été à écouter les
insectes, quelqu’un dira : ‘’Ce criquet, tin, il fait le même bruit qu’un GSM !’’
Naturellement, tout est un rêve, tout est illusoire, mais même dans ce rêve, le
criquet est juste lui-même, il était là avant qu’il y ait des GSM et c’est le GSM qui
est arrivé ultérieurement et qui a été programmé pour imiter (maladroitement) les
stridulations du criquet. C’est une perspective, une façon de voir les choses qui
obscurcit ou brouille la claire compréhension. La première étape est d’au moins
trouver la clarté par rapport à ce qui est réel et ce qui est l’illusion, le produit
dérivé.
Demander comment on intègre la Compréhension dans la vie quotidienne, c’est
comme demander comment mettre en captivité la liberté totale. Cela ne se fait
pas. Peut-être que c’est l’inverse. Ce qui reste de votre vie pourrait s’intégrer dans
la liberté de la Vérité, mais en fait, il n’y a là rien à intégrer. Comme le dit Jed
McKenna :
‘’Vous parlez de réconcilier l’état du rêve et la réalité, comme si cela doit se
conjuguer. Tout le monde semble être captivé par cela, mais c’est impossible. La
vérité et la non-vérité sont irréconciliables. La vérité est et la non-vérité n’est
pas…Nous ne pouvons pas insister sur une vérité qui a du sens à la lumière de ce
que nous connaissons, parce que nous ne connaissons rien.’’
Adyashanti a simplement dit :
‘’Il n’y a pas de chose telle qu’intégrer la Vérité dans une illusion.’’
Si vous insistez pour tenter d’intégrer l’enseignement dans votre patchwork ou
dans votre puzzle qui s’étend, à votre vie d’étude et de savoir, vous le réduirez
juste à une parcelle insignifiante d’ignorance supplémentaire. N’agissez pas ainsi.
N’essayez pas d’intégrer ceci. Ne prenez pas de notes pour y revenir et les
comparer avec quelque chose que vous aurez lu ailleurs. Cela ne fonctionne pas
ainsi. La seule façon dont cela fonctionne, c’est si vous arrêtez de prendre des
notes et si vous commencez à le prendre personnellement, pour ainsi dire.
Prenez-le très intimement. Permettez-lui de vous arrêter.
Ne l’insérez pas dans une vie entière de chasse et de récolte de pépites. N’essayez
pas de comparer, ni de classer pour voir comment il s’accorde avec d’autres trucs
que vous avez appris, d’autres choses que vous avez entendues d’autres
personnes. Particulièrement si vous êtes un chercheur et si vous l’êtes depuis un
bon bout de temps, votre tête est probablement remplie d’idées d’autres
personnes, plus ou moins intégrées dans votre patchwork de ce qu’est la Vérité,
144
l’Eveil ou la Compréhension. Ne demandez pas comment cela s’intègre avec ce
que j’ai déjà accumulé. Cela ne s’intègre pas. Il ne s’agit pas de cela. S’il vous faut
poser des questions, posez-vous plutôt les questions hard, les questions qui vous
font quitter tout ce que vous avez déjà connu, les questions qui pourraient mettre
un terme à votre ‘’vie’’. C’est de cela dont il s’agit.
La majorité des gens que je croise et qui sont dans l’advaita sont des gens
intelligents. Ils ont l’esprit vif et après avoir lu quelques livres et avoir été à
quelques satsangs, ils comprennent quels termes et quelles idées sont des concepts
advaitiques acceptables. Posez-leur une question et ils ne répondent pas
directement. Vous pouvez presque voir leurs rouages qui tournent à l’intérieur,
soupesant et rejetant une réponse après l’autre, comme étant inappropriée ou
susceptible de les stigmatiser comme des ignorants. Ils ont été chez suffisamment
de maîtres pour avoir appris à tenter de trouver la ‘’bonne’’ réponse qui ne les
démontera pas et c’est difficilement leur faute. Il y a là beaucoup d’instructeurs
dont le seul fonctionnement semble être de démonter tous ceux dont les réponses
ne sont pas correctement formulées.
Quel bien y a-t-il là pour qui que ce soit ? Est-il nécessaire de souligner que ceci
n’est pas une question d’avoir les ‘’bonnes’’ réponses ? Exprimez votre vérité. Il
n’y a rien qui soit acceptable ou approprié. Faire usage de circonlocutions, tenter
péniblement, maladroitement d’éviter les pronoms personnels, alors qu’il est
parfaitement clair que votre simple expérience journalière est que vous vivez
votre vie comme un individu ne rime à rien. C’est parfaitement évident. Ce n’est
pas un domaine où l’on peut simuler jusqu’à y arriver.
Une personne dit : ‘’Je suis contente que vous soyez venu !’’ Et l’autre répond :
‘’Qui ? Qui est contente ?’’ Et je crois que la police de la pensée advaitique ne dort
jamais. Un vieux Maître chan vous flanquerait un coup de bâton sur la tête.
Quand il n’y aura plus aucun sentiment d’un moi distinct(if), les mots qui se
réfèrent à une telle entité mythologique seront superflus, seront naturellement
moins utilisés, non pas parce qu’ils seront évités, mais parce qu’ils n’expriment
pas ce qui est et sont simplement utilisés parce que c’est la façon dont le langage
est structuré et parce que c’est souvent la manière la plus commode de parler et
d’être compris. Il n’y aura aucune recherche de termes, d’actions ou de réponses
imaginés comme étant les plus appropriés, mais plutôt la simple expression
spontanée de ce qu’il y a là.
Exprimez votre vérité. C’est de cela qu’il s’agit. Comment pourrait-il être question
de dire le truc approprié, de cadrer, d’utiliser une terminologie acceptable ? Stop !
Revenez à vous-même. L’auto-investigation consiste à creuser profondément en
vous-même pour découvrir quelle est votre vérité. Ne prêtez aucune attention à
ce que vous avez entendu, ni à ce que quelqu’un d’autre a dit. Il ne s’agit pas
d’apprendre quelque chose qui soit approprié auprès d’un maître. Un Maître
authentique réorientera de telles tentatives : quelle est votre vérité ? Investiguez à
145
l’intérieur de vous-même, découvrez-le vous-même. Qui êtes-vous ? Quel est le
Soi à partir duquel toutes ces choses se produisent ? Personne ne peut vous le
montrer. Découvrez-le vous-même en étant implacablement et impitoyablement
honnête, authentique et vrai.
146
CHAPITRE 32 : UN COMPORTEMENT
EXEMPLAIRE ?
‘’Les projections des autres ne m’appartiennent pas.
Je ne suis jamais un instructeur,
Mais un simple adorateur qui a entraperçu le Bien-Aimé.’’
-
Llewellyn Vaughan-Lee
Il est dit que le général anglais, Wellington, a observé qu’un homme pouvait être un
héros pour tout le monde, hormis son valet. Cette observation ressemble à celle de
Jésus d’après laquelle aucun prophète n’est honoré chez lui. L’Eveil ou la
Compréhension ne transforme en aucun cas en être humain parfait ou en saint
l’organisme corps-mental dans lequel il/elle se produit et ceux et celles qui pensent
connaître la personne le plus intimement peuvent être les candidats les plus
probables pour voir les imperfections quotidiennes et les moins capables ou à même
de voir au-delà.
Que l’Eveil devrait engendrer un être parfait est une conception qui est
profondément erronée et très populaire. Les gens semblent penser qu’ils ont besoin
de maîtres spirituels éveillés, pour commencer et qui plus est, de maîtres spirituels
éveillés qui incarnent tout un ensemble de vertus (généralement traditionnelles). Et
comme la plupart des idées traditionnelles concernant la spiritualité sont
particulièrement déconnectées de la corporalité, de la matérialité, des émotions, des
pulsions et des sentiments, les gens requièrent que leurs maitres spirituels soient
également dissociés de ces choses, et particulièrement de ce qui est jugé comme étant
les côtés négatifs ou obscurs de ces choses.
Tout ceci est un non-sens, bien entendu. Pour commencer, il n’y a pas d’entité, telle
qu’un maître spirituel éveillé. Dans la manifestation de la Conscience, il y a parmi
d’autres choses, des organismes corps-esprits communément appelés ‘’êtres
humains’’. Conformément à la nature de ces organismes corps-esprits surgissent de
temps en temps des émotions, des désirs, des besoins, des pensées, des sentiments,
des pulsions physiques et des élans. Dans la Compréhension, il n’y a aucun jugement
par rapport à ceux-ci, comme étant négatifs ou positifs, lumineux ou obscurs,
désirables ou indésirables, appropriés ou non. Ceux-ci sont simplement là et ils
surviennent simplement comme partie intégrante du fonctionnement purement
impersonnel des organismes au sein de la Conscience. Depuis la perspective de la
Compréhension, lorsqu’il n’y a plus d’identification en tant que tel organisme corpsesprit particulier, quel sentiment, besoin, pensée ou émotion survient dans tel
organisme corps-esprit particulier n’a pas d’importance. Y compris dans l’organisme
corps-esprit où la Compréhension est survenue. De telles choses surviennent, comme
partie intégrante du fonctionnement de ces organismes. Alors, quoi ?
Tandis qu’une personne chez qui l’Eveil ne s’est pas produit peut bien s’inquiéter par
rapport au fait qu’elle agisse, exprime des sentiments, pense ou paraisse d’une
147
manière appropriée ou éclairée, pour l’organisme corps-esprit où la Compréhension
s’est produite, ceci n’est pas un souci particulier. Tout le problème ne se pose que s’il
y a identification comme un corps-esprit particulier. Pourquoi devrait-il y avoir ici un
souci ou un intérêt spécial, si David Machin-Chose est peiné ou fâché ou s’il se sent
occasionnellement confus ou agit à l’emporte-pièce ? Ces choses peuvent ne pas
sembler désirables, mais désirables pour qui et de quel point de vue ? Elles se
produisent, comme une partie du fonctionnement de tous les organismes corpsesprits au sein de la Conscience, conformément à la programmation et au
conditionnement des organismes.
‘’Quand survient l’Illumination, l’organisme ne devient pas parfait. Elle est globale
et la globalité inclut les opposés. Vouloir la perfection est la principale sottise et le
jnani le comprend. Telle est la base de la compréhension. Tout ce qui arrive fait
partie intégrante du fonctionnement de la Totalité.’’ (Ramesh)
Dans ce cas-ci, il y a beaucoup dans le conditionnement et dans la programmation de
l’organisme corps-esprit de David à juger ou à ne pas apprécier pour ceux qui y sont
disposés. Irritable, impatient, avec une tendance à être aisément submergé et
globalement de piètres aptitudes sociales, ce qui peut apparaître comme de
l’arrogance ou du dédain. Tout comportement dont les origines ne sont pas
comprises peut être facilement étiqueté.
Et à la consternation de certaines personnes proches ou intimes, la Compréhension
elle-même n’engendre pas instantanément un être humain parfait ou un saint. Dans
une grande mesure, le personnage fictif continue d’être le personnage fictif qu’il était
avec essentiellement le même conditionnement et la même programmation. Il paraît
certain que cet organisme n’a jamais été conçu pour jamais jouer le rôle d’un saint ou
d’un Maître bien-aimé. Il n’y a pas grand-chose ici pour inspirer de la dévotion.
Davantage une voix qui crie dans le désert, un iconoclaste, un anticonformiste.
Bien sûr, du point de vue de l’organisme corps-esprit dans lequel celle-ci survient, la
Compréhension elle-même, peu importe ce qu’elle est d’autre, est une dose massive
de conditionnement neuf, aussi y a-t-il des changements apparents. La sensibilité
extrême qu’il y a ici dans ce corps-esprit est simplement observée avec ses autres
caractéristiques sans aucunement être jugée. Une certaine compassion surprenante
apparaît, alors qu’il y en avait peu auparavant. Et il me faudrait dire qu’il y a une
occurrence continue de ce que l’on ne pourrait qualifier que de petits miracles, si l’on
considère le caractère brut dans lequel ils se produisent : des couches d’anciens
schémas de comportement et de pensée qui, sans intention, ni effort se détachent et
disparaissent simplement.
La perspective, la perception de ‘’l’intérieur’’ est entièrement transformée. Je sais que
je ne suis pas David, que David n’a jamais existé, sinon comme un instrument creux
et seulement apparent par l’entremise duquel la Présence s’écoule. Il n’y a plus
aucun sentiment d’être un individu, juste la Radiance constante et profonde, au-delà
de la lumière, la Paix stable et profonde au-delà de la paix, et la gratitude
permanente qui jaillit pour la Totalité dans la Totalité. De ‘’l’intérieur’’, toutes les
148
caractéristiques ‘’indésirables’’ sont vues avec indifférence, voire même avec un peu
d’amusement : indésirables pour qui ?
Questionneur : ‘’Il est dit qu’une personne réalisée affichera un comportement
exemplaire en tout point.’’
Maharaj : ‘’Pourquoi ? Exemplaire suivant quelles normes ?’’
Ainsi, il n’y a aucune raison particulière d’essayer de ‘’me’’ changer (puisque ces
concepts n’ont aucune réalité), en dehors de l’acquiescement constant à tout ce qui
est, ‘’Que Ta Volonté soit faite’’, et la connaissance que ceci aussi passera. Ce qui sera
sera et puis, cela aussi passera.
Dans le courant du Rêve, il y aura des changements et des modelages apparents de
cet organisme corps-esprit, comme il y en aura pour tous, mais en quoi, je l’ignore.
Ma peau ne m’appartient pas.
Ceci s’oppose aux idées traditionnelles et aux idéaux de l’ego de tous les chercheurs
spirituels qui veulent des maîtres et des instructeurs spirituels nobles, bien-aimés et
certainement ‘’bien-élevés’’ qu’ils peuvent mettre sur un piédestal et qui leur
montreront par l’exemple comment éviter toutes les choses sombres, négatives et
bordéliques de la vie.
Pure fantasme. Ecoutez. Il n’y a aucune échappatoire. Ce que vous voulez fuir,
rejeter, ne pas être, que vos Maîtres ne soient pas, c’est Cela, la Présence, la
Conscience. Ceci, ici. Nul n’a besoin d’un maître spirituel, et certainement pas sur un
piédestal, pour lui montrer autre chose. Il n’y a rien d’autre. Juger de son ‘’côté
obscur’’ et de son ‘’côté lumineux’’, c’est l’illusion. Si vous n’êtes pas désillusionné
par votre maître spirituel, c’est qu’il ne fait pas son travail. Un maître spirituel qui est
digne de ce nom est dans le marché de la désillusion.
149
CHAPITRE 33 : NATARAJA
‘’Le Cœur est la Réalité unique.
Le mental n’est qu’une phase transitoire.
Demeurer en tant que Soi,
C’est pénétrer dans le Cœur.’’
-
Ramana Maharshi
‘’La compassion n’est qu’un autre terme
Pour le refus de souffrir
Pour des raisons imaginaires.’’
-
Nisargadatta Maharaj
I
Devant moi, sur le bureau, il y a un bronze assez encombrant dont le sujet vous est
peut-être familier. Il est connu sous le nom de Nataraja ou Shiva dansant, Celui que
peut-être certains parmi nous ont connu pendant la période folk-hippie comme le
Seigneur de la Danse. A partir de l’immobilité primordiale, Shiva danse le monde et
le monde existera aussi longtemps qu’Il dansera. Le monde est sa danse, rien de plus.
Bien-sûr, tous les détails possèdent une signification complexe dans le mythe
hindou : le nombre de flammes, de cobras dans la coiffure de Shiva, l’image sur
laquelle Il se tient, ce qu’Il tient en main, etc. C’est un bronze antique trouvé dans
l’antre du Choor Bazaar à Bombay, manifestement cassé et réparé plusieurs fois et
que j’ai moi-même très récemment ressoudé.
La vie est ainsi ― une signification complexe, des ruptures et des réparations
diverses, aussi riche et profonde qu’un tapis du Cachemire, autre artéfact que j’ai
ramené de mes visites en Inde. C’est ce que Tony Parsons veut dire, quand il appelle
les émotions les couleurs de la vie. Même l’angoisse, craquer sous le stress, la peur de
l’inconnu, le courage d’avancer à tout prix dans l’inconnu (ou la palpitation et la
stupeur d’y être poussé, de toute façon.) Quand il est vu que cela aussi passera, que
cela fait partie intégrante de la danse, que le fait que cela arrive ou le pourquoi cela
arrive dans tel organisme corps-esprit plutôt que dans un autre ou pas du tout n’a
aucune importance, alors on aime réellement ou on apprécie au moins sa texture, sa
profondeur, sa beauté indescriptible.
Rien n’est réceptionné, ni possédé, ni jugé. Juste un étonnement constant et total, de
jour en jour. Rien ne doit être différent de ce qu’il est. Vous ne devez rien changer du
tout. Personne ne doit être différent de ce qu’il est.
La difficulté avec la plupart des systèmes de ‘’travail sur soi’’, de thérapie, de
développement personnel et d’analyse, c’est qu’ils deviennent des outils avec
150
lesquels on se juge et simultanément avec lesquels on se renforce en justifiant le
jugement d’autrui. Oubliez tout cela. Soyez simplement Vous-même. La Totalité est,
simplement.
‘’Ecoutez :
Par-delà les idées de bien ou de mal faire,
Il y a un champ.
Je vous y rencontrerai.’’ (Rumi)
Le champ unifié ultime, au-delà de tous les concepts duels où le ‘’je’’ et le ‘’vous’’
fusionnent. Le ‘’je’’ n’est pas David. Le ‘’vous’’ n’est pas vous. Aucun des deux n’est.
Et c’est là où nous nous rencontrons totalement, sans rien qui manque, parce que le
Je Suis que vous êtes est le Je Suis que je suis.
Le reste est juste au jour le jour et il n’y a pas moyen de se tromper. La seule chose
que l’on puisse savoir avec certitude est qu’il est juste, merveilleux et essentiel que
ceci se produise exactement maintenant. Magnifique et parfait.
Le conditionnement humain, les émotions, les sentiments, les modèles de pensée font
tous partie intégrante de ce monde qui a recouvert nos yeux pour nous cacher la
Vérité et l’effet, c’est que nous ne pouvons jamais clairement voir. Seulement ‘’comme
dans un miroir et de façon confuse’’14. Il y a perpétuellement des réflexions troubles et
vagues qui manquent l’indéniable.
Toutes ces formes vont et viennent et passeront rapidement. La frustration, la peine,
le désir que les choses soient différentes surgissent également dans l’étendue
tranquille de la Conscience accueillante entre des pensées. Elles ne cesseront jamais
de surgir. Il n’est pas question de les arrêter et il est certes inutile d’essayer. Il y a
juste une simple observation et l’acceptation de ce qui est. C’est le jugement qui nous
rend misérables :
‘’Quand l’esprit est asservi,
La Vérité est cachée
Et tout est trouble et embrouillé,
Et l’habitude fastidieuse de juger
Entraîne désagrément et lassitude.’’ (Seng Ts’an)
II
Dans la jungle, la grande quête pour découvrir ‘’mon’’ but, ‘’ma’’ voie et par-dessus
tout la façon dont je puis aider s’effondre et se désintègre dans les rires. C’est le fait
de prendre le Rêve pour la Réel qui met l’accent sur la découverte d’un but ou d’un
sens. A demander constamment pourquoi ou comment, tout revêt de l’importance et
cette importance apparente nous maintient dans l’implication.
14
Première Epître aux Corinthiens, 13.12
151
La compréhension intellectuelle préalable de l’enseignement amènerait quelqu’un à
conclure que le meilleur moyen d’aider, c’est d’être vide, de cesser d’essayer d’être
utile et que la meilleure manière de ‘’s’inquiéter’’, c’est d’arrêter de ‘’s’inquiéter’’ et
de libérer le passage. Mais ceci va plus loin : ce qui est se déroule parfaitement. Il n’y
a pas moyen de ne pas être utile et il n’y a pas moyen pour quiconque de constituer
un obstacle.
Il est plus souvent tenu aux attachements et aux espoirs qui tournent autour de
l’amour, attentionné et romantique et qui comble et qui satisfait nos besoins les plus
profonds, qu’à des attachements aux choses matérielles, et c’est ainsi que beaucoup
de traditions et de maîtres spirituels soulignent le non-attachement à autrui comme
pratique spirituelle, au point de bousculer activement et de remettre en cause des
relations affectueuses, mais en vérité, toute cette insistance sur le dénouement des
attachements s’avère être mal placée. C’est de nouveau l’erreur prescriptive et
descriptive. Une fois qu’il y a vision de la véritable nature des choses, telles qu’elles
sont, toutes les choses sont vues comme étant des éléments du Rêve et donc fausses,
ni nécessaires, ni importantes et elles perdent simplement leur pouvoir d’attraction.
Tout attachement à leur égard se dissipe spontanément.
Mais s’efforcer d’éliminer des attachements pour provoquer cette vision est bien
entendu contre-productif et ne marche pas. Combien de personnes que vous
connaissez ont-elles atteint l’Illumination ou même obtenu d’être heureuses, au
demeurant, en se faisant ainsi violence, en essayant de trancher ce qui est
naturellement là ? A l’instar de toutes choses, c’est simplement là et quand il sera
naturel que cela ne soit plus là, cela ne sera plus là. On ne peut pas provoquer cela,
même en s’isolant et en se rendant malheureux.
Les attachements émotionnels et les relations, en général, demeurent indéchiffrables,
comme tout comportement, aussi longtemps que vous considérez encore tout cela
comme un comportement individuel qui est indépendamment dirigé. Toutes sortes
de sciences ont été élaborées autour de ceci. Au cours et à la suite de deux divorces et
de multiples relations, j’ai passé beaucoup d’années à travailler sur la similitude des
situations en en parlant avec des amis, en pratiquant mon examen de conscience, me
tourmentant et tentant de découvrir où je foirais.
Avec la compréhension que tout soi-disant comportement humain est la Conscience
qui opère via ces instruments et qu’il n’y a pas d’auteur indépendant pour n’importe
quelle action, le sujet devient stérile et sans objet et le jugement suivant lequel il y a
quelque chose qui ne va pas et qui a besoin d’être changé s’efface. Shiva, le Seigneur
de la Danse, danse la danse du Cœur et tout ceci est, simplement.
Il n’y a pas d’erreurs. Il n’est pas possible de commettre une erreur. Vous n’êtes
l’auteur d’aucune action, l’expérimentateur d’aucune expérience. Comment
pourriez-vous être l’auteur d’une erreur ?
152
Ce qui se produit par le biais de ces organismes corps-esprits se produit. Si un
apprentissage doit se produire, il se produira. Parfois, ce n’est pas le cas. Parfois, une
évolution se produit, parfois non. Parfois une telle évolution suit une prise de
conscience et parfois celle-ci la précède. L’enchaînement perçu de causes et d’effets
ainsi que le mandat de s’améliorer sont vus comme parties intégrantes du Rêve/Jeu.
La source de la souffrance et de l’insatisfaction est réellement tout cet attachement
aux idées que nous chérissons, quand bien même elles ne fonctionnent clairement
pas et n’ont jamais procuré à quelqu’un aucun bonheur durable. Mais voyez-vous,
pourquoi quelqu’un agirait-t-il de la sorte ? Parce que vous n’avez clairement pas le
choix, mais bien sûr, ce n’est clairement pas évident avant que la vision ne s’opère.
Il n’y a rien à atteindre, nulle part où aller. Il n’y a que l’acceptation de ce qui est au
niveau le plus profond possible et même cela n’arrive que si cela arrive. Si on n’est
pas prêt à entendre ceci, ceci ne sera pas entendu, peu importe combien ceci sera bien
exprimé. Quand on est prêt à l’entendre, ceci peut être dit en passant sur la rue et
cela fera mouche. Quand il y a un organisme corps-esprit qui est prêt, une certaine
parole ou expression dans un certain contexte peut être comme dans l’histoire zen, le
son du caillou contre le pot de terre qui produit la défaillance en cascade du mental
et l’occurrence de la Réalisation qui est l’unique fin possible de la souffrance.
III
Le renoncement dans l’acceptation totale de ce qui est, en tant que parfait
déroulement dans la Conscience, est une caractéristique principale de l’Eveil. On le
retrouve partout dans les Ecritures et tout l’enseignement va dans cette direction.
L’acceptation est très profonde, elle est infinie et elle débute ici dans votre propre
cœur. Tout ce qui surgit est accepté. Si du ressentiment surgit, il y a l’acceptation que
du ressentiment se produise dans ce corps-esprit. Si ensuite arrive une couche de
jugement suivant lequel le ressentiment ne devrait pas se produire, alors
l’acceptation peut s’approfondir pour accepter l’apparition du jugement.
S’il y a une autre couche de sentiment négatif, par rapport à vous-même peut-être ou
un mécontentement d’être le ‘’type de personne’’ chez qui le ressentiment se fait
sentir ou un sentiment d’amertume ou de désespérance ou de quoi que ce soit, alors
ceci aussi peut être inclus dans l’acceptation infinie. S’il y a un besoin d’être plus
attentif ou soucieux des raisons profondes du ressentiment, alors il y a l’acceptation
que cette motivation apparaisse. Il n’y a pas de fin à l’acceptation. Et puis celle-ci
s’étend à l’extérieur, aux événements, aux situations et aux autres gens. Une
acceptation profonde à tous les niveaux de tout ce qui se présente, même si cela n’est
pas apprécié et même de la non-appréciation elle-même.
En dépit des apparences, il ne se passe rien ici. Rien de ce qui paraît se passer n’a
aucune importance. Tout est parfait, tel quel. Comment est-ce que je le sais ? Parce
que c’est ce qui est. Comment ceci peut-il être autrement que parfait ? Cela devient
153
clair, lorsque c’est vu, et c’est probablement impossible et difficile à accepter jusqu’à
ce que cela soit vu.
Pendant ce temps-là, il y a juste à être, naturellement. Des choses arrivent dans votre
vie : de bonnes choses et de moins bonnes choses. Ceci est vu. Encore une fois, si des
émotions jaillissent, alors elles jaillissent également dans la Conscience et il est vu
qu’elles jaillissent. Si des pensées ou des jugements surviennent, alors c’est aussi
observé en sachant toujours que cela aussi passera. Aucune conjecture ne doit être
faite, rien ne doit être étiqueté et il ne faut s’accrocher à rien.
Il y a peut-être des choses étranges et inexplicables qui se passent dans votre vie,
parce que celles-ci sont une étape conséquente dans le sens où l’on aura besoin que
‘’vous’’ soyez, ce que j’appelle une ‘’ingénierie inverse’’ de la cause et de l’effet.
Depuis la perspective de la Conscience, pour ainsi dire, l’idée de la cause et de l’effet
fonctionnant à rebours, l’effet causant l’arrivée de la cause, est juste aussi pertinente
que le modèle conventionnel de la cause suivie par son effet.
Ou il est possible que l’unité corps-esprit que vous pensez être ‘’vous-même’’ soit
employée pour instruire quelqu’un d’autre et ce qui arrive n’a rien du tout à voir
avec ‘’votre’’ histoire. Ou peut-être que non, simplement peut-être que le lâcherprise, la réalisation que tout sentiment de contrôle est illusoire est lui-même le ‘’but’’.
Qu’en savons-nous ? Les personnages fictifs n’ont pas besoin de savoir. Ils joueront
leurs rôles dans tous les cas. Même ce personnage fictif dont le rôle dans le Rêve est
de s’éveiller du Rêve et de réaliser qu’il est un personnage fictif. Alors quoi ? Qui s’en
soucie ? Demandez-vous : qui a l’impression de s’en soucier, de vouloir savoir ?
IV
Le sentiment de responsabilité et d’importance est très profond dans le
conditionnement et il n'est pas facilement vu clair, ni mis de côté. Même les
chercheurs qui connaissent bien le concept suivant lequel ‘’rien de ceci n’a de
l’importance’’ seront pris de court par l’idée que même l’Eveil fait partie du script
pour le personnage fictif chez qui il se produit et qu’il n’a aucune importance.
''Voulez-vous réellement dire que la Compréhension totale n’est qu’une partie du
Rêve ?’’ Tout à fait, même l’occurrence de cette réalisation est un événement du Rêve,
elle fait partie du déroulement du Rêve et rien n’est arrivé.
Comment quelque chose qui arrive dans le cas d’un personnage fictif peut-il avoir la
moindre importance ? Stop ! Rien ne se passe ici, c’est un Rêve ! Dans la mesure où la
Compréhension survient chez un personnage fictif (un organisme corps-esprit), c’est
un épisode du Rêve, et alors ? L’idée selon laquelle l’Eveil ou l’Illumination a de
l’importance est une fiction du chercheur. De l’importance pour qui ? Qui s’en
soucie ?
154
Il a été dit que si vous voulez savoir quand vous vous rapprochez de la
Compréhension totale ou de l’Eveil, c’est quand l’importance de l’occurrence de
l’Eveil dans le corps/esprit que vous appelez vous-même diminue. La conscience
que quoi que ce soit qui échoit à ce corps-esprit, qu’il s’agisse de l’Eveil ou de la
mort, de la misère ou du l’opulence, tout ceci échoit dans le Rêve à ‘’l’enfant d’une
femme stérile’’, pour utiliser l’expression de Maharaj, une créature mythique, une
conceptualisation, une fiction, ‘’quelqu’un’’ qui ne peut pas exister. Rien de ceci n’a
aucune importance. Ceci a l’air important du point de vue du Rêve, mais je vous
garantis en toute certitude que ce n’est pas le cas.
Maintenant, parfois, l’expression, la ‘’Compréhension’’ est utilisée indirectement
pour signifier ‘’Ce qui est compris’’. Maintenant, dans ce cas-là, Ce qui est compris
est précisément Ce qui ne relève pas du Rêve et qui transperce le Rêve à l’instant
intemporel et non-spatial de l’Eveil. Mais l’occurrence de la Compréhension totale
dans le cas de n’importe quel organisme corps-esprit particulier est par définition
une occurrence qui paraît survenir dans le Rêve à un personnage fictif et est comme
telle une partie du déroulement du Rêve.
La responsabilité et le sentiment d’importance qui sont attachés à toute la question
de l’Eveil trouvent leur expression traditionnelle la plus élevée dans le vœu du
bodhisattva. Ce concept du bodhisattva est juste si quintessentiellement et
merveilleusement bouddhiste : sacrifier sa propre Illumination jusqu’à ce que tout le
monde ait ‘’obtenu’’ celle-ci. Le summum de l’altruisme, du sacrifice de soi, de la
grandeur d’esprit et de la grandeur d’âme. Aucun homme n’a d’amour plus grand que
celui-là.15 Magnifique. Peut-il y avoir quelque chose de supérieur en termes
d’aspiration humaine ? C’est juste tellement adorable et sublime ― et il me déplaît de
devoir casser cela ― mais c’est une ineptie, une absurdité. Une idée tout à fait
utopique. Un drame sentimental merveilleux et larmoyant complètement hors de
propos, une fois que l’Eveil a lieu. Toute cette idée n’apparaît que dans le Rêve, où
les ‘’individus’’ sont pris au sérieux. Si un individu est effectivement l’enfant d’une
femme stérile (s’il n’existe pas et s’il n’a jamais existé), alors, qui y a-t-il à sacrifier et
pour qui le sacrifier ? Et il en va bien sûr de même avec le concept chrétien de Jésus
qui ‘’meurt pour nos péchés’’. Tout ceci est d’une dramatique absurdité, ce que
j’aurais tendance à appeler de la sottise ou selon les termes de Maharaj, ‘’un grand
divertissement’’.
C’est un point difficile pour beaucoup. Cette apparente indifférence de la
Compréhension à l’égard de ces choses ‘’importantes’’ et ‘’spirituelles’’ à haute
intensité dramatique de la vie humaine peut être perçue par des gens normaux et
bien intentionnés comme étant de la froideur, ce qui n’est pas du tout le cas. C’est
tout l’inverse, si totalement compatissant, mais je ne connais aucun sage qui a été en
mesure d’expliquer adéquatement ceci et de combler ce décalage. Et c’est un vide. Du
point de vue humain, le bodhisattva représente la plus haute vertu. Du point de vue
de la Compréhension, c’est une ineptie inappropriée, même si elle est plutôt
sympathique.
15
Evangile de Jean, 15.13
155
Bien sûr, il s’agit là d’une tradition vénérable et ancienne, avec en outre le karma (le
karma de qui ?) et la renaissance (nul n’étant né, encore moins ‘’né de nouveau’’).
Mais souvent, la tradition ne se maintient pas dans la simplicité glorieuse. En Orient,
comme en Occident, des millénaires de tradition ont eu tendance à corrompre et à
fabuler, à fabriquer de toutes pièces et à falsifier. Il existe aussi une tendance bien
intentionnée à enseigner des concepts réconfortants, mais imaginaires qui peuvent
offrir aux gens quelque soulagement immédiat et la différence entre ceux-ci et la
Compréhension est parfois subtile et souvent ignorée.
Au séminaire, j’ai étudié assez de théologie catholique et de versions révisées du
Nouveau Testament pour savoir que des siècles d’analyses bien intentionnées de ce
que le visionnaire initial aurait pu vouloir dire s’approchent rarement de la
Compréhension réelle. Par exemple, il paraît certain que Jésus de Nazareth peut très
bien avoir vécu et enseigné et être mort sans qu’aucun de ses sannyasins (à tout le
moins pas ceux qui ont laissé des traces écrites officielles) n’ait réellement compris ce
qu’il tentait d’exprimer. Ce qu’ils ont transmis en tant que christianisme n’a juste à
peu près rien à voir avec du tout avec la Compréhension qui paraît quasiment
certainement s’être produite dans le cas de Jésus.
‘’Des disciples, aussi nombreux que des grains de sable dans le Gange, mais aucun
n’est parvenu à l’Illumination. Ils errent à sa recherche sous la forme d’une voie
enseignée par d’autres.’’ (Tung Shan)
En Orient, comme en Occident, des générations de moines bien intentionnés peuvent
parfaitement brouiller le message. Je ne suis pas un spécialiste en ces matières, de
l’advaita, du védanta, du bouddhisme ou du sanskrit, et il n’y a chez moi ni la
capacité, ni l’intérêt pour discuter de ces finesses qui sont si importantes pour les
érudits. Il semblerait que la description de la tâche ici (à tout le moins pour l’instant)
soit de décrire dans le contexte du conditionnement de cet organisme corps-esprit ce
qu’est la Compréhension ici, ce qui peut ne pas nécessairement correspondre avec ce
que les érudits ont concocté au fil des siècles.
D’une manière qui est difficile à exprimer, la Compréhension, la Vision, lorsque
celle-ci survient, est extraordinairement simple et d’une manière très subtile,
beaucoup de choses sont immédiatement claires et évidentes. Ce qui, d’un point de
vue humain, intellectuel ou moral peut aisément ressembler à de la présomption
intolérable, mais il ne peut y avoir ici qu’un haussement d’épaules à l’égard d’une
telle objection. Elle est ce qu’elle est et si c’est inacceptable, c’est tout aussi cool.
Après tout, il n’y a réellement aucune raison impérieuse pour que celle-ci soit
acceptée. Si on chipote avec des concepts et des modalités d’expression, David,
comme tout le monde, peut parfaitement faillir, mais ce qui est compris est très
simple. C’est Ce-qui-est. Et ceci ne peut qu’être indiqué à partir d’angles variés, ce
qui dans ce cas-ci, en raison du conditionnement, ne se fera vraisemblablement pas
dans une forme classique.
156
Et dans cette Compréhension parfaitement simple, il y a une reconnaissance, non
intellectuelle, des cas où cette même Compréhension – dans sa pure simplicité, sans
complications, embellissements, ni extrapolations de ce que quelqu’un pense devoir
être juste – s’est produite. Il peut sembler y avoir davantage d’affinités avec certains
d’entre eux, mais la reconnaissance est la même, et donc, il est parfaitement clair qui
comprend et qui ne comprend pas, qui a réellement vu et qui s’efforçait de voir, qui
le simulait et qui n’y connaît rien et qui est ou était pure transparence dans la
conscience de la non-existence.
Qu’ils soient aujourd’hui vivants ou disparus, cela fait peu de différence. Il y a ceux
qui disent que le seul bon guru indien est un guru indien vivant et que citer Maharaj,
le Maharshi ou les patriarches du zen, c’est juste faire appel à des personnages morts
depuis suffisamment longtemps pour ne plus être controversés. Et puis, il y en a
d’autres, les groupes de chercheurs et même d’instructeurs d’un guru mort se
réfugiant toujours autour du site d’un puits à sec sans jamais reconnaître l’effluence
parfaite et tranquille toujours présente qui se trouve tout proche d’eux ou en eux.
Ceux-là manquent la cible. Dans les paramètres du Rêve, les chercheurs et les maîtres
font du mieux qu’ils peuvent, mais dans la Compréhension, il n’y a ni naissance, ni
mort, ni allée, ni venue, et les occasions et formes où il y a eu la Vision sont toutes et
toujours le Soi et clairement présentes pour les siècles des siècles.
Regardez en vous.
Regardez en vous !
Il y a là une Beauté parfaite et inimaginable
Dans la tranquillité du Cœur silencieux.
L’unique Joyau parfait, flamboyant et rayonnant.
La Totalité.
Ce que vous êtes – le vrai Soi.
Contemplez cet éclat.
Il n’y a rien à faire pour le connaître :
Ne plus penser et cela est connu ―
Quand l’esprit est silencieux,
Quand il ne diffère plus du Cœur,
Le Cœur radieux et silencieux.
Regardez en vous !
Ne manquez pas cela !
Ne vivez pas votre vie
Sans voir, ni connaître
Cette Beauté suprême et éblouissante.
Regardez et soyez.
Cessez de penser.
Regardez en vous
Et vous saurez qui vous êtes.
157
CHAPITRE 34 : METANOESIS
‘’Même si tout le monde désire le bonheur, la majorité des gens souffrent de tragiques
méprises concernant ce qui le confère.’’
-
Roger Walsh
‘’Si jamais je cherche encore après ce que désire mon cœur, je ne chercherai pas plus
loin que mon propre jardin, parce que si cela ne s’y trouve pas, je ne l’ai jamais
réellement perdu, pour commencer.’’
-
‘’Dorothy’’ dans le Magicien d’Oz
N’est-il pas intéressant que la Déclaration d’Indépendance américaine cite la vie et la
liberté comme ‘’droits inaliénables’’, mais pas le bonheur ? La ‘’poursuite du
bonheur’’, certes, mais pas le bonheur lui-même. Il semblerait que ceci soit une
reconnaissance que personne ne possède un droit inaliénable au bonheur, mais
uniquement celui de passer sa vie et sa liberté à le pourchasser. On dirait qu’un
certain facteur de frustration est inclus là-dedans, pas vrai ?
Cette question du bonheur s’avère être très, très simple. Le bonheur est votre état
naturel. La seule raison pour laquelle celui-ci n’est pas toujours expérimenté, c’est à
cause des couches et des barrières qui sont érigées et constamment maintenues. Ce
n’est qu’affaire de les laisser partir et non d’obtenir ou de gagner quelque chose de
nouveau. Voici le secret : Croire que la ‘’poursuite du bonheur’’ soit rechercher
quelque chose de neuf ou de nouveau qui vous rendra heureux est condamné et
voué à la frustration éternelle, puisque c’est regarder dans la mauvaise direction.
‘’Pourquoi êtes-vous malheureux ? Parce que 99,9 % de tout ce que vous pensez et
faites, c’est pour vous-même – et ce ‘’vous-même’’ n’existe pas !’’ (Wei Wu Wei)
Comme d’hab, il règne une pensée confuse autour de ce sujet qui rend la
compréhension d’autant plus difficile. Même si le bonheur possède une forte
connotation positive pour les chercheurs spirituels et le plaisir, une connotation plus
négative, les définitions du dictionnaire suggèrent que des sensations similaires sont
à la base des deux. Pour nos besoins, il peut être utile de définir ces concepts avec un
peu plus de clarté.
Le plaisir fait partie du cycle du désir. Le plaisir est la sensation qui se produit,
quand un désir est satisfait. C’est l’expérience de libération, le ‘’aaahhhh’’ qui est
expérimenté, quand le désir est satisfait et quand il cesse. Ce plaisir est en soi très
désirable et addictif. Il y une agitation (nervosité, fébrilité, ébullition), une irritation
(contrariété, impatience) et une anxiété (tension) qui accompagnent ce désir, suivies
par un bref instant de plaisir au moment de sa satisfaction. Chaque organisme corpsesprit est programmé et conditionné différemment, aussi les spécificités seront
158
différentes dans chaque cas, mais fondamentalement, tout ce qui est trouvé pour
produire, pour provoquer cette sensation de libération et de plaisir sera ce qui est
désiré, puisqu’au bout du compte, c’est le plaisir libérateur du désir satisfait qui est
désiré.
La nature du plaisir est telle que c’est une libération provisoire, la sensation du
plaisir étant perdue presqu’aussi rapidement qu’elle est trouvée, alors que le cycle du
désir une fois satisfait se répète immédiatement. Comme beaucoup l’auront
découvert, il n’y a aucun moyen de sortir de ce cycle suivant ses propres termes, c’est
pourquoi l’enseignement bouddhiste a toujours mis l’accent sur la cessation du désir
lui-même. Mais comment le corps-esprit peut-il simplement s’arrêter de désirer et
qu’est-ce que cela a à voir avec le bonheur ?
La ‘’poursuite du bonheur’’ se fonde principalement sur l’idée subliminale que le
bonheur est un plaisir qui n’en finit pas – à tout le moins, pas aussi rapidement, ce
qui aboutit à une méthode de recherche du bonheur qui n’est réellement qu’une
affaire d’augmenter la mise initiale sur le désir : si seulement j’avais ceci ou si
seulement ceci arrivait, alors je serais heureux ! C’est une version idéalisée et
magnifiée du cycle désir/plaisir qui est condamnée au même sort, le bonheur
durable ne pouvant survenir que s’il y a une réorientation complète avec sortie totale
du cycle désir/plaisir.
‘’Tout ce que vous voulez, c’est être heureux. Tous vos désirs, quels qu’ils soient, sont
une aspiration au bonheur. Vous vous voulez essentiellement du bien. Le désir n’est
pas mauvais en soi. C’est la vie elle-même, le besoin de grandir en connaissance et en
expérience. Ce sont les choix que vous opérez qui sont mauvais : vous imaginer que
des bagatelles ou des bricoles, comme la nourriture, le sexe, le pouvoir ou la célébrité
vous rendront heureux, c’est vous tromper vous-même. Seul quelque chose d’aussi
vaste et d’aussi profond que votre Soi réel peut vous rendre réellement et
durablement heureux.’’ (Nisargadatta Maharaj)
A un moment donné de notre vie, nous avons tous connu l’expérience d’être
heureux. Ce peut être difficile à décrire, mais quelque part, nous connaissons tous,
d’une manière ou d’une autre cette expérience, même si elle fut fugitive et rare.
Sinon, nous ignorerions à quoi elle ressemblait et nous n’en n’aurions pas la
nostalgie. Souvenez-vous d’un moment où vous avez été réellement heureux. Il peut
s’agir d’une période de votre vie ou d’un simple instant fugitif où vous avez ressenti
le surgissement, la béatitude et la paix du bonheur authentique. A cet instant et peu
importe à quoi aurait pu encore ressembler ce bonheur, n’y avait-il pas une part de
celui-ci, un élément constitutif de cette expérience d’être heureux qui donnait cette
impression : ‘’C’est parfait ! Rien ne doit être différent. Tout est juste bien, tel qu’il
est’’ ?
C’est une composante essentielle de l‘expérience du bonheur et c’est ce que nous ne
faisons qu’entrevoir dans le plaisir momentané d’un désir satisfait avant que cette
satisfaction ne repasse au désir : l’expérience qu’il ne faut rien changer, que rien ne
doit être différent. Ceci, ici et maintenant, est parfait ! Combien de fois, quand
159
quelqu’un expérimente le bonheur, déclare-t-il spontanément : ‘’Oh, c’est parfait !’’
Même l’expression populaire, ‘’C’est le top du top !’’ ou le summum bonum implique
qu’il n’y a rien à ajouter, que rien ne doit être différent de ceci, maintenant.
C’est ici où le sujet du bonheur devient très simple. Il ne s’agit pas d’acquérir
quelque chose de nouveau, mais simplement de laisser tomber la barrière que nous
érigeons perpétuellement avec sa poursuite. S’il peut y avoir un simple
retournement, un choix de sortir du cycle désir-plaisir en sachant simplement que
c’est parfait maintenant, ici, la manière dont sont les choses et que rien ne doit être
un tant soit peu différent, s’il peut y avoir plus que juste le dire, plus que juste le
croire, mais vraiment le savoir dans son cœur, alors le bonheur est simplement
présent.
Quand ceci arrive, il y a une transformation de la vie d’une expérience de peine,
d’irritation, d’incomplétude ou de frustration en une expérience de bonheur et il est
découvert que ce bonheur est inébranlable. Il ne dépend pas du fait que quoi que ce
soit soit accompli, ni d’une quelconque évolution, ni de quoi que ce soit qui soit
d’une quelconque manière différent de ce qu’il est et il n’est pas non plus ébranlable
par la peur que quelque chose ne change, puisque de toute façon, il y a l’acceptation
de ce qui est.
La signification littérale du mot grec ‘’metanoesis’’ (traduit par ‘’conversion’’ dans la
Bible chrétienne), c’est ‘’changement d’esprit’’. L’expression anglaise ‘’I changed my
mind’’ ne veut pas dire la même chose. Elle signifie que mes pensées ont changé. Je
pensais ceci, mais maintenant, je pense différemment. Le même esprit avec des
pensées différentes. La metanoesis ou transformation de l’esprit, c’est quelque chose
de différent. Le terme sanskrit est ‘’paravritti’’ et signifie la même chose : soit un
retournement vers le niveau le plus profond du cœur ou de l’esprit.
‘’Il y a juste un regard dans la bonne direction, une orientation de l’esprit. La
paravritti ou metanoesis n’est que cela, sans nul doute.’’ (Wei Wu Wei)
C’est là où le bonheur réside : dans la réorientation de l’esprit qui permet de regarder
dans la bonne direction. L’acceptation de ce qui est. Votre état naturel.
Après, les désirs surgissent encore. Ceux-ci font partie du Rêve, du fonctionnement
du corps-esprit. Il n’y a aucun besoin que les désirs eux-mêmes ne s’arrêtent, en tant
que tels. Mais comme il est su que rien n’a besoin d’être différent de ce qui est, rien
ne doit être poursuivi. Le plaisir et la douleur se produiront de temps à autre, mais
comme rien n’a besoin d’être différent, il n’y a aucune tentative pour rechercher ou
pour éviter ces expériences. Et donc, le désir n’est pas pris à cœur, ni affirmé, ni fait
sien. Il est simplement là et il est expérimenté comme faisant partie du Rêve.
Et pendant tout ce temps-là, il y a un sentiment constant de bien-être, de bonheur
inébranlable et de savoir profondément que tout va bien. Ceci est parfait, juste OK.
Rien n’a aucunement besoin d’être différent de ceci, maintenant.
160
CHAPITRE 34 : QUELLE EST LA DIFFÉRENCE
ENTRE LA PERSONNE ‘’NORMALE’’ ET UN SAGE ?
‘’Ce qui est écrit se présente sous trois formes :
Une que vous et vous seul êtes en mesure de lire,
Une que vous et les autres sont en mesure de lire,
Et une que ni vous, ni personne d’autre n’est en mesure de lire.
Je suis ce troisième script.’’
-
Shams de Tabriz
‘’Parfois nus et parfois fous,
Tantôt sous la forme de savants et tantôt sous la forme d’idiots,
Ainsi apparaissent-ils sur la Terre, ceux qui sont Libres !’’
-
Shankara
OK, quelle est la différence entre une personne ‘’normale’’ et un sage ?
Au niveau le plus profond, les distinctions qu’il peut y avoir entre un sage et celui
qui ne l’est pas sont fondamentalement dénuées de sens. Aucune n’existe en tant que
telle. Ces distinctions n’existent qu’en apparence. Chez le dit sage, ceci est connu.
Tous deux sont des organismes corps-esprits avec leurs conditionnements, des
émotions qui se manifestent et des actions qui se produisent par leur entremise. La
seule différence, c’est que le sage voit qu’il n’y a là ‘’personne’’, que c’est le
fonctionnement impersonnel de la Présence par l’instrumentalité des organismes
corps-esprits, alors que la personne ordinaire revendique l’émotion ou l’action, pense
qu’elle en est responsable et dit qu’elle est sienne.
Mais les émotions ou les actions qui se produisent seront différentes ?
Pas nécessairement. Seulement conformes au conditionnement des organismes
corps-esprits respectifs.
Et donc, si une personne se mettait beaucoup en colère avant l’Eveil ?
La colère pourrait fort bien continuer à se manifester dans cet organisme corps-esprit
par la suite, conformément au conditionnement. La différence, c’est que le sage ne
s’impliquerait pas avec la colère, si celle-ci se manifeste. Elle passerait naturellement
et il en serait quitte. Le sage ne la ferait pas sienne, ne ressentirait pas de sentiment
de culpabilité à son égard, il ne tenterait pas de l’expliquer, ni de la justifier, ni de
s’en excuser ou ne penserait pas qu’il devrait faire des efforts pour s’améliorer afin
que cela ne se reproduise plus. Qu’y a-t-il à améliorer ? La colère apparaît
simplement comme une part du fonctionnement impersonnel de la Conscience. Que
celle-ci se manifeste dans cet organisme corps-esprit particulier n’est pas une
préoccupation pour le sage.
161
OK. Un sage pourrait-il tuer quelqu’un ?
Le sage sait qu’ ‘’il’’ ne peut rien faire.
OK, OK, le sage pourrait-il être l’instrument par l’entremise duquel une tuerie se produit ?
Pourquoi pas ? Si cela fait partie intégrante du déploiement infiniment parfait de la
Conscience dans l’optique de quelque chose ― n’importe quoi ― ou pour qu’une
combinaison de choses se produise, comment pourraient-elles ne pas avoir lieu ? En
termes traditionnels, si c’est le ‘’destin’’ d’un organisme corps-esprit d’être tué
conformément à la volonté divine et si c’est le ‘’destin’’ d’un autre de procéder à la
tuerie, cela se produira. Et le sage comprendra aussi que la société ‘’le’’ punira pour
cela et la punition de cet organisme corps-esprit sera également acceptée comme
étant la ‘’volonté divine’’, comme faisant partie intégrante du fonctionnement parfait
de la Totalité.
Mais pourquoi serait-ce la volonté divine qu’un sage…
Pourquoi pas ? Etes-vous en train de me dire que vous connaissez la base ou les
raisons de la volonté divine ?
Eh bien, je suppose qu’il serait improbable que quelqu’un qui est doté du conditionnement
pour tuer devienne jamais un sage…
Vous avez maintes fois entendu qu’il n’y a aucun prérequis pour que la
Compréhension survienne. Très honnêtement, l’exemple de tuer quelqu’un est un
extrême. Chez un sage, il n’y aurait aucune motivation pour tuer quelqu’un, alors
oui, ceci pourrait paraître improbable. Mais les personnages fictifs, les instruments
corps-esprits sont rarement en position de prédire ce genre de choses. Il pourrait y
avoir toute une série de raisons, certaines compréhensibles et d’autres complètement
incompréhensibles du point de vue des instruments corps-esprits pour lesquelles une
telle chose puisse être nécessaire au déploiement parfait de la Conscience. S’il devait
faire partie intégrante du déploiement infini que quelque chose comme ceci se
produise, ce serait le cas. J’ignore si vous l’avez remarqué, mais il semble bien y avoir
une tendance de la Conscience à faire naître toutes sortes de combinaisons possibles,
tôt ou tard.
OK, donc le sage est réellement juste comme une personne ordinaire ? Qu’y gagne-t-il, quel
est le bénéfice de l’Illumination ?
Ce sont les organismes corps-esprits et leur fonctionnement qui sont pareils. Le sage
sait qu’il n’est pas le corps-esprit, qu’il n’est pas du tout une personne. Il n’y a
personne qui gagne quoi que ce soit !
Alors, le bénéfice devrait être pour son entourage, comme les amis du type en question peutêtre ou s’il a des étudiants…
162
Ah ! Les ‘’amis du type en question’’ – pour autant qu’il s’agisse d’un homme et pour
autant qu’il ait des amis – pourraient trouver plus compliqué de bien s’entendre avec
lui qu’auparavant ! Mais il y a certainement le potentiel d’un grand bénéfice pour
autrui. Que ceci soit compris dépend du conditionnement et aussi de ce qui se
déploie dans la Conscience, de ce à quoi les traditions orientales font référence
comme étant la destinée.
Le conditionnement des étudiants ?
Qui dit qu’il a des étudiants ?
Mais un sage n’enseignerait-il pas ?
Pourquoi ? De nouveau, seulement si c’est dans le script du Rêve que ce personnage
fictif de sage enseigne. Uniquement, si c’est le ‘’destin’’, dans l’optique du
déploiement universel, que l’organisme corps-esprit de ce sage s’exprime sur ce sujet
dans le cadre du fonctionnement de la Conscience.
OK. Alors, s’il n’enseigne pas et s’il a encore ces émotions et s’il peut même accomplir des
trucs funestes…
Quoi ?
A ce moment-là, quelle est la différence entre une personne ordinaire et un sage ?
Juste la Compréhension, mon ami ! Juste la Vision, la Connaissance, c’est tout ! Juste
‘’la Paix qui dépasse toute compréhension’’. Et à quoi ça sert ? A rien du tout,
pourrait-on dire. Le Bouddha a dit : ‘’En vérité, je n’ai rien obtenu de l’Illumination.’’
Et Houang-po a écrit : ‘’Il y a juste une mystérieuse compréhension implicite et rien
de plus.’’ Le sage n’est pas un surhomme, une personne normale avec quelque chose
en plus. Le sage est une personne normale avec quelque chose en moins. Le
sentiment d’être un moi distinctif, d’être un individu séparé a disparu. Il n’y a ici
plus ‘’personne’’.
J’ai entendu que pour le sage, tout arrive spontanément.
Oui ! Et voulez-vous savoir autre chose ? Pour chacun, tout arrive spontanément.
Pour vous, tout arrive spontanément.
Je ne l’expérimente pas ainsi.
Exactement ! C’est la différence.
Croyez-vous que la Compréhension puisse advenir à tout le monde ?
Je ne crois rien du tout.
163
Quoi ?
Il n’y a ici aucune croyance.
C’est une déclaration extraordinaire !
Absolument pas. C’est réellement très simple. Ou vous savez quelque chose, ou vous
l’ignorez. Si vous savez quelque chose, vous ne devez pas croire que c’est vrai, ni
avoir la foi que c’est vrai. Vous le savez sans aucun doute. Cela est, simplement, et
aucune croyance n’est impliquée là-dedans. D’un autre côté, si vous ignorez quelque
chose, la chose honnête, c’est de simplement dire que vous ne savez pas, mais bien
entendu, il y a beaucoup de raisons psychologiques, politiques et sociales en vertu
desquelles les gens ne peuvent pas admettre ― même à eux-mêmes ― qu’ils ignorent
quelque chose et donc, ils fabriquent ou ils inventent une croyance, ce qui est
essentiellement dire que vous ne savez pas réellement si quelque chose est vrai, mais
vous allez prétendre que c’est le cas. Tous ces agissements font partie intégrante du
Rêve. Il n’y a réellement qu’une seule chose qui ne fait pas partie du Rêve, qu’une
seule chose qui puisse être connue et c’est la Conscience de tréfonds, ‘’JE SUIS’’. Tout
le reste est simplement conceptuel, une construction mentale dans le Rêve. Tout !
OK, mais cette Compréhension peut-elle advenir à tout le monde, à n’importe quel corpsesprit ?
Bien entendu.
Pourrait-elle m’advenir, à moi ?
Non, bien sûr que non ! C’est la différence. Mais elle pourrait advenir dans le cas de
l’organisme corps-esprit que vous pensez être actuellement et alors, il y aurait la
compréhension qu’il n’y a jamais eu de ‘’vous’’, ni de ‘’moi’’ à qui quelque chose
pourrait advenir et que qui vous êtes, c’est la Conscience au sein de laquelle tout ceci
semble se produire. La Compréhension et la croyance en un ‘’moi’’ s’excluent
mutuellement : si l’une est là, l’autre ne sera pas là.
164
ÈME
6
PARTIE
VOUS ÊTES CET ESPACE CALME ET COMPATISSANT AU
SEIN DUQUEL SE DÉPLOIE LA VIE DE CE QUE VOUS
PENSEZ ÊTRE ‘’VOUS-MÊME’’
165
CHAPITRE 36 : LE TEMPS
‘’Un instant est l’éternité ;
L’éternité, c’est maintenant.
Voir à travers cet instant unique,
C’est voir à travers celui qui voit.’’
-
Wu Men
La méprise de base, l’obscurantisme fondamental, c’est de croire en des individus
distinct(if)s qui existent comme des entités séparées et comme les initiateurs, les
penseurs ou les auteurs de pensées, d’actions ou d’expériences, ce qui inclut bien
entendu l’individu présumé qui pense ceci.
‘’Il n’est pas si difficile de comprendre, au moins intellectuellement, que cet univers
est un Rêve, mais il est presque impossible d’accepter que celui qui est supposé
comprendre ceci fait lui-même partie du Rêve. Cette croyance en moi-même est le
seul obstacle réel à l’occurrence de l’aperception.’’ (Ramesh)
Cette croyance en des individus séparés, y compris l’individu que l’on appelle soimême, fait partie de la plus vaste illusion de l’espace-temps. Tout ce qu’il y a, c’est la
Conscience, la Présence, le Noumène. Ce qui est perçu comme étant la manifestation,
le phénomène, la totalité de l’espace-temps, n’est qu’une apparence/apparition dans
la Conscience et rien d’autre que cela.
Il n’est pas terriblement compliqué, ni inhabituel pour des chercheurs ― après une
certaine investigation ― d’être en mesure de comprendre intellectuellement la nature
illusoire de l’individu et de la séparation qui tous deux dépendent de l’idée
d’espace : c’est dans l’espace que les choses, y compris les individus, semblent être
distincts et séparés les uns des autres. Même si c’est certainement toute autre chose
de s’inclure soi-même là-dedans, l’idée fondamentale peut cependant être saisie.
Après tout, l’idée centrale d’après laquelle ‘’tout est un’’ est présente dans presque
toutes les religions et toutes les traditions spirituelles du monde et c’est une idée à
laquelle tout chercheur spirituel aura été exposé depuis un certain temps.
Comme je l’ai dit, l’idée que ‘’nous sommes un’’ est en soi contradictoire et brouillée
par une pensée floue, mais néanmoins, le principe de base peut être compris : la
perception de limites qui crée la séparation dans l’espace en des entités individuelles
distinctives est une illusion. En vérité, seule l’Unité est. Si on parle de ceci à un
groupe de chercheurs, on peut constater un acquiescement général.
Bien entendu, ceci pose son propre dilemme. Alors que ce principe d’unité spatiale,
la nature illusoire de la séparation de toutes les choses dans l’espace, est dans
certains cercles tellement familière que pour être un cliché, il n’est clairement pas
véritablement, ni totalement compris. Réellement comprendre ceci entraînerait la fin
de toutes les questions, de la souffrance et de la recherche.
166
Si on passe au concept de la nature illusoire du temps et si on commence à parler de
l’unité temporelle, il n’y a pas cette familiarité, et même la compréhension
intellectuelle est nettement plus difficile à trouver. On peut se gargariser
d’expressions telles que ‘’le temps n’existe pas’’ ou ‘’il n’y a pas de passé ou de futur,
seulement maintenant’’, mais la compréhension de ce que cela signifie est moins
courante. Les librairies sont remplies de livres qui mettent en avant la valeur de
‘’vivre dans l’instant présent’’. Un auteur populaire insiste sur le fait qu’il n’y a ni
passé, ni futur, mais seulement maintenant, l’instant présent. A tout moment, il n’y a
que l’instant présent. Il y a toujours et seulement ‘’maintenant et maintenant et
maintenant’’. Chaque instant présent est suivi par l’instant présent suivant. C’est
simplement renommer le passé, le présent et le futur quelque peu confusément en
‘’maintenant, maintenant et maintenant’’. Il y a toujours le concept du temps
séquentiel, un instant présent en suivant un autre.
Il pourrait s’avérer utile d’employer le modèle de l’unité spatiale (qui, une fois qu’il
est au moins compris intellectuellement, révèle l’illusion de l’espace) pour parvenir à
la compréhension de l’unité temporelle qui révélera pareillement la nature illusoire
du temps. Les concepts sont parallèles :
L’idée de moments séparés dans le temps est similaire à la croyance en des individus
séparés dans l’espace. Tout comme les entités séparées dans l’espace sont vues
comme n’existant pas en tant que telles, en tant qu’entités séparées, mais plutôt
simplement comme des apparitions/apparences dans la Conscience, ou comme la
manière dont la Présence se manifeste, similairement, les instants séparés dans le
temps peuvent être vus comme n’existant pas en tant que tels, en tant qu’instants
séquentiels, mais plutôt simplement comme des apparences dans la Conscience, ou
comme la façon dont le Présent se manifeste. Il n’y a pas d’entités séparées :
seulement ce qui peut être appelé Ceci. Il n’y a pas d’instants séparés : seulement ce
qui peut être appelé maintenant. Il n’y a pas d’entités individuelles qui ont des
rapports entre elles : il n’y a qu’une seule Présence, et c’est tout. Il n’y a pas d’instants
individuels qui se suivent : il n’y a qu’un seul Présent et il est éternel.
Je ne suis pas sûr que l’on puisse parvenir à ceci intellectuellement. Avec la
Compréhension, le mystère du temps se replie finalement simplement sur lui-même.
La compréhension claire que le temps n’existe pas et comment le temps n’existe pas,
est parfaitement simple et évidente, tout comme l’autre. De même qu’il n’y a qu’une
seule Présence, il n’y a qu’un seul Présent.
Et cependant, même cette méthode d’explication de l’unité temporelle par
comparaison avec l’unité spatiale est fausse. Elle n’est pas double, bien entendu. Il
n’y a qu’une seule unité, infinie et éternelle, à la fois Présence infinie et éternel
Présent.
Fondamentalement, l’illusion du temps est exactement la même que l’illusion de
l’espace, qui est exactement la même que l’illusion de l’individu. Elles font partie
l’une de l’autre, elles dépendent l’une de l’autre et elles se renforcent mutuellement
167
pour constituer le samsara, la manifestation objective instaurée par l’agence de la
perception. C’est pourquoi l’illusion de l’individu ou même simplement l’illusion du
moi en tant qu’auteur individuel de quoi que ce soit peut être utilisée comme un
point focal de la compréhension. Quand cette illusion se dissout, les illusions de
l’espace et du temps s’en vont avec.
Ramana Maharshi parlait de cette connexion :
‘’Ce qui est éternel n’est pas reconnu comme tel, en raison de l’ignorance. L’ignorance
est l’obstacle. Débarrassez-vous d’elle et tout ira bien. Cette ignorance est identique
à la pensée ‘’je’’. Recherchez sa source et elle disparaîtra.’’
Et Wei Wu Wei exprime la même idée dans Posthumous Pieces :
‘’L’ignorance de ce qui est éternel est due au concept du ‘’temps’’. Le concept du ‘’je’’
et le concept du ‘’temps’’ sont indissociables. Aucun des deux ne peut sembler exister
sans l’autre. Ce sont deux aspects de ce qui est erronément considéré comme étant
objectif.’’
Ainsi retournons-nous à l’idée principale d’éclaircir le problème du sujet et de l’objet.
La croyance en la personne individuelle est une identification à cette personne en
tant que sujet qui, par ses perceptions, objective le reste de l’univers phénoménal de
l’espace-temps. Lorsqu’il est réalisé que cette usurpation du rôle de la subjectivité est
erronée, que ce soi-disant individu n’existe pas en tant que sujet qui perçoit, mais
simplement comme l’un des objets qui apparaissent au sein du phénomène de
l’espace-temps, alors la nature illusoire ou fictive de tous ces objets et de l’espacetemps peut être vue. Avec la réalisation ‘’qu’il n’y a ici personne’’ :
‘’…la libération conséquente n’est pas seulement du ‘’qui ?’’, mais aussi du ‘’où ?’’ et
du ‘’quand ?’’ Le ‘’sujet’’ phénoménal supposé a cessé de croire en l’impossible et
connaît enfin ce qu’il a toujours été et ce que l’univers phénoménal a toujours été – et
qui ne connaît ni qui, ni où, ni quand.’’ (Wei Wu Wei)
Alors, on regarde un peu différemment la formule New Age popularisée par Ram
Dass : ‘’Soyez ici et maintenant.’’ Au niveau auquel celle-ci était destinée, elle
fonctionne bien comme un rappel à la vigilance – même si même là, elle pose la
question fondamentale : ‘’Qui doit être ici et maintenant ?’’ Mais dans la
Compréhension, on voit que les trois mots sont redondants. Tout ce qu’il y a, c’est
l’Etre et il n’y a qu’ici et rien d’autre que maintenant. Où pourrais-je être autrement
qu’ici et maintenant ? Même s’il s’avère que je suis perdu dans un souvenir du passé,
ce ‘’passé’’ n’existe que sous la forme de ce souvenir, de cette pensée qui survient ici
et maintenant et même s’il y a des inquiétudes concernant le futur ou des rêveries
dans un organisme corps-esprit, ces inquiétudes ou ces rêveries sont ce qui se
produit dans cet organisme, ici et maintenant. Il ne peut jamais y avoir rien d’autre
qu’être, ici et maintenant. Il n’y a qu’ici, et c’est la Totalité sans limites, indivise. Il n’y
a que maintenant, un maintenant éternel, illimité, indivis. Alors, détendez-vous.
168
Aucun effort n’est requis pour être, ici et maintenant. Vous ne pouvez pas ne pas
être. Profitez-en !
169
CHAPITRE 37 : SUJET/OBJET
‘’De l’intérieur ou de l’au-delà, une Lumière nous traverse, éclaire les choses et nous
fait prendre conscience que nous ne sommes rien, mais que la Lumière est tout.’’
-
R. W. Emerson
Etre clair par rapport à qui est le Sujet et qui ou ce qu’est l’objet. Cela peut paraître
un peu académique, mais restez bien avec moi, ici. C’est essentiel. Notre langage
nous trahit. A chaque fois que nous parlons et même quand nous parlons de la
Compréhension et de la Totalité, nous le faisons en construisant des phrases comme
celle-ci, qui sont pure sottise. Voyez ce que fait cette phrase : elle établit la Totalité
comme l’objet dont nous, le sujet, nous parlons. La Totalité, la Subjectivité pure, Cela
en quoi tous les objets se manifestent et qui, en tant que tel, ne peut pas être un objet
de quoi que ce soit et ‘’nous’’, des organismes corps-esprits et comme tels, des objets
humains parmi d’autres objets qui usurpent le rôle de sujet. Une inversion totale,
mais c’est ainsi que tout notre langage et la structure de notre pensée sont construits.
Avec la Compréhension, il est vu très clairement toute l’ironie de ceci : que c’est le
streaming de cette Conscience Elle-même via ces objets humains limités qui est ce qui
leur donne la capacité de penser erronément qu’ils sont des consciences séparées, ce
qui permet à ces objets de s’arroger le rôle de pseudo-sujets.
Parfois, dans le cas de certains objets corps-esprits, il y a un moment sur le chemin de
la Compréhension où il faut faire une distinction subtile, mais essentielle et on peut
facilement la manquer. A un moment donné, dans la compréhension intellectuelle de
l’enseignement, il devient clair que tout ce qu’il y a, c’est la Conscience et si c’est
ainsi, alors il n’y a rien qui n’est pas la Conscience et si c’est ainsi, alors même ce qui
réalise ceci, c’est la Conscience. Si l’on a été exposé à un enseignement advaitique et
en particulier, si on a lu Nisargadatta Maharaj, et même si ce n’est pas le cas,
l’expression ‘’Je suis Cela’’ revêtira une grande signification.
Soyez bien clair par rapport à qui est le Sujet et qui ou ce qu’est l’objet. Au seuil de
l’Eveil, à la veille de l’anéantissement du faux moi, l’ego cherchera à se sauver par
cette subtile erreur d’orientation. ‘’Je comprends et j’accepte, bien sûr que je ne suis
pas un individu, mais que ce que je suis réellement, c’est la Conscience, la Totalité. Je
suis Cela. Je suis Dieu.’’ Il ne faut pas chercher loin pour trouver des enseignants qui
ont suivi cette route, convaincus d’avoir atteint l’Eveil, la Conscience de Dieu.
Il y a inévitablement une subtilité parfois perdue dans la traduction et la
transcription des propos de Maharaj. L’ancienne expression sanskrite qui correspond
au ‘’Je suis Cela’’ de Maharaj est ‘’Tat Tvam Asi’’. Littéralement, ‘’Cela, tu L’es’’, qui
préserve ‘’Cela’’ comme le sujet : ‘’Cela (sujet) est ce que vous (objet) êtes. Le marathe
maternel de Maharaj possède une structure du langage similaire et une traduction
plus fidèle de ce que veut dire Maharaj pourrait être ‘’Cela est ce que le ‘’Je’’ est.’’
170
‘’Je suis Cela’’ : il y a un sens où c’est vrai et cela peut être dit impunément par
quelqu’un chez qui la Compréhension s’est vraiment produite. (Même si alors, il n’y
aura aucun besoin que ce soit dit et peu d’intérêt à le dire.) Désormais, il n’y a plus
aucune identification en tant qu’auteur/acteur séparé, en tant qu’entité séparée, le
petit moi, le ‘’je’’ égoïste. Mais jusque-là et particulièrement pour quelqu’un d’avancé
dans la compréhension intellectuelle de l’enseignement, il y a un court-circuit qui
peut se produire, ici. Faites-vous vous-même une faveur et n’allez par là. Je vous
assure que tant qu’il y a un ‘’je’’ pour dire ‘’Je suis Cela’’, ce ‘’je’’, c’est l’ego. Le
mauvais ‘’je’’, comme disait Ramana Maharshi. ‘’Cela est ce que le ‘’Je’’ est’’ saisit
bien la perspective et préserve la clarté par rapport à qui est le Sujet ou ce qu’est
l’objet.
Il n’y a rien de mal, ni rien qui va de travers dans tout ceci. Tout est le déploiement
parfait de la totalité de la Conscience. Tout ce qu’il y a, c’est la Conscience, tout ceci
se produit dans la Conscience, alors on peut dire que c’est la Conscience Elle-même
qui s’identifie aux organismes corps-esprits. Même la fausse perception à la base,
l’usurpation de la subjectivité par les instruments objets n’est pas une mauvaise
chose qui a besoin d’être corrigée. L’identification en tant qu’objet est simplement ce
qui se produit dans la Conscience et cela résulte dans ce que nous appelons le Rêve.
Lorsque l’Eveil se produit dans le cas d’un organisme corps-esprit, il y a la cessation,
la dissipation de cette identification en tant que pseudo-sujet et cela aussi, c’est
simplement ce qui se produit dans la Conscience.
Quand la Compréhension se produit et quand il y a cette dissipation de
l’identification, il y a aussi la fin de toute la distinction sujet/objet. Il est vu qu’il n’y a
pas de relation, ni ‘’je’’, ni ‘’Tu’’, car ils sont identiques. Le ‘’je’’ en tant que pseudosujet séparé n’a jamais existé et ‘’Tu’’ n’es pas différent, ‘’Tu’’ es qui ‘’Je’’ suis déjà
toujours.
La première enseignante que j’ai entendue parler au sujet de l’advaita faisait une
distinction utile. C’est une Britannique, et donc au départ, je pensais que c’était juste
une singularité, puisque les Britanniques utilisent fréquemment les prépositions
d’une manière différente par rapport à la façon dont elles sont utilisées en Amérique.
Mais la distinction peut être utile, en tout cas. Conceptuellement, il y a une différence
entre s’identifier ‘’à’’ et s’identifier ‘’avec’’. Dans ce contexte, ‘’à’’ est comme un signe
égal : lorsqu’il y a identification à un objet corps-esprit, vous croyez être ce corpsesprit. Vous vous identifiez à ce corps-esprit. Mais s’identifier ‘’avec’’ est plus ce que
l’on entend, quand on dit que l’on s’identifie réellement avec un ami qui traverse une
expérience. Vous ne pensez pas être votre ami. Il y a là une empathie, voir les choses
par les yeux de votre ami.
Dans le Rêve, il y a une identification ‘’à’’ l’organisme corps-esprit. Presque tous les
personnages du Rêve pensent être ce corps-esprit particulier avec leur propre
conscience et moi séparés. C’est usurper le rôle du sujet, s’identifier ‘’à’’. Quand la
Compréhension se produit, elle se dissipe et ce qui reste, c’est s’identifier ‘’avec’’
l’organisme corps-esprit. Vous savez que ce corps-esprit n’est pas qui vous êtes : ce
171
n’est qu’un objet dans la Conscience que le ‘’Je’’ est. Mais l’organisme corps-esprit
continue de fonctionner et il y a une expérience de la vie par les yeux de cet
organisme corps-esprit. C’est s’identifier ‘’avec’’ lui.
Ceux qui enseignent l’advaita utilisent parfois l’image d’un chauffeur. Parce qu’il
dispose d’une belle voiture et parce qu’il peut la conduire n’importe où, le chauffeur
peut s’illusionner en pensant que c’est sa voiture (s’arrogeant ainsi la subjectivité).
Avec la Compréhension, il n’y a plus de chauffeur, juste un propriétaire/conducteur
qui est très conscient des différentes fonctions qu’impliquent la possession et la
conduite d’une voiture.
172
CHAPITRE 38 : UN POIDS IMPOSSIBLE
‘’Une personne n’est ni une chose, ni un processus, mais une ouverture par l’entremise
de laquelle l’Absolu se manifeste.’’
-
Martin Heidegger
‘’Seul Dieu sait ; Il accomplit Son Plan.
L’information est inaccessible au simple mortel...’’
-
Paul Simon
I
Toute la difficulté pourrait se résumer ainsi : l’objet humain a eu les yeux plus gros
que le ventre et il a pris sur lui plus qu’il n’est capable. Doté de juste suffisamment de
conscience l’imprégnant pour lui donner juste suffisamment d’intelligence pour
faciliter une fonction qu’il appelle pensée, l’être humain croit être un être séparé,
indépendant et autonome qui a la responsabilité de la liberté et du choix de ses
décisions et de ses actions.
Mais voyez-vous, ce n’est pas le cas. Le soi-disant être humain n’est qu’un objet dans
la Conscience ― peu importe combien il croit être un être conscient et indépendant et
peu importe à quel point il tente (à son insu) d’usurper le rôle du Sujet.
Comment un objet dans le jeu de la Conscience, avec la capacité tout à fait limitée
d’un objet, un personnage fictif, un personnage du film, ne peut-il pas être
complètement submergé, s’il essaye d’assumer le rôle et les responsabilités du Sujet,
rêveur, scénariste, producteur et directeur du film ? Le personnage humain se
persuade qu’il a presque une liberté totale et, par conséquent, la responsabilité de ses
actions. Ensuite, il se retrouve néanmoins en train de faire ce qu’il est supposé faire
dans le déploiement parfait de l’expression infinie de la Conscience, en jouant son
rôle, comme il a été écrit. ‘’Mais je n’avais aucune intention de faire cela !’’ ‘’ J’essaye
d’être une meilleure personne, mais je me retrouve toujours en train d’agir ainsi.’’
‘’Cela ne s’est pas passé, comme je l’avais prévu.’’ ‘’Je n’arrête pas de faire ça.
Pourquoi est-ce que je n’apprends pas ?’’
On dépense tellement d’énergie à se réprimander pour ne pas se montrer à la
hauteur de ce que l’on est convaincu que l’on devrait être. Il y a tellement de
culpabilité. Et une somme d’énergie égale est dépensée à tenter d’éviter cette
culpabilité en critiquant quelqu’un d’autre pour ne pas se montrer à la hauteur de ces
mêmes attentes. C’est ridicule. L’organisme humain pense qu’il est Dieu et il endosse
les responsabilités de Dieu, mais en n’ayant que la capacité d’un objet créé. Il n’est
guère étonnant que beaucoup se sentent si mal par rapport à eux-mêmes la plupart
du temps.
173
Comment peuvent-ils être à la hauteur ? C’est une configuration impossible. Et la
souffrance que l’objet humain s’inflige en endossant le rôle du Sujet est en réalité
imaginaire et inutile.
C’est un cas titanesque de confusion et d’erreur d’identité. L’idée qu’il existe une
telle chose qu’un individu, un moi, une personne, un être humain n’est qu’une
simple erreur innocente. Il semble y avoir toute cette activité, ces pensées, ces
émotions, ce que des auteurs appellent un ‘’courant de conscience’’ qui procure
l’illusion d’une certaine continuité. C’est cette continuité apparente de l’activité du
cerveau que vous pensez être vous-même, mais en fait, elle n’existe pas, il n’y a rien,
là.
Ce que vous pensez être, un être humain, est en réalité beaucoup moins : un
personnage fictif, un organisme corps-esprit apparent qui opère comme un
mécanisme de transmission dans l’expression de la Conscience.
Mais Qui vous êtes réellement est en fait incommensurablement plus et tout ceci, y
compris la vie du corps-esprit que vous pensez être, se déploie en vérité parfaitement
et sans fausse note dans la pure Conscience sans choix que vous êtes vraiment.
II
Si le Rêve est le résultat d’une ‘’hypnose divine’’, pourquoi l’hypnose n’est-elle pas totale ?
Pourquoi certains s’éveillent-ils ?
La Compréhension est une grâce totale, un don complet. Qu’elle ait lieu, que
quelqu’un s’éveille du Rêve est un grand mystère. L’ego n’est pas mis de côté sans
lutter, nous ne renonçons pas facilement à nos vies. La vérité, c’est que livrés à nousmême, nous n’y renoncerions pas. Que faut-il pour réaliser que le ‘’moi’’ que nous
avons forgé depuis que nous sommes ‘’nés’’ n’est pas réel, n’existe pas ? Parfois, cela
requiert des mesures plutôt drastiques. Une détresse physique et mentale intense qui
approche souvent la mort du corps paraît fréquemment être un facteur d’Eveil. Non
pas que cela aide beaucoup, je suppose, mais après que l’Eveil se soit produit, tout
ceci est vu autrement. Tout ce qui est requis pour ouvrir votre cœur et pour vous
éveiller constitue la grâce. Vous y êtes et c’est comme ça. Tout se déroule
parfaitement.
La psychologie ou la thérapie ont-elles une place dans ce processus d’Eveil ?
Que vous utilisiez ce terme est intéressant, parce que c’est la différence. La thérapie
est un processus, quelque chose que des personnages fictifs endurent ici dans le
Rêve. Le processus, la croissance et le devenir ne se produisent que dans la dualité ;
telle est la nature de la dualité. L’Eveil n’est pas un processus, c’est quitter
soudainement le contexte du processus de la dualité.
174
Mais il peut être vu rétrospectivement que la psychothérapie peut certainement
servir un objectif en stabilisant le sentiment que l’on a de soi-même jusqu’au point où
il devient sûr ou même possible de lâcher prise. Un ego très défensif et peu sûr de
lui, avec une très faible estime de soi ou rempli de crainte et d’angoisse ne sera que
davantage offensé ou blessé, si on lui dit qu’il n’existe pas réellement, qu’il n’est
qu’une ‘’fausse imagination’’, une méprise qui doit être effacée. Ironiquement, il faut
un ego assez fort pour être en mesure d’entendre ce message et d’apprécier l’idée.
Toutefois, repasser sans cesse sur les charbons ardents émotionnels d’événements du
passé en thérapie peut être une rude épreuve totalement contreproductive au bout
d’un moment, si vous en arrivez à la prendre trop au sérieux. Depuis ma perspective
actuelle, il est clair qu’il est futile d’essayer de savoir ou de ‘’découvrir’’ qui l’on est :
c’est juste courir après du vent. Le moi individuel que la psychothérapie est sensée
aider est en réalité une illusion et c’est tout le problème. La lucidité cruciale, c’est de
voir qui ou ce que l’on n’est pas et il est probable que la psychothérapie ne vous
amène pas là.
Mais avant ou après l’Eveil, l’organisme corps-esprit continue d’opérer comme il a
été programmé et conditionné et donc, il est toujours utile de savoir où sont nos
points faibles psychologiques. Simplement apprendre ce qu’ils sont et où ils sont sans
essayer de les ‘’arranger’’ peut être très utile, mais au-delà de cela, il n’y a pas
beaucoup d’intérêt à travailler sur l’ego (ni d’ailleurs à diminuer l’ego), puisqu’il ne
s’agit que d’un hologramme ou d’une illusion qui n’existe pas réellement par ses
propres mérites.
Imprégnant tout l’enseignement de Ramana Maharshi, il y a le thème que puisque
l’ego n’a pas d’existence réelle propre, il disparaît et s’évanouit, quand la lumière de
l’investigation est braquée sur lui. Ce qui reste, quand la fausseté de l’ego a disparu,
c’est la Vérité. C’est aussi simple que cela. C’est cela, s’éveiller. ‘’La réalité, c’est
simplement la perte de l’ego.’’
Il semble juste que des tas de gens soient malheureux et que la thérapie, différents types de
thérapie peuvent aider cela.
Bien sûr. C’est accessible : des personnages fictifs sont malheureux, aussi vont-ils en
thérapie dans le Rêve pour se sentir plus heureux dans le Rêve. C’est un système
fermé. Il y a aussi d’autres moyens dans le Rêve pour se sentir plus heureux, mais
fondamentalement, au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, l’insatisfaction est
inhérente au Rêve. C’est ainsi que la dualité fonctionne et il y aura un bonheur relatif
et une insatisfaction relative, tant qu’il y a de ‘’l’asservissement’’ aux termes du Rêve.
Pratiquement, 9/10 ou plus du problème perçu, de ce soi-disant esclavage ou de cette
insatisfaction ont quelque chose à voir avec le concept de responsabilité. Les gens
aiment le concept du libre arbitre, ils vont au billot pour lui et ils croient que la vie ne
vaut pas la peine d’être vécue sans lui. Mais, un examen conséquent révèle que ce
n’est qu’une idée et non votre expérience réelle, à aucun moment. La causalité est
tellement complexe que vous ne pouvez pas vraiment dire si le ‘’libre arbitre’’
175
contribue significativement à une action qui est accomplie par le corps-esprit que
vous appelez vous-même. En fait, pouvez-vous trouver une seule action dont vous
pouvez être sûr et certain et prouver qu’elle était uniquement la vôtre ou la vôtre de
manière significative et non le fruit du réseau interconnecté des influences de la
génétique, de l’environnement, de l’éducation, de la culture, du conditionnement,
d’un ‘’accident’’ historique, d’une rencontre ‘’fortuite’’, etc. ? En définitive, vous ne le
pouvez pas.
Une fois que ceci est compris, il est possible de voir que ceux à quoi nous songeons
en termes d’individus ne sont pas des sujets, des points d’origine, mais des objets,
des instruments par l’entremise desquels la Conscience, la Force cosmique ou
l’Energie divine opère ou circule. Le concept de la responsabilité s’assouplit alors
beaucoup, puis disparaît. ‘’Vous’’ n’êtes pas plus responsable de ce qui survient par
le corps-esprit que vous appelez vous-même que la flûte n’est responsable de la
musique avec laquelle le musicien joue.
Puis, il y a la réalisation que ceci est également vrai pour tout autre corps-esprit. Et
alors, bien sûr la responsabilité est rejetée. La culpabilité, le péché, la honte, l’orgueil,
l’arrogance et la malveillance passent tous à la trappe, pour ainsi dire. ‘’Vous’’ ne
‘’faites’’ pas les choses, ni personne d’autre. Les évènements se produisent et ils se
produisent par l’entremise d’organismes corps-esprits comme instruments, y
compris celui que vous appelez vous-même.
Je ne suis pas certain que je peux réellement accepter qu’il n’y a aucune responsabilité
personnelle, mais je peux voir que ce que vous décrivez serait un grand soulagement.
C’est un poids impossible pour l’objet, pour l’instrument d’essayer d’endosser la
charge d’être le décideur, le sujet, le responsable qui, apparemment, fout en l’air les
choses et met le bazar partout. C’est essentiellement de la folie, comme vous pouvez
le constater en regardant le monde. Les seules personnes qui sont raisonnablement
heureuses et sensées sont celles qui adoptent une version de l’acceptation de ce qui
est, comme étant le déploiement de la Conscience, même si ceci prend la forme d’une
foi plutôt simple, comme ‘’lâcher prise et laisser faire Dieu’’. Tous ceux qui sont
persuadés qu’ils peuvent et qu’ils doivent déterminer les choses par eux-mêmes,
avec toutes les implications de responsabilité personnelle qui s’ensuivent, sont ceux
qui se mettent eux-mêmes dans de beaux draps.
Bien sûr, prendre personnellement ses responsabilités est une compréhension plus
mature que blâmer et rendre tout le monde fautif, aussi enseigne-t-on ceci comme
une stratégie utile pour les sociétés et les individus dans le Rêve, mais au bout du
compte, il est aussi vu que c’est un concept aussi vide et creux que le concept de
l’individu sur lequel il est basé.
Il y a beaucoup de lâcher-prise là-dedans.
L’enseignement de base, central, irréductible donné sous une forme ou l’autre par
n’importe quel maître et qui vaut la peine d’être écouté est également inclus dans
176
une seule ligne des Ecritures hébraïques : ‘’Sois tranquille et sache que Je suis Dieu.’’
Il n’y a réellement rien à enseigner. Si l’on était simplement tranquille, tout ce qui
peut être connu est ici. Tout le reste, c’est de l’imaginaire, tout le reste, c’est juste faire
du bruit, tout le reste est servitude, esclavage.
Mais même lâcher prise ou être tranquille semble être quelque chose que je m’efforce de faire et
l’enseignement que j’ai entendu, c’est que vous ne pouvez rien faire.
L’idée de ne pas être l’auteur/acteur est fondamentalement assez simple et
cependant, il est difficile d’en parler ou même d’y penser clairement initialement,
parce que notre langage et nos concepts ne s’y prêtent pas. Les Chinois ont
l’expression : wei wu wei. Wei, c’est l’action. Wu, c’est la négation et donc wu wei, c’est
la non-action, le non-agir. Cela donne la dualité de base : action ou pas d’action, nonagir. Mais alors, il y a l’expérience alternative de wei wu wei qui est l’action qui est
une non-action, un non-agir. Pas s’asseoir à ne rien faire, pas courir partout en
essayant d’accomplir des choses, mais l’expérience de l’action nécessaire qui se
produit. La clé se trouve dans l’idée de qui fait l’action. Personne. L’action se produit
sans un auteur/acteur. C’est avec cela que notre langage et nos concepts ont des
problèmes.
Mon esprit a des problèmes à saisir cela.
L’esprit de qui ? Quel esprit ? Le ‘’vous’’ que vous pensez doté d’un esprit est une
illusion, une idée que l’on nous a tous appris à croire, mais qui s’avère n’avoir aucun
fondement, aucune réalité. Cela devient clair. Quand vous examinez cela, il n’y a
réellement aucun ‘’esprit’’. Qu’est-ce que l’esprit ? Il n’y a pas une telle chose
distincte.
Ce qu’il y a et ce que nous expérimentons tous, c’est un courant de pensées qui est
apparemment plus ou moins continu. C’est ce que nous appelons alors ‘’l’esprit’’, en
croyant que ce courant de pensées est généré à l’intérieur de nos crânes. C’est ce que
l’on nous a appris à croire dès le premier jour, mais considérez votre propre
expérience. En réalité, vous savez que ‘’vos’’ pensées proviennent d’ailleurs. Ainsi,
nous disons parfois : ‘’Je me demande bien d’où cette idée m’est venue !’’ D’où elles
proviennent toutes, c’est de la Conscience, de la Source. Les instruments corpsesprits humains ne sont pas des points d’origine. Ce ne sont pas des transmetteurs.
Ils ne sont que des stations relais, des mécanismes de transmission de la Conscience
d’où provient l’enseignement : vous n’êtes pas l’auteur/acteur. ‘’Vous’’ ne pouvez
pas être l’auteur de quoi que ce soit. Des choses se produisent par l’intermédiaire de
l’organisme corps-esprit que vous pensez être.
Si je ne suis l’auteur d’aucune action, alors qui l’est ?
Si vous en avez besoin, vous pouvez penser aux choses comme étant faites par la
Conscience via des instruments organismes corps-esprits, mais en fin de compte,
c’est aussi une projection de la Conscience en tant qu’être, en tant qu’entité comme
Dieu, qui fait des choses. Il est souvent dit que c’est la Conscience ou la Présence ou
177
l’Amour ou le Bien-Aimé qui opère, qui pense ou qui expérimente. Parler ainsi peut
être réconfortant ou inspirant, mais c’est une utilisation poétique du langage et des
concepts. Au bout du compte, l’idée de tout auteur est abandonnée.
En définitive, il n’y a pas d’auteur et rien n’est fait. Rien qu’un agir. Ni
expérimentateur, ni expérience, rien qu’une expérimentation. Et voilà ce qu’est la
Conscience : la Conscience ne fait rien du tout, Elle est la Totalité. Elle est
parfaitement et entièrement impersonnelle, que ce soit en termes d’être sous la forme
d’une personne ici en tant qu’un ‘’moi’’ et en termes d’être n’importe quel
personnage divin.
C’est l’essence de la non-dualité. Il n’y a que la Totalité. C’est ce que JE SUIS. Il n’y a
rien d’autre que ceci, que ce soit un ‘’moi’’ ici ou un ‘’dieu’’ quelque part ailleurs.
Tout est le Je.
Ainsi que le dit Wei Wu Wei :
Au bout du compte,
Je suis la totalité et Je ne suis rien.
Tous les phénomènes sont des manifestations objectives.
Ce que Je suis objectivement, c’est la totalité de la manifestation phénoménale.
Ce que Je suis subjectivement, c’est tout ce que tous les phénomènes sont.
Il n’y a rien de personnel là-dedans, nulle part, à aucun moment.
La notion individuelle n’est pas inhérente et c’est tout le problème !
178
CHAPITRE 39 : UN IMPLANT…
‘’Les corneilles prétendent qu’une seule corneille pourrait détruire les cieux.
Sans aucun doute, mais cela ne prouve rien contre les cieux,
Car le ciel témoigne précisément de l’inanité des corneilles.’’
-
Franz Kafka
I
Quelques lignes d’un dialogue du film, Matrix :
Morpheus : J’imagine qu’actuellement, tu te sens un peu comme Alice qui dégringole
dans le terrier du lapin blanc ?
Neo : On pourrait dire ça !
M. : Je peux le voir dans tes yeux. Tu as le regard d’un homme qui accepte ce qu’il
voit, parce qu’il s’attend à se réveiller. Ironiquement, ce n’est pas loin de la vérité.
Crois-tu au destin, Neo ?
N. : Non
M. : Pourquoi pas ?
N. : Parce que je n’apprécie pas l’idée de ne pas avoir le contrôle de ma vie !
M. : Je sais bien ce que tu veux dire. Laisse-moi te dire pourquoi tu es ici. Tu es ici,
parce que tu sais quelque chose. Ce que tu sais, tu ne peux pas l’expliquer, mais tu le
sens. Toute ta vie, tu l’as senti ― Qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec le monde.
Tu ne sais pas ce que c’est, mais c’est là, comme un implant dans ton esprit et cela te
rend dingue. C’est ce sentiment qui t’a conduit jusqu’à moi. Sais-tu ce dont je parle ?
N. : De la matrice ?
M. : Veux-tu savoir ce qu’elle est ? La matrice est partout. Elle est tout autour de
nous. Même maintenant, dans cette pièce même. Tu peux la voir, quand tu regardes
par la fenêtre ou quand tu allumes la télévision. Tu peux la sentir, quand tu vas au
travail, quand tu vas à l’église, quand tu paies tes impôts…
Elle est le monde que l'on superpose à ton regard pour t'empêcher de voir la vérité.
N. : Quelle vérité ?
179
M. : Que tu es un esclave, Neo. Comme tout le monde, tu es né dans l’attachement.
Né dans une prison que tu ne peux ni sentir, ni goûter, ni toucher. Une prison
mentale. Malheureusement, personne ne peut te dire ce qu’est la matrice. Tu dois le
découvrir par toi-même.
Souviens-toi, tout ce que je t’offre, c’est la vérité. Rien de plus…
As-tu déjà fait un rêve dont tu étais absolument sûr qu’il était réel, Neo ? Qu’en
serait-il, si tu étais incapable de t’éveiller d’un tel rêve ? Comment connaitrais-tu la
différence entre le monde du rêve et le monde réel ?
N. : Ceci…ceci n’est-il pas réel ?
M. : Qu’est-ce que le ‘’réel’’ ? Comment définit-on le ‘’réel’’ ? Si tu parles de ce que tu
peux éprouver, de ce que tu peux sentir, de ce que tu peux goûter et de ce que tu
peux voir, alors le ‘’réel’’, ce sont de simples signaux électriques interprétés par ton
cerveau…
N. : Je sais ce que vous essayez de faire.
M. : J’essaye de libérer ton esprit, Neo, mais je puis seulement t’indiquer la porte. Tu
es celui qui doit franchir cette porte.
II
Au cours des dernières années, j’avais fait le tour et j’avais dit à mes amis, à des
relations, à des personnes que j’avais rencontrées dans mes voyages chamaniques et
même à mon thérapeute (qui était un peu dangereux) que la réalité n’était pas ce
qu’elle paraissait être. Je disais que toute la structure de la réalité me semblait très
douteuse, comme si elle était artificielle, arrangée, apprêtée. Il y avait des moments
où je m’arrêtais net, peu importe ce que je faisais, le sentiment était tellement fort. Ce
que tu sais, tu ne peux pas l’expliquer, mais tu le sens. Toute ta vie, tu l’as senti ― Qu’il y a
quelque chose qui ne va pas avec le monde. Comme une impression de déjà-vu, sauf que
c’était l’impression d’avoir presque vu quelque chose, presque vu à travers
l’hologramme, le faux-semblant de ce que nous appelions le monde réel et il y avait
une frustration, parce que cela n’arrivait pas complètement, parce que cela restait
élusif.
Cette impression était la plus forte, quand je lisais quelque chose à propos d’une
nouvelle découverte scientifique : une nouvelle galaxie, là-bas, où ils avaient regardé
auparavant et où ils n’avaient rien vu et les astronomes interviewés disaient qu’ils
‘’devaient être passés outre’’ auparavant. Ou une nouvelle particule subatomique
pour s’ajouter aux mésons, aux gluons et aux quarks. D’une façon ou d’une autre, de
telles choses ne cessaient d’apparaître. Je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir cette
impression : ‘’C’est cela, oui !’’ Trop facile.
180
Ce que j’ai dit à mon psy, c’est que je commençais à être convaincu que d’une façon
ou d’une autre, on inventait tout au fur et à mesure. Je ne pouvais pas expliquer
comment, ni pourquoi, mais tout cela n’avait simplement aucun sens, ne tenait pas
debout, ne résistait pas à un examen minutieux. Il y avait trop d’exceptions à chaque
règle, trop d’événements et trop d’effets inexpliqués que tout le monde ―
scientifiques, docteurs, théologiens, professeurs, vendeurs et marchands de tapis
tentaient similairement d’écarter, de ne pas prendre en compte, d’ignorer d’un
haussement d’épaules et de justifier piètrement.
C’était cet implant dans mon esprit qui me fit toucher au chamanisme et faire des
choses étranges en compagnie d’hommes-médecine tribaux au milieu de la forêt
tropicale amazonienne, en bordure du comment définit-on le ‘’réel’’, quand j’ai basculé.
La vérité, Qui vous êtes, Ce qui Est réellement, est toujours ici. Elle a toujours été ici.
Ce n’est pas quelque chose de nouveau que vous devez apprendre. En réalité, elle
nous est totalement familière, quand bien même nous ne sommes pas assez
conscients pour la réaliser. C’est le choc de la reconnaissance, quand elle apparaît :
une familiarité totale ! Bien sûr, cela a toujours été ainsi ! C’est plus que familier.
Cette vérité est ce qu’il y a de plus intime chez vous. Plus familière et intime que tout
ce à quoi vous pensez ou croyez ou ‘’savez’’ sur vous-même. Parce que ces choses
s’avèrent être des concepts, des croyances, une couche extérieure qui se superpose à
la vérité la plus intime que vous vous êtes persuadé de ne pas connaître. Mais ce
n’est pas le cas. Retournez à votre propre Soi.
Un jour, à Bombay, un après-midi, je me suis retrouvé dans un remarquable petit
magasin niché dans la partie du vieux Fort de la ville. Obscur, défraîchi et ancien, le
magasin était spécialisé dans tous types d’artisanat indien. Le propriétaire me
rencontra à la porte, avec l’hospitalité orientale classique du marchand à la recherche
d’un client potentiel. Il m’offrit un siège et une tasse de chai bouillant, puis lui et ses
assistants entreprirent de sortir et de faire défiler sous mes yeux des sculptures en
bois de santal, des moulages en bronze, des statues, des tapis, des foulards en soie,
des bijoux, des meubles, des boites, des coffres, des figurines, des peintures, des
dieux, des déesses et des bouddhas.
Une spécialité particulière de la maison était les écrans en bois sculpté qui font office
de cloisons de séparation. Composés de plusieurs panneaux ayant chacun à peu près
cinquante centimètres de large sur deux mètres de haut, quatre ou cinq de ces
panneaux s’articulaient ensemble. L’un après l’autre, ces écrans sculptés en teck
furent dépliés devant moi et ils étaient splendides. Le moindre centimètre de chaque
panneau était finement sculpté et la sculpture était percée dans un bois d’un pouce
d’épaisseur afin que l’air puisse passer à travers les panneaux.
En examinant l’un de ces écrans sculptés, je m’aperçus que plus je m’approchais pour
regarder et plus il y avait à voir. C’était extraordinaire ! On voyait des caravanes
d’éléphants, le palais du Raja, des tigres dans la jungle, le grand fleuve, Gange, des
sadhus, des temples, des femmes nues, des processions, la vie entière du Bouddha, le
181
mythe du Seigneur Ganesha, le prince Arjuna sur le champ de bataille, encore des
femmes nues, la danse de Shiva… toute l’histoire de l’Inde, du monde et de l’univers.
Cette sculpture était une véritable merveille. La frange des tapis sur les dos des
éléphants était détaillée. Les femmes nues étaient… détaillées. Aucune image
individuelle de l’écran ne dépassait les quelques centimètres de hauteur et ceci
continuait sur plusieurs mètres carrés.
Cet écran sculpté requit mon attention totale et indivise pendant quelque temps.
Pour finir, à la limite de cette concentration, je commençai à prendre conscience
d’autre chose, de quelque chose qui se passait et dont j’avais été conscient à un
certain niveau, mais à quoi je n’avais aucunement prêté attention. Le propriétaire du
magasin et ses assistants étaient toujours au travail, à courir partout et à sortir la
marchandise : ‘’Et nous avons aussi…’’, ‘’Pour vous, un prix spécial…’’, ‘’Si vous
voulez bien vous donner la peine de regarder ceci, Monsieur, je vous prie…’’. J’étais
assis sur la chaise, tenant toujours en main une demi-tasse de thé sucré, penché sur
l’écran qui se trouvait devant moi à parcourir du regard ce merveilleux paysage
sculpté, quand…
Tac. Mon point de focalisation changea et tout à coup, je regardai à travers l’écran. En
fait, l’écran et son univers sculpté qui avaient occupé toute mon attention devinrent
soudainement vagues et flous, presque transparents. Je voyais au travers…
…L’analogie s’arrête là, parce que ce que je voyais au travers, c’était le reste du
magasin, avec son personnel enthousiaste qui empilait des éléphants en bois de rose
et des gravures sur cuivre.
Il n’en reste pas moins que…Tac. C’est très simple. Très basique. La soudaineté de
voir à travers le voile, l’arrière-plan, le substrat. Ce qui est toujours là et en définitive
‘’réel’’ et vrai, mais sans être perçu, puisque notre focalisation était sur l’écran
artificiel intercalé, le monde que l'on superpose à ton regard pour t'empêcher de voir la
vérité…Une prison mentale.
Ce qui est toujours là, Ce-qui-est, Ce que vous êtes vraiment est précisément l’arrièreplan, le milieu au sein duquel existe l’hologramme fictif, la matrice, la maya.
Lorsque j’étudiais la théologie au séminaire, il y avait un théologien chrétien, peutêtre Paul Tillich, qui faisait des vagues en invoquant ‘’Dieu’’, non pas en des termes
personnels, mais en termes de ‘’fondement de notre être’’. L’arrière-plan, le substrat,
le milieu divin de Teilhard de Chardin dans lequel tous les autres trucs, y compris la
science, la philosophie, les dieux, les arbres, les pensées, les gens et les montagnes
semblent tous exister.
Tu as le regard d’un homme qui accepte ce qu’il voit, parce qu’il s’attend à se réveiller.
Ironiquement, ce n’est pas loin de la vérité. Celui que vous êtes réellement sait que vous
êtes endormi et que vous vous attendez à vous éveiller.
182
Mais aucune somme d’enseignements, d’apprentissages, de propos, d’écoute,
d’efforts ou de pratique ne peut provoquer cela. C’est l’enseignement de tous les
maîtres et également mon expérience : personne ne peut te dire ce qu’est la matrice. Tu
dois le découvrir par toi-même. Le ‘’tac’’ du changement de focus ne peut être enseigné.
On ne peut même pas le faire : il doit se produire.
C’est le message concordant des mystiques de toutes les traditions : on peut prendre
d’assaut les portes du Paradis, mais il n’y a aucune garantie, aucune formule,
aucune pratique pour vous assurer qu’elles s’ouvriront. Pour cela, il n’y a qu’une
grâce imméritée et une volonté d’être surpris par la joie, d’être doté d’un vide de soi
parfait par l’Etre-Conscience-Félicité que Vous êtes déjà.
III
Ecoutez. Chez les êtres humains, il est dit que n’importe quel individu peut atteindre
l’Illumination. Maintenant, dans le contexte où ceci fut dit, c’est incontestablement
vrai. Néanmoins, ceci ne vous dit absolument rien sur l’Illumination – parce que
‘’l’Illumination’’ signifie précisément l’impossibilité de l’existence d’un individu.
183
CHAPITRE 40 : VASTITUDE SILENCIEUSE
‘’Parfait Silence.
Telle est la forme de votre Esprit originel.
Votre propre nature est essentiellement pure et parfaitement silencieuse.’’
-
Hui Hai
‘’L’esprit est le Bouddha.
Pas d’esprit. Pas de Bouddha !’’
La Compréhension ultime est une vision et une connaissance,
Plutôt qu’une compréhension
Et elle résout toutes les questions
Sans y répondre.
Les réponses deviennent aussi dénuées d’intérêt
Que les questions elles-mêmes :
Les unes comme les autres cessent dans la vision.
Ne jugez pas le questionnement, ni la nostalgie,
La recherche ou la peine,
L’impatience ou la résistance,
L’ouverture ou le renoncement.
Le déroulement est parfait, tel qu’il est :
Observez-le simplement et sachez que vous n’êtes pas cela.
Vous êtes la Conscience aimante au sein de laquelle tout ceci se produit.
Vous êtes cet Espace serein et compatissant
Dans lequel cette vie que vous pensez être ‘’vous-même’’ se déploie.
Cet espace d’acceptation immobile entre les pensées est la Totalité.
C’est ce que Vous êtes.
Permettez à l’Amour qui est ce Silence que Vous êtes
De vous étreindre,
De vous submerger.
Svaha !
184
Basho
CHAPITRE 41 : VISION PÉRIPHÉRIQUE
‘’Si quelqu’un me demande qui il est
Ou ce qu’est Dieu,
Je souris intérieurement et je murmure à la Lumière,
‘’Te voilà encore qui fait semblant !’’
-
Adyashanti
Peut-être qu’une raison pour laquelle la Compréhension n’est pas une occurrence
plus courante est qu’elle est trop simple, trop proche, trop subtile. Toute la recherche
s’effectue dans une autre direction, vers autre chose, vers quelque chose de plus
‘’grandiose’’. Considérez ceci : une réaction courante, quand la Compréhension
survient, c’est le rire. Une réaction courante, c’est : ‘’Oh, c’est donc ça !’’ Ici même, ce
qui vous est le plus familier, mais qui a été ignoré, car la recherche était de quelque
chose d’autre, ‘’au-delà’’. C’est pourquoi la découverte s’effectue dans le
renoncement, dans le silence. ‘’Soyez tranquille et sachez que Je suis Dieu’’. C’est
votre état naturel et subtil. Il est perdu et ignoré, s’il y a un mouvement affirmatif,
une recherche directe, une pensée active, tout sauf un profond silence.
Voici une métaphore. Dans la rétine de votre œil, il y a deux types de cellules : les
cellules coniques et les cellules en bâtonnets. Les cônes sont regroupés au centre de la
rétine. Ce qui se trouve au centre de votre champ de vision est focalisé sur eux et ils
enregistrent les nuances de lumière et particulièrement, de couleurs. Les bâtonnets
sont plus nombreux au bord de la rétine et ils captent ce qui se trouve à la limite de
votre champ de vision, dans votre vision périphérique. Ils ne distinguent pas la
couleur, ils ne peuvent discerner que le noir et blanc, mais ils relèvent mieux le
contraste que les cônes. C’est pourquoi les bâtonnets sont importants pour la vision
nocturne, et ceci explique un curieux phénomène : la vision nocturne est meilleure
dans votre vision périphérique.
La nuit, en circulant dans les bois du Vermont, j’ai appris dans ma jeunesse que ce
que l’on pouvait distinguer dans l’obscurité, que ce que l’on pouvait voir dépendait
de la manière dont on regardait. Souvent, je percevais un mouvement dans ma vision
périphérique et je me tournais pour regarder directement et ne voir que l’obscurité.
En fin de compte, on apprend à ne pas se tourner, à ne pas regarder directement,
mais à le maintenir dans sa vision périphérique, juste au point où l’on ne regarde
presque plus. C’est quand on voit le mieux.
Subtil. C’est perdu et ignoré, s’il y a un mouvement affirmatif, une recherche directe,
une pensée active, tout sauf un profond silence. Focalisez-vous dessus et cela
disparaît. Toutes les discussions, les questions que l’on pose, les lectures de livres, les
méditations, les réflexions, la concentration, la recherche sont contreproductives, car
c’est pousser dans la mauvaise direction en générant de l’activité, des turbulences et
du bruit. De même qu’il y a wei wu wei, l’action qui n’est pas une action, l’action qui
n’est pas voulue, qui n’est pas volontaire, mais qui est vue comme se produisant
185
spontanément, de même, il y a une vision qui n’est pas une vision, une vision qui se
produit sans essayer, sans regarder.
Endormis dans le Rêve, l’activité journalière, c’est regarder sans réellement voir. Ce
qui est requis, c’est de voir sans regarder, la vision se produisant sans qu’il y ait
quelqu’un qui regarde.
La poésie de Rumi, d’Hafiz, de Kabir et de Tagore, c’est tout cela, cette vision
parallèle qui génère une ouverture tranquille où la subtilité qui serait loupée dans la
vision directe peut apparaître.
‘’Ne désirez pas l’union !
Il existe une intimité au-delà de cela…
Tomber amoureux d’une manière telle
Qu’elle vous libère de tout rapport.
L’amour est la lumière de l’âme,
Ni moi, ni nous, aucune prétention ou revendication à l’existence.
Regard silencieux,
L’amour est indicible.’’ (Rumi)
Indicible, parce que dire, c’est regarder directement. Votre véritable nature, Ce-quiest est la pure Conscience subjective. Ainsi, si vous devenez un observateur pour
tenter de la découvrir, de l’observer, pour tenter de la transformer en objet, vous ne
la verrez nulle part, puisqu’en tant qu’objet, Elle n’est pas. La pure Conscience dans
laquelle tout apparaît est ce que vous êtes déjà. Ainsi, comment pourrait-Elle donc
être découverte ? Ceci est connu dans le Silence.
L’énormité de la fausse perception et la méprise sont hallucinantes. C’est la raison
pour laquelle on rit, lorsque la Vision est enfin là. Presque tous les efforts, toutes les
entreprises humaines de la vie quotidienne, les pensées et les actions journalières, la
philosophie, la théologie, la psychologie, la sociologie, la biologie, la physique,
l’histoire, la politique…, tout est basé sur un postulat totalement faux et se dirige
sauvagement, allègrement et inconsciemment dans la mauvaise direction.
Ce n’est que par le non-agir que quelque chose de sensé peut survenir et c’est le sens
de l’exhortation de Krishna dans la Bhagavad Gita à ‘’être éveillé à ce à quoi le monde est
endormi et endormi à ce à quoi le monde est éveillé’’. Etre tranquillement silencieux dans
le non-agir et conscient est l’unique chose qui n’est pas perdre son temps.
Attendez. Qu’en est-il de l’inconscient ?
L’inconscient ?
Ce que l’on appelle l’inconscient. L’esprit inconscient, le moi inconscient.
C’est ce que je veux dire par ‘’tout est basé sur un postulat totalement faux’’. Une fois
que vous acceptez la croyance qui est largement répandue, mais non fondée d’un
186
moi individuel et d’un esprit personnel, vous pouvez ensuite opérer et subdiviser cet
esprit en n’importe quel nombre de parties – consciente, subconsciente, inconsciente
et supraconsciente – et développer tous types de sciences pour traiter chacune
d’entre elles, mais vous vous dirigez vers une voie sans issue avec tout ça. Cela vous
gardera occupé dans le Rêve durant de nombreuses générations, mais cela ne vous
conduira nulle part.
Mais quand je travaille à découvrir les raisons inconscientes pour lesquelles je fais les choses
que je fais ou pour lesquelles je me sens, comme je me sens, cela semble contacter un niveau
qui est plus réel et plus profond, le niveau inconscient qui est ce qui stimule et motive ce
niveau conscient plus superficiel.
Bien sûr. Et faire ce type de travail peut aboutir à un niveau de fonctionnement plus
élevé de l’organisme corps/esprit, une fois que les forces qui opèrent sont
comprises ?
Oui, sans aucun doute.
Oui, mais tout ceci se situe dans le cadre du Rêve, dans la construction mentale où
ces phénomènes que sont les organismes corps/esprits, le moi individuel et l’esprit
divisé en plusieurs niveaux ont tous une réalité apparente. Dans ce Rêve, il y a des
choses qui sont expérimentées comme agréables et des choses qui sont expérimentées
comme douloureuses. S’il y a une enfance troublée chez l’un des personnages du
Rêve, une bonne part de la vie ultérieure de ce personnage pourra être malheureuse.
Si celui-ci suit une thérapie qui fonctionne, il se peut que le restant de sa vie soit plus
heureux. Il y a beaucoup de choses dans le Rêve qui peuvent rendre une partie du
Rêve moins déplaisante, si elles se produisent. Si le personnage suit des cours de
cuisine, il aura peut-être l’opportunité de savourer des mets plus goûteux que des
haricots en boite. S’il suit un séminaire et s’il apprend une nouvelle stratégie ou une
nouvelle manière de penser ou d’agir, le Rêve sera expérimenté d’une nouvelle façon
que le personnage fictif pourra davantage ou mieux apprécier. Le monde est rempli
de moyens pour améliorer votre expérience du Rêve, du plus trivial au plus précieux
et utile.
Mais aucun n’a quoi que ce soit à voir avec ce dont nous parlons ici. Nous ne parlons
pas d’améliorer votre expérience du Rêve. Nous parlons de voir le Rêve pour ce qu’il
est : une construction mentale, une fantaisie produite par le mental, une projection de
ce qu’on appelle ‘’l’esprit’’, mais qui en fait n’existe pas, qu’il soit conscient ou
inconscient.
Que voulez-vous dire par l’esprit n’existe pas ?
Quel esprit ? Qu’appelez-vous votre ‘’esprit’’ ?
Eh bien, je serais probablement d’accord avec le fait qu’il n’y ait pas de ‘’chose’’ appelée
‘’esprit’’. Ce n’est pas un organe, parce que je pense que c’est dans tout le corps et pas juste
dans le cerveau, mais c’est la partie mentale de l’organisme corps/esprit.
187
Ainsi, au lieu d’une ‘’chose’’, vous appelleriez l’esprit une fonction ?
D’accord, la fonction de la pensée, la fonction du raisonnement et plus que cela : il y a des
choses intuitives et d’autres choses qui se passent subconsciemment et qui sont également
l’esprit.
Je suis d’accord avec la fait qu’il y ait un fonctionnement dans ces organismes
corps/esprits. Il y a un fonctionnement physique et il y a un fonctionnement mental.
Le fonctionnement physique est expérimenté sous la forme d’une activité corporelle
d’ordres différents. Le fonctionnement mental est expérimenté sous la forme de
pensées et d’activité mentale. Et c’est en raison de ces activités, ce que la tradition
bouddhiste appelle les skandhas, les processus de pensée, les perceptions sensorielles,
etc., le fonctionnement de l’organisme corps-esprit, qu’il y a une supposition qui est
faite qu’il y a quelque chose, quelqu’un ici qui fait ces choses. Mais c’est une
hypothèse non fondée. Percevoir que les skandhas sont vides, dénués d’un moi
individuel qui les active est s’éveiller. Tout ce qu’il y a, c’est la Conscience. Il y a le
fonctionnement apparent de la Conscience dans et via ces organismes corps/esprits
apparents, mais ils n’existent pas comme des entités séparées, en tant que telles.
C’est la raison pour laquelle nous appelons ceci le Rêve. Toute chose, y compris
l’organisme corps/esprit que vous appelez vous-même, n’existe pas en tant que
quelque chose de séparé en soi, mais uniquement comme un fonctionnement
apparent dans la Conscience. Il n’y a pas de moi, ni d‘esprit séparé, seulement des
personnages fictifs dans la Conscience. La pensée ne fait que survenir dans cet
organisme apparent, dans ces personnages fictifs et c’est ce que nous expérimentons.
Nous expérimentons des pensées qui surgissent, mais l’hypothèse qu’elles trouvent
leur origine à l’intérieur de ces têtes et dans quelque chose que nous appelons un
esprit est un bond déplacé. C’est la perception erronée de base à partir de laquelle
suit tout le reste, tout le dualisme, toute l’illusion de la séparation, tout le samsara.
Alors, ce…(Pause) Attendez. Ce que je dis maintenant, je ne le dis pas, cela ne vient pas de
cet esprit ?
Exactement.
(Pause)…OK, vous n’arrêtez pas d’appeler ceci un Rêve. Je comprends l’analogie qui est
vraiment simple, mais je ne vois pas comment elle s’applique.
La valeur de l’analogie du Rêve, c’est qu’elle propose un sens en ce qui concerne la
manière dont la réalité physique, toute la réalité consensuelle n’est
fondamentalement pas réelle, mais est aussi réelle dans un sens. L’analogie est dans
la façon dont nous pensons à nos rêves du sommeil. Si vous avez rêvé de quelque
chose, la nuit, quand vous dormiez, lorsque vous vous réveillez, vous ne diriez pas
que ce qui s’est passé dans le rêve s’est ‘’réellement’’ passé. Ce n’était qu’un rêve. Par
ailleurs, c’était un rêve ‘’réel’’. Vous racontez à quelqu’un un rêve que vous avez
réellement eu. Vous ne mentez pas ou vous ne l’inventez pas, vous avez réellement
eu ce rêve. Ce que nous voulons dire en disant que le rêve n’est pas réel dans le sens
188
où la réalité consensuelle est réelle, c’est que le rêve n’existe pas indépendamment,
tout seul, comme on croit que c’est le cas pour d’autres objets. Il n’existe que sous la
forme d’un rêve de celui qui l’a rêvé.
Ce que je vous dis, c’est que c’est le cas pour tout ce que vous pensez être la réalité,
ce que l’on appelle la réalité consensuelle, ce que l’humanité admet généralement
comme étant réel. Ce n’est pas réel, comme vous pensez que cela l’est. Cela n’existe
que comme un Rêve dans la Conscience. Cela possède une certaine réalité, oui, cela
existe, d’une certaine façon. Tout ce qu’il y a, c’est la Conscience, et cela existe dans la
Conscience, comme une expression de la Conscience et donc, cela possède une
certaine existence, mais cela n’existe pas tout seul, indépendamment. Cela n’est ici
que comme une expression, une projection dans la Conscience, la Rêveuse absolue.
Cela n’a pas d’autre existence que cela.
Une autre analogie similaire qui n’est pas là depuis aussi longtemps, c’est
l’hologramme. Un hologramme n’est réellement qu’une illusion créée en projetant un
faisceau de lumière cohérente. Toutefois, un hologramme très sophistiqué aurait la
faculté d’avoir l’air très ‘’réel’’, aussi réel que la réalité physique, de sorte que vous
pourriez interagir avec un hologramme d’une personne, comme s’il y avait là une
personne ‘’réelle’’, ce qui ne serait bien sûr pas le cas.
Oui, mais un hologramme ne paraîtrait réellement pas réel, parce qu’il n’est pas substantiel.
Vous pourriez passer votre main à travers lui ou marcher à travers, par exemple. Et c’est pour
cela que je dis que je ne vois pas comment cela s’applique. Je ne pense pas que vous ou que ce
mur soyez des rêves ou des hologrammes, parce que vous êtes très substantiels. Je ne peux pas
passer à travers vous.
Exactement. Alors je vous demande dans quelles circonstances un hologramme
paraîtrait-il très substantiel ? Ou, exprimons-le autrement, à qui un hologramme
paraîtrait-il solide ?
Un autre hologramme…
Précisément.
Je…(Longue pause)…
Prenez votre temps.
Le…(Pause) Je suis désolée. Il me semble avoir perdu le fil de mes pensées.
Restez juste avec cela pendant quelques instants. Détendez-vous, n’essayez pas de
lutter avec cela, restez simplement silencieuse pendant une minute…(Pause) Pouvezvous me dire de quoi nous parlions ?
Hum…D’advaita, de non-dualité.
189
Quelle était la dernière chose qui a été dite avant que vous ne perdiez le fil de vos
pensées ?
Je crains d’avoir eu un blanc, ici.
Pas de problème. Un peu désorientée ?
Oui, ça va, mais c’était certainement étrange.
Faites un bon accueil à cette étrangeté. Restez simplement un peu avec cette
désorientation avant qu’elle ne s’estompe. Savourez-la, ressentez-la. C’est très beau.
C’est en réalité ce que vous cherchez, sans le réaliser.
La dernière chose que vous avez dite avant d’avoir eu un blanc, c’était d’admettre la
possibilité que tout ceci ne paraît réel que parce que ‘’vous-même’’ n’êtes pas non
plus réelle. Vous avez dit que seul un autre hologramme verrait des hologrammes
comme substantiels ou ‘’réels’’. L’idée vous est venue que ‘’vous’’ n’êtes peut-être
qu’un hologramme.
Ah, oui.
Maintenant, si vous n’aviez pas réellement pris cela comme une possibilité sérieuse,
cela aurait simplement paru être une idée intéressante et vous auriez poursuivi sans
problème, mais à cause de ce qui se passe ici, l’ego, ce sentiment d’un moi individuel
constitué et renforcé a été confronté à la possibilité réelle que ce que vous avez
toujours pensé être ‘’vous’’, cet instrument corps/esprit qui opère dans le monde,
n’existe pas au vrai sens du terme comme quelque chose de réel, mais uniquement
comme un hologramme, une projection, un rêve et l’ego n’est pas en mesure de gérer
cela et il disjoncte.
C’est la différence entre la compréhension intellectuelle, où l’on jongle avec et l’on
discute de telles idées et la Compréhension qui s’approfondit. Celle-ci touche un
autre niveau, où l’ego, le sentiment d’un moi individuel explose et est anéanti. Il ne
fait aucun doute que cela soit expérimenté comme étant un peu désorientant, n’est-ce
pas ? Le sentiment égotique du moi passe tout son temps à tenter de garder le
contrôle, et cela veut dire s’efforcer de vous garder loin de ces moments de
désorientation où le sol se dérobe et où il ne sait plus quoi faire.
C’est si beau. C’est ce que j’entends, lorsque je parle de vous poser la question
dangereuse, la question qui pourrait mettre un terme à ‘’votre’’ vie. Cette idée que ce
‘’vous’’ n’est pas réel, qu’il n’est qu’une pensée, qu’une projection vous a stoppée.
C’est pourquoi je vous ai dit de savourer ce sentiment de désorientation. Apprenez à
le connaître, à ne pas en avoir peur, à l’accueillir. Vous retournerez encore là-bas. Cet
endroit où l’ego est complètement désorienté est ce que vous recherchez. La pratique
du zen de méditer sur des koans insolubles, par exemple, est conçue pour amener
l’ego/mental en ce lieu où il ne peut pas faire face et où il a un trou. Un jour, à la
place de rebondir de là et de revenir à ce qui vous est familier, vous ne le ferez plus.
190
Vous resterez ici, vous tomberez plus profondément et passerez pour du bon de
l’autre côté. Alors, ‘’vous’’ ne reviendrez plus. ‘’Vous’’ ne serez plus là. Il sera
parfaitement clair qu’il n’y a ni esprit, ni ‘’moi’’, ni ‘’vous’’, ni ce côté-ci, ni l’autre
côté. C’est ce que l’on appelle l’Eveil.16
Bien sûr, n’essayez pas de vous désorienter vous-même. C’est encore l’erreur de la
prescription et de la description. C’est juste décrire ce qui survient et pas quelque
chose que vous puissiez faire. Vous ne pouvez pas le provoquer. Accueillez
simplement ceci, quand cela arrive.
Cela a l’air un peu effrayant, en fait, comme si je pouvais perdre l’esprit.
Il n’y a aucun esprit que vous puissiez perdre. Vous perdrez simplement l’idée
fausse que vous en avez un. Mais c’est certainement effrayant. C’est l’ego, c’est le
sentiment d’être un individu à part entière qui se réaffirme et qui ne veut pas se
rendre où il n’officie plus. C’est pourquoi je dis parfois que, laissé à nous-même,
personne ne choisirait ceci. L’ego ne peut pas choisir son propre anéantissement. Fort
heureusement, cela ne dépend pas de ‘’vous’’.
Nous avons tous été conditionnés pour nous effrayer, à ce stade, et nous demander si
nous ne devenons pas fou. Quand vous allez au-delà des limites des paramètres du
Rêve qui sont presque universellement acceptés, au-delà de la réalité consensuelle, et
quand des pensées apparaissent qui sortent réellement des schémas établis ou des
sentiers battus, il est alors très possible qu’il puisse y avoir l’expérience d’une peine
ou d’une turbulence psychologique. Et aussi, tous ceux qui sont encore dans le Rêve
vont penser que vous êtes très étrange ou très bizarre. Mais faites-moi confiance,
l’endroit qui est réellement dingue, c’est l’endroit où vous vous situez actuellement,
croyant que vous êtes séparée, ignorant votre propre et véritable nature, pensant que
vous êtes cette chose et ne réalisant pas que vous êtes la Totalité, la pure Conscience
dans laquelle tout ceci apparaît, l’Etre-Conscience-Félicité (Sat-Chit-Ananda) qui se
déploie…
16
Ainsi que le dit le maître zen, Houang-po : ‘’Quand on sait avec certitude que rien n’a, au fond, d’existence,
qu’on ne peut rien trouver et qu’on n’a alors rien sur quoi s’appuyer, se fixer, qu’il n’y a pas de sujet ni d’objet,
plus aucune pensée erronée ne s’agite et l’on atteste l’Eveil’’, NDT.
191
CHAPITRE 42 : RÊVE(S)
‘’Rien que vous puissiez expliquer n’existe.’’
-
Robert Adams
‘’La Conscience est un singulier dont le pluriel est inconnu.’’
-
Erwin Schrödinger
Dans ces pages, on utilise beaucoup l’analogie du rêve. Dire que la conscience de
veille et que le monde qui apparaît ‘’réel’’ dans la conscience de veille est en réalité
plus semblable à un Rêve, c’est utiliser une métaphore. Elle va de pair avec la
métaphore de l’Eveil et toutes les deux sont utilisées pour viser la Compréhension.
Mais lorsqu’elles sont prises littéralement, ces images peuvent acquérir une vie
propre et conduire à des réflexions et à des questions sur la façon dont on peut se
réveiller du Rêve, qui ne sont rien d'autre qu'un détour prolongé et plutôt inutile.
Dans l’advaita traditionnel, on établit une distinction conceptuelle entre trois états ou
trois niveaux de conscience et puis la Conscience qui se situe au-dessus, au-delà ou
avant les trois autres et qui contemple les trois états de conscience. Les trois états sont
l’état de veille qui est considéré comme l’état le moins conscient ou de la stupeur la
plus profonde, l’état de rêve, et la conscience qui est là dans le sommeil profond et
qui, ironiquement pour la majorité des Occidentaux, est considérée comme étant la
plus claire, la plus pure et la plus ‘’éveillée’’ des trois. Et puis, il y a la Conscience qui
perçoit et qui expérimente la totalité de ces trois états, la Conscience dans laquelle la
totalité de ces trois états, la veille, le rêve et le sommeil profond apparaissent.
La conscience est ici inversée. Plus profondément on pénètre dans ce que l’Occident
appelle l’inconscience, le modèle advaitique le perçoit comme plus conscient. Ce que
l’Occident appelle s’éveiller, l’advaita le perçoit comme devenir plus inconscient.
Le modèle occidental est tellement programmé dans notre manière de penser et on
attribue à l’état de veille une telle priorité, une telle valeur que les autres états ne sont
estimés que quand ils sont interprétés dans le contexte de la conscience de veille.
Donc, le modèle psychologique occidental est de rendre ‘’conscients’’ les processus
‘’inconscients’’, c’est-à-dire reconnus et interprétés par la conscience de veille. Et les
modèles de pensée qui apparaissent dans la conscience de rêve sont interprétés à
n’en plus finir par l’esprit de veille. Le modèle advaitique considérerait ce processus
comme rétrograde, comme un nivellement par le bas des niveaux de conscience
‘’supérieurs’’ d’une manière qui est exploitable par le niveau ‘’inférieur’’.
James Carse examine ce modèle advaitique de la conscience dans ‘’Breakfast at the
Victory : The Mysticism of Ordinary Experience’’. (Carse est professeur de religion à
l’Université de New York et pour autant que je sache, nous ne sommes pas parents.
Mais avec un nom comme celui-là, qui sait ? Et qui s’en soucie ?) En évoquant la
192
Conscience où la veille, le rêve et le sommeil profond apparaissent tous, Carse
souligne qu’ :
‘’…alors que ce niveau le plus profond n’est pas directement connu par les
autres niveaux de conscience, chacun de ces niveaux lui est parfaitement
connu. En d’autres termes, la connaissance de soi, ce n’est pas savoir qui ou ce
qu’est le vrai Soi, c’est être connu par ce vrai Soi.’’
Les rêves ainsi que d’autres messages de ce que l’on appelle l’inconscient ou le
subconscient paraissent souvent très étranges à la conscience de veille, précisément
parce qu’ils ne cadrent pas avec la ‘’réalité’’ de veille. La conscience de veille doit
alors interpréter le rêve pour le comprendre à la lumière de ce qu’elle accepte comme
la ‘’réalité’’.
‘’Ainsi, le rêve devient la propriété du ‘’je’’ de l’état de veille et la conscience
plus profonde qui était à l’œuvre en lui retourne se cacher.
La manière habituelle d’interpréter un rêve, c’est de traduire son contenu en
termes qui sont familiers pour le ‘’je’’ de l’état de veille. Si nous suivions la
perspective des hindous en matière de niveaux de conscience, nous
inverserions ce processus. Nous nous demanderions ce que le ‘’je’’ de l’état de
rêve sait du ‘’je’’ de l’état de veille que le ‘’je’’ de l’état de veille ne peut savoir
concernant lui-même.’’
Veuillez noter ici qu’il est clair que Carse pense aux trois niveaux de ‘’conscience’’
comme à des ‘’états’’ appartenant à un soi individuel et qu’il interprète la tradition
‘’hindoue’’ ou advaitique en conséquence. Il paraît même faire référence à la
Conscience ultime, à la Totalité, comme à un quatrième ‘’état plus profond’’ de
conscience individuelle. Assez ironiquement, c’est exactement le type d’analyse dans
laquelle ‘’l’état de veille’’ s’engage pour aligner ce qui ressemble à un enseignement
étrange, mais intriguant sur les croyances de l’état de veille, dans ce cas-ci la
croyance en des individus séparés, chacun avec leurs propres niveaux de conscience.
Il n’en reste pas moins que l’idée dans tout ceci est que, mutatis mutandis, il y a là une
perspective utile. Souvenez-vous de Maharaj : ‘’L’idée même d’aller au-delà du Rêve
est illusoire.’’ Il n’appartient pas à la conscience de l’état de veille d’aller quelque
part. La conscience de l’état de veille est le personnage fictif. Elle relève du Rêve.
‘’Le Rêve n’est pas votre problème.’’ Ce que vous êtes vraiment n’est pas le
personnage fictif, n’est pas la conscience de l’état de veille, n’est pas un état, pas
même un ‘’soi supérieur’’ d’une conscience plus profonde, mais toujours
individuelle. Ce que vous êtes plutôt, c'est la Totalité, la Conscience, l’Absolu, où le
rêve du sommeil et le Rêve de l’état de veille et l’absence de rêve apparaissent tous.
La Conscience, la Totalité ne peut être directement connue par la conscience de l’état
de veille que vous appelez vous-même, car Elle ne peut pas ‘’devenir la propriété’’ de
193
ce personnage fictif. Mais ‘’vous’’, le ‘’vous’’ que vous pensez être, êtes parfaitement
connu d’Elle. C’est ce que Vous êtes.
194
CHAPITRE 43 : TRINITÉ
‘’Je suis la Présence.
Pas, ‘’je’’ suis présent ou ‘’vous’’ êtes présent ou ‘’il’’ est présent.
Quand on voit la situation,
Comme elle est réellement,
Qu’aucun individu n’est impliqué,
Que Ce qui est présent est la Présence globale,
Alors, à l’instant où ceci est perçu,
Il y a Libération.’’
-
Nisargadatta Maharaj
Diriez-vous que tout sentiment, toute émotion est la Conscience qui apparaît sous la forme de
ce sentiment (par exemple l’angoisse ou le calme) ou est-ce simplement que ces sentiments
apparaissent dans la Conscience ? La même question s’applique aux pensées. Comme je le
vois, la colère ou la compassion ne sont en essence pas différentes du stylo que j’utilise. Est-ce
vrai ?
Dans un sens, cela dépend de la finesse avec laquelle vous voulez diviser l'atome,
pour ainsi dire. Au niveau le plus fondamental ou ‘’le plus vrai’’, il n’y a rien.
Ramana Maharshi disait : ‘’Tout ce qui n’est pas là dans le sommeil profond n’existe
pas.’’ Tout ce qu’il y a dans le sommeil profond, c’est cette Conscience primordiale,
originelle qui n’est même pas consciente d’Elle-même. Ce que Maharaj appelle votre
‘’état naturel’’. Le koan zen ‘’Quel était votre visage originel avant de naître ?’’ vise
cela. Avant la naissance du corps (et qu’apparaisse la conscience identifiée) et encore
après sa mort, vous êtes la Conscience (Présence) non identifiée.17 Même pendant la
vie du corps, vous n’êtes pas autre que cela, bien que l’identification rend ceci
difficile à voir. Il n’y a rien d’autre que cette Conscience. Les pensées apparaissent
dans cette Conscience, les automobiles apparaissent dans cette Conscience, des
nébuleuses, des rêves, des souvenirs, des accidents, des émotions…Quand on lui
demandait si les dieux de la mythologie hindoue étaient réels, Ramana Maharshi
disait qu’ils sont aussi réels que ce monde. Les mythes et le monde physique sont
similairement ‘’réels’’. Les sentiments, les pensées et les stylos ont la même ‘’réalité’’
― la même ‘’irréalité’’.
Les physiciens nous disent que quand vous l’observez d’assez près, la ‘’réalité’’
physique n’est pas du tout matérielle, mais de l’énergie immatérielle. Le concept que
j’essaye parfois d’exprimer, c’est que l’élément constitutif de base de ce que nous
expérimentons autour de nous ― ce qui inclut nous-mêmes et les mondes des choses
matérielles, des énergies et des pensées ― est ce à quoi il est fait référence en tant
qu’Ananda dans l’expression hindoue ‘’Sat-Chit-Ananda’’. On traduit la plupart du
temps le terme sanskrit ‘’Ananda’’ par Félicité, aussi les gens ont-ils des idées
curieuses à ce sujet. Mais il y a quelque chose de beaucoup plus vaste par rapport à
17
C’est ainsi que le Christ a pu dire : ‘’Avant qu’Abraham fût, JE SUIS’’, NDT.
195
cela et j’essaye parfois d’en parler, mais il est extrêmement compliqué de rendre cela
compréhensible.
Dans le concept de Sat-Chit-Ananda, il y a un parallèle avec la théologie mystique
chrétienne de la Trinité. Les deux s’accordent sur le fait qu’en premier, il y a
l’Origine, la Source immuable, l’Etre Lui-même, la Conscience au repos (‘’Sat’’, le
‘’Père’’). Puis, imperceptiblement, il y a une vibration, un mouvement, une
respiration, quelque chose de cet ordre dans cette Totalité immuable originelle. C’est
le Logos, la Conscience reflétée/réfléchie, qui n’est elle-même pas différente de cette
même Conscience. C’est la Conscience, qui est maintenant consciente d’Elle-même et
qui cependant n’est pas autre, ni distincte de la pure Conscience (‘’Chit’’, le ‘’Fils’’).
C’est peut-être l’aspect intelligence de la Conscience. Le commencement de
l’Evangile de Jean (‘’Au commencement, il y avait le Verbe (Logos), et le Verbe était
avec Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était là au commencement avec Dieu…’’) évoque
ce même indicible.
Donc, il y a cela. Mais ensuite, il y a encore autre chose, encore plus indicible. La
tradition hindoue, comme la tradition chrétienne voit qu’il y a (conceptuellement)
quelque chose de plus, d’une certaine façon. Dans le christianisme, ce ‘’plus’’
s’appelle ‘’l’Esprit’’ de Dieu que l’on décrit ou que l’on définit parfois comme
‘’l’Amour entre le Père et le Fils’’. Donc, pas quelque chose de réellement séparé,
mais l’Amour qui opère dans ce mouvement, la respiration, la vibration de la
Conscience, un Amour si total qu’Il n’est Lui-même pas autre que Dieu.
C’est l’Amour pur, neutre, non-identifié. La nature de cet Amour est telle qu’Il ne
peut pas être contenu et qu’Il déborde de Lui-même en Lui-même. Il jaillit et Il
déborde, pour ainsi dire. Cet Amour est inimaginable et j’hésite même à parler
d’amour. Il est tellement intense, ardent, vif, puissant, paisible et glorieux ― éclat,
splendeur et lustre flamboyant. Complètement saturant pour l’expérience et la
capacité humaine de comprendre. ‘’Ananda’’ est un terme aussi pathétiquement
inadéquat que le mot ‘’amour’’. Et la tradition chrétienne, comme la tradition
hindoue, sont toutes les deux bien claires par rapport au fait que cet Ananda, cet
Esprit, cet Amour n’est pas autre chose que Dieu, l’Etre, la Conscience. Dieu ou
Brahman est Un. Le Père, le Fils et l’Esprit ou Sat-Chit-Ananda sont juste trois
concepts conjugués pour essayer de trianguler Ce-qui-est. Tout cela est conceptuel, le
mental luttant et s’étirant pour comprendre. Il n’y a aucune Vérité absolue dans ces
concepts et dans ces expressions qui ne sont, peut-être, que des
indications/indicateurs utiles.18
Lorsque Maharaj fit son commentaire énigmatique par rapport au fait que tout est
constitué d’amour ― toute la manifestation existant et étant soutenue, entretenue et
nourrie par, dans et sous la forme de cet Amour primordial et absolu ― c’est ce qu’il
18
Ici, je me permets de reprendre les paroles du mystique chrétien, Jean Tauler, disciple de Maître Eckhart :
‘’Ainsi, laissons les discours érudits aux savants, mais vous, vous devriez permettre à la Sainte Trinité de
naître au cœur de votre âme, non pas en usant de la raison humaine, mais en Essence et en Vérité, non pas
en mots, mais en Réalité’’, NDT.
196
disait. Cette effusion d’Ananda divine, de Félicité, de Beauté, d’Amour, de Grâce,
d’Intensité, de Puissance, d’Esprit, de Silence, de Perfection et de Radiance, c’est
‘’l’Energie’’, la seule Energie qu’il y a. Elle est la Totalité. C’est l’énergie que les
physiciens détectent, quand ils observent les particules subatomiques et quand ils ne
détectent pas de matière, mais une explosion énergétique. Une partie de la vision que
j’ai eue dans la jungle était la vision de cette Energie en tant qu’effusion de la Source
(et même ceci est un concept, un aperçu de l’indicible) et se diffusant en tant que ceci
― ce que l’on expérimente ici comme le monde. C’est ce que j’essaye d’exprimer ici :
‘’Dieu’’ ou ‘’l’Amour’’ ou ‘’l’Ananda’’ ou ‘’l’Esprit’’ est précisément la ‘’substance’’ à
partir de laquelle tout ceci est ‘’constitué’’, et c’est pourquoi ceci n’est pas différent de
Cela. C’est Cela, constitué à partir de Cela.
Une autre manière de penser à la Trinité, Sat-Chit-Ananda, c’est de réaliser que tout ce
qu’il y a, c’est la Conscience, Chit. La Conscience au repos, immobile, est Sat. La
Conscience en mouvement, active et qui déborde est Ananda. C’est tout à fait la
même, tout en Une.
Ainsi, c’est votre ‘’Essence’’ ou la ‘’Totalité’’. Ce ne peut être que la Totalité, si Elle est
tout ce qu’il y a, si tout ce qu’il y a, c’est Elle. Donc, tout ce qui ressemble à autre
chose n’existe pas ; c’est Elle.
Cela est déjà tout depuis toujours et est toujours toute chose.
Lorsqu’on parle du samsara ou de l’illusion, ce n’est pas qu’il n’y a rien, là. Il y a la
Totalité, là ! L’illusion, c’est de percevoir ceci comme étant des choses matérielles
séparées, ce qui n’est pas le cas. C’est Dieu, l’Amour, l’Ananda.
Cela ressemble juste à des choses – de la colère, un stylo, un chat, une prière, le
solstice, un colibri, la mort, des œufs brouillés…pour la conscience identifiée, pour
les organismes corps/esprits qui croient qu’ils sont des individus vivant une vie dans
un monde.
Voici ce qui se passe dans la tradition mystique chrétienne, quand il y a toutes ces
discussions sur l’amour de Dieu qui est ce ‘’feu purificateur’’ ardent et intense qui
consume tout. Ceci est mal compris, comme un genre de Dieu vengeur, mais ceux
qui virent cela à l’origine virent ceci : quand cette effusion est perçue, vue,
‘’comprise’’ à l’intérieur, rien de l’expérience humaine ne peut le supporter : tout est
consumé, tout s’en va. Il n’en reste rien : uniquement cet Amour qui est la Totalité.
Seule demeure la Présence qui déborde ― et celle-ci peut prendre l’apparence de la
gadoue pulvérisée par les roues d’une voiture en ville au mois de janvier, d’un mari
que l’on envoie servir en Afghanistan, du cancer ou du cœur défaillant d’un ami,
d’une mère qui embrasse son enfant, de mes vieilles pantoufles ou de votre stylo à
bille…Personne ne La voit, mais il s’agit manifestement de l’effusion d’un Silence
éclatant et parfait.
197
Enfin, il est intéressant de noter que la tradition chrétienne et la tradition hindoue
reconnaissent toutes deux que ni Sat-Chit-Ananda, ni le Père, le Fils et l’Esprit ne sont
l’Absolu. Ceux-ci ne vont qu’aussi loin que l’esprit humain peut aller et aussi près
qu’il peut s’approcher de la compréhension de ce qui ne peut pas être compris. SatChit-Ananda est une tentative pour décrire Brahman, qui Lui-même émane du
Parabrahman, ce qui est au-delà de Brahman. Le Père, le Fils et l’Esprit décrivent le
Dieu trinitaire qui provient de la Déité au-delà de Dieu. Dans l’ensemble, c’est un
parallèle remarquable, un élément de la sagesse éternelle qui opère dans deux
traditions très différentes.
Voilà. Et alors, quoi ? Il est impossible de parler de l’incompréhensible. Tant que ceci
n’a pas été intérieurement perçu, cela n’a pas de sens ou ce ne sont au mieux que des
concepts, que des idées. Quand c’est intérieurement perçu, c’est inutile. Il y a donc un
argument valable (et des maîtres qui disent) qu’il est inutile de diviser aussi finement
l’atome. Ainsi, tout ce qu’il y a, c’est Dieu, mais dans quelle mesure cela aide-t-il la
personne moyenne ou le chercheur moyen ? Cela ne paraît pas être le cas. Ils sont
frustrés. Et donc, on élabore souvent un enseignement qui les aide à mieux vivre ce
Rêve.
Osho, Da Free John, Ramesh S. Balsekar, Robert Adams me viennent à l’esprit
comme seulement quelques-uns de ces maîtres bien intentionnés qui commencent
avec un message radical, mais qui avec le temps le diluent en ‘’principes’’, en
‘’étapes’’ et en ‘’pratiques’’, parfois même en petits rappels quotidiens ‘’inspirants’’
insipides, si les gens ne comprennent pas ou ne répondent pas à l’enseignement pur
et simple. Et toute la tradition bouddhiste, aussi belle qu’elle est, est notoire pour
institutionnaliser ce genre de choses. Ken Wilber a même donné une base théorique à
ceci en disant que ceux qui possèdent la clairvoyance et la connaissance de Ce-qui-est
ont véritablement une ‘’obligation’’ de proposer une version moins radicale que le
chercheur ordinaire peut comprendre.
Ici, c’est différent. Il y a (il y a maintenant, il y a toujours eu et il y aura toujours) des
tas de versions, de variantes aisément accessibles de méthodes pour vivre,
s’améliorer, élever le niveau de fonctionnement de l’individu ou pour se sentir mieux
dans la vie quotidienne. Il y a des millions d’enseignants qui peuvent et qui sont
prêts à enseigner ces méthodes.
Néanmoins, il y en a apparemment peu qui voient Ce-qui-est. Il y a
vraisemblablement un certain avantage à avoir les quelques-uns qui voient et qui
disent ce qu’eux seuls peuvent dire. Pourquoi se préoccuper du nombre de
personnes qui peuvent comprendre ceci ou même le concevoir et l’apprécier ? Ce
n’est pas ce qui est visé, ni le but. Toute une variété et une diversité d’aides sont
accessibles et disponibles dans la vie quotidienne. Ce n’est pas ainsi que cela
fonctionne, ici. L’expression de cette compréhension aide-t-elle certains individus ou
les perturbe-t-elle ? Je l’ignore et je consacre peu d’énergie à me tracasser par rapport
à cette question. Il est pris soin de cela suivant des modes ou des modalités que nous
ne pouvons pas connaître. Cela, comme tout le reste au sein du Rêve, n’est pas
198
‘’mon’’ problème. Il n’y a aucune ‘’intention’’ ici. Tout ce qui peut être fait ici, c’est de
dire ce qui est connu.
Les choses ne sont pas ce qu’elles paraissent être. Rien de ceci n’a de l’importance. Il
n’y a pas de ‘’vous’’, ni de ‘’moi’’. Il n’y a pas d’individus en tant qu’entités séparées.
Il n’y a ‘’personne’’, ici. Toujours et partout un Silence éclatant et parfait, Vacuité
ineffable qui se dilate constamment, Amour limpide et parfait, Présence infinie,
perçus ici, maintenant et toujours, non à partir de ce corps/esprit, mais de ce même
Silence, de cette même Présence qui est la Totalité, peut-être ‘’par l’entremise’’ ou
‘’sous la forme de’’ cet instrument corps/esprit, car ce Silence, car cette Présence est
ce que le ‘’Je’’ est.
Amen. Svaha !
199
ÈME
7
PARTIE
VOUS RÉALISEREZ QUE CELA A TOUJOURS ÉTÉ PLUS
PROCHE DE VOUS QUE N’IMPORTE QUELLE CHOSE
QUE VOUS PENSIEZ CONNAÎTRE
200
CHAPITRE 44 : COMMENT LE DIRE ?
‘’Le mental doit savoir qu’il ne peut pas saisir ce que je m’apprête à décrire.
L’Immensité se perçoit Elle-même à partir d’Elle-même, à chaque instant,
Au sein de chacune de ses particules, partout, simultanément.’’
-
Suzanne Segal
Comment le dire ? C’est si clairement perçu, mais avec cette vision périphérique. Si
on se tourne vers cela pour le saisir conceptuellement, pour l’exprimer verbalement,
cela disparaît. Tous les Maîtres dansent autour de ceci et cela me fait sourire, chaque
fois que je rencontre une référence qui signale obliquement ceci. Néanmoins, c’est
indicible. C’est du génie et au-delà de ce génie, une brillance époustouflante et
absolue. L’hypnose divine est l’autohypnose du Soi.
Avez-vous jamais tenté de jouer à cache-cache avec vous-même ? Ce n’est pas très
fun : vous savez toujours où chercher et prétendre que vous ne savez pas n’est pas
très convaincant. Où pourrais-je me dissimuler à moi-même pour que je ne puisse
pas me trouver…jusqu’à ce que je me trouve ? Vous connaissez la réponse. Vous
ignorez simplement que vous la connaissez.
Vous savez qu’il y a quelque chose qui ne va pas avec le monde, tout le décor, tout le
montage. C’est comme cet implant dans votre esprit. Cela n’a simplement aucun
sens. Il y a quelque chose qui cloche dans le tableau, mais rien à faire, vous ne
pouvez juste pas arriver à comprendre quoi. Vous cherchez, vous cherchez de plus
belle, vous luttez, vous réessayez, vous espérez, vous priez, vous écoutez, vous
apprenez et à chaque fois que vous avez l’impression d’y arriver, cela vous glisse
entre les doigts. Et vous réalisez que cela fait partie intégrante de ce qui ne va pas.
C’est dingue ! Cela ne devrait pas être aussi dur ! Et puis brusquement, vous recevez
ce que vous voulez et vous réalisez que cela ne devrait pas être aussi facile ! Ce n’est
pas ce que vous vouliez réellement. Et c’est reparti. Vous vous remettez de nouveau
à chercher, à chercher de plus belle, à lutter.
Sans jamais réaliser qu’il s’agit de cela.
Non seulement vous avez une vie entière de votre propre histoire personnelle qui
opère contre vous, toutes vos expériences, vos pensées, vos souvenirs, vos peines,
vos blessures, vos amours, vos victoires et ce que vous pensez avoir appris, avoir
gagné et avoir perdu, mais plus grand encore est le fardeau hérité et la dynamique de
cette formidable expérience de milliards de corps-esprits comme le vôtre, mais
différents, tous propulsés dans la même direction et qui s’encouragent, se
soutiennent et partagent une ‘’sagesse’’ et des ‘’assurances ‘’communes pour vous
embobiner depuis le berceau jusqu’à la tombe. Que vous rejoigniez la révolution ou
le Parti Républicain ou le Harley Owners Group ou l’Eglise catholique ou le Jihad
islamique ou un monastère zen ou la National Organization for Women ou les AA
201
(Alcooliques Anonymes), ou l’AAA (American Automobile Association) ou les
dévots Hare Krishna ou l’équipe de foot locale ou les Weight Watchers ou les
bénévoles d’un home ou Greenpeace ou les Marines, ils sont tous pareils. Ils vous
encourageront tous à faire ce qu’ils font et à penser comme ils pensent et vous
voudriez bien les croire, mais à un certain niveau, vous savez que c’est un tas de
conneries.
Vous avez raison par rapport à cela. Le postulat est totalement faux. La base sur
laquelle se font toutes les hypothèses de travail concernant la vie, l’univers et toute
chose dévie de 180° par rapport à l’objectif. Ce qui est cru, enseigné, soutenu et
récompensé comme étant naturel, normal, juste, sain, sensé, bon, vrai, précieux, utile,
bienveillant, voire saint et sacré, si cela est suivi, vous mènera en bateau en faisant
vaillamment de votre mieux, mais en restant complètement endormi dans le Rêve.
Une des choses réellement étonnantes par rapport à tout ceci est la réalisation que
toute la tradition, l’histoire, le mouvement et la tendance humaine à la ‘’spiritualité’’
et au ‘’sacré’’ fait tout à fait fausse route. Elle est complètement mal orientée. Il n’y a
rien de saint, de spirituel, de sacré ou de divin dans la Totalité. Elle est complètement
athée. Elle est complètement et entièrement impersonnelle depuis le départ jusqu’à la
fin. La tendance humaine à la révérence, au mystère et au numineux n’est que cela :
une tendance, une partie de la programmation des organismes corps-esprits.
Il n’y a rien de mal avec cela, rien à snober, à éviter ou à corriger. Ce corps-esprit
particulier qui possède à la fois des antécédents amérindiens et catholiques romains
en a à revendre, de cette tendance dévotionnelle ou bhakti qui vous donne les larmes
aux yeux, quand on chante des bhajans ou quand on lit Rumi et ainsi que vous avez
pu le constater, elle a tendance à s’exprimer en conséquence. C’est une qualité
merveilleusement attachante de ces corps-esprits dans le Rêve et elle peut être
vraiment magnifique, en fait. Mais ce n’est qu’une question de fonctionnement, ce
n’est qu’une question de perspective. Il n’y a rien d’intrinsèquement spirituel ni de
saint dans la réalisation que celui qui pense que c’est spirituel ou saint n’existe pas.
C’est simplement Ce-qui-est.
‘’Voyez-vous, la recherche vous éloigne de vous-même, elle va dans la
direction opposée. Il n’y a absolument aucune relation. La recherche s’effectue
toujours dans la mauvaise direction, aussi tout ce que vous considérez comme
très profond, que vous considérez comme sacré est une contamination dans
cette Conscience. Il est possible que vous n’aimiez pas le terme
‘’contamination’’, mais tout ce que vous considérez comme sacré, saint et
profond est une contamination.’’ (U.G. Krishnamurti)
La Vérité est l’opposé de tout ce que vous avez appris. Les choses ne sont pas comme
elles paraissent, ni comme vous avez été amené à le croire. Penser n’est pas votre état
normal. L’implication personnelle n’est pas votre état naturel. Même quelque chose
d’aussi ‘’sacré’’, d’aussi élevé que ce que vous appelez l’amour n’est pas votre état
naturel. Vous efforcer, vous préoccuper, aspirer à, désirer, entretenir des croyances,
202
entretenir des opinions, éprouver le besoin de défendre ces positions, avoir besoin de
quoi que ce soit, rien de tout cela ne constitue votre nature originelle, votre être
authentique. Ce sont là tous des comportements conditionnés, appris, une hypnose
qui vous maintient endormi dans le Rêve. Le conditionnement est si profond que
vous pensez que c’est votre véritable nature, mais je vous assure que ce n’est pas le
cas. Retournez. Votre Soi est antérieur à tout ce que vous pensez savoir être vrai ou
réel.
Et quand le Soi, cette Vérité, la vacuité de votre nature originelle explose et anéantit
votre conscience imaginaire, vous réaliserez qu’Il a toujours été plus proche de vous
que n’importe quelle chose que vous pensiez connaître.
‘’Je vous ai dit tout ce qui constitue le cœur même de la Vérité : il n’y a ni vous,
ni moi, ni Etre supérieur, ni disciple, ni guru.’’ (Dattatreya)
Nihilisme ? Vous appelez ceci du nihilisme ? C’est si loin au-delà du nihilisme que
vous n’en n’avez pas idée.
‘’L’existence du monde ressemble au monde fictif d’un rêveur. Nous sentons
que le monde est réel, parce que nous sentons que notre corps est réel et vice
versa. C’est l’illusion primordiale. Les gens pensent que le monde est ancien.
En fait, il apparaît avec votre conscience.
Ce qui est vu est le reflet de votre propre conscience.
Vous vous voyez vous-même dans le monde, alors que Je vois le monde en
Moi-même. En ce qui vous concerne, vous naissez et vous mourez, alors que
pour Moi, le monde apparaît et disparaît.’’ (Nisargadatta Maharaj)
J’ai passé une fois une après-midi à écouter un enseignant qui expliquait la réalité
comme ceci : Disons que vous avez consacré toute votre vie à contempler la
photographie d’un arbre. Une magnifique photo, riche en couleurs, haute résolution.
Ainsi, vous pensez que c’est tout ce qu’il y a, là,. Cette magnifique photo d’arbre est
ce que vous pensez être la réalité. Mais je suis ici, dit-il, pour vous faire reculer d’un
pas, avant la photo. (Il avait lu Maharaj.) Et je vous montre le négatif à partir duquel
la photo a été prise. (C’était avant les appareils numériques.) Vous réalisez
brusquement que toute votre réalité a une face cachée. Ici, dans la dualité, tout a son
opposé qui existe en parallèle. Maintenant, si vous superposez le négatif à la
photographie, vous pouvez voir qu’ils s’annulent. Où il y a de l’obscurité sur la
photo, il y a de la clarté sur le négatif, et vice versa. Même les couleurs s’opposent.
Ainsi, ce que l’on obtient en les tenant ensemble, c’est précisément rien. Le positif
annule le négatif et vice versa, de sorte qu’il n’y a ni positif, ni négatif, il n’y a rien. Le
vide. Et c’est ce que la réalité est vraiment. Non pas ce que vous avez toujours pensé
qu’elle est et pas son opposé, mais l’existence et la non-existence simultanée des
deux. Pour finir, je me suis levé et je suis sorti.
203
Ce qu’il disait est bien sûr parfaitement exact. Alors, quoi ? Quel est le problème ?
L’arbre, idiot ! Bon Dieu, mec, recule toi-même d’un pas ! A l’extérieur, il y a un
arbre, sous la pluie et le soleil, les racines en terre, les feuilles au vent, vers lequel
quelqu’un a pointé un appareil photo pour prendre la photographie. Et la vérité
vivante de cet arbre est tellement éloignée de la logique pesante et élaborée de la
photo, du négatif et du néant des deux juxtaposés que tu n’en n’as même pas idée.
Tu es toujours dans caverne de Platon ! Sors-en ! Toutes ces discussions sont inutiles.
La vérité de Ce-qui-est est si loin au-delà de ce que tu perçois, penses et théorises que
tout cela est réellement parfaitement inutile.
Mais tu le sais aussi.
‘’Ce que nous avons maintenant n’est pas imaginaire :
Ce n’est ni une peine, ni une joie,
Ni un jugement, ni un enjouement, ni une tristesse,
Qui vont et viennent,
Mais cette Présence qui, Elle, ne va ni ne vient.
Que pourrait-on vouloir d’autre ?
Ce que nous sommes maintenant a créé le corps,
Cellule après cellule,
Et l’univers, étoile après étoile.
Le corps et tout l’univers se sont développés à partir d’Elle,
Mais Elle ne s’est pas développée à partir de quoi que ce soit...’’ (Rumi)
204
CHAPITRE 45 : LE PLUS SINGULIER
‘’Tu dois comprendre que la plupart de ces gens ne sont pas prêts à se déconnecter
Et que beaucoup d’entre eux sont tellement endurcis,
Et tellement désespérément dépendants du système
Qu’ils se battront pour le préserver.’’
-
‘’Morpheus’’ dans Matrix
‘’Personne ne m’a dit qu’il y aurait des jours comme ceux-ci,
Des jours étranges, à vrai dire.’’
-
John Lennon
Un étranger en terre étrangère : c’est à cela que revient la plus grande partie de
l’expérience du monde depuis la jungle. La Radiance, la Totalité, savoir qu’il n’y a
pas de ‘’David’’, uniquement le streaming de la Conscience, ici. Il y a eu une certaine
adaptation à cet égard et donc la vie continue par l’entremise de ce personnage fictif,
avec toujours partout un Silence éclatant et parfait se diffusant constamment et
toujours perçu maintenant.
Les personnages du Rêve sont ce qu’ils sont, des gens ordinaires qui vivent leur vie,
le Rêve se poursuivant tranquillement et les personnages fictifs jouant leurs rôles,
dont le scénario a été écrit à l’avance, ignorant la Vérité et pensant que leurs ‘’mois’’
sont bien réels, inconscients de la Splendeur qu’ils sont, la plupart n’étant pas très
heureux la majorité du temps, mais ayant certes leurs moments, et en tous cas, les
interactions sont des interactions relativement faciles entre personnages fictifs dans le
cadre des paramètres du Rêve.
Certes, il y a des moments où il semble que la compréhension tombe en rade et où il
n’y a qu’une extrême perplexité et une incapacité à communiquer et oui, il y a une
sorte de rudesse non filtrée par rapport à l’expérience de la vie et les sérieuses limites
du dispositif corps-esprit deviennent parfois très criantes. Malgré tout, depuis cette
perspective, tout est toujours étonnant et beau et complètement impersonnel.
Simplement voir ce qui va se produire. Qu’apportera le scénario du jour ?
C’est un peu surréaliste : Nous avons là la Conscience qui se diffuse en prétendant
qu’Elle a oublié qui Elle est, on ne sait trop comment, alors qu’ici, il est parfaitement
évident qui Elle est. Le Rêve manque de conviction, de crédibilité et il y a un
sentiment d’étonnement constant que personne ne voit à quel point toute cette
illusion est réellement bidon et artificielle. En fait, il y a plein de failles, plein
d’indices. Il véhicule toutes les incohérences et manquements de n’importe quel rêve.
Plusieurs fois par jour, il y a des moments révélateurs où la couverture du Rêve est
soulevée, mais personne ne s’en aperçoit, parce qu’ils sont tous conditionnés à
colmater les brèches, parce que sinon, tout le château de cartes s’écroulerait. ‘’Tu as
vu ça ?’’ ‘’Non !’’ ‘’Moi, non plus !’’ ‘’Qu’est-ce que c’était ?’’ ‘’Oh, rien ! Une
205
impossibilité.’’ C’est vraiment fou, mais il y a ici une certaine cohérence et c’est
attachant, en quelque sorte.
La différence entre ‘’l’Eveillé’’ et le ‘’non-éveillé’’ est si incroyablement ténue qu’on
peut à peine dire qu’elle existe. C’est comme si, pour utiliser une image certes un peu
étrange, il suffirait d’un minuscule décalage dans votre esprit, de tourner
métaphoriquement votre esprit presque imperceptiblement et ce décalage, ce déclic
suffirait à modifier suffisamment la perspective pour que tout soit vu, tel qu’il est.
C’est si minuscule qu’il ne faut quasiment rien. J’appelle cela un ‘’décalage de
phase’’, probablement parce que j’ai beaucoup trop regardé Star Trek ! Tout reste tel
quel, c’est juste que la perception est ramenée en phase avec Ce-qui-est. Qu’est-ce qui
a changé ? Rien, c’est dire à quel point le décalage est minuscule.
Une autre analogie. Disons que vous avez eu un rêve ou une vision et que dans la
vision, le Tout est un flot lumineux. C’est tout ce qu’il y a, juste un flot lumineux. Et
une partie du flot lumineux prend la forme d’une chaise et donc, vous vous asseyez.
Puis le flot lumineux prend également la forme d’une personne qui dit ‘’vouloir
s’éveiller et voir la Lumière’’. Vous regardez ce flot lumineux qui a pris la forme
d’une personne et vous dites : ‘’Mais ce que vous êtes, c’est clairement,
manifestement cette Lumière qui se diffuse !’’. Elle répond qu’elle ne le pense pas,
que ce n’est pas ce qu’elle expérimente, qu’elle se sent très sombre et très seule et
qu’elle souffre tant. ‘’Indiquez-moi comment voir cette Lumière dont vous parlez’’,
dit-elle. Pendant tout ce temps-là, le flot lumineux qui a pris la forme de cette
personne vous aveugle quasiment par sa beauté et par son éclat, et tout ce que vous
pouvez réellement penser, c’est : mais que diable se passe-t-il donc ici ?
Quand les choses sont vues ainsi, il est parfois difficile de garder à l’esprit que du
point de vue des personnages du Rêve, le décalage n’est pas aussi minuscule que
pour être infinitésimal, mais tellement énorme que pour être infini, mais ce que vous
pouvez voir, c’est qu’il n’y a aucune raison, aucun besoin pour qu’il en soit ainsi.
C’est comme si vous veniez juste d’arriver au Paradis où règnent la perfection, la
beauté, l’émerveillement, la liberté, la félicité, l’abondance, l’amour, tout ce à quoi
vous pouvez songer. Merveilleux ! Votre cœur chante. Et puis là, dans un coin, vous
remarquez un petit personnage misérable, recroquevillé sur lui-même et serrant ses
quelques maigres possessions, sales et abimées et marmonnant quelque chose
d’inaudible. Vous vous approchez de lui et vous entreprenez de lui parler : ‘’Hé
l’ami, hé, ouvre les yeux, regarde autour de toi, vois où tu es !’’ Il vous injurie, se
détourne de vous et se remet en boule en grommelant toujours. Vous réessayez :
‘’Allez mec, regarde, tout va bien ! Regarde ! Laisse tomber tout ton brol. Tu n’en n’as
pas besoin. Tout est fourni ici, de belles choses, tout ce que tu désires !’’ Il se met
alors en colère contre vous et il hurle : ‘’Laissez-moi tranquille ! Ne touchez pas à mes
affaires !’’ Pas très aimable et plutôt pathétique.
Ce qui est curieux avec les personnages de ‘’chercheurs spirituels’’, ceux qui parlent
de vouloir s’éveiller, c’est que pendant qu’ils disent cela, ils dépensent
206
simultanément et complètement sans le réaliser quasiment tout leur temps et toute
leur énergie à faire activement tout ce qu’ils peuvent pour empêcher que cela n’
arrive ! Sérieusement. Vous pensez que j’exagère, mais ce n’est pas le cas. Les
chercheurs parlent de s’éveiller, parlent de l’Illumination, mais la plupart n’ont pas la
moindre idée de ce dont ils parlent. Ils en parlent comme d’une chose qu’ils peuvent
obtenir, à laquelle ils peuvent arriver, qu’ils peuvent atteindre et qui les changera,
ainsi que la façon dont ils expérimentent la vie. Il apparaît que quelque part en cours
de route, ces personnages fictifs ont absorbé une certaine idée fantasmée de l’Eveil
qui, apparemment, signifie une certaine évolution dans le Rêve, mais qui très
clairement n’implique pas de véritablement s’éveiller, ce qui signifierait
nécessairement que le Rêve et eux cesseraient d’exister, comme tels.
‘’La recherche commence avec l’individu et se conclut par l’anéantissement de
l’individu.’’ (Ramesh)
L’anéantissement ne vise pas ici un genre de jeu quelconque. C’est quelque chose de
total, radical, l’éradication de l’existence, la fin de l’être, la mort. Non pas la mort du
corps ; rien ne meurt, quand le corps meurt. La mort réelle, la seule mort réelle, aussi
réelle que la mort peut l’être, la mort de la personne ou du moi individuel.
La recherche spirituelle est l’art d’évoluer dans de très petits cercles. Ceci entraîne
deux choses : cela crée l’illusion d’une évolution, d’aller quelque part et vous
empêche de vous arrêter, de devenir immobile et silencieux, c’est-à-dire de regarder
autour de vous et de voir la futilité de tout cela. Surtout, cela ne représente pas un
très grand défi pour l’ego, le sentiment du moi individuel. Travailler à être
‘’spirituel’’ renforce le sentiment du moi, c’est-à-dire à peu près tout l’inverse de faire
quelque chose qui pourrait lui porter atteinte d’une manière ou d’une autre et encore
moins conduire à sa mort.
La Lumière qui se diffracte est déjà de la Lumière. Le petit gars dans le coin est déjà
au Paradis. Il n’a littéralement rien à faire pour arriver quelque part ou devenir
quelque chose. La seule chose qui vous empêche de voir ceci, c’est cette satanée
insistance à vous accrocher à cette petite possession tordue qui est tout ce que vous
possédez, selon vous : l’idée d’être quelqu’un. Cette conviction, cette histoire qu’il y a
une personne à l’intérieur avec des souvenirs profondément chéris, des blessures, des
rêves, des espoirs, des aspirations, des qualités, des pensées, des théories…, c’est la
chose que vous serrez tellement fort contre votre poitrine en vous engageant dans
toute cette recherche et qui vous empêche de trouver quelque chose, de voir où vous
vous situez et ce que Vous êtes.
Que faudrait-il pour amener ce petit personnage recroquevillé dans un coin du
Paradis à se lever, ouvrir les yeux et voir où il est ? Réfléchissez-y parce que, ce qu’il
faudrait, c’est ce qu’il faudrait pour que chaque chercheur s’éveille pour ‘’entrer au
Royaume des Cieux’’.
207
‘’Beaucoup de personnes, certes, pensent qu’elles ne voient pas Ce qu’il en est, mais
je pense que l’on doit d’abord le voir avant de pouvoir le rejeter. Nous
l’entrapercevons, mais inconsciemment, nous le rejetons tout de suite. Je pense qu’il
est impossible de ne pas le voir.’’ (Douglas Harding)
C’est comme le voyageur de salon qui aime les livres et les magazines de voyage,
mais qui n’ira nulle part en réalité, parce qu’il ne veut pas prendre le risque de
voyager. Les chercheurs parlent de l’Eveil et lisent tous les livres et magazines
spirituels et ils font même toutes sortes de pratiques, de retraites, de méditations, de
services et de dévotions, mais seulement dans la mesure où il ne s’agit que de faire
tourner leurs moulins à prière et que cela n’implique pas d’être réellement anéanti
dans le processus.
Vous devez réellement lâcher prise. C’est aussi simple que cela. Aucun Eveil ne peut
survenir aussi longtemps que vous agripper à un ‘’moi’’ continue. Vous rendre à des
satsangs et poser tous types de questions sur la théorie spirituelle à laquelle vous
travaillez ou la guérison du ‘’moi’’ blessé ou l’obtention de plus d’éclairage est tout à
fait inutile et incompréhensible depuis cette perspective.
‘’La prétendue réalisation de soi est la découverte pour vous-même et par vousmême qu’il n’y a pas de soi à découvrir. Ce sera quelque chose de très choquant –
‘’Pourquoi diable ai-je gâché toute ma vie ?’’ C’est choquant, parce que cela va
percuter chaque nerf, chaque cellule, même les cellules de la moelle de vos os. Je
vous le dis, cela ne sera pas simple…Vous devez devenir totalement désillusionné.
Alors, la Vérité commence à s’exprimer, à sa manière qui lui est propre.’’ (U.G.
Krishnamurti)
Si vous devez faire quelque chose, faites ceci. D’abord, déterminez si cet Eveil, si cette
Illumination est réellement quelque chose que vous voulez. Voulez-vous réellement
‘’mourir’’ ? Voulez-vous réellement ne plus exister et que la vie continue – si elle
continue – non pas sous la forme de celui que vous connaissez et aimez en tant que
‘’vous-même’’, mais comme une coquille vide avec la Conscience impersonnelle qui
l’anime ? Si c’est ce que vous voulez (comment le pourriez-vous ?), alors vous parlez
de vous éveiller de ce faux rêve de l’individualité et vous pouvez y aller. Vos
réflexions, vos prières, vos méditations, vos questions aux satsangs et tout ce que
vous ‘’faites’’ se feront avec la réalisation que ce que vous pensez être est illusoire et
dans l’optique de dynamiter, de détruire cette illusion du ‘’moi’’.
Pouvez-vous le faire ? Bien sûr que non ! ‘’Vous’’ êtes un personnage du Rêve qui
joue son rôle dans le Rêve. Mais qui sait ce que ce rôle requiert ? Si ce rôle requiert
que ce personnage s’éveille, alors il doit bien commencer quelque part et ce
personnage pourra se voir entreprendre des choses qui provoqueront
inéluctablement sa propre mort. Pas la mort physique. Il s’agit de contenants jetables.
Regardez autour de vous. Ils sont constamment recyclés. Plutôt la mort réelle, aussi
réelle que la mort peut l’être. La mort de celui qui s’en inquiète.
208
Si vous décidez que ce que vous voulez réellement, c’est autre chose que cet ‘’Eveil’’
complet et absolu, alors, soyez béni. Vivez une vie merveilleuse et profitez bien de
l’incroyable banquet débordant de tant de bonnes choses ― matérielles,
psychologiques, spirituelles et New Age à votre portée. Grandissez, développezvous, changez et améliorez in(dé)finiment votre vie. Evoluez, devenez plus mature,
plus profond, plus sage et plus magnifique. Découvrez votre Soi supérieur et votre
objectif ultime et accomplissez-le. Je dis ceci très sincèrement et même, je le constate,
avec une pointe de délicieuse nostalgie de la part de ce qui reste de ‘’David’’. Ce n’est
pas du tout une sorte de statut de seconde classe. Il n’y en n’a pas. Prenez ce que le
Rêve a à offrir. Il est là pour cela, pour en profiter. Il n’y a que la Conscience qui en
jouit, qui le perçoit dans son entièreté par l’entremise des personnages du Rêve, et il
doit bien y en avoir par l’entremise desquels l’amusement de toute la panoplie que
l’on retrouve sur la place du marché spirituel puisse être expérimenté.
Mais dans ce cas-là, ne venez pas ici me parler d’Eveil. Cela n’aurait simplement
aucun sens.
209
CHAPITRE 46 : ETERNEL, NON NÉ
‘’En temps voulu, vous en arriverez à réaliser
Que votre véritable gloire réside
Là où vous cessez d’exister.’’
-
Ramana Maharshi
‘’Vous, pauvre petite chose qui croyez que la mort est réelle,
En tant que telle.’’
-
Ikkyu
Quant à la mort du corps, la soi-disant mort physique, il devrait être clair qu’une
question ou qu’une difficulté ne peut survenir que s’il y a identification au corps.
Ainsi identifié, vous voyez des corps mourir, vous supposez que l’individu distinctif
qui était ce corps est mort avec lui et vous en concluez qu’un jour vous-même, vous
mourrez.
Le sentiment d’un moi individuel de l’ego tente d’entretenir de l’espoir dans une
après-vie, une renaissance, un genre de nouvelle chance, mais les preuves de celles-ci
sont au mieux fort légères et donc, la panique et la peur s’installent, parce que la
mort physique a certainement l’air définitive. La majorité des religions du monde
enseignent une forme d’immortalité, mais vous ne les croyez pas. Si c’était le cas,
vous ne redouteriez pas l’anéantissement de la mort. On a dit que la peur de la mort
était la peur basique et primaire qui engendre toute autre peur et qu’elle était le
facteur psychologique sous-jacent qui modèle toute la vie.
Tout ceci est une illusion et repose sur la conception erronée que vous êtes un
individu inséparablement lié au corps et qui meurt, selon toutes les apparences.
Ce qui est non né ne peut pas mourir. Vous êtes le Non-né. C’est essentiel pour la
Compréhension : comment pourrait-il y avoir une quelconque inquiétude concernant
la mort apparente de ces organismes corps-esprits, ces personnages du Rêve,
lorsqu’il est su que ce que ce que ‘’je’’ suis, ce qu’est le ‘’Je’’ qui anime tous ces
organismes est la Totalité éternelle, sans liens et non née ?
‘’Ce qui est réel ne meurt pas. Ce qui est irréel n’a jamais vécu.
Une fois que vous savez que la mort touche le corps et non Vous-même,
Vous regardez simplement votre corps tomber,
Comme un vieux vêtement abandonné.
Le ‘’Vous’’ réel est intemporel
Et au-delà de la naissance et de la mort.
210
Le corps survivra autant que nécessaire.
Il n’est pas important qu’il vive longtemps.’’ (Nisargadatta Maharaj)
Après la mort du corps, le ‘’Je’’ est la même Présence impersonnelle, intemporelle et
non née qu’Il est avant la naissance du corps. L’identification sous la forme d’un
corps-esprit est une phase passagère qui n’affecte pas ce qu’est le ‘’Je’’.
Mais il y a plus. Même dans le Rêve, même s’il y a identification avec le corps-esprit
que vous appelez vous-même, la peur de la mort est toujours malavisée et inutile.
Nos cultures nous ont rendu un mauvais service en faisant de la mort un
croquemitaine qui ne résiste pas à l’examen. Le modèle médical occidental est que la
mort est un échec et comme tel, elle doit être niée, évitée et repoussée autant que
possible. Cette croyance est fortement ancrée dans notre culture, mais ce n’est qu’un
conditionnement qui n’est pas partagé par beaucoup d’autres cultures.
Effectivement, encore une fois, une petite réflexion révèlera qu’il est fou de penser
ainsi. Une fois que le corps est né, sa mort est absolument inéluctable, étant une
conséquence naturelle de la naissance. Comment alors peut-on raisonnablement
considérer que c’est un échec, quelque chose à éviter ?
Personne n’expérimente sa propre mort et personne ne l’expérimentera jamais. C’est
impossible, par définition. La définition qui est la plus couramment acceptée de la
mort physique, c’est la mort cérébrale, l’encéphalogramme plat, plus aucune
perception sensorielle, de traitement des perceptions, de pensées, d’émotions, de
mémoire, d’activité interne d’aucune sorte, ce que l’on appelle donc une absence
d’expérience. La mort est la cessation de l’expérience dans ce corps-esprit. Par
conséquent, s’il n’y a aucune expérience dans ce corps-esprit, il ne peut y avoir
aucune expérience de la mort dans ce corps-esprit.
C’est comme s’endormir. Toutes les fois où vous êtes tombé endormi au cours de
votre vie, vous n’en n’avez jamais fait l’expérience. Vous expérimentez la
somnolence, vous vous couchez, votre somnolence s’accroit et la chose suivante dont
vous êtes conscient, c’est que vous vous réveillez et postulez qu’à un moment donné,
vous avez dû vous endormir, mais vous n’avez aucune expérience directe de cela,
puisque celui qui aurait fait l'expérience de s'endormir, s'il avait été éveillé, s'était
endormi !
Il en va de même avec la mort. Il y a des perceptions et une expérimentation jusqu’à
la mort, puis l’expérimentation s’arrête et nous disons que le corps-esprit est mort.
C’est simple. La mort n’est jamais expérimentée, parce que l’expérimentation s’arrête.
Comment peut-on craindre ce que l’on n’expérimentera jamais ?
Certes, il est possible qu’il y ait de la douleur ou de la souffrance dans le corps-esprit
avant la mort, avant que l’expérience ne cesse. On peut le craindre ou à tout le moins
ne pas attendre cela avec impatience. C’est une réponse naturelle du corps-esprit.
Soyons donc clair : c’est la vieillesse, un mal ou une maladie spécifique que l’on peut
211
craindre, mais la mort elle-même n’existe pas comme une chose à expérimenter, c’est
juste un mot que l’on donne à la cessation de l’expérience.
La peur de la mort provient surtout de la mésinformation et se base sur la
ségrégation et l'évitement actif de la mort dans nos cultures. En fait, le corps est bien
conçu pour mourir et il est rare que la mort physique elle-même s’accompagne
d’intenses souffrances. Cela arrive, certes, mais plus communément, la douleur ou la
souffrance vient avant, durant la maladie, et quand vient le moment de mourir, les
fonctionnements physiques et mentaux décrochent et se coupent progressivement.
La mort est en général beaucoup plus facile et plus douce que l’imagination
populaire ne le croit et c’est confirmé par ceux qui travaillent régulièrement auprès
des mourants.
Ainsi, à la mort du corps, la Conscience n’expérimente plus le Rêve dans ou via cet
organisme corps-esprit. La force animatrice de la Conscience cesse d’opérer dans ce
corps et donc le corps n’apparaît plus animé, n’est plus sensible, n’est plus ce que
nous appelons ‘’vivant’’ et se désintègre rapidement, se décompose en ses éléments
constituants, mais il ne peut y avoir aucune expérience directe de ceci, puisque par
définition, l’expérimentation a déjà cessé. Et la Conscience qui est ce que le Je est, qui
est ce que vous êtes, qui est la Totalité, continue. Elle est non née, elle ne meurt
jamais, elle est éternelle. Elle n’a jamais été limitée à ce corps-esprit, en aucun cas.
On en revient donc au concept que la seule vraie mort n’est pas la mort du corps,
mais la mort, l’anéantissement du sentiment du moi de l’individu. C’est cette mort,
cet anéantissement du moi que l’ego redoute et par rapport auquel il s’active à
échafauder des fantasmes morbides et macabres. C’est cette mort qui engendre la
peur de la mort physique et c’est cette mort qui vaut en fait la peine d’être examinée.
Il y a une image que l’on rencontre fréquemment dans les rêves : une porte ouverte et
les ténèbres, au-delà. Puis, on franchit cette porte pour tomber dans l’espace vide. A
ce stade, l’ego vous réveille en sueur, la peur de la mort faisant battre votre cœur à
tout rompre.
Mais cette réaction n’est qu’une question de conditionnement, de croyance, une
question d’identification au corps. En fait, cette image est particulièrement
appropriée. Presque toutes les traditions spirituelles préconisent de franchir le pas et
de sauter dans le Vide. Le sens de l’ego de l’individu interprétera nécessairement sa
propre négation comme un vide, ce qu’il n’est pas, où il ne peut se rendre.
Veuillez noter que ce qui suit est très rationnel et très simple, mais transformateur, si
véritablement compris. Il est rare de trouver quelqu’un que le concept a même
effleuré et encore moins quelqu’un qui le comprend réellement. C’est le secret de la
vie et de la mort et la connaissance certaine inhérente à l’Eveil :
Si ‘’ceci’’, le monde des choses et des idées est vu
Comme ce qui est réel, vrai, la ‘’réalité’’,
212
Alors Cela qui est absolument et radicalement ‘’pas ceci’’
Et pour lequel il n’y a ni mots, ni idées dans ‘’ceci’’
Sera nécessairement vu comme un néant, comme irréel, comme un vide.
Alors, Il peut être craint, redouté, nié.
C’est seulement si ‘’ceci’’, cette soi-disant ‘’réalité’’
Est parfaitement comprise comme une illusion fictive
Que ce qui n’est pas ‘’ceci’’
Sera simultanément vu comme Ce-qui-est.
Le Vide n’est donc pas votre ennemi, mais votre Soi réel
Et c’est la fonction du faux sentiment du moi individuel inexistant
De vous le cacher.
La peur et l’évitement sont vus comme étant déplacés.
En fait, ils sont maintenant impossibles ;
Ils disparaissent et le cœur se détourne de l’illusion de ‘’ceci’’
Et s’ouvre à Ce-qui-est,
Sachant que sa véritable gloire se trouve là où elle cesse d’exister.
Il y a beaucoup à dire sur le fait de mourir maintenant, de ne pas attendre que le
corps meurt. Les choses pourraient alors se précipiter. Maintenant, au cœur de ce que
vous prenez pour votre vie, il peut y avoir, si nécessaire, une pratique ‘’affirmative’’
d’édification et de renforcement du moi individuel jusqu’à ce qu’il soit assez fort
pour subir le processus ‘’négatif’’, où il est réalisé que c’est une imposture irréelle,
après tout, qu’il n’a jamais existé et alors, il est possible de le lâcher, de le laisser
tomber et de le laisser mourir.
Alors, il peut y avoir une libération de l’emprise de cet ego qui nous a hanté et qui
nous a tourmenté toute notre vie durant avec l’appréhension de sa propre mort, car il
s’avère n’être rien de réel, pas même une chose contre laquelle lutter ou à s’efforcer
de vaincre. L’ego et sa mort, dont il vous a convaincu que c’est la plus grande peur,
n’est qu’un enregistrement tournant à vide que de l’extérieur, vous pensiez être un
ennemi puissant et redoutable, mais désormais, la prise est enlevée et sa voix meurt.
Voilà ce qu’est ‘’mourir avant de mourir’’, franchir le portail sans porte, sauter dans
le Vide et parcourir l’univers seul.
213
CHAPITRE 47 : UN MONDE MAGIQUE
‘’Le monde est illusoire.
Brahman seul est réel.
Brahman est le monde.’’
-
Ramana Maharshi
‘’L’univers entier dans la totalité des dix directions est un unique joyau étincelant.
-
Gensha
I
La Totalité est comme Elle est.
C’est un monde magique.
Tout est fait de miroirs.
Si ce Rêve a des règles,
Une de celles-ci semble être que si vous vous détournez de quelque chose,
Vous y ferez de nouveau face.
Ce dont vous vous détournez
Et ce vers quoi vous vous tournez,
C’est vous-même.
Seul celui qui voit son vrai visage sans un miroir connaît le Soi.
Alors, la bulle magique éclate
Et toutes les projections cessent,
Car il n’y a que l’Un sans second.
Il n‘y a ni séparation, ni distance,
Car il n’y a rien dont l’on soit séparé ou distant.
Ce qui voit l’étoile la plus brillante ou cette pierre
Avec les yeux d’un être aimé,
D’un étranger, d’une souris ou d’un rapace,
Est ce qui voit avec ce que vous appelez ‘’vos’’ yeux.
Et à un certain ‘’niveau’’, tout le monde le sait.
C’est un murmure, une hantise, un pressentiment,
(Si souvent mal compris),
Comme un implant dans votre esprit.
Ce qui voit, c’est la Totalité
Et Elle est telle quelle.
II
Dans un remarquable petit livre intitulé ‘’Gifts of unknown things’’, le biologiste, Lyall
Watson mentionne le calamar parmi beaucoup d’autres choses. Du point de vue d’un
214
biologiste, il y a beaucoup de choses curieuses concernant le calamar qui ont une
logique assez étrange, si tant est qu’elles en ont une.
Ainsi, le calamar possède un œil qu’il est étonnant de trouver chez un mollusque
comme lui : un invertébré non segmenté assez peu développé. L’œil du calamar est
quant à lui fort développé : un iris, une lentille pouvant se focaliser à des distances
variables et une rétine avec des cellules coniques et des cellules en bâtonnets pour
percevoir les contrastes et les couleurs. L’œil du calamar est aussi développé que
l’œil humain et il possède la capacité de voir aussi bien. Malgré cela, l’animal auquel
cet œil est attaché n’a pas un cerveau qui soit doté de quoi que ce soit qui approche la
capacité de traiter l’information visuelle fournie par cet œil étonnant. En fait, il n’a
même pas réellement de cerveau du tout. Son système nerveux n’a que des ganglions
nerveux très rudimentaires qui servent les fonctions motrices de base de l’organisme
et pas de cerveau, pas de centre optique pour former des images à partir de la vaste
quantité d’informations reçue par cet œil complexe.
De plus, il y a littéralement des milliards de calamars. Ceux-ci sont très mobiles et
sont présents partout dans les océans, à toutes les profondeurs, tous les gradients
thermiques, dans chaque océan du monde, jour et nuit.
Un œil capable de la meilleure vision que l’on puisse trouver sur cette planète et qui
est attaché à un organisme très mobile et très répandu, mais extrêmement simple, qui
se reproduit facilement et doté d’un système nerveux rudimentaire n’ayant
pratiquement aucune capacité de traitement optique.
J’ai lu le livre, il y a de nombreuses années, mais je me rappelle toujours avoir été
totalement scié par les implications du trait d’esprit par lequel Watson a conclu son
analyse du calamar :
‘’Les visiteurs sont prévenus que ces installations sont sous surveillance constante en
circuit fermé.’’
A présent, je me demande si Watson savait combien il était proche :
‘’Voir vraiment n’est pas simplement un changement dans la direction de la vision,
mais un changement en son centre même par lequel celui qui voit disparaît luimême.’’ (Ramesh)
Il est clair que ce ne sont pas les corps/esprits, ni les organismes, humains ou
calamars qui voient.
Ce qui voit par l’entremise de l’œil du calamar est ce qui voit par ce que vous
appelez ‘’vos’’ yeux.
Ce qui voit, c’est la Totalité.
215
CHAPITRE 48 : TOUT VA BIEN
‘’Ô Résident intérieur !
Tu es Lumière dans le lotus du cœur.
Tu es dans chaque cœur
Et si l’esprit de celui qui cherche
S’ouvre juste une fois pour T’accueillir,
Vraiment, celui-ci est libre à tout jamais.’’
-
Shankara
Il y a tellement d’inquiétude, tellement d’angoisse, tellement d’agitation. Des
milliards d’organismes corps/esprits qui essayent, qui aspirent, qui espèrent, qui
s’efforcent et qui luttent. Rarissimes sont ceux qui sont exempts de toutes ces
récriminations intérieures, de cette peur silencieuse. Dukkha, la souffrance est la voie
de toute la Terre.
Si vous lisez Silence of the Heart (le Silence du Cœur) ― les transcriptions des
entretiens avec Robert Adams ― vous l’entendrez répéter que tout va bien, encore et
encore. Son Maître (‘’après coup’’, comme Ramesh le fut dans ce cas-ci) fut Ramana
Maharshi qui répondait si souvent similairement à toutes sortes de questions : tout
va bien !
Je dis souvent que la Compréhension, que cet enseignement n’est pas une affaire de
(ré)confort. Il ne vise pas à aider l’ego à se sentir en sécurité, ni à son aise. La
Réalisation du Soi est un anéantissement pur et simple. La vérité, c’est que ‘’vous’’
n’existez pas ! Il ne peut pas être question que ‘’vous’’ soyez (ré)conforté. Il ne s’agit
pas de (ré)confort, il s’agit de vérité. Si la vérité doit être connue, le moi individuel ne
doit pas être (ré)conforté, mais complètement lâché, anéanti et dissous. Il n’y a pas
d’autre moyen. Il n’y a pas moyen de s’éveiller, toute en restant confortablement
endormi. (Ré)conforter, entretenir et renforcer le sentiment du moi individuel ne
peut qu’aboutir à la perpétuation de la souffrance. Le sentiment du moi individuel
qui recherche le (ré)confort doit toujours être frustré.
Et pourtant. Et pourtant, si seulement une fois, juste un seul instant, il pouvait y
avoir un lâcher-prise, il pouvait y avoir ce déclic du changement de focalisation et
qu’il soit vu au-delà du moi individuel et que celui-ci soit vu pour ce qu’il est ― soit
un écho, un fantôme et un rêve ― alors il y aura ‘’quelque chose’’. Alors, le moi de
l’individu a disparu et il n’a plus besoin d’être (ré)conforté. Le moi de l’individu
n’était qu’une pensée, qu’une idée, qu’une fausse imagination réclamant d’être
confortée. Quand la vraie nature des choses est vue, quand elle est perçue, alors vient
quelque chose qui dépasse de loin le (ré)confort.
Il est vu que ce que l’on est, c’est la Totalité qui est une effusion constante d’Amour
qui transcende l’amour, de Beauté qui dépasse la beauté, de compassion, de félicité,
216
de gratitude, de splendeur, d’émerveillement et de perfection ― un épanchement qui
dépasse toute compréhension.
La Totalité est décrite comme Sat-Chit-Ananda. Ce n’est pas un être, mais l’Etre,
l’Existence Elle-même, et non une chose qui existe. C’est la pure Conscience. L’Etre
qu’est la Conscience est absolu, parfait, illimité et déborde en Lui-même,
inendiguable, étant toujours partout et toute chose.
Ce débordement, cet épanchement de l’Existence, de la Conscience même est la
totalité de ceci : la totalité de cet univers, des mondes des sens et des idées, des
mondes des choses et des non-choses ― ces corps, ces esprits, ces arbres, ces routes,
ces maisons, ces écureuils, ces insectes et ces téléphones.
Tout ceci, chaque chose, partout, n’est pas ce qu’il y paraît, quelque substance
matérielle solide et distinctive. Les physiciens vous diront ceci : à y regarder
suffisamment de près, ce corps ou cette table ne sont pas de la substance solide, mais
ils sont composés de molécules, d’atomes, de particules subatomiques, qui ellesmêmes ne sont pas du tout des particules, mais des moments d’énergie. Je vous dis
que cette énergie qui est toute chose est Ce que Vous êtes, est la Conscience, l’Etre qui
déborde de Lui-même en Lui-même. C’est ce que l’on appelle l’Ananda, parce que la
nature même de la Conscience qui déborde en Elle-même est amour parfait, beauté,
complétude, béatitude. Cette diffusion (ce streaming) est ce que l’on perçoit comme
tout ceci, comme tout ce monde de fous ― y compris le corps/esprit que ‘’vous’’
pensez être. Mais en vérité, vu tel quel, il ne s’agit pas de ‘’vous’’ et cette ‘’voiture’’
n’est pas une voiture, ces ‘’provisions’’ ne sont pas des provisions. Ce sont tous là des
diffusions de l’Amour pur, de la Lumière, de la Conscience.
C’est clair et évident. Ici, c’est toujours vu et une fois que c’est vu, cela ne peut plus
ne plus être vu. C’est inexprimable, indicible. Il n’y a aucun moyen de communiquer
ceci sans avoir l’air d’être un doux dingue qui déraille, mais c’est la vérité. Tout va
bien. Tout va incroyablement bien ! Le citoyen lambda dort. Il est aveugle. Et donc,
chacun mène une vie de désespoir ou de désespérance tranquille, chacun vit dans
l’inquiétude et dans la peur, mais les rares qui sont éveillés et qui voient clair
témoignent d’une vie vécue dans un émerveillement total et permanent.
Et puisque chaque chose est littéralement constituée à partir de cet Amour pur qui
transcende l’amour et qui se diffuse ainsi, puisque cet Amour pur qui transcende
l’amour est la ‘’substance’’ à partir de laquelle est fabriqué tout ce que l’on perçoit
comme étant la création, alors comment quoi que ce soit ne pourrait-il pas aller bien ?
Toute chose, y compris la plus infime est Dieu, le Soi, votre propre et véritable nature
et la vraie nature de la Totalité, la pure Conscience, l’Amour pur qui Lui-même
déborde.
La race humaine n’a vraiment aucune idée de ce qu’est l’Amour.
217
Je ne peux pas donner du réconfort au moi individuel qui en réclame. Il est possible
que d’une manière limitée, d’autres le peuvent en racontant des histoires ici dans le
Rêve qui procurent un peu de réconfort fictif à ces mois fictifs.19
Mais s’il peut y avoir un lâcher-prise total de cette idée d’être un moi séparé, alors ce
qui est vu, c’est l’Amour, la Compassion et la Félicité que vous êtes et qu’est la chose
la plus infime.
Faites-moi au moins confiance sur ce point. Il n’est pas possible que quoi que ce soit
n’aille pas bien. Tout est perfection, un débordement d’Amour et de Félicité purs.
Toute perception du contraire n’est simplement pas juste. Tout va bien. Totalement.
Svaha !
19
Peut-être est-il intéressant de souligner ici qu’il y a des ‘’Eveillés’’ qui procurent un certain réconfort aux
individus en sachant très bien que sans avoir reçu préalablement un tel réconfort, ces individus (aussi fictifs
qu’ils soient) ne seront pas prêts à se lancer dans une sadhana qui leur permettra de transcender leur ego fictif.
Je pense notamment ici à Amma (Mata Amritananda Mayi), à Sathya Sai Baba, mais aussi à des Maîtres comme
Swami Prajnanpad (le Maître spirituel d’Arnaud Desjardins et de Denise Desjardins) qui s’occupait également
de soigner les blessures psychologiques de ses rares disciples. Ainsi, certains Maîtres font aussi office de
psychologues, de psychothérapeutes ou de psychanalystes, d’autres de ‘’Père divin’’ ou de ‘’Mère divine’’, alors
que d’autres encore ne s’adressent qu’à des chercheurs spirituels déjà plus mûrs ou plus aguerris et vont droit
au but, NDT.
218
CHAPITRE 49 : UNE PARABOLE : ÉVEILLEZ-VOUS !
‘’Le mental et Maya sont un.
Maya se fond dans le mental.
Les trois mondes sont plongés dans l’illusion.
A qui puis-je expliquer ceci ?’’
-
Kabir
I
Tandis que ce livre était en cours de préparation pour l’impression, des nouvelles
inhabituelles se sont insinuées jusque dans ce petit coin de l’univers. J’avais passé
l’hiver profondément occupé à prendre soin de mes parents qui prenaient de l’âge et
scotché à l’ordinateur à travailler sur le manuscrit final et donc, j’étais un peu à
l’écart et par ailleurs, même en cette ère digitale de l’Internet et des e-mails, les
collines recouvertes de neige du Vermont ne sont pas exactement le centre du monde
de l’advaita et c’est ainsi que quelques mois passèrent avant qu’un bon vieux coup de
téléphone ne m’apporte des nouvelles dans ce bastion rural reculé.
Ce qui suit est une parabole. Ecoutez bien.
Quelques mois après mon ultime visite chez Ramesh, il semble qu’il se soit produit
une situation quelque peu similaire via laquelle de nombreux chercheurs ont été
exposés au comportement étrange de leur bien-aimé Maître et sa déviation par
rapport à l’enseignement de la non-dualité pure. Lors d’un séminaire international
organisé sur la côte occidentale de l’Inde, ce Maître bien-aimé a apparemment
manifesté un comportement erratique et présenté un enseignement incohérent, ce qui
n’était pas sans rappeler ce que j’avais déjà pu observer chez le Maître, quelques mois
auparavant.
D’après la majorité des témoignages, les quelque 150 fervents chercheurs spirituels et
fidèles de longue date qui étaient présents furent étonnés par la manière
anormalement défensive et ergoteuse dont le Maître traitait les questions en
répondant souvent par des incohérences et par des choses inappropriées ― ses
commentaires portant gravement atteinte au standing moral de son propre guru et
d’autres Maîtres ― par sa déviation nette des purs enseignements non-duels de la
sagesse éternelle et par ses déclarations que seul son enseignement était correct et
que tous les autres qui étaient venus avant étaient faux !
Au dire de tous, l’assemblée versa dans la confusion, les récriminations, les
accusations et le chaos général. Au beau milieu de tout cela, quelque chose d’encore
plus curieux fit surface. Des accusations d’inconduite sexuelle furent proférées à
l’encontre du Maître bien-aimé, des accusations qu’il nia d’abord catégoriquement
avant de les admettre et de s’en excuser brièvement, puis de les rejeter
immédiatement comme étant dénuées de pertinence et sans importance. Il est inutile
219
de dire que les fidèles dévoués du guru qui était ‘’largement considéré comme le plus
grand sage vivant du monde‘’ étaient effondrés.
La vie est bordélique, n’est-ce pas ? De qui diable est-ce le Rêve, de toute façon ? Les
choses ne fonctionnent jamais tout à fait comme elles sont ‘’censées’’ le faire. On ne
peut qu’entendre les espoirs désillusionnés, les rêves et les projections qui se brisent
tout autour de soi. Il n’est pas rare, bien sûr que des gurus célèbres et bien aimés
s’embrasent et chutent. Ce sont les risques du métier, apparemment. Les pressions
qui s’installent, les attentes et les projections de toutes parts sont énormes et
intrinsèquement instables.
Laissez-moi être clair : je ne connais pas tous les détails de ce qui s’est passé. J’ignore
qui d’autre était impliqué, pourquoi ou les explications. Franchement, cela ne
m’intéresse pas. Je n’ai aucun intérêt à condamner le Maître, ni à l’excuser, ni à
condamner, ni à excuser ses accusateurs. Depuis cette perspective, il n’y a aucune
raison de le défendre, ni de m’associer au chœur des voix qui le décrient. Rien n’est
en jeu ici, rien ne se passe. Le drame du Rêve se déroule et qui se soucie de ce que
‘’fabriquent’’ les personnages du Rêve ?
Il règne une telle peine, une telle confusion autour d’un tel ‘’événement’’ qu’il est
compliqué de procéder à une enquête. Dans de telles circonstances, la tendance est
de projeter, d’extérioriser encore plus que de coutume, ce qui ne fait qu’exacerber la
peine et la confusion. Des moments comme ceux-ci sont des moments de crise, au
sens premier du mot grec, soit un moment décisif ou un tournant.
Il y a une opportunité ici, si seulement on peut la voir au milieu de la tempête. Il y a
l’opportunité de voir tout ce qui surgit ici ― la déception, l’angoisse, les
récriminations, les reproches, les demandes d’explications, de faire amende
honorable, comme les projections extérieures qu’elles sont et une invitation à se
tourner vers l’intérieur et à regarder en soi où l’on peut trouver les causes profondes
et leur résolution.
De la part des gestionnaires et des promoteurs du Maître bien-aimé, la colère est bien
entendu compréhensible. Si vous vous êtes engagé en toute bonne foi à assurer le
marketing de quelque chose pour vous rendre compte que ce dont vous faites la
promotion n’est pas comme vous vous le représentiez, il serait plutôt naturel d’être
furieux et de se sentir trahi et trompé.
Un peu plus navrant (mais guère étonnant) est la vitesse à laquelle des fidèles
zélateurs et loyaux se dirigèrent vers la sortie en lançant derrière eux des
condamnations. Ceci illustre le lieu commun qu’ici, dans la dualité, l’amour et la
haine ont beaucoup en commun et ne sont jamais bien loin.
D’autres fidèles rationnels, mais à présent terriblement blessés (d’anciens fidèles)
entreprirent presqu’instantanément de démolir leur Maître bien-aimé. ‘’Tout ceci
remet en question le fait qu’il fut jamais illuminé, qu’il ait jamais possédé la
220
Compréhension ultime !’’ Vraiment ? Eh bien, s’il n’était pas illuminé, que faisiezvous donc assis à l’écouter pendant toutes ces années, à recevoir toutes ces profondes
intuitions spirituelles ? ‘’Nous étions dans l’erreur.’’ Eh bien, si vous étiez alors dans
l’erreur, ne pourriez-vous pas être dans l’erreur maintenant ? Comment le sauriezvous ? Avez-vous même la moindre idée de ce dont vous parlez ? L’ego est si affolé
d’avoir été pris avec le pantalon baissé (pour ainsi dire), d’avoir juré sa dévotion,
d’avoir eu les yeux de Chimène pour le grand Guru qui était censé faire de vous l’un
des rares élus, mais qui s’avère être un vieux cochon (oups !), qu’il fait marche arrière
toute et qu’il paraît encore moins sensé qu’à l’accoutumée. Réécrire l’histoire est la
plus ancienne forme de manipulation de l’image.
Triste hochement du bonnet. ‘’Plus jamais je ne pourrai l’appeler Bhagavan,
dorénavant !’’ Mais vous êtes dingue ? Vous êtes Bhagavan et le chauffeur de chez
UPS est Bhagavan et Bill Clinton et George Bush sont Bhagavan et les ratons laveurs
qui maraudent et qui pillent mon jardin sont Bhagavan et Madonna, Britney Spears
et la grand-mère de J. Lo sont Bhagavan, bordel de Dieu ! L’orangeade, les tortillons
au fromage et les biscuits Oreo sont tous Bhagavan ! Comment un vieux croûton
pourrait-il déroger ?
Très bien. Si l’on devait produire un commentaire sur la stature relative de ce Maître
bien-aimé particulier, je ne connais personne parmi les figures de proue de l’advaita
(autres que ceux qui furent ses propres disciples, bien entendu) qui aurait soutenu
qu’il avait jamais été du calibre intransigeant d’un Ramana Maharshi ou d’un
Nisargadatta Maharaj, même avant cet événement. Ce Maître bien-aimé ne
soutiendrait lui-même rien de tel et ne l’a jamais fait. C’est un adepte classique dans
la tradition des jnanis, un esprit intelligent, adroit et implacable qui dit qu’il se
considère chanceux de ne jamais avoir eu de grandes expériences spirituelles ou
mystiques.
Chez le Maharshi, il y avait non seulement un tel esprit, mais un cœur qui avait
totalement éclaté pour se consumer dans l’Amour au-delà de l’amour qu’est la
Totalité. Et quand ce qui est compris par l’esprit est aussi connu par le cœur, quand
l’esprit et le cœur ne sont plus deux, cette vision est encore plus profonde que la
compréhension. Regardez leurs photographies ; c’est même évident là. Les yeux du
Maître bien-aimé sont perçants, pénétrants, voire insistants et c’est captivant,
stimulant, inspirant. Ceux de Ramana sont l’Infinité, le Vide, la mort totale du moi
dans l’Amour et c’est indicible.
Alors, Eveillé ? Qui peut le dire ? Qui pouvait le dire avant cet événement et qui peut
le dire maintenant ? Auparavant, on se précipitait pour l’acclamer comme ‘’sans
conteste, le Maître phare du monde à l’heure actuelle…’’ Mais qui diable est donc
qualifié pour porter un tel jugement ? Et maintenant, on se hâte de dire qu’il est
bidon. Regardez en vous. Si vous pensiez qu’il était éveillé auparavant et si à présent,
vous avez des doutes, vous devez avoir l’honnêteté de réaliser qu’apparemment, les
événements peuvent vous donner tort et que vous n’êtes pas en position maintenant,
pas plus que vous ne l’étiez alors, de juger. Dans quelle mesure la compréhension du
221
non-soi pénètre dans le cas de chaque corps-esprit, c’est entre celui-ci et Dieu, pour
utiliser la propre terminologie du Maître bien-aimé.
Quel besoin y a-t-il de coller l’étiquette de Maître à quelqu’un ? Quel besoin y a-t-il
de coller l’étiquette d’imposteur à quelqu’un ? Qu’espère-t-on ? Où se situe la
déception ? Si vous en arrivez à ne plus être d’accord avec un guru ou à ne plus
apprécier un guru, vous pouvez rester ou partir. Aller voir ailleurs. Ou pas. Ce qui
doit arriver est ce qui arrive avec le flux de la Conscience. Le courant de la
Conscience s’occupera du guru, comme il s’occupera de vous. Que doit-on blâmer ?
S’il vous plaît, voyez bien qu’il ne s’agit pas de cela. A l’instar de toute chose dans la
manifestation, ce n’est pas comme il y paraît.
II
Des amis bien intentionnés parlent de ce ‘’terrible scandale’’ et demandent : ‘’Que
devons-nous faire, maintenant ?’’
Bon, reprenons depuis le début. Ceci a été dit ici plusieurs fois, mais nous voici dans
les tranchées, alors montons une fois de plus au créneau. Tout ce qu’il y a, c’est la
Présence, la Conscience. Cette pure Présence, cette pure Conscience, la Totalité se
manifeste sous la forme de tout ce monde de gens, de choses et d’idées. Il n’y a
aucune personne, aucune entité distinct(iv)e d’aucune sorte, nulle part. Toute
séparation et distinction en individus ou entités distinct(iv)es et séparées fait partie
de cette illusion partagée et globale où peine celle qui se considère comme étant la
race humaine. A qui puis-je l’expliquer ?
Vous inventez tout ceci ! Littéralement ! Tout est une projection du mental dans la
Conscience. Vous vous racontez des histoires. Tout le château de cartes est
constamment fortifié en vous racontant des histoires de distinction, à l’image de celleci. Pouvez-vous le voir ? Arrêtez, alors ! ‘’Rentrez chez vous !’’ Eveillez-vous !
Une fois que ceci est compris, vu, perçu, tout problème, toute préoccupation qui a
jamais été connu(e) ou qui sera jamais connu(e) disparaît, parce que tous les
problèmes et toutes les préoccupations se basent sur les distinctions, sur la croyance
en la séparation.
Incontestablement, le Maître bien-aimé ne parle pas comme Maharaj parlait, toujours
sans compromis, du seul point de vue de l’Absolu. Le Maître bien-aimé dit souvent
― et de plus en plus dernièrement ― des choses qui semblent certainement très
dualistes. Peut-on soutenir que dans la tradition de la ‘’folle sagesse’’ des gurus, tout
ceci soit dit délibérément dans l’optique d’éloigner les chercheurs du piège d’une
grande pensée spectaculaire et de les ramener dans leur propre cœur jusqu’à ce qu’ils
soient prêts à voir ceci par eux-mêmes ? Ou peut-être y a-t-il quelque ‘’défaillance’’
dans le corps/esprit du Maître bien-aimé ? Cette ‘’défaillance’’ est-elle purement une
question d’ego et de manque de compréhension ou bien y a-t-il un élément
222
biologique ou physiologique impliquant son âge avancé ? Tant que l’on considère
ceci du point de vue des personnages du Rêve qui se prennent ― ainsi que n’importe
quel maître, bien-aimé ou pas ― pour des individus, d’une façon ou d’une autre, il
semblera y avoir un problème.
Mais voyez-vous, et alors ? Voici ce qu’il en est. Tout ceci est la Présence et tout ceci
se produit dans cette Présence, dans cette Conscience par l’intermédiaire de
corps/esprits apparents et une fois qu’il n’y a plus aucune identification comme l’un
de ces organismes, comme l’un de ces corps/esprits, alors ce qui arrive dans
n’importe lequel de ces organismes n’est tout simplement pas important. Si vous êtes
perturbé par le Maître bien-aimé, vous ne voyez pas que vous êtes le Maître bienaimé ou plus précisément que Ce que vous êtes, le Maître bien-aimé l’est.
Il est inévitable que toute la variété et toute la gamme d’événements, de
comportements, de pensées et de vies possibles se produiront et il est tout autant
inévitable qu’il y aura des parties de cette variété que vous n’aimerez pas. Ce n’est
que l’ignorance, et souvent une ignorance plutôt ‘’bien-pensante’’ qui juge cette
infinie variété et trouve certaines choses ‘’appropriées’’ et d’autres pas.
Tout ceci est le déploiement parfait de la Totalité, de la Conscience. Celui que l’on dit
sage le sait et sait que le corps et l’esprit dont on l’affuble sont compris dans cette
compréhension.
Ceci est très loin d’être politiquement correct, mais pouvez-vous voir que projeter
votre colère et votre venin et votre indignation sur une ‘’personne’’ que vous
considérez à tort comme séparée de ‘’vous’’ et que vous placez comme quelqu’un de
spécial sur un piédestal et que vous attachez ensuite à un ensemble particulier de
règles arbitrairement élaborées qui prévalent dans une culture particulière à une
époque particulière, seulement pour qu’elles vous désillusionnent ensuite…est
absurde ?
Scénario 1. Quand la désidentification totale en tant qu’un moi distinct(if) se produit
– en tant qu’entité individuelle – tout ce qu’il y a, c’est la Conscience, et personne de
conscient. Il peut y avoir la contemplation d’une différente approche de
l’enseignement pour quelque raison qui prenne forme dans l’esprit. Il peut y avoir la
contemplation d’actions ‘’inappropriées’’ qui se produisent. Il peut y avoir la
contemplation, ou pas, de la pensée que ces choses pourraient avoir des
répercussions en temps voulu. Il pourrait y avoir la contemplation de la fureur et de
la réaction des ‘’autres’’ corps/esprits apparents, quand ces choses seront connues.
Peut-être y a-t-il la contemplation d’une tentative de minimiser le chaos en essayant
d’expliquer la perspective que rien de ceci n’est, que rien de ceci n’a de l’importance,
ou peut-être y a-t-il simplement la contemplation que cette contemplation
impersonnelle elle-même soit interprétée comme du ‘’déni’’, de ‘’l’insensibilité’’ ou
une ‘’couverture’’. Rien de ceci n’a de l’importance. Tout se déroule parfaitement. Ces
choses se produisent tout le temps. Pourquoi devrait-ce être plus important, si cela se
produit dans ce corps/esprit plutôt que dans un autre ?
223
Scénario 2. Qu’est-ce qui conduirait un Maître spirituel respecté à répudier
l’enseignement spirituel pour lequel on l’a respecté ? A contredire en son nom propre
l’enseignement reçu dont il était le gardien ? Si peut-être, le propre Eveil d’un tel
Maître avait consisté en une expérience et une conscience un peu moindres que
l’anéantissement total du moi, si hypothétiquement, la désidentification totale en tant
qu’entité séparée dont tous les Maîtres, y compris son propre guru ont parlé, ne
s’était pas réellement produite dans son cas et si malgré tout, son Maître lui avait
clairement dit des choses qu’il avait à tout le moins interprétées comme une
affirmation que l’Eveil s’était produit, au fur et à mesure que la vie progresse,
l’expérience continue d’exister en tant que moi séparé se poursuivrait – en dépit du
fait qu’il a été dit que l’Eveil s’était produit. Ceci ne créerait-il pas une certaine dose
de stress dans le système corps/esprit ? D’une part, il y a l’enseignement reçu de la
sagesse éternelle que cet Eveil consiste en l’anéantissement de tout sentiment d’un
moi séparé et initialement, il y a la transmission de cet enseignement, mais
simultanément, il y a une expérience continue de vivre en réalité comme un moi
séparé. En toute bonne foi et avec les meilleures intentions, l’explication reçue de ce
qu’est l’Eveil ne devrait-elle pas subir une interprétation et une modification ?20
Scénario 3. Comment serait-ce, même pour un sage, d’avoir des étudiants instables
qui vous entendraient dire ‘’vous n’êtes pas ce corps, vous êtes la Totalité !’’ et de les
faire finalement lâcher les amarres pour verser dans une mégalomanie psychotique ?
Cela ne vous amènerait-il pas éventuellement à modérer l’enseignement, à dire et à
faire certaines choses pour éloigner activement ces chercheurs un peu limites de ce
truc de fous en faisant confiance à la Conscience pour que ceux qui le veulent le
trouvent, de toute manière ?
Scénario 4. Dans tous les cas, quel part l’âge qui avance et ses effets sur l’esprit et le
corps auraient-ils dans tout ceci ?
Ou scénario 5. Peut-être que ce gars est un enfoiré et un parfait imposteur depuis le
début jusqu’à la fin.
Réfléchissez-y. Le sauriez-vous ? Comment le sauriez-vous ? Et est-il important de
savoir ? Qui pense qu’il est important de savoir ?
Ah, maintenant, nous arrivons enfin quelque part ! Notre vieil ami, ce sentiment
d'être un moi distinct(if), le soi-disant ego, cette hallucination confortée, doit
continuer à se conforter.
Tout ceci se fait à l’aide de miroirs. Il vous faut réaliser que s’il y a des problèmes
concernant un ego ‘’là-bas’’, il y a des problèmes concernant un ego ‘’ici’’. Peu
importe que vous ayez raison ou tort à propos de l’ego là-bas.
20
Eventuellement, dans le livre ‘’L’appel de l’Etre’’, de Ramesh S. Balsekar, une partie des entretiens s’tend, en
long et en large, sur le thème de l’Eveil et l’Eveil de Ramesh y est déjà précisément discuté sous toutes les
coutures, et il répond à cela très spontanément, NDT.
224
Que se passe-t-il dans l’organisme corps/esprit du Maître bien-aimé ? Y a-t-il des
remords ou des regrets ? Y a-t-il de l’arrogance ou de la colère ? La paix ou
l’amusement règne-t-elle/il ? Comment pourriez-vous le savoir ? Ce qui survient
survient et ce qui doit survenir surviendra. Si c’est dans le déploiement de la Totalité
qu’il s’autodétruise, cela se produira. S’il doit sortir indemne de tout ceci, comme un
grand Maître, cela arrivera. S’il doit poursuivre, plus ou moins comme avant, alors
les évènements y contribueront. Tout est réglé.
‘’Des rétributions secrètes rétablissent toujours l’équilibre de la justice divine, quand il est
dérangé. Il n’est pas possible de faire pencher la balance…L’homme, la particule, l’étoile et le
soleil doivent s’aligner ou être pulvérisés par le recul.’’ (Ralph Waldo Emerson)
Le Maître bien-aimé n’a rien ‘’fait’’ à personne. Si on fait de quelqu’un un dieu et si
ultérieurement, il devient manifeste que la Conscience se diffuse ici par l’entremise
d’un instrument ‘’défectueux’’, eh bien, qu’il en soit ainsi. C’est une fameuse surprise
et bienvenue à vos projections ! Des projections par l’entremise desquelles le faux
sentiment du moi peut continuer à croire en lui-même.
III
Le sujet de l’inconduite sexuelle est très lourdement chargé. Beaucoup peuvent avoir
l’impression que c’est particulièrement important, mais depuis cette perspective,
cette hypothèse doit être examinée.
Je lisais récemment que le Mahatma Gandhi, dans ses dernières années, était connu
pour régulièrement dormir à côté de ses nièces préadolescentes à peine pubères. Oh
la la ! La culture dans laquelle on vit aurait vite fait de cataloguer cela, non ? Vous
rappelez-vous la réponse de Nisargadatta Maharaj à la question de savoir si le sage
fera toujours preuve d’un comportement exemplaire ? De quoi parlez-vous ?
Exemplaire selon qui, conformément à quelles normes ?
Ces normes morales culturelles varient énormément suivant les époques et les
endroits. Pour la majorité, c’est difficile à accepter. Nous avons tous été éduqués
(plutôt contraints, réellement) à absolutiser les normes actuelles comme étant
‘’naturelles’’, ‘’dispensées par Dieu’’, ou ‘’allant de soi’’, alors qu’en fait, elles sont
tout à fait relatives. Il peut y avoir de la place pour de la tolérance à l’égard de
certains types de comportement… mais pas par rapport à ça…peu importe ce que ça
s’avère être pour vous. Ce n’est même pas ouvert à la discussion, ni dans la société en
général, ni parmi les chercheurs spirituels, et les sanctions pour ne pas être d’accord
sont les plus sévères qu’une société puisse infliger.
Par ailleurs, mes amis les Shuars de la jungle amazonienne ont une société très
évoluée, à bien des égards plus éclairée que la nôtre et qui fonctionne sans
anicroches, joyeusement, respectueusement et sainement depuis littéralement des
milliers d’années et qui le fait à partir d’un ensemble de normes sexuelles, de mœurs
225
et de pratiques qui les feraient tous atterrir dans un pénitencier fédéral, marquer au
fer comme des pervers et lister sur Internet comme des délinquants sexuels, si les
‘’bonnes personnes’’ des Etats-Unis d’Amérique avaient quelque chose à dire à ce
sujet.
De quoi parlez-vous ? Exemplaire selon qui, conformément à quelles normes ?
Au risque de m’attirer l’ire et les foudres des masses politiquement,
psychologiquement et spirituellement correctes, permettez-moi de dire ceci aux
femmes qui furent impliquées (et qui ont déclaré que leur implication était volontaire
et nullement forcée par le Maître bien-aimé), ainsi qu’à toutes celles qui peuvent
s’identifier à elles, d’une façon ou d’une autre, et encore à celles qui étaient ou qui
sont engagées dans une relation guru-dévote avec le Maître bien-aimé et qui sont
troublées par ces événements. Je ne sais pas qui vous êtes et ceci n’est pas destiné à
vous offenser, mais c’est dit dans un souci de sollicitude et de compassion.
Lorsque la requête ou la suggestion a été faite, initialement, pourquoi n’êtes-vous pas
parties au triple galop pour rentrer à Sedona (ou à Chelsea ou à Munich…) ? Ou
pourquoi n’êtes-vous pas tout simplement sorties, parties ailleurs pour trouver un
autre guru ? N’était-il pas déjà assez clair à ce stade, depuis votre point de vue de
‘’personne’’ corps/esprit identifiée, que quelque chose n’allait pas ? Si maintenant,
vous estimez que ce n’est pas approprié, comment aurait-ce pu l’être alors ? Arrêtezvous afin d’examiner ceci. Si tout cela est si exploiteur, manipulateur et sordide, que
faites-vous au milieu de tout cela ?
Au lieu de regarder à l’extérieur, regardez à l’intérieur. Ce besoin d’être spécial est
puissant, n’est-ce pas ?
Bien entendu, la relation guru-disciple est inégalable et le guru porte une grande
responsabilité. Laissez le guru assumer son rôle et considérez le vôtre. Même si votre
rôle n’est qu’un dixième du sien, si vous vous focalisez sur son rôle et si vous évitez
d’examiner le vôtre, vous serez toujours impotentes, d’autant plus que vous en
trouverez toujours beaucoup pour être d’accord avec vous et qui vous soutiendront
dans vos blessures. Vous pouvez utiliser ce soutien pour ‘’avoir raison’’, pour être à
jamais une victime d’un Maître bien-aimé devenu mauvais, et par la même
consolider votre identité et votre sentiment d’un moi individuel ou bien alors, vous
pouvez progresser vers la liquidation de tout cela et la réalisation de qui Vous êtes.
Quelle invitation, quelle opportunité extraordinaire et unique dans une vie de vous
éveiller !
Ainsi, il semble que vous ayez aidé à discréditer publiquement un vieil homme (qui à
vrai dire se débrouillait pas mal pour le faire lui-même, même sans votre aide) et à
vous couvrir de honte. Qu’allez-vous faire, maintenant ?
Puis-je faire une suggestion ? Et je la fais à ceux et à celles dont la principale
préoccupation concerne le comportement sexuel inapproprié d’un Maître dans une
226
telle position, comme à ceux et à celles qui sont plus dérangés par la corruption de
l’enseignement. Et bien sûr, vous pouvez considérer ceci comme facultatif. Cela ne
relève pas de vous, de toute façon.
Faites marche arrière. Reculez. Où que vous en soyez arrivés, que vous blâmiez
quelqu’un d’autre, que vous vous blâmiez vous-mêmes, que vous vous sentiez
justifiés ou utilisés, déçus ou trahis, faites marche arrière. Tout ceci n’est qu’une
façade. C’est le monde que l'on superpose à ton regard pour t'empêcher de voir la vérité.
Vous pensez que ceci est réel, aussi réel que possible : vous, cette vie, ces
événements. En vérité, tout ceci, tout ce que vous avez l’impression d’être réel et
important n’est qu’une histoire, n’est qu’une croyance conditionnée dans l’esprit.
Revenez, retournez à ce qui était antérieur à ceci.
Aujourd’hui, à notre époque, on vous raconte qu’il y a un Maître illuminé en Inde et
que vous pouvez acheter un billet d’avion et vous retrouver au bout de quelques
heures assis sur une carpette en face de lui. La machine à rêves américaine vous a
poussés à croire que vous pouviez prendre un raccourci d’un millier de vies et
simplement vous rapprocher autant que faire se peut de ce que vous avez entendu
être le top.
Selon les standards des gurus indiens, ce Maître bien-aimé est très occidentalisé, très
gentil et ne parle pas du tout en termes radicaux, ce qui fait en sorte qu’il est très
apprécié, mais ceci tend à occulter le simple fait que la plupart de ceux qui se sont
présentés chez lui n’étaient quelque part pas à niveau. Je ne veux réellement
nullement blesser les sentiments de personne ici, mais en gros, vous avez été à
quelques séminaires, à quelques satsangs, à quelques retraites de méditation, vous
avez visité quelques ashrams ou vous avez eu quelques initiations et à présent, vous
vous figurez être prêts pour ‘’le grand moment’’. Mais tout ceci n’est qu’un rêve.
Ramana Maharshi vous aurait probablement simplement ignorés, vous et vos
questions, comme ce fut le cas pour beaucoup. Nisargadatta Maharaj vous aurait
éjectés, sans cérémonie. Le Maître bien-aimé, lui, sourit et parle de se sentir à l’aise et
paisible dans la vie quotidienne et vous vous sentez bien et vous allez prendre un
chai avec les autres chercheurs et discuter le coup et tout ceci est très gratifiant et
vous avez l’impression que vous allez réellement quelque part.
Cela ne fait aucune différence. Tout cela n’est que projections et aucune partie de ce
drame ne se serait produite, si vous n’étiez pas entièrement et littéralement remplis
de ‘’vous-mêmes’’.
Soudain, tout le monde a des théories, quant à savoir si le Maître bien-aimé est luimême dépassé. C’est son problème. Laissez-le s’en inquiéter. Chacun soutient que les
gurus devraient suivre les normes comportementales de la culture où ils se trouvent,
même si pour eux, tout est relatif et sans importance. Cela n’est pas votre problème !
Laissez les gurus s’inquiéter de leurs problèmes. Découvrez quel est le vôtre et
travaillez là-dessus.
227
Tous ceux qui se préoccupent de tels événements ont reçu un coup gratuit sur la tête
et vous gaspillez cette opportunité en spéculant sur le Maître bien-aimé ! Le Maître
bien-aimé est complètement hors de propos ! Votre problème, c’est que vous prenez
le rêve que vous projetez comme la réalité, comme quelque chose à l’extérieur.
Arrêtez. Faites marche arrière.
Ceci ne sera ni amusant, ni palpitant, ne fera pas plaisir et ne flattera pas votre
identité de chercheur spirituel avancé, de la manière dont vous rendre en Inde et de
vous asseoir auprès d’un Maître bien-aimé le faisait. Accomplissez le travail que
vous devez faire, trouvez l’aide dont vous avez besoin. Quelle forme elle prendra ne
dépend pas de vous. Rien ne dépend de vous. Cela arrivera, s’il y a une ouverture,
un consentement, un renoncement.
A la place de vous tourner vers l’extérieur, tournez-vous vers l’intérieur. Tout ce qui
n’est pas présent dans le sommeil profond n’existe pas. Les gurus, les enseignements
et les comportements divers n’existent pas dans le sommeil profond. Ni les satsangs,
ni les séminaires, ni les livres comme celui-ci. Que fabriquez-vous ? Invitez le silence,
invitez la tranquillité. Ne gaspillez pas votre temps à faire quoi que ce soit d’autre
qu’être silencieux, qu’être tranquilles à l’intérieur. Tout ce qui est ‘’vous-mêmes’’ est
illusoire, pas vrai et n’a aucune importance et c’est cela que vous projetez à
l’extérieur, sur l’écran vierge de l’extérieur. Tout ce qui est ‘’dehors’’ est illusoire, pas
vrai, n’a aucune importance. Laissez-vous vous vider de cela. Que la vacance soit.
Laissez-vous déchirer, éviscérer et vider.
Soyez bien conscients que la forme que ceci prendra ne dépend nullement de vous et
que cela peut prendre du temps. Cela peut prendre une vie et peut-être plus qu’une
vie. Cela n’a pas d’importance. Laissez-vous conduire en un lieu où cela n’a aucune
importance. Dans le calme, retrouvez-vous en train de vous poser la périlleuse
question, la question à laquelle l’ego ne souhaite pas que vous pensiez, la question
qui mettra un terme à ‘’votre’’ vie. Laissez-vous conduire là où il n’est plus nécessaire
de trouver ‘’quelqu’un’’ à blâmer, qu’il s’agisse de vous-même ou de quelqu’un
d’autre, là où ce besoin d’être spécial ne vous détruit plus, là où il n’est plus
nécessaire, ni possible de vous détourner de votre Soi, ni de regarder à l’extérieur
pour étiqueter ce qui est ‘’mal’’ ou ce qui est ‘’bien’’, là où il n’est plus possible de
regarder en dehors de votre Soi pour voir Ce-qui-est.
Vous tourner vers l’extérieur prolonge le Rêve. Il n’y a que regarder en vous,
implacablement, dans les tréfonds de vous-mêmes, au-delà des ou antérieurement
aux niveaux superfétatoires ― intellect, raison, émotions, sentiments, psyché,
subconscient… ― jusqu’à Ce que Vous êtes, il n’y a que cela qui puisse vous conduire
à l’Eveil, qui n’a lui-même rien à voir avec aucun ‘’extérieur’’ ou ‘’intérieur’’.
Eveillez-vous !
228
La réalité est ce que nous prenons pour vrai
Et ce que nous prenons pour vrai est ce que nous croyons
Et ce que nous croyons repose sur nos perceptions
Et ce que nous percevons dépend de ce que nous cherchons
Et ce que nous cherchons dépend de ce que nous pensons
Et ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons
Et ce que nous percevons détermine ce que nous croyons
Et ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour vrai
Et ce que nous prenons pour vrai est notre réalité.’’
-
David Bohm
229
ÉPILOGUE : UNE ONTOLOGIE ECKHARTIENNE
‘’Celui qui veut comprendre mon enseignement de libération doit être lui-même
parfaitement libéré.’’
-
Maître Eckhart
‘’Il existe un non né, non causé, non créé.
Et s’il n’y avait pas ce non né, non causé, non créé,
Il n’y aurait aucune libération du né, du causé, du créé.’’
-
Bouddha
I
On a demandé un jour à Ken Wilber pourquoi l’Orient a développé une tradition si
riche de spiritualité transcendante au fil des siècles, alors qu’il faut chercher
beaucoup plus pour la trouver dans les traditions occidentales : ‘’Comment toute une
civilisation a-t-elle bien pu passer à côté de l’essentiel pendant si longtemps…?’’
Wilber a répondu :
‘’Imaginez que le jour même où Bouddha a atteint son Illumination, on l’ait
éliminé et pendu précisément à cause de cette réalisation. Et que si l’un de ses
disciples prétendait avoir la même réalisation, il était lui aussi pendu. En
parlant pour moi, je trouverais cela assez dissuasif…
Dès qu’un pratiquant spirituel commençait à s’approcher de trop près de la
réalisation…que son propre esprit est Un, par essence, avec l’Esprit
primordial, alors des répercussions terriblement graves suivaient,
généralement.’’
Il est dès lors d’autant plus étonnant que les enseignements et les écrits de mystiques
européens médiévaux, tels qu’Hildegarde de Bingen, Mathilde de Magdebourg, Jean
de la Croix, Thérèse d’Avila, Henri Suso, Jean Tauler, ainsi que l’auteur anglais
anonyme du Nuage d’Inconnaissance, entre autres, aient pu survivre.
Maître Eckhart, un frère allemand de l’Ordre des Dominicains, a vécu et enseigné
dans les années 1260 à 1327. Précisément comment il est parvenu à la
Compréhension qu’il a embrassée (ou qui l’a épousé) n’a pas été enregistré.
Néanmoins, ses écrits et ses sermons évoquent la même vérité de non-dualité
radicale que les mystiques et les sages d’Orient et d’Occident ont toujours indiquée.
Eckhart a parlé de quelque chose qu’il appelait la libération, un lâcher-prise ultime
qui équivaut à la négation et à l’anéantissement total du moi individuel. Cette
230
libération ouvre à la ‘’percée au-delà de Dieu’’ qui correspond à tous égards à ce que
dans les autres traditions, on appelle l’Eveil, l’Illumination ou la Compréhension. Ce
qu’il a vu, insista-t-il, ne pouvait être compris ― à moins et avant que cette libération
et que cette percée ne se soient produites, quand tout devient clair.
Ce qu’Eckhart enseignait, ce qu’est sa libération est un lâcher-prise dans une unité ―
est une unité qui transcendait dramatiquement les croyances chrétiennes médiévales.
Il a vu que l’humain et que le divin sont ‘’une unité unique sans différence’’, parce
qu’ ‘’antérieurement à la distinction en substances, l’agir de Dieu et le devenir de
l’homme réunissent Dieu et l’homme en un événement identique.’’
L’Etre pour Eckhart est la Présence – qui est une, universelle. Depuis Aristote jusqu’à
Thomas d’Aquin, les philosophes occidentaux avaient vu des êtres séparés comme
des entités séparées du Créateur. Pour Eckhart, ce n’est pas le cas : l’Etre est Dieu et
dans la mesure où toute chose est, elle est Dieu, ayant ‘’une essence, une substance et
une nature identique…Si la nature de Dieu est ma nature, alors l’Etre divin est mon
Etre. Ainsi, Dieu est-Il plus intimement présent dans toutes les créatures que la
créature n’est présente dans elle-même.’’
‘‘Il y a un pouvoir dans l’esprit’’, dit-il, ‘’qui ne touche ni le temps, ni la chair. Il
provient de l’Esprit et reste dans l’Esprit…’’ Et encore : ‘’Il y a quelque chose dans
l’esprit qui est tel que, si l’esprit était entièrement ainsi, il serait déconstruit.’’
Lorsque je me tenais encore dans le substrat, le terreau, le courant et la source
de la Déité, nul ne me demandait où j’allais, ni ce que je faisais. Il n’y avait
personne pour m’interroger. Mais quand j’en sortis, toutes les créatures
s’écrièrent : Dieu !’’
Il est inutile de dire que ce genre de propos lui a valu de très graves ennuis avec
l’Inquisition de Rome, devant le tribunal de laquelle il dut se défendre contre des
accusations d’hérésie – accusations qui, comme Wilber y a fait allusion, étaient
assorties de peines de torture exquisément médiévales et d’une peine d’exécution.
Mais il est clair qu’Eckhart ne pouvait pas ne pas voir ce qu’il voyait et qu’il ne
pouvait pas ne pas en parler, même s’il est également clair qu’il y avait davantage
qu’un peu de frustration, du fait qu’aucun de ses auditeurs ne semblait être en
mesure de comprendre. Il qualifiait parfois d’ ‘’ânes ignorants’’ ceux qui suivaient les
pratiques religieuses extérieures de son époque et quand le tribunal de l’Inquisition
paraphrasa incorrectement son enseignement, il répondit quelque peu abruptement
que la déclaration, telle qu’elle avait été formulée, était débile.
Parfois, ses sermons, dans le langage de son époque, se mettent à ressembler
remarquablement aux paroles de Ramana Maharshi ou de Nisargadatta Maharaj :
‘’Pour l’amour de Dieu, je vous supplie de comprendre cette Vérité, si vous le
pouvez, mais si vous deviez ne pas la comprendre, ne vous tracassez pas à
cause de cela, parce que la Vérité dont je veux parler est telle que seulement
quelques bonnes personnes la comprendront...
231
Mon Etre essentiel est au-delà de Dieu, dans la mesure où nous comprenons
Dieu comme le principe des créatures. En effet, dans le propre Etre de Dieu, où
Dieu se situe au-delà de toute existence et de la distinction, J’étais moi-même,
Je me voulais moi-même et Je me connaissais moi-même pour créer cet homme
que je suis. Ainsi suis-Je cause de moi-même selon mon Etre qui est éternel,
mais non selon mon devenir qui est temporel. Ainsi suis-Je également non-né
et en fonction de mon Etre non-né, Je ne puis jamais mourir. Selon mon Etre
non-né, J’ai toujours été, Je suis maintenant et Je demeurerai
éternellement…Dans ma naissance éternelle, toutes choses naquirent et Je fus
cause de moi-même et de toutes choses…Et si je n’étais pas moi-même, Dieu
ne serait pas non plus. Que Dieu soit Dieu, j’en suis une cause. Si je n’étais
pas, Dieu ne serait pas Dieu. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de comprendre
cela…
Dans la percée…Je me situe au-delà de tout ce qui est créé et Je ne suis ni Dieu,
ni créature. Je suis plutôt Ce que J’étais et Ce que Je resterai maintenant et à
tout jamais…Puisque dans cette percée, il me revient que Dieu et moi, nous
sommes Un. Là, Je suis Ce que J’étais et Je ne diminue, ni ne crois, étant là une
cause immuable qui meut toutes choses…
Ceux qui ne peuvent pas comprendre ce discours ne devraient pas s’en
inquiéter, car aussi longtemps que l’homme n’égalera pas cette vérité, il ne
comprendra pas ce discours, car c’est une vérité non cachée venue directement
du cœur de Dieu.’’21
En bref, Eckhart savait au-delà de l’expérience et des concepts qu’il y avait ‘’quelque
chose’’ au-delà de ‘’Dieu’’ et que ce ‘’quelque chose’’, c’est le ‘’Je’’. Et ceci, il a été
contraint de l’exprimer à l’aide de concepts et d’une manière qui lui ont permis – tout
juste – d’éviter d’être tué pour la peine qu’il a prise.
II
Ainsi :
1.
L’Etre est.
L’Etre permet à l’Etreté d’être.
L’Etreté est la Présence, l’expérience de l’Etre.
L’Etre diffuse la Présence, permet à la Présence, à l’Etreté d’être.
21
Pour le lecteur ou la lectrice qui voudrait tout de même mieux comprendre, je suggère la lecture du livre
‘’De Nietzsche à Maître Eckhart’’, de Jean-Yves Leloup qui fait une remarquable analyse de tous ces passages
concernant Maître Eckhart, NDT. (Pour le reste, le mental et l’intellect devront tout de même s’effacer, hein !)
232
‘’L’Etre permet aux ‘’êtres’’ d’être présents et à l’Etreté d’être leur Présence.’’ (Reiner
Schurmann)
L’Etre est en train d’être tout ce qui est.
Ainsi, tout ce qui est,
Pour autant que cela soit, est l’Etre.
L’Etre a été appelé Dieu, le Tout,
Sat-Chit-Ananda, Etre-Conscience-Félicité,
Un Silence éclatant et parfait.
2.
On pourrait se demander ce qu’il y a avant l’Etre.
Qu’est-ce qui permet à l’Etre d’être ?
Puisqu’il est antérieur à l’Etre,
Ce que c’est n’est pas.
Il y a là le Vide, le Néant, la Vacuité.
Antérieure à l’Etre, Il/Elle permet à l’Etre d’être :
Ce en quoi l’Etre se situe,
La plénitude du Vide,
Duquel et dans lequel l’Etre (et l’Etreté) jaillissent. 22
Les voies du mysticisme, de la dévotion et de la connaissance
Se rejoignent ici et s’arrêtent ici.
Toutes les voies ne peuvent qu’aboutir ici et pas plus loin.
L’Etre et la Vacance sont les ultimes concepts
Et les dernières expériences qui nous sont accessibles.
A partir de là,
Il n’y a plus qu’une porte ouverte et l’obscurité au-delà.
La franchir, c’est se précipiter au-delà.
3.
Antérieur à l’Etre et au Vide,
Ce qui permet simultanément à l’Etre et au Vide d’être,
Est inexprimable, ineffable.
Conceptuellement, la question peut se poser,
Mais ici,
La pensée et les concepts vont droit dans le mur ou sont au bord de l’abîme.
Le mental ne peut pas faire un saut quantique
Pour trouver une réponse conceptuelle, ni expérientielle.
22
On peut faire ici un parallèle avec le zéro, le un et toute la multiplicité, NDT.
233
Mais Cela peut être ‘’connu’’ et ‘’perçu’’, ‘’au-dedans’’.
Cela existe, mais c’est indicible.
Ici, les mots et les idées ne peuvent qu’indiquer la direction générale :
La ‘’Déité’, de laquelle émane Dieu,
Le Parabrahman, d’où émane Brahman,
Mais ces termes ne signifient rien
Et ne sont que des superlatifs surajoutés à des concepts existants.
Ces termes visent à indiquer non seulement au-delà d’eux-mêmes,
Mais l’au-delà de l’au-delà,
Au-delà de l’ultime auquel l’esprit ou le cœur humain puisse songer ou concevoir,
Malgré tout, Cela peut être ‘’connu’’ (d’une manière qui transcende le savoir),
Dans le silence, dans la tranquillité, dans le Cœur,
Par un lâcher-prise total,
Par une percée, par un éclair qui consume tout sentiment de séparation.
Tat tuam asi : Je suis Cela.
C’est ce qu’est le ‘’Je’’
Qui déploie en Soi l’Etre et le non-être,
L’Etreté et la Vacuité,
Ce-qui-est et le Vide.
Ce non né,
Cet éternel,
Je.
234
‘’En vérité,
Notre nature originelle est dénuée du moindre atome d’objectivité.
Elle est vide, omniprésente, silencieuse, pure.
C’est une joie paisible, mystérieuse et splendide,
Rien de plus.
Pénétrez-la profondément en vous éveillant à Vous-même.’’
-
235
Houang-po
Le cloitre de la réalité,
Garde-fou ultime
Qu’aucune vision ne peut détecter,
Que nulle pensée ne peut pénétrer.
Simple coup d’œil.
Cet au-delà qui n’est rien,
En un seul point transpercé par le ‘’pas ceci’’,
S’effondre dans la vacuité,
Dissolvant le tissu,
Détruisant le tissage du voile.
Peut-il y avoir une identité,
Avec la connaissance immédiate, irrévocable
Que ‘’je’’ ne suis pas, ni rien d’autre,
Y avoir encore un rôle pour le fantôme
Que l’on retrouve dans la brume du voile dissous ?
Ni voyant, ni sage, ni guru, ni guide.
Peut-il y avoir une direction dans un voyage comme celui-ci ?
Périple d’ici à ici,
Voyage sans début, ni fin,
Sans aucune voie ou empruntant des milliards de voies,
Sans voyageur et sans retour.
L’unique vœu du bodhisattva
De simplement être cet Un,
La Totalité que Je Suis,
Sans peur, ni attachement,
Ni intention, ni espoir,
Ni séparation, ni lien,
Sans identité, ni souci.
Présence, Essence et Silence ici,
Vacuité et ouverture,
Vision permanente
Au sein de l’aveuglement
Dans la Totalité de Ce-qui-est.
C’est tout !
236
BIBLIOGRAPHIE
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