LE PARFUM DU DÉSERT - ANDREW HARVEY & ERYK HANUT

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LE PARFUM
DU DÉSERT
ANDREW HARVEY
ET
ERYK HANUT
Aux sources de la sagesse soufie
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A Karen Kellejian,
La plus charmante des compagnes sur la Voie, avec notre amour et
notre reconnaissance éternels.
A.H et E.H.
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction par Andrew Harvey 3
Introduction par Eryk Hanut 9
Epigraphes 11
Prière préliminaire 12
Chapitre 1 : L’appel 13
Chapitre 2 : Le secret intérieur 26
Chapitre 3 : Ô Dieu, accorde-moi l’amour de Toi 44
Chapitre 4 : Epreuve et anéantissement 60
Chapitre 5 : La vie de l’union 79
Prière finale 92
Remerciements 93
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INTRODUCTION PAR ANDREW HARVEY
Alors âgé d’une vingtaine d’années, je lus une histoire soufie dans un livre à propos de
Lawrence d’Arabie qui n’a cessé de me hanter depuis lors. La voici, telle que je m’en
souviens. Un groupe de jeunes Bédouins encore sauvages parcouraient le désert avec leur chef
qui était un homme religieux, ainsi qu’un grand leader. Au cours de leurs pérégrinations, ils
parvinrent auprès d’un vaste palais en ruine. Les jeunes hommes visitèrent les pièces laissées
à l’abandon et cassèrent des morceaux de plâtre et de brique pour sentir ce qui était entré dans
leur composition. L’un d’eux s’écria : ‘’Dans cette terre, il y a des essences de rose et de fleur
d’oranger.’’ Un autre s’exclama : ‘’Dans cette terre, je sens le jasmin ! Quelle merveille !
Le chef se tenait à l’écart et ne pipait mot. Quand les hommes eurent visité toutes les pièces et
savouré les différents parfums que l’on pouvait toujours sentir dans la terre du palais en ruine,
ils demandèrent à leur chef : ‘’Et quel est votre parfum favori ?’’ Il sourit et se pencha aussi
loin qu’il le put par l’une des fenêtres du palais dans l’air du désert. Il tendit les mains et les
mit en coupe. Puis, il présenta ses mains creusées aux hommes et leur dit : ‘’Sentez ceci ! Le
meilleur parfum d’entre tous est le parfum du désert, car il ne sent rien.’’
Dix ans plus tard, je me trouvais à Paris chez une vieille amie soufiegrande traductrice,
érudite et chercheuse avec qui je travaillais sur des traductions de Rumi. Je lui racontai
l’histoire et lui demandai ce qu’elle signifiait pour elle. Elle garda le silence pendant un long
moment, puis elle dit :
‘’Chaque fois que je pense aux soufis et au soufisme, je pense au désert. Je pense au
caractère sauvage du désert, à sa solitude superbe et terrible, à son silence, à sa pureté.
Je pense à la manière où dans le désert vous vous sentez à la fois anéanti et pourtant
totalement vivant et présent dans toutes les choses qui vous entourent et qui vous
surmontent, comme si vous étiez devenu simultanément les sables qui s’étendent d’un
horizon à l’autre et le ciel si vaste, si vide et si immobile. Et je pense également à ce
qui est écrit dans le Coran : ‘’Tout est périssable, excepté la Face de Dieu.’’ Le désert
est la Face de Dieu, l’ultime miroir dans lequel les êtres humains voient leur néant et
leur absolue splendeur en Lui. Les soufis sont ceux qui passent leur vie à contempler
le miroir du désert et à préserver la pureté, la gloire et la rigueur du désert dans leur
vie. Et chez les plus grands philosophes et poètes soufis, vous sentez ce que le chef de
cette histoire appelle ‘’le meilleur parfum de tous’’le parfum du désert, la fragrance
du vide, le doux parfum extatique et enivrant de la Présence qui est à la fois Tout et
Rien.’’
Je fus touché par ce qu’elle dit, mais je voulais qu’elle parle à propos de l’histoire même.
Aussi je lui demandai de me dire ce que l’histoire lui disait à elle. ‘’Pour moi, c’est évident’’,
dit-elle.
‘’Peut-être que le fait d’avoir un peu plus de quatre-vingts ans aide à ce que ce soit si
clair. Le palais en ruine, c’est le monde avec tous ses jeux, ses désirs et ses projets.
Chacun d’eux est fabriqué à partir d’un désir ‘’aromatique’’ qui laisse une trace
persistante. Un vers des Quatre Quatuors de T.S. Eliot me vient à l’esprit : ‘’De la
cendre sur la manche d’un vieil homme, voilà toute la cendre que laissent les roses
brûlées.’’ Toutes les joies du monde, malgré leur merveille, passent et ne peuvent
durer longtemps. Le seul parfum éternel est celui qui sent la Vacuité de Dieu. C’est ce
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‘’parfum’’cette gnose, cette félicité, cette extaseque tous les mystiques cherchent
à ‘’sentir’’, parce qu’ils savent qu’il les rend ivres du Bien-aimé et qu’il les pousse à
réaliser leur identité avec Lui.’’
Elle fit une pause et contempla ses vieilles mains arthritiques en souriant d’un air narquois.
‘’Et une fois que vous avez senti ce parfum, votre vie est ruinée, parce que rien d’autre ne sera
jamais aussi parfumé et tout votre être commence à se languir.’’
Et elle me raconta une histoire soufie. ‘’Vous m’avez raconté une histoire qui vous touche, je
vais vous en raconter une que j’aime. Je pense qu’elles sont liées et que si vous écoutez votre
histoire et la mienne ensemble, vous pouvez entendre presque toute la symphonie du
soufisme.
‘’J’ai entendu cette histoire au cours de ma première visite au Kenya où vivait Rumi, et en
l’entendant, quelque chose en moi s’est à jamais transformé :
‘’C’était un empereur qui avait un esclave qu’il aimait passionnément et qui, croyait-il,
l’aimait de tout son cœur. Mais l’empereur voulait en être certain. Aussi il remplit dix
pièces de tous les trésors imaginablesdes rubis et des émeraudes, des colliers de
grosses perles noires, des coffres remplis des étoffes les plus riches et des manuscrits
les plus rares, les plus merveilleusement enluminés, de grands porte-documents en cuir
contenant des actes de propriété pour des maisons et des domaines à la campagne.
Quand les pièces furent remplies de ces trésors et quand les murs semblèrent luire et
étinceler de l’éclat d’une telle gloire, l’empereur fit appeler tous les membres de sa
cour, tous ses serviteurs et tous ses esclaves et il dit : ‘’Aujourd’hui, je vous libère tous
de mon service. Vous êtes parfaitement libres d’emporter tout ce que vous souhaitez
de ces pièces.’’ Vous pouvez imaginer le tohu-bohu qui s’ensuivit ! Même le grand
vizir, d’ordinaire plutôt austère, se mit à danser la gigue et empila sous ses bras autant
de bijoux et d’actes de propriété qu’il put trouver.’’
Elle s’interrompit pour jeter un regard par la fenêtre et le bruit de la rue parisienne en
contrebas parut s’estomper.
‘’Mais l’esclave que l’empereur aimait tant ne bougea pas’’, dit-elle d’une voix
légèrement tremblante.
‘’Il demeura où il était, silencieux, son visage tourné vers l’empereur jusqu’à ce que
l’entièreté du trésor ait été emportée et qu’il ne reste plus que lui et l’empereur dans un
désert de pièces vides. L’empereur dit tranquillement : ‘’Et toi qui es resté et qui n’as
rien cherché pour toi-même, qu’est-ce que tu veux ? Tu peux avoir tout ce que tu veux
dans n’importe lequel des mondes que je possède.’’ L’esclave ne dit toujours rien et
l’empereur cria presque : ‘’Qu’est-ce que tu veux ? Je t’ordonne de me le dire.’’ Et
l’esclave dit : ‘’Je vous veux.’’ Il répéta lentement : ‘’Je vous veux. Je vous veux.’’
C’était ce qui lui, le vrai soufi voulaitpas le palais ni le pouvoir ni les bijoux ni les
autres dons de l’empereurmais l’empereur lui-même.’’
Elle se rappuya dans l’ombre de sa chaise et récita un poème de Rumi :
‘’Tu es un océan de gnose caché dans une goutte de rosée.
Tu es un univers entier caché dans un sac de sang.
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