LA SANTÉ DES MÉDECINS vus en urgence psychiatrique, ils ne pourraient pas consulter dans leur centre hospitalier, car ils étaient hors secteur et que, bien sûr, ils ne pourraient être hospitalisés dans ce milieu. Par conséquent, ces psychiatres qui, par souci d’aider leurs collègues, persistent à traiter ces derniers se voient pénalisés par une surcharge de travail et n’obtiennent aucun soutien de leur milieu. Il est fort probable que certains devront cesser ce genre de suivi s’ils veulent préserver leur santé personnelle. Et l'on ne pourra pas le leur reprocher. Mais je questionne sérieusement nos dirigeants qui balaient les initiatives des médecins pour s’entraider d’un revers de la main. Pourquoi ne prennent-ils pas exemple sur ce que la santé publique a imposé à l’automne dernier pendant la pandémie de grippe H1N1 où l’on a vacciné le personnel médical avant tout autre individu, aussi malade fût-il, afin de s’assurer que celui-ci resterait en assez bonne santé pour prendre soin des patients? Il faudrait peut-être penser à accorder la priorité de soins aux médecins malades afin qu’ils demeurent aptes à soigner la population. Mais je dois encore rêver en couleur. LA CHRONIQUE DU DR CN PAR DENISE DROLET, MD [email protected] OMNIPRATICIENNE EN MONTÉRÉGIE PERSONNE-RESSOURCE AU SEIN DU PROGRAMME D'AIDE AUX MÉDECINS DU QUÉBEC SOIGNER SES PAIRS « Docteur, vous êtes pâle? Avez-vous vu votre médecin dernièrement? » Un médecin est souvent bien mauvais juge de sa santé personnelle; une première consultation pour ce dernier décèle, hélas, trop souvent une hémoglobine à 72 ou un cancer préterminal! médecin de s’occuper lui-même de son hypertension ou de son diabète. surtout si le traitement de ces pathologies fait partie de ses tâches habituelles. Or, il n’est vraiment pas recommandé de se traiter soi-même et notre code de déontologie nous incite à ne pas le faire. J’ai déjà abordé l’importance pour chacun d’entre nous d’avoir un médecin de famille. Aujourd’hui, j’aimerais vous encourager à accepter des médecins comme patients. La plupart des médecins de famille et plusieurs spécialistes n’acceptent plus de nouveaux patients. Mais, malgré ce contexte de pénurie, y aurait-il de l’intérêt à accepter de prendre en charge les soins de santé d’un collègue? Sûrement pas, me direz-vous! Un médecin voudra tout contrôler, il exigera des rendez-vous rapides selon SON horaire ou me téléphonera pendant un souper de famille. Il me posera des questions auxquelles je ne pourrai pas toujours répondre et j’aurai l’air d’un incompétent, surtout que je n’ai pas en mémoire toutes les lignes directrices de l’année en cours! Et si je ne trouve pas rapidement de solution à son problème, il risque de me dénigrer aux yeux de mes collègues. Pourquoi s’encombrer d’un patient difficile quand on est déjà débordé? J’ai trouvé dommage d’être témoin d’une situation où un omnipraticien demandait à un autre s’il accepterait de le prendre comme patient. La réaction du second a été de demander pourquoi un médecin aurait besoin d’en consulter un autre dans un contexte de prévention alors qu’il peut très bien le faire lui-même. Ce genre de réaction suffit à donner l’impression d’un reproche, signifiant la « faiblesse » du demandeur. Par chance, ayant été témoin de la conversation, j’ai pu intervenir et encourager le premier dans sa démarche en lui proposant quelqu'un d'autre. Bien entendu, je ne parle pas ici d’urgences médicale ou chirurgicale, situations dans lesquelles un patient, médecin ou non, parvient toujours à obtenir des soins. Je fais référence au suivi d’une maladie plus chronique telle qu’on en retrouve en médecine familiale, en médecine interne ou en psychiatrie, par exemple. Il est tentant pour un 26 Santé inc. septembre / octobre 2010 Les médecins ont déjà une grande de difficulté à accepter de consulter; il ne faut pas les décourager au premier essai. Il suffit parfois d’un mot mal choisi ou d’un regard particulier pour que notre docteur abandonne son projet, qui cachait peutêtre une inquiétude justifiée. Et puis, si vous savez comment on peut se faire soimême un examen gynécologique ou de la prostate, je vous invite à m’en faire part! Mais pourquoi accepter des médecins comme patients? Sont-ils si terribles? Parce que j’en compte moi-même dans ma clientèle, et pour avoir discuté avec des collègues qui font de même, je peux vous assurer qu’il y a des avantages indéniables à accepter quelques médecins comme patients. En effet, les médecins ont un grand respect de nos horaires chargés et s’efforcent d’optimiser le temps de consultation. Afin de nous simplifier la tâche, ils discutent de leurs problèmes selon les priorités et proposent euxmêmes de remettre la discussion sur un sujet moins urgent, le cas échéant. Et ce sont souvent eux qui nous avisent que le temps qui leur est alloué est passé… Dès le début de l’entrevue, vous obtenez la liste des antécédents dudit docteur avec les dates à l’appui, le nom des médecins consultés au fil des années, la liste de médicaments, sans oublier les allergies. La plus grande difficulté est de parvenir à inscrire les informations aussi vite que le patient les énumère! En général, ce sont des patients très organisés qui collaborent à leur traitement, suivent les instructions, et s’ils ne le font pas, ils vous le disent et en assument très bien la responsabilité. Ils sont prêts à vous signer des décharges pour leur manquement au suivi. Bref, vous n’aurez pas de patients plus soucieux de votre bien-être et plus compréhensifs devant vos retards, vos formulaires pas toujours complétés à temps, vos bureaux qui croulent sous les documents que vous n’avez pas réussi à ranger ou sur vos troubles cognitifs occasionnels! Avoir un patient médecin, c’est bon pour le moral! Bien sûr, vous avez un patient exigeant, qui veut comprendre le pourquoi et le comment des choses, ce qui vous pousse parfois aux limites de votre compétence. Il faut savoir vivre avec cette pression et aimer les défis. Nous avons tous déjà affronté des situations pires que cela. Par ailleurs, la situation n’est pas toujours si complexe et l’on parvient en général à travailler dans notre zone de confort. Dans le contexte actuel, il est évident qu’il est difficile d’accepter de suivre un nouveau patient, mais faire une exception pour un collègue est habituellement très satisfaisant. Par contre, il arrive parfois que le système de santé nous complique la vie. Je veux ici parler d’une situation qui m’a été rapportée et qui m’a fait réagir (encore!) très fortement. La situation concerne la psychiatrie. Dans les milieux hospitaliers, les psychiatres reçoivent une clientèle sectorisée et on leur impose un quota de patients. Certains psychiatres acceptent de recevoir des médecins hors secteur pour des raisons évidentes. En effet, aucun de nous n’a envie de rencontrer ses propres patients dans une salle d’attente de psychiatrie! Or, dernièrement, plusieurs psychiatres se sont fait avertir par leurs supérieurs administratifs que, s’ils décidaient de suivre des médecins, il fallait que ce soit hors quota, et que, si leurs médecins-patients avaient besoin d’être Parce que oui, je suis une éternelle rêveuse. Je rêve d’un monde où un individu aura le droit d’avoir des limites, sans que sa profession l’empêche de manifester un aspect de sa réalité d’être humain. Je rêve d’un temps où le fait d’être porteur d’un trouble anxieux ou d’un TDAH ne nuira pas plus à un médecin que le fait d’être hypertendu ou alopécique! Je rêve d’un temps où le médecin aura la même indulgence pour lui qu’envers ses patients. Je rêve d’un monde où chacun a le droit d’être malade sans que cela lui porte préjudice pourvu qu’il s’assure de bien traiter son problème. Je rêve d’un monde où l’on respecte l’autre en toute circonstance. Je suis une rêveuse invétérée, pardonnez-moi, je m’égare! Donc, accepter le suivi médical d’un collègue, c’est lui ouvrir une porte. Une ouverture sur l’être humain qu’il est, avec ses forces et ses faiblesses, qui lui donne le droit d’avoir mal, d’avoir peur, de ne pas comprendre, d’être dépassé, de demander de l’aide. Une porte pour partager ses craintes et l’aider à faire le point. Une porte vers le bien-être. Et, qui sait, peutêtre que cette porte que vous lui avez ouverte l’encouragera à en déverrouiller une autre pour son voisin… ⌧ septembre / octobre 2010 Santé inc. 27