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INTRODUCTION PAR ANDREW HARVEY
Alors âgé d’une vingtaine d’années, je lus une histoire soufie dans un livre à propos de
Lawrence d’Arabie qui n’a cessé de me hanter depuis lors. La voici, telle que je m’en
souviens. Un groupe de jeunes Bédouins encore sauvages parcouraient le désert avec leur chef
qui était un homme religieux, ainsi qu’un grand leader. Au cours de leurs pérégrinations, ils
parvinrent auprès d’un vaste palais en ruine. Les jeunes hommes visitèrent les pièces laissées
à l’abandon et cassèrent des morceaux de plâtre et de brique pour sentir ce qui était entré dans
leur composition. L’un d’eux s’écria : ‘’Dans cette terre, il y a des essences de rose et de fleur
d’oranger.’’ Un autre s’exclama : ‘’Dans cette terre, je sens le jasmin ! Quelle merveille !
Le chef se tenait à l’écart et ne pipait mot. Quand les hommes eurent visité toutes les pièces et
savouré les différents parfums que l’on pouvait toujours sentir dans la terre du palais en ruine,
ils demandèrent à leur chef : ‘’Et quel est votre parfum favori ?’’ Il sourit et se pencha aussi
loin qu’il le put par l’une des fenêtres du palais dans l’air du désert. Il tendit les mains et les
mit en coupe. Puis, il présenta ses mains creusées aux hommes et leur dit : ‘’Sentez ceci ! Le
meilleur parfum d’entre tous est le parfum du désert, car il ne sent rien.’’
Dix ans plus tard, je me trouvais à Paris chez une vieille amie soufiegrande traductrice,
érudite et chercheuse avec qui je travaillais sur des traductions de Rumi. Je lui racontai
l’histoire et lui demandai ce qu’elle signifiait pour elle. Elle garda le silence pendant un long
moment, puis elle dit :
‘’Chaque fois que je pense aux soufis et au soufisme, je pense au désert. Je pense au
caractère sauvage du désert, à sa solitude superbe et terrible, à son silence, à sa pureté.
Je pense à la manière où dans le désert vous vous sentez à la fois anéanti et pourtant
totalement vivant et présent dans toutes les choses qui vous entourent et qui vous
surmontent, comme si vous étiez devenu simultanément les sables qui s’étendent d’un
horizon à l’autre et le ciel si vaste, si vide et si immobile. Et je pense également à ce
qui est écrit dans le Coran : ‘’Tout est périssable, excepté la Face de Dieu.’’ Le désert
est la Face de Dieu, l’ultime miroir dans lequel les êtres humains voient leur néant et
leur absolue splendeur en Lui. Les soufis sont ceux qui passent leur vie à contempler
le miroir du désert et à préserver la pureté, la gloire et la rigueur du désert dans leur
vie. Et chez les plus grands philosophes et poètes soufis, vous sentez ce que le chef de
cette histoire appelle ‘’le meilleur parfum de tous’’le parfum du désert, la fragrance
du vide, le doux parfum extatique et enivrant de la Présence qui est à la fois Tout et
Rien.’’
Je fus touché par ce qu’elle dit, mais je voulais qu’elle parle à propos de l’histoire même.
Aussi je lui demandai de me dire ce que l’histoire lui disait à elle. ‘’Pour moi, c’est évident’’,
dit-elle.
‘’Peut-être que le fait d’avoir un peu plus de quatre-vingts ans aide à ce que ce soit si
clair. Le palais en ruine, c’est le monde avec tous ses jeux, ses désirs et ses projets.
Chacun d’eux est fabriqué à partir d’un désir ‘’aromatique’’ qui laisse une trace
persistante. Un vers des Quatre Quatuors de T.S. Eliot me vient à l’esprit : ‘’De la
cendre sur la manche d’un vieil homme, voilà toute la cendre que laissent les roses
brûlées.’’ Toutes les joies du monde, malgré leur merveille, passent et ne peuvent
durer longtemps. Le seul parfum éternel est celui qui sent la Vacuité de Dieu. C’est ce