pour leur manquement au suivi. Bref, vous
n’aurez pas de patients plus soucieux de
votre bien-être et plus compréhensifs de-
vant vos retards, vos formulaires pas tou-
jours complétés à temps, vos bureaux qui
croulent sous les documents que vous
n’avez pas réussi à ranger ou sur vos trou-
bles cognitifs occasionnels! Avoir un pa-
tient médecin, c’est bon pour le moral!
Bien sûr, vous avez un patient exigeant,
qui veut comprendre le pourquoi et le
comment des choses, ce qui vous pousse
parfois aux limites de votre compétence.
Il faut savoir vivre avec cette pression et
aimer les défis. Nous avons tous déjà
affronté des situations pires que cela. Par
ailleurs, la situation n’est pas toujours si
complexe et l’on parvient en général à tra-
vailler dans notre zone de confort.
Dans le contexte actuel, il est évident qu’il
est difficile d’accepter de suivre un nou-
veau patient, mais faire une exception
pour un collègue est habituellement très
satisfaisant. Par contre, il arrive parfois que
le système de santé nous complique la vie.
Je veux ici parler d’une situation qui m’a
été rapportée et qui m’a fait réagir (en-
core!) très fortement. La situation concerne
la psychiatrie. Dans les milieux hospita-
liers, les psychiatres reçoivent une clien-
tèle sectorisée et on leur impose un quota
de patients. Certains psychiatres acceptent
de recevoir des médecins hors secteur
pour des raisons évidentes. En effet,
aucun de nous n’a envie de rencontrer ses
propres patients dans une salle d’attente
de psychiatrie! Or, dernièrement, plusieurs
psychiatres se sont fait avertir par leurs
supérieurs administratifs que, s’ils dé-
cidaient de suivre des médecins, il fallait
que ce soit hors quota, et que, si leurs
médecins-patients avaient besoin d’être
vus en urgence psychiatrique, ils ne pour-
raient pas consulter dans leur centre hos-
pitalier, car ils étaient hors secteur et que,
bien sûr, ils ne pourraient être hospitalisés
dans ce milieu. Par conséquent, ces psy-
chiatres qui, par souci d’aider leurs col-
lègues, persistent à traiter ces derniers se
voient pénalisés par une surcharge de tra-
vail et n’obtiennent aucun soutien de leur
milieu. Il est fort probable que certains de-
vront cesser ce genre de suivi s’ils veulent
préserver leur santé personnelle. Et l'on ne
pourra pas le leur reprocher. Mais je ques-
tionne sérieusement nos dirigeants qui ba-
laient les initiatives des médecins pour
s’entraider d’un revers de la main.
Pourquoi ne prennent-ils pas exemple sur
ce que la santé publique a imposé à l’au-
tomne dernier pendant la pandémie de
grippe H1N1 où l’on a vacciné le person-
nel médical avant tout autre individu, aussi
malade fût-il, afin de s’assurer que celui-ci
resterait en assez bonne santé pour pren-
dre soin des patients? Il faudrait peut-être
penser à accorder la priorité de soins aux
médecins malades afin qu’ils demeurent
aptes à soigner la population. Mais je dois
encore rêver en couleur.
Parce que oui, je suis une éternelle
rêveuse. Je rêve d’un monde où un indi-
vidu aura le droit d’avoir des limites, sans
que sa profession l’empêche de mani-
fester un aspect de sa réalité d’être hu-
main. Je rêve d’un temps où le fait d’être
porteur d’un trouble anxieux ou d’un
TDAH ne nuira pas plus à un médecin
que le fait d’être hypertendu ou alopé-
cique! Je rêve d’un temps où le médecin
aura la même indulgence pour lui qu’en-
vers ses patients. Je rêve d’un monde où
chacun a le droit d’être malade sans que
cela lui porte préjudice pourvu qu’il s’as-
sure de bien traiter son problème. Je rêve
d’un monde où l’on respecte l’autre en
toute circonstance. Je suis une rêveuse
invétérée, pardonnez-moi, je m’égare!
Donc, accepter le suivi médical d’un col-
lègue, c’est lui ouvrir une porte. Une ou-
verture sur l’être humain qu’il est, avec
ses forces et ses faiblesses, qui lui donne
le droit d’avoir mal, d’avoir peur, de ne pas
comprendre, d’être dépassé, de deman-
der de l’aide. Une porte pour partager ses
craintes et l’aider à faire le point. Une
porte vers le bien-être. Et, qui sait, peut-
être que cette porte que vous lui avez ou-
verte l’encouragera à en déverrouiller une
autre pour son voisin…
26 Santé inc. septembre / octobre 2010 septembre / octobre 2010 Santé inc. 27
« Docteur, vous êtes pâle? Avez-vous vu
votre médecin dernièrement? » Un
médecin est souvent bien mauvais juge
de sa santé personnelle; une première
consultation pour ce dernier décèle,
hélas, trop souvent une hémoglobine à
72 ou un cancer préterminal!
J’ai déjà abordé l’importance pour cha-
cun d’entre nous d’avoir un médecin de
famille. Aujourd’hui, j’aimerais vous en-
courager à accepter des médecins
comme patients. La plupart des médecins
de famille et plusieurs spécialistes n’ac-
ceptent plus de nouveaux patients. Mais,
malgré ce contexte de pénurie, y aurait-il
de l’intérêt à accepter de prendre en
charge les soins de santé d’un collègue?
Sûrement pas, me direz-vous! Un
médecin voudra tout contrôler, il exigera
des rendez-vous rapides selon SON ho-
raire ou me téléphonera pendant un
souper de famille. Il me posera des ques-
tions auxquelles je ne pourrai pas toujours
répondre et j’aurai l’air d’un incompétent,
surtout que je n’ai pas en mémoire toutes
les lignes directrices de l’année en cours!
Et si je ne trouve pas rapidement de solu-
tion à son problème, il risque de me dén-
igrer aux yeux de mes collègues.
Pourquoi s’encombrer d’un patient diffi-
cile quand on est déjà débordé?
Bien entendu, je ne parle pas ici d’ur-
gences médicale ou chirurgicale, situa-
tions dans lesquelles un patient,
médecin ou non, parvient toujours à
obtenir des soins. Je fais référence au
suivi d’une maladie plus chronique telle
qu’on en retrouve en médecine familiale,
en médecine interne ou en psychiatrie,
par exemple. Il est tentant pour un
médecin de s’occuper lui-même de son
hypertension ou de son diabète. surtout
si le traitement de ces pathologies fait
partie de ses tâches habituelles. Or, il
n’est vraiment pas recommandé de se
traiter soi-même et notre code de déon-
tologie nous incite à ne pas le faire.
J’ai trouvé dommage d’être témoin d’une
situation où un omnipraticien demandait
à un autre s’il accepterait de le prendre
comme patient. La réaction du second a
été de demander pourquoi un médecin
aurait besoin d’en consulter un autre dans
un contexte de prévention alors qu’il peut
très bien le faire lui-même. Ce genre de
réaction suffit à donner l’impression d’un
reproche, signifiant la « faiblesse » du de-
mandeur. Par chance, ayant été témoin
de la conversation, j’ai pu intervenir et en-
courager le premier dans sa démarche en
lui proposant quelqu'un d'autre.
Les médecins ont déjà une grande de dif-
ficulté à accepter de consulter; il ne faut
pas les décourager au premier essai. Il
suffit parfois d’un mot mal choisi ou d’un
regard particulier pour que notre docteur
abandonne son projet, qui cachait peut-
être une inquiétude justifiée. Et puis, si
vous savez comment on peut se faire soi-
même un examen gynécologique ou de la
prostate, je vous invite à m’en faire part!
Mais pourquoi accepter des médecins
comme patients? Sont-ils si terribles?
Parce que j’en compte moi-même dans
ma clientèle, et pour avoir discuté avec
des collègues qui font de même, je peux
vous assurer qu’il y a des avantages indé-
niables à accepter quelques médecins
comme patients. En effet, les médecins
ont un grand respect de nos horaires
chargés et s’efforcent d’optimiser le temps
de consultation. Afin de nous simplifier la
tâche, ils discutent de leurs problèmes
selon les priorités et proposent eux-
mêmes de remettre la discussion sur un
sujet moins urgent, le cas échéant. Et ce
sont souvent eux qui nous avisent que le
temps qui leur est alloué est passé… Dès
le début de l’entrevue, vous obtenez la
liste des antécédents dudit docteur avec
les dates à l’appui, le nom des médecins
consultés au fil des années, la liste de
médicaments, sans oublier les allergies. La
plus grande difficulté est de parvenir à ins-
crire les informations aussi vite que le pa-
tient les énumère! En général, ce sont des
patients très organisés qui collaborent à
leur traitement, suivent les instructions, et
s’ils ne le font pas, ils vous le disent et en
assument très bien la responsabilité. Ils
sont prêts à vous signer des décharges
LA CHRONIQUE DU DR CN
PAR DENISE DROLET, MD
OMNIPRATICIENNE EN MONTÉRÉGIE
PERSONNE-RESSOURCE AU SEIN DU PROGRAMME D'AIDE AUX MÉDECINS DU QUÉBEC
LA SANTÉ DES MÉDECINS
SOIGNER SES PAIRS
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